vendredi 16 avril 2010

" Tais-toi! Tu es mort! C'est le blanc qui l'a dit! "

" Tais-toi! Tu es mort! C'est le blanc qui l'a dit! "
Harry E. Jean-Philippe
15 Avril 2010

86 jours après la catastrophe du 12 Janvier 2010 faisant plus de 200.000 morts,300.000 blessés et estropiés,1.5 millions de sans abris et des dommages matériels estimés à plusieurs milliards de dollars,la communauté internationale et le gouvernement Préval-Bellerive s'entendent comme deux partenaires dans le crime pour proclamer l'Etat d'urgence avec la complicité du Corps Législatif haïtien.Voilà qui autorise une série de questions très pertinentes dont la toute première est la suivante: y a-t-il un péril imminent pour la nation haïtienne pouvant justifier l'imposition d'un Etat d'urgence? Si oui, quelle en est la nature? Dans le cas où les réponses sont affirmatives, les officiels du gouvernement doivent être en mesure de citer un précédent politico-juridique où,quelque part sur la planète, un Etat d'urgence a été déclaré pour 18 mois
renouvelables.

On ne va pas en trouver beaucoup.L'Egypte est le seul pays où une situation d'exception, donc de définition provisoire, se prolonge sur près de trente ans dans un Etat qui se définit comme un Etat de droit.Le président Moubarak avait promis de l'abroger.Mais le Parlement l'a reconduite jusqu'en 2010.Ce régime d'exception, instauré après l'assassinat du président Sadate par un commando islamiste en 1981, est invariablement reconduit depuis au nom de « la lutte contre le terrorisme ».

Aujourd'hui, les États-Unis se disent « déçus ». Mais le gouvernement égyptien rechigne à céder à ce qu'il considère comme de l'«ingérence ». « Aucun parti étranger n'a le droit de faire des remarques sur les activités de l'Assemblée du peuple », a martelé le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Ali Aboul Gheit.

En vingt-neuf ans, la Loi d'urgence qui permet perquisitions, arrestations et détentions arbitraires, est devenue le cauchemar de l'opposition. Selon Hafez Abou Saada, responsable de l'Organisation égyptienne des droits de l'homme, plus de 10 000 personnes seraient actuellement détenues sans jugement. Dans la perspective de la succession de Moubarak, cette loi constitue donc un moyen efficace de museler la contestation.

Mohamed Saad al-Katatni, chef de file des députés (élus sous l'étiquette «indépendants », la confrérie étant officiellement interdite), ne cache pas son amertume : « Cette loi criminelle est le symbole de la corruption du régime qui maintient un État policier pour agir en toute impunité. » Plus récemment, elle a été utilisée pour arrêter des ouvriers et des syndicalistes impliqués dans les manifestations et grèves contre la flambée des prix. Ces protestations populaires, interdites sous l'Etat d'urgence et inédites sous Moubarak, ont réveillé la hantise d'émeutes de plus grande ampleur et ravivé ainsi les réticences du gouvernement à se priver de la Loi d'urgence.

L'article 148 de la Constitution de 1958 autorise, en effet, le président égyptien à déclarer l'Etat d'urgence s'il estime la sécurité et l'ordre public en danger. En 2005, le chef de l'Etat avait promis à la nation un texte de loi spécifique pour lutter contre le terrorisme et le trafic de drogue.Mais une telle loi qui doit nécessairement remplacer la Loi d'urgence se fait encore
attendre.

Ainsi, Fouad Allam, ancien directeur des Services de Sûreté de l'Etat,
affirme,dans le quotidien Al Ahram du 7 Avril 2004, que le pays a besoin d'une juridiction particulière pour combattre certaines actions. Selon lui, « avec tout ce qui se passe actuellement dans la région, l'ingérence américaine dans le monde arabe, la guerre en Irak et les attaques de l'armée israélienne contre les Palestiniens, on peut s'attendre à des réactions violentes de la population et dans de telles conditions il y a toujours des éléments pour semer le trouble ».

L'Etat d'urgence national se justifierait donc d'un climat de tension internationale qui pourrait avoir des répercussions sur le sol égyptien par des attaques terroristes notamment.Voilà , en quelque sorte, la rationalité qui soutient l'unique cas d'exception trouvé en Egypte,au Moyen-Orient.

Haïti,située dans le bassin des Caraïbes,jouit de conditions relativement plus paisibles où le terrorisme ne peut être utilisé comme un motif pour la proclamation de l'Etat d'urgence qui dure une éternité. Les intempéries et les débordements naturels auxquels l'île caraïbéenne est familière ne constituent pas, à proprement parler, des dangers publics exceptionnels pouvant justifier la déclaration d'un Etat d'urgence.Les fatalités découlent, en grande partie, de la
mauvaise gouvernance et de l'irresponsabilité des citoyens. Haïti n'a donc aucun motif ou intérêt pour importer le modèle égyptien dans les Caraïbes.

En depit de tout, Bill Clinton et René Préval, ceux qui veulent la Démocratie et la stabilité pour Haïti, sont déterminés à restreindre certaines libertés fondamentales du peuple.Bref, les droits fondamentaux de l'individu, assurés dans un État de droit et garantis par la Constitution en vigueur sont gravement menacés par la communauté internationale et le Pouvoir en place.

Les préoccupations du moment sont très sérieuses en raison du profil bas affiché par des blancs,désireux d'une loi - même scélerate - pour agir en maître et seigneur dans une Haïti éprouvée par la plus grande catastrophe qui ait jamais frappé l'humanité.

Point n'est besoin d'être clerc pour indiquer du doigt la source de ce projet de loi qui est arrivé absolument trop tard. Pour qui connait l'homme de Marmelade,il n'a pas les couillons pour brandir une telle proposition à la face de Bill Clinton,l'Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations-Unies en Haïti.Qui a donc osé demander au Parlement haïtien de signer son propre arrêt de mort avant d'avaler son propre poison?

Quand la réalité côtoie l'imaginaire, la blague devient plus crédible que la réalité elle-même. Qui n'a jamais entendu l'histoire de cet haïtien bien vivant à qui le blanc avait déclaré : " Tu es mort, petit nègre! " Comme il continua à faire entendre sa voix, un concitoyen lui intima l'ordre de se taire en ces termes: " Tais-toi! Tu es mort! C'est le blanc qui l'a dit! "

C'est malheureusement la situation dans laquelle se trouve le Parlement haïtien face à une communauté internationale arrogante en quête de pouvoir sans bornes pour entreprendre, au nom des Haïtiens, un processus de Reconstruction sur lequel des citoyens libres et souverains n'ont absolument rien à dire...A moins qu'ils ne le soient pas vraiment!

Pour sa part,le président haïtien, Mr René Préval est appelé à jouer un rôle cynique et effacé dans ce film macabre.Il a un droit de véto inopérant sans aucun droit d'initiative. En d'autres termes, il est littéralement neutralisé.

Le Premier Ministre, Mr Jean-Max Bellerive, celui qui personnellement alla inviter des hommes d'affaires canadiens et dominicains à réclamer leur part du gâteau, le co-chairman de la Commission Intérimaire de Reconstruction Nationale n'a aucune chance de faire le contre-poids au côté de l'ancien président américain, Bill Clinton, le nouveau pro-consul d'Haïti.

En outre, des parlementaires qui sont dans le sillage du gouvernement n'ont pas eu la décence de cacher leur intention de collaborer à ce projet anti-national. En effet,l'un d'entre eux,le sénateur Wencesclas Lambert du Sud-Est eut à déclarer ouvertement sur les ondes de la Radio Kiskeya qu'il est prêt à voter pour la Loi d'urgence en dépit de son inconstitutionnalité .Il revient donc aux hommes de loi, ceux qui sont courageux et intègres, de déterminer s'il y a lieu d'entreprendre demain ou après demain des poursuites judiciaires pour haute trahison contre des mandataires qui ont délibérément étouffé la voix de leur conscience pour planter le sabre dans la poitrine de la mère-patrie.

En Octobre 1994, Bill Clinton apporta aux haïtiens la Démocratie dans une cage vitrée.Comment peut-il être aujourd'hui la force tranquille derrière ce projet de Loi d'urgence excluant les Représentants du peuple des grandes décisions nationales pendant 18 mois renouvelables?

En Haïti, on a l'habitude des mesures autocratiques. Ce penchant totalitaire exhibé par des gouvernants trouve aisément son explication dans l'Etat de police qui prévaut dans le pays dès le lendemain de la proclamation de l'Indépendance, le 1er Janvier 1804.Le président haïtien,Mr.René Préval est,malheureusement ,dans la lignée de ses prédécesseurs qui ont toujours fait fi des lois de la République et de la volonté populaire.

Ce qui est surprenant,voire révoltant,c'est le silence approbateur et complice de la communauté internationale, représentée par la figure emblématique du démocrate convaincu, le 42ieme président américain,l'homme de Hope, Bill Clinton.Dans certains secteurs, cette attitude suscite inévitablement des suspicions sur les motifs réels ou inavoués de la grande solidarité internationale et des promesses alléchantes faites à Haïti, la semaine dernière,à l'issue de la Conférence des bailleurs de fonds, tenue au siège de l'Organisation des Nations-Unies,à New York.

Si des centaines de millions de dollars vilipendés, dans un passé encore récent,ont ouvert la voie à un certain esprit de compromis en vue de garantir la crédibilité du processus de Reconstruction et de prévenir la corruption,la passation d'une loi scélérate proclamant l'Etat d'urgence aurait pour effet immédiat de créer un environnement propice à la vaporisation des 5.1 milliards de dollars,(alloué s à Haïti), par des vautours étrangers et locaux qui n'ont pas de compte à rendre à nulle autorité légalement constituée devant la nation.Pourquoi pense-t-on que cette démocratie au rabais s'applique-t- elle aux haïtiens?On comprend alors pourquoi les nationalistes ont du mal à donner un chèque en blanc aux blancs qui s'obstinent à se substituer aux haïtiens sous le fallacieux prétexte de la coopération internationale.

Le projet de Loi d'urgence a curieusement mis, au milieu de la scène, un homme blanc qui n'est pas à son coup d'essai en Haïti. Bill Clinton, en sa qualité de président des Etats-Unis d'Amérique, a été l'architecte de la mascarade de Governor's Island. Dans cet îlot paradisiaque, en plein coeur de New York, les parties belligérantes d'Haïti étaient invitées,sous les auspices de l'ONU et de l'OEA, à trouver un compromis pour le bonheur du peuple haïtien.Comme c'est le cas,aujourd' hui,plus d'uns y ajoutaient foi. On croyait que le retour de Jean-Bertrand Aristide allait être négocié en des termes raisonnables garantissant la relance du processus démocratique rompu par le coup d'Etat militaire du 30 Septembre 1991.

Malheureusement, rien de tout cela n'y passait.Il n'y avait,en fait, aucune noblesse ou grandeur à la base des négociations tenues à Governor's Island.Là,les Haïtiens n'ont eu droit qu'à une mascarade. Le comportement malhonnête du broker qui défendait les gros sous du lobbyisme donnait la primauté aux intérêts de son client sur ceux de la collectivité haïtienne.Clinton aura regretté, plus tard, cette décision - comme il en a témoigné dans son ouvrage. Mais le mal infligé à Haïti a été déjà fait.16 ans plus tard,cela semble incurable.

Il est triste de constater que plusieurs facteurs à la base de l'échec de Governor's Island, en 1994, se trouvent aujourd'hui présents dans les premiers balbutiements de la Reconstruction: l'arrogance de la communauté internationale, la participation active et directe des outsiders et la mise à l'index des protagonistes.

- C'est l'attitude de la communauté internationale oubliant qu'elle n'a pas la vocation d'assumer pour les Haïtiens leur responsabilité consistant à créer une nation solidement édifiée sur les fondements du Droit,de la Démocratie et de la Justice sociale.La communauté internationale n'a pas la mission de veiller à la survie d'Haïti en tant que Nation-Etat. En conséquence,le critère de son action doit être le principe de la subsidiarité et non celui de la substitution.

-La participation active et directe des personnalités étrangères dans un organe exécutif au plus haut niveau est, sans conteste, une recette pour l'échec en dépit des bonnes intentions qui puissent les animer.Pendant que les parlementaires haïtiens brillaient par leur absence à Governor's Island où jouait l'avenir immediat de la nation, les vedettes avaient pour noms: Michael Barnes,Burton Wides,Robert White,Jim Morel, Ira Kurzban, Charles Rangel,John Conyers,Joseph Kennedy,Emile Mildnay etc...L'intrusion de ces personnalités
étrangères (lobbyistes de leur état) ne pouvait accomplir autre chose que l'exacerbation du problème haïtien.

Par un acte législatif,le Parlement est appelé, maintenant, à entériner sa propre invalidité ou impotence dans les efforts de Reconstruction au profit des personnalités étrangères qui prendront les grandes décisions relevant de la souveraineté nationale d'Haïti.Comme cela a été le cas à Governor's Island,l'intrusion des outsiders va favoriser l'inclination de la balance du côté des puissants au détriment des masses populaires.

- La mise à l'écart des forces vives de la nation telles que l'opposition, la classe ouvrière et la paysannerie du processus de reconstruction n'est pas un signe encourageant. Ce n'est pas la proclamation de l'Etat d'urgence qui va remettre en confiance la population marginalisée. Si la devise officielle appelle à l'Union qui fait la force, les couches dominantes privilégient,
malheureusement, le sectarisme et la division dans une nation déjà réduite à sa plus simple expression.

Il est regrettable que ces facteurs à la base de l'échec de l'Accord de Governor's Island aient déjà pris leur place dans les fondements de la Reconstruction. La démarche amorcée par le binôme communauté internationale- Gouvernement haïtien est condamnée à donner de maigres résultats pour des raisons sus-mentionnées.

En dernier lieu, il est intéressant de considérer l'article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l'ONU de 1966 qui régule au niveau du droit international l'Etat d'urgence.Il stipule en particulier que:

4.1 Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale.
(...)

4.3 Les Etats parties au présent Pacte qui usent du droit de dérogation doivent,par l'entremise du Secrétaire général de l'Organisation des Nations-Unies, signaler aussitôt aux autres Etats parties les dispositions auxquelles ils ont dérogé ainsi que les motifs qui ont provoqué cette dérogation. Une nouvelle communication sera faite par la même entremise, à la date à laquelle ils ont mis fin à ces dérogations.

Le Comité des droits de l'homme de l'ONU peut examiner les éléments constitutifs du danger public invoqué et éventuellement solliciter l'élaboration de rapports spéciaux. Il a élaboré en 1981 une déclaration relative à l'interprétation de cet article. L'Égypte, entre autres, a ainsi été à plusieurs reprises épinglée pour son état d'urgence continué depuis au moins 1981.

La proclamation de l'état d'urgence ne permet pas de déroger à certains droits fondamentaux et interdictions absolues, dont en particulier le « droit à la vie», l'interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants,l' esclavage et la servitude et la « liberté de penser, de conscience et de religion ».

C'est à la lumière de toutes ces considérations qu'il est recommandé aux forces vives de la nation de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire échec à la proposition de loi relative à la proclamation de l'Etat d'urgence dans le pays.

Harry E. Jean-Philippe

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