lundi 28 février 2011

A la recherche de notre ancêtre commun

19 juillet 2010
Journal Le Monde

Certains croient faire de gros progrès en reconstituant leur généalogie familiale grâce à quelques archive usées : attitude purement anthropocentrique qui balbutie sur un ou deux siècles. Ce n’est pas là un exercice très captivant, mieux vaut le long souvenir de notre histoire commune. Remonte dans le temps, bien avant l’automobile, le téléphone et l’électricité, va encore plus loin. Tu arriveras il y a 400 générations, quand tes ancêtres commençaient à cultiver la terre et à se croire séparés de l’univers. En remontant encore, il y a 10 000 générations environ, tu trouveras ton premier ancêtre homo sapiens. Mais ton origine est encore antérieure ; il y a 100 000 générations, ceux par qui tu es arrivé étaient des hominidés. Quelques dizaines de millions d’années auparavant, ton ancêtre, un tout petit mammifère, vivait au temps des derniers dinosaures. En remontant encore, ton ancêtre était amphibien.

Et puis aujourd’hui, leMonde du 17 juillet nous apprend que notre ancêtre commun était segmenté ! Les humains partagent avec le cloporte et le ver de terre la même organisation itérative, une succession d’unités anatomiques identiques. Cette structure se retrouve d’ailleurs aussi bien chez les vertébrés que chez les arthropodes (insectes et crustacés). Car si tu continues à remonter la chaîne du vivant qui mène jusqu’à toi, tu arrives aux unicellulaires, à la formation de la Terre, à la naissance de l’univers. Cet exercice mental bien documenté par la science te permet alors d’agir selon ton âge véritable de quinze milliards d’années, et de prendre part au changement de cap vers une société qui soutient la vie, qui respecte tous les êtres vivants. Au contraire, valoriser la conscience subjective d’une existence rattachée seulement à tes derniers ancêtres t’empêche de percevoir que toutes les autres espèces vivantes forme ta parentèle, que la biodiversité est aussi une composante de ta famille.

Dès lors qu’il y a unité du vivant, la stratégie cartésienne de rupture entre l’homme et les autres espèces ne peut plus fonctionner. Il faut le répéter encore une fois : toutes les espèces qui vivent aujourd’hui sont évolutivement nos contemporains, ce qui veut dire qu’elles voyagent dans le même « train » que l’espèce humaine. Toute analyse qui voudrait opposer le genre humain aux autres formes de la vie est condamnée à l’échec, parce que toute notre existence témoigne d’une communauté de destin avec les autres êtres vivants. Les humains appartiennent à l’ordre de la vie et cette appartenance nous lie à un destin qui s’est noué en notre absence et dont tout indique qu’il va se dénouer sans nous.

vendredi 25 février 2011

Les médias, la déontologie de la profession de journaliste et la pédagogie d’une campagne inédite

Montréal, le 22 février 2011

Par Gesler Jean-Gilles

Nous sommes en train de vivre une expérience inédite dans l’histoire politique du pays. C’est la première fois qu’il nous est donné de connaître une vraie campagne électorale à la faveur de laquelle le président de la République, à travers le Conseil électoral provisoire, son instrument politique, ne peut plus, cette fois, imposer son choix à la Nation. C’est la première fois que les électeurs auront à choisir, librement, entre deux candidats, celui dont le projet, et surtout l’équipe qui le mettra en œuvre, sera à même de créer les conditions d’un renouveau politique, économique et social d’Haïti.

Cette situation, jusque-là inconnue dans les mœurs politiques haïtiennes, crée une atmosphère chargée d’émotions où la morale religieuse se mêle ouvertement de la politique pour provoquer des comportements inappropriés dans les divers groupes de la société haïtienne.

La raison ou du moins le raisonnement n’ayant jamais compté dans les prises de décisions de nos compatriotes, chacun en va selon ses humeurs, donnant libre cours à ses émotions, à ses croyances religieuses ou morales. Cette campagne devient une lutte entre le bien et le mal. Par voie de conséquence, les attaques ad hominem, la chasse aux sorcières, le lynchage politique sur fond d’insanités prennent le pas sur les projets , sur la vision et le programme proposés, si on peut parler en ces termes-là.

Nous aurions perdu notre temps si cette situation devait se poursuivre. Nous aurions encore raté ainsi l’occasion de poser les vrais problèmes qui entravent le démarrage d’Haïti. Cette situation n’est pas propre à notre pays, évidemment. Ce genre de comportement est propre aux pays soumis à la dictature et où le débat politique est exclu en raison de la faiblesse des acteurs politiques et de l’incapacité d’une société civile à se construire à défaut d’un État fonctionnel.

Dans cette atmosphère survoltée, en proie aux dérapages de toutes sortes, la conjonction de la morale religieuse et la politique ne peut conduire qu’au talibanisme, au Tea Party, à l’extrémisme, à la haine et à l’exclusion. Les médias ont la responsabilité de recentrer le débat en prenant l’initiative de présenter de préférence les projets, de les expliquer à l’électorat, au lieu de se constituer en caisse de résonance des humeurs des uns et des autres ou en colporteurs de rumeurs ou autres voye monte…

Nous avons remarqué que la plupart des médias de Port-au-Prince, grossièrement ou subtilement, ont déjà fait le choix de leur candidat. Ce qui est tout à fait normal. Cependant, dans toute société démocratique, le medium en question (presse écrite et électronique) explique clairement sa préférence dans un éditorial qui ne remet pas toutefois en cause l’indépendance de la rédaction. D’ailleurs, le syndicat ou l’association des journalistes y veille.

En clair, cela signifie que si le New-York Times, par exemple, décide d’endosser
la candidature du démocrate, cela ne veut pas dire que l’adversaire se voit
automatiquement interdites les colonnes du journal. Le choix politique de la
direction n’est pas obligatoirement celui de l’ensemble des journalistes. En revanche, l’adversaire de l’endossé sera tenu, contraint d’expliquer, de clarifier un peu plus son programme, le bien-fondé de ses propositions et surtout le coût de ses promesses. Dans ce contexte, un candidat peut se sentir victime d’un marquage à la culotte alors qu’il est en droit de soupçonner son adversaire de bénéficier outrageusement d’une certaine complaisance, voire d’une réelle complicité de la part du medium concerné. Aucun journaliste ne peut contrevenir aux règlements de la rédaction en prenant publiquement position pour un candidat. Même si le lecteur ou l’auditeur averti devine aisément la préférence politique de celui-ci dans le traitement biaisé de la nouvelle ou de certains thèmes précis.

Pouvons-nous, actuellement, en attendre autant de nos media ou de nos journalistes ? Pas si sûr. La précarité dans laquelle vit la majorité des journalistes haïtiens, la cupidité de propriétaires de media qui confondent leur
entreprise avec un bazar, exposent le travailleur de la presse à toutes sortes de gymnastique de survie qui ternissent son image et pervertissent son rôle nécessaire au bon fonctionnement de la société.

Il est évident que dans ce contexte économique particulièrement difficile,
l’Association des Journalistes Haïtiens (AJH) ne saurait faire respecter méticuleusement les principes fondamentaux de la profession. La position d’un propriétaire de medium qui défend ses intérêts immédiats ne saurait se substituer aucunement à la position de principe d’un syndicat intègre dont la responsabilité première est de défendre non seulement les droits des journalistes, mais surtout de veiller au respect de l’éthique et de la déontologie de la profession.

Dans le contexte animé du moment où la passion défie la raison, nous attendons de notre presse ce rôle de maître d’œuvre du débat politique. Elle doit se muer en animatrice de la pensée critique en faisant un travail comparatif des programmes des uns et des autres, en vue de permettre à l’électorat de se faire un choix éclairé. À ce stade de la campagne, il est encore temps pour les médias de se ressaisir, en accordant aux compétiteurs et compétitrices une couverture équilibrée, afin que personne ne se sente lésé par le comportement partisan d’un journaliste ou d’un medium. Cette attitude que nous exigeons du quatrième pouvoir, en dehors, bien sûr, de son droit légitime de diffuser de la publicité électorale payante, enverrait un signal clair montrant que même si tout va mal dans ce pays, il reste encore une institution, la Presse, qui se bat avec les moyens dont elle dispose pour faire triompher au moins un des principes cardinaux régissant un État de droit : la libre
circulation des idées et une information honnête. Gesler Jean-Gilles

samedi 19 février 2011

Les Colons Noirs

Les Colons Noirs
Jean Erich René
18 FEV 2011

Dieu nous a fait un don merveilleux en nous accordant la chance de naître sur une île aussi fantastique qu’Haïti. Malheureusement nos compatriotes ne le comprennent pas et ne saisissent pas non plus cette heureuse opportunité. Ils se livrent, depuis 204 ans, à une lutte politique sans grandeur. Des querelles byzantines empoisonnent quotidiennement leur vie.

Dépités par une telle calamité, les observateurs découragés étymologiquement
décomposent le mot Haïtiens en : Haïr les tiens. Cette filiation succinctement exprime le degré de rancœur que nous éprouvons les uns pour les autres pour des raisons diverses et qui nous empêchent de vivre paisiblement sur cette moitié d’île. Par nos réflexes de casseur nous avons détruit le patrimoine national, éclaté la famille haïtienne, porté les valeureux fils du pays à abandonner ses rives. Nous avons englouti une institution aussi stratégique que l’Armée d’Haïti et livrer le pays à la merci des truands.

Il y a toujours un torchon qui brûle mais le foyer de l’incendie demeure le partage du pouvoir politique et ses retombées économiques. On se laisse aveugler par sa passion sans se rendre compte du mal que l’on fait à la nation. Arrive que pourra, se lancent les frères ennemis qui rivalisent en absurdité. Ils sont tous embarqués sur le même bateau dont ils veulent tous avoir la commande. Le détruire au milieu de l’océan est un acte suicidaire. Même si on sait comment nager pour sortir, on doit tenir compte des dents de la mer. Il n’y aura pas de gagnants.

Le comportement des hommes au pouvoir actuellement rappelle l’attitude des membres de ces familles haitiennes à l’occasion d’un conflit terrien. Il y a toujours un individu ou un petit groupe dont l’ambition déborde ses droits et qui veut tout accaparer au détriment des autres qui ne veulent pas non plus se laisser faire. En portant le litige devant le tribunal, ils sont tous perdants parce que les notaires et les avocats retiennent la part du lion. La morale de l’histoire c’est qu’un mauvais compromis vaut mieux qu’un bon procès.

Tous les habitants de la planète ne jouissent pas d’un climat aussi merveilleux qu’Haïti, surnommé à juste titre le pays du printemps éternel. Pour s’en convaincre il suffit de vivre sous un climat tempéré et froid comme le Canada. Le découpage des saisons est précis et influence tous les aspects de la vie sociale. Le logement doit être chauffé pour contrecarrer la rigueur du froid. On vit comme des poussins dans une couveuse. En été la chaleur est tellement suffocante qu’à l’inverse le climatiseur s’impose. Ses tracasseries de l’existence sont tout aussi bien perceptibles sur le mode d’habillement et même la diète alimentaire. Sans un manteau et des bottes on ne peut pas franchir le seuil de la porte tandis qu’en été la tenue légère est de rigueur. Au printemps et en automne certaines adaptations au climat sont tout aussi indispensables à cause du vent et de la pluie. S’il faut 2500 calories quotidiennement à un individu pour assurer le fonctionnement de son métabolisme, au Canada il en faut 2700 au cours de l’hiver. Bon nombre de nos compatriotes sont morts poitrinaires sur la terre de Jacques Cartier en méprisant ce principe vital.

Quel est donc l’Haïtien ou l’Haïtienne qui n’aimerait pas se retrouver sous son chaud climat pour s’asseoir sur sa dodine à l’ombre d'un cocotier, d'un oranger ou d'un manguier ? Que faisons nous ici ? Nous sommes traités comme les épaves d’un navire détruit en haute mer. Nous sommes les rescapés du naufrage de la Barque nationale. Nous n’avons pas été victimes d’un accident de parcours. Nos propres timoniers par des manœuvres égoïstes, de 1804 à 2011, préfèrent tout détruire s’ils ne peuvent pas garder le pouvoir.

Au lendemain de l’Indépendance Jean Jacques Dessalines notre libérateur a été sacrifié à l’autel des intérêts personnels d’un petit groupe sans foi ni loi qui voudrait tout avoir en réclamant l’héritage de leurs pères. 207 ans après se répètent les mêmes scénarios. Il suffit de relire les signatures des Généraux apposés au bas de l’Acte de l’Indépendance et qui ont assassiné Dessalines pour constater avec étonnement que ce sont leurs fils qui poursuivent sans vergogne l’oeuvre de destruction nationale.

En 1804 nous avons été libérés de la chaîne des Colons Blancs. Dès lors nous tombons sous l’impitoyable domination des Colons Noirs. Le terme n’est pas trop fort et traduit exactement le comportement de nos élites. En effet, elles prennent leur distance avec le reste de la population qu’elles exploitent. La dichotomie est visible et même révoltante dans leur mode de vie, leur habitat, le partage des revenus et le clivage social. Cette démarcation est à l’origine de certains soulèvements populaires qui ont ponctué notre histoire politique ensanglantée, tout en favorisant l’émergence de certains leaders populistes. Ils veulent tout gober c’est pourquoi ils s’acharnent à élire nos présidents, nos députés, nos sénateurs, à nommer le Premier ministre et à participer à la distribution des portefeuilles ministériels. En attendant il y a 9,5 millions d’individus qui croupissent dans la crasse et la misère et dont les nerfs sont à fleur de peau. Il suffit d’une étincelle pour embraser la nation.

L’élite économique haïtienne a failli à sa mission en faisant preuve d’un appétit glouton digne des chenilles dévoreuses de feuilles. Loin d’adopter l’éclectisme de l’abeille en invitant tout le monde à participer à la construction de la ruche pour distiller le miel, elle ne fait que parasiter le système et jouir du fruit du travail des autres. La nouvelle bourgeoisie haïtienne veut maîtriser les rênes du pouvoir afin de s’accaparer de toutes les entreprises étatiques lucratives au grand dam des 4/5 de la population. L’élite politique haïtienne même lorsqu’elle brandit l’étendard de la révolte tout en fulminant contre la classe possédante se retrouve finalement sur leur banc en percevant 3 centimes sur chaque minute d’un appel téléphonique.

L’équation est mal balancée. La plupart de nos candidats se fichent pas mal des critères moraux et de leurs compétences pour s'acquitter des lourdes de tâches qui les attendent. Leurs programmes de Gouverment ne valent pas plus que des feuilles de chou exposés sur les étales de nos marchés. Un pays a le leader qu'il mérite, s'empresse-t-on de conclure. Voilà comment Haïti devient le seul PMA de l'Amérique. Aujourd'hui même la Jamaïque nous traite arbitrairement en pestiféré. La mise en quarantaine de l'équipe nationale de football n'est pas un hasard. Nous devons prendre conscience de l'image que projette nos chefs d'Etat à l'extérieur à cause de leur impéritie. Si Christophe Colomb fut le premier des Colons à s’établir en Haïti, les Colons Blancs ne furent pas les derniers. Les Colons Noirs sont à l’origine de la misère du peuple. Ils tisonnent leur instinct de révolte par leurs réflexes de nageurs et de grands mangeurs.

Jean Erich René
erichrene@bell.net

vendredi 18 février 2011

Outrage !

Le Matin, 18 au 24 fév. 2011
Par Daly Valet

De l’innommable. De l’arrogance. La sélection nationale haïtienne des moins de dix-sept ans humiliée, agressée, et expulsée de la Jamaïque manu militari. Ils sont jeunes, talentueux et promis à un bel avenir dans le monde du football. Avec ces prodiges, Haïti pouvait enfin espérer se frayer une voie d’honneur sur la scène du football international et renouer avec ses succès d’antan. Ils servaient Haïti mais, hélas, Haïti les desservait.
En prenant l’avion pour Montego Bay aux fins de participer aux éliminatoires de la Coupe du Monde U-17, ils ignoraient qu’ils transportaient avec eux, dans leurs bagages, sur leurs visages et dans leur sang, tous les stigmates de leur pays malade et en décomposition. Ils ont été traités comme des pestiférés venus des bas-fonds moyenâgeux du sous-développement crasseux et infect. Les officiels Jamaïcains ont osé. Oui, ils ont osé ! Leurs peurs irrationnelles du choléra, et d’autres épidémies sévissant actuellement en Haïti à l’état endémique, les ont conduits à des mesures de précaution sanitaire réservées généralement à des animaux contaminés. Ils sont allés jusqu'à la déraison infâme et indigne dans le mauvais traitement qu’ils ont réservé à nos jeunes frères haïtiens, temporairement présents chez eux pour défendre les couleurs d’Haïti dans cette compétition sportive. Il y a, en vérité, une résonance nazie dans ces mesures appliquées contre des humains au nom d’un certain « hygiénisme ». Les joueurs haïtiens ont été littéralement mis en quarantaine, subi des examens médicaux forcés pour dépistage de maladies contagieuses. un certain moment, les autorités de la Jamaïque entendaient même faire « désinfecter » les membres de la délégation haïtienne.
Ce fut le comble de l’outrage, mardi 15 et mercredi 17 février, pour les envoyés haïtiens. Il devrait y avoir normalement un prix à payer par la Jamaïque, au double plan diplomatique et économique, pour cet affront fait à Haïti, une nation sœur voisine et de surcroit membre de la CARICOM. Il faudrait, pour cela, une diplomatie et une économie haïtiennes, à la fois dynamiques et fonctionnelles, qui pesaient d’un certain poids dans l’espace caribéen. ce double niveau, Haïti est à refaire. Elle n’est plus ce qu’elle a été dans les relations internationales: un petit pays, mais une nation fière d’elle-même, de ses prouesses historiques, et de ses contributions humanistes à la civilisation universelle.
Quand un État n’a plus que ses misères et ses maladies à exporter, il faut s’attendre à ce que ses ressortissants subissent l’humiliation des autres et fassent l’objet de toute forme de stigmatisations en terre étrangère. Si le choléra est certes d’origine importée, sa genèse s’inscrit avant tout dans nos convulsions politiques, ces luttes intestines pour le pouvoir qui nous valent les interventions militaires étrangères à répétition, dans le marasme socioéconomique, et dans la décrépitude de nos structures sanitaires. Autrement dit, il faut repenser ce pays dans toutes ses coutures. Son prestige dans ses rapports à l’international en dépend largement. Si la dignité blessée ne s’indemnise pas, les pleurnicheries de poule mouillée ne compenseront rien non plus.

mardi 15 février 2011

Carte Postale : Antiquité mais d'Actualité

Carte Postale : Antiquité mais d'Actualité
Par Ray Killick, 13 février 2011
RayHammertonKillick-conscience@yahoo.com

Ne possédant ni la bravoure ni le génie intellectuel, militaire et stratégique de son père adoptif Jules César, Gaius Octavianus, assoiffé de pouvoir allait terrasser ses adversaires politiques, ses ennemis, ses amis et certains membres de sa famille pour parvenir à ses fins. Il exécute avec Marcus Antonius les proscriptions romaines qui visent à déposséder certains patriciens romains ciblés, parmi eux les "césaricides", les partisans impénitents de la république romaine et les éliminer physiquement. S'il n'a pas la bravoure, il va se l'inculquer. S'il n'a pas l'expérience militaire pour le bellum gerere (conduire la guerre), il va se l'enseigner et s'entourer d'amis fidèles tels que l'indispensable Agrippa avec lequel il défait plus tard Marcus Antonius et Cleopâtre à la bataille d'Actium. Il devient après Princeps ou premier citoyen de l'Empire romain, Imperator Caesar Augustus Pontifex Maximus. Cependant, il faut donner à César ce qui est à César. Il possède en effet la patience et le génie de l'organisation de l'Empire qui faisaient défaut à son père Jules César. De plus, il combat systématiquement la corruption à Rome et les provinces romaines et mène une vie humble et sobre. Il meurt Imperator Divi Filius Caesar Augustus, le 19 août 14 ap. J-C. Son régime allait durer environ 15 siècles, et Caesar Augustus allait devenir après lui un titre; Kaiser en Allemagne; Tsar en Russie, etc. L'histoire retient que le père de la civilisation occidentale est l'un des rares leaders de l'humanité à s'enseigner la grandeur, l'intégrité, les valeurs universelles et utiliser le pouvoir à bon escient et plus prudemment et parcimonieusement avec le temps. Il aura grandi au pouvoir ou en dépit du pouvoir. C'est dire qu'il a prouvé l'exception que le pouvoir ne doit pas forcément corrompre sur le long terme.

Il dira avant de mourir: "J'ai trouvé une Rome de briques, je vous la laisse en marbre." Toutefois, sa meilleure épitaphe et son monument demeurent l'organisation de l'Empire (pour nous l'État) que perfectionnera plus tard la civilisation occidentale dont il aura édifié les fondations. Et ses derniers mots auraient été : "Si j'ai bien joué mon rôle, applaudissez-moi maintenant avant mon départ de la scène." Pour l'Imperator, la vie est une mise en scène. On lutte pour le rôle qu'on veut jouer. Si l'on parvient à l'obtenir, il faut le jouer pour donner un plein sens à l'existence. Il est difficile, si l'on veut être raisonnable, de lui trouver des égaux tant son impact sur la civilisation, pour le meilleur ou pour le pire, a été déterminant.

UNE AUGUSTE LEÇON

Il ne s'agit pas ici de glorifier qui que ce soit, mais de tirer plutôt la leçon que l'exercice du pouvoir qui a produit tant d'aberrations à travers les âges doit être reconsidéré par les leaders présents et futurs à la lumière d'une partition exceptionnelle jouée il y a 2 mille ans environ à Rome. Il s'agissait alors de construire un empire sur du roc, mais dans la plupart de nos pays d'aujourd'hui la tâche est plutôt de refonder l'État et diriger l'état-nation à bon port. Comment se fait-il que les chefs d'État et de gouvernement des pays du Tiers Monde utilisent les mêmes modèles de leadership qui ont échoué systématiquement au lieu de choisir de grandir au pouvoir, de devenir meilleur comme Caesar Augustus, de poser comme lui pour la postérité ? Comment se fait-il que nos chefs d'État adoptent pour modèles des rats, des sauterelles, des pintades, des coqs, des vautours et des tigres au lieu de l'aigle des légions dont la vision stratégique et la puissance permettent d'accomplir de grandes choses avec les peuples ?

La vie de l'Imperator est une leçon de leadership et de mission politiques pour les leaders qui veulent apprendre et s'enseigner la grandeur. L'historien américain Joseph J. Ellis évoque la conduite d'Augustus au pouvoir dans Founding Fathers : "...Il existe seulement deux exemples dans toute l'histoire de la civilisation occidentale où l'élite politique d'un empire émergeant s'est comportée aussi bien que l'on pouvait raisonnablement l'espérer : le premier fut Rome sous Caesar Augustus, et le second, les États-Unis sous l'égide des pères-fondateurs." Ceux-ci ont posé délibérément pour la postérité en dépit d'être conscients de l'impact de leurs grands échecs sur son jugement (l'esclavage, la question indienne et les droits de la femme). Ils ont même tenté de parfaire l'acte, et dans certains cas, ont essayé de biffer les erreurs du passé. La postérité fut leur passion, leur obsession. Et si Thomas Jefferson couronne Tacitus "le plus grand écrivain du monde sans exception. Son oeuvre, un bouquet d'histoire et de moralité sans pareille...", n'est-ce pas là une indication que les pères-fondateurs se sont également abreuvés dans l'antiquité des grands maîtres, de Tacitus, de Cicéron, de Platon, d'Augustus, etc. ?

CONFESSION SINE QUA NON

La plus grande confession d'un leader est d'abord intime. Elle consiste à déterminer et à accepter ses limitations afin de les compenser. Or, c'est précisément cet exercice d'humilité le plus important que des leaders tels que Jean-Bertarnd Aristide ont évité de s'imposer dès le départ qui fait qu'ils ont gaspillé un capital politique énorme. S'il y des leaders-nés, ils ne sont pas nombreux. Tout le monde a la capacité de développer des qualités de leadership. Voilà pourquoi, il est impératif de faire l'inventaire de ses qualités et de ses limitations en arrivant au timon des affaire. Inventaire sans quoi on ne peut effectivement diriger, car diriger est précisément savoir se munir des instruments de navigation sophistiqués pour conduire l'état-nation à bon port.

Aujourd'hui, Mme. Mirlande Hyppolite Manigat et M. Michel Martelly, candidats au second tour de la présidentielle de mars prochain, doivent commencer cet exercice, car rien dans leur passé n'indique qu'ils possèdent toutes les qualités requises en ce moment précis de l'histoire nationale pour le revirement positif exceptionnel tant souhaité par les vrais patriotes. Il faut beaucoup plus que des talents de professeur et de musicien pour encadrer la nation, refonder l'État, changer le comportement de l'état-nation et lancer le développement d'Haïti pour enfin contempler des "lendemains qui chantent".

Chaque candidat accuse des déficiences sévères, car ils ne sont jamais passés dans le moule qui façonne les leaders modernes. Compte tenu des circonstances exceptionnelles de dégradation nationale, Haïti requiert un leadership également exceptionnel et beaucoup plus clairvoyant et stratégique que celui qui dirige les premiers pays du monde.

DÉFICIENCES BILATÉRALES

Manigat possède l'avantage d'une grande culture, d'une maturité relative à discuter des grands dossiers tellement vitaux de la vie nationale, d'avoir dirigé ce qu'on peut considérer, dans un esprit de justice, comme le meilleur parti politique d'Haïti. De plus, son âge de trop mûre jeunesse n'est pas l'âge des poursuites et pratiques politiques éhontées et destructrices. C'est l'âge où l'on peut poser pour la postérité. C'est l'âge où l'on peut imposer le respect dans la conduite des affaires du pays. Cependant, elle n'a jamais occupé de fonctions dans le secteur public ou privé qui lui auraient permis d'exercer des responsabilités de leadership de plus en plus complexes qui requièrent et mettent également à l'épreuve la dextérité et la volonté politiques. C'est ici l'aspect qu'elle doit considérer pour améliorer son leadership. Pour ce faire, il faut s'entourer d'un Maecenas et d'un Aggripa, c'est-à-dire de conseillers d'une rare intelligence stratégique et émotionnelle, et, en même temps, savoir écarter de son entourage les sauterelles qui n'y sont que pour leurs intérêts personnels et savent masquer leurs vraies intentions avec des CVs ronflants.

Quand à Martelly, il a l'avantage d'être conscient de son ignorance en politique et d'être apparemment direct.

-- "Messieurs, m'bouké." déclare-t-il durant un débat présidentiel
-- "Ou bouké alos ke ou poco mim komanse..." rétorque rapidement un adversaire
-- "Non monchè, se avek nou mim, mim ke m'bouké an wi..."

Martelly n'a pas une formation qui lui permettra d'aborder les grands dossiers avec une relative indépendance d'esprit qui nourrit les grandes décisions de grand leadership. Un leadership qui sait écouter des points de vue opposés pour finalement décider dans l'intérêt stratégique défini. Loin de la considérer une faiblesse, Martelly devra s'atteler à se mettre au travail pour la compenser. S'il sait faire sa confession intime, ce sera le premier pas vers une "auguste" transition personnelle. Et s'il veut vraiment poser pour la postérité en tant que premier président de la nouvelle Haïti et ne pas contempler l'exil au terme de son mandat, il devra s'armer d'une volonté politique pour assainir son entourage, refonder l'État et apprendre à pratiquer la discipline d'exécution. Son exercice de formation personnelle sera beaucoup plus éreintant que pour Manigat, mais il a néamoins l'avantage d'être beaucoup plus jeune que sa rivale.

POSER POUR LA POSTÉRITÉ

La leçon d'une vie exceptionnelle de l'antiquité est toujours d'actualité. Caesar Augustus est l'exemple le plus spectaculaire de l'évolution continue mais dramatique et positive d'un leadership au pouvoir. La plus grande qualité de l'Imperator fut peut-être sa capacité de changer pour le meilleur. C'est ce qui lui a permis d'évoluer d'une figure obscure et criminelle à une figure "auguste" en son temps et depuis, dans la mémoire de l'humanité. N'allez pas frapper à la porte de François Duvalier ou de René Préval ou de Jean-Bertarnd Aristide, car ceux-ci sont désormais au musée d'histoire des reptiles où se côtoient Staline, Hitler, Hosni Moubarak, etc.

Toutefois, il est important de rappeler que l'Imperator Caesar Augustus avait 44 ans pour parfaire son acte au pouvoir et jeter les bases de la civilisation occidentale. Le prochain président d'Haïti n'aura que 5 ans pour commencer à refonder l'État et inculquer de nouvelles valeurs, conduites et croyances à l'administration publique et l'état-nation. Sa tâche est herculéenne. La seule récompense est le jugement de l'histoire pour une place de choix dans la postérité. Et la consolation au terme de son mandat : "Si j'ai bien joué mon rôle, applaudissez-moi maintenant avant mon départ de la scène."

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  Pour Gérald Mathurin : Pourquoi tombent les feuilles? Hugues Joseph J'ai repris ce texte Publié le 2018-03-12  par  Le Nouvelliste. Je...