mercredi 27 mars 2019

Le capitalisme autoritaire (2)


Le capitalisme autoritaire (2)
Bernard Ethéart
Lundi 25 mars 2019

Je vais enfin pouvoir reprendre ma série sur le « capitalisme autoritaire ». Faut dire qu’elle n’a pas eu de chance. La première chronique devait sortir dans le # 08, j’ai malheureusement fait une bêtise en envoyant le mauvais texte à l’éditeur. Elle est donc sortie dans le # 09, avec chapeau pour m’excuser auprès des lecteurs. La semaine suivante, l’actualité ayant la priorité, c’est un papier sur le One Planet Summit, qui venait de se tenir à Nairobi (Kenya), qui est sorti dans le # 10. J’espère qu’au-jourd’hui aucun imprévu ne viendra troubler la sortie de la seconde chronique.

Pour commencer, je veux rapidement rappeler comment m’est venue l’idée de cette série. Partant de tous ces mouvements de protestation dont la presse se fait l’écho, chez nous les « Petrochallengers » en France les « gilets jaunes », en Algérie les manifestants qui demandent la fin de l’ère Bouteflika, auxquels j’ai ajouté « printemps arabe », et les « indignés », je me suis demandé si on pouvait leur trouver un dénominateur commun.

Et voilà qu’un ami m’envoie un article intitulé : « L’essor inquiétant du capitalisme autoritaire », par Olivier Passet, Directeur des synthèses, Xerfi. Je n’y ai pas trouvé la réponse à mon interrogation, mais, par association d’idées je suis retourné à cette « approche hexagonale » que nous avons développée à la FONHDILAC et qui identifie les six axes d’intervention qui résument tous les processus en cours dans une société.

Au risque d’être un peu long, je reprends ces six axes :
1.       au centre de la réflexion il y a l’homme, qui est à la fois l’acteur et le bénéficiaire de tous les processus qui se déroulent au sein de la société ; l’axe humain doit donc se trouver en première position ;
2.       mais cet homme n’est pas seul, il fait partie d’un groupe social ; l’axe social vient donc en seconde position ;
3.       ce groupe social vit dans un environnement naturel, d’où l’axe environnemental ;
4.       cet environnement naturel peut être modifié par des aménagements, d’où l’axe infrastructurel ;
5.       ce groupe humain exploite son environnement naturel et modifié par les aménagements dans des activités économiques qui doivent lui permettre de satisfaire ces besoins, d’où l’axe économique ;
6.       enfin, pour éviter les dérapages, il est nécessaire que l’ensemble de ces activités connaisse une certaine forme de réglementation, d’où l’axe politique.

Comme je l’ai dit la dernière fois nous avons développé cette approche à partir d’un document qu’avait trouvé notre président d’alors, Jean-Robert Jean-Noël, mais, ce document ne parlait que de 5 axes ; l’axe politique n’y figurait pas, c’est Jean-Robert qui l’a ajouté. Moi-même, en consultant des documents qui traitaient de cette approche, j’ai pu constater qu’il n’y était jamais question de l’axe (ou du capital) politique.

Pendant longtemps je me suis étonné de cette absence ; et puis, un beau jour, et je reconnais humblement que c’est relativement récent, j’ai finalement compris. Reprenons ce que nous avons dit de l’axe politique : « pour éviter les dérapages, il est nécessaire que l’ensemble de ces activités connaisse une certaine forme de réglementation, d’où le capital politique ». Or il se trouve qu’il y a une catégorie sociale qui refuse toute forme de réglementation, ce sont « les grands » du monde d’aujourd’hui, ceux dont les actions sont cotées en bourse, les grands du Dow Jones et du CAC 40.

Je dois faire attention, car je me lance dans un domaine qui n’est pas ma spécialité. Je crois cependant que l’on peut affirmer que c’est dans les années 80 que « les grands de ce monde » se sont lancés « à l’assaut de l’État ». Les années 80, c’est la période durant laquelle deux personnages ont été aux commandes : Margaret Thatcher, première ministre en Grande Bretagne du 4 mai 1979 au 28 novembre 1990, Ronald Reagan, président des États-Unis du 20 janvier 1981 au 20 janvier 1989.

Le « grand homme » dans cette affaire fut Margaret Thatcher. Sa politique économique, fortement influencée par les idées issues du libéralisme économique, se distingue par d'importantes privatisations, la baisse des impôts directs, l’augmentation des impôts indirects, la maîtrise de l'inflation et du déficit public, ainsi que par l'affaiblissement des syndicats. Pendant que le « thatchérisme » s’imposait en Grande Bretagne, de l’autre côté de l’Atlantique, son pendant nord-américain, le « reaganisme », gagnait du terrain. Un des éléments importants de la politique de Reagan était l'idée que la croissance économique aurait lieu lorsque les niveaux d'imposition seraient suffisamment faibles pour encourager l'investissement. C’est ce qu’on a appelé la « théorie du ruissellement » que Reagan voulait appliquer dans sa fameuse Caribbean Basin Initiative.

Et puisque nous parlons de pays en voie de développement, il faut rappeler que c’est au nom de ces théories que des institutions internationales comme et FMI et la Banque Mondiale leur imposaient les programmes d’ajustement structurel dont on connait les conséquences désastreuses.

Résultat, nous vivons dans un monde où les inégalités ont atteint un niveau qui n’est plus supportable avec des mouvements de protestation qui deviennent de plus en plus violents sans que les responsable aient même l’idée, voire la volonté de revoir leur copie et on a envie de reprendre cet avertissement que nous connaissons bien : « Sa m’ ouè pou ou a, Antwann non Gomye pa ouè l’ ».

jeudi 7 mars 2019

Le capitalisme autoritaire (1)



Le capitalisme autoritaire (1)

Bernard Ethéart

Miami, lundi 4 mars 2019


Le grand sujet de la plupart des bulletins d’information, en cette fin de semaine, c’est l’Algérie. L’Algérie, où les citoyens vont prochainement être appelés à élire un président, l’Algérie, où le président sortant, Abdel Aziz Bouteflika se prépare à solliciter un cinquième mandat consécutif alors qu’on a vraiment l’impression, quand on le regarde à la télé, qu’il n’a pas les capacités nécessaires à assumer la fonction de chef d’État.

La vision de ce zombi en chaise roulante me renvoie 57 ans en arrière. Lors j’étais étudiant en Allemagne et, avec mon ami algérien Abdallah Yousfi, je suivais l’actualité de son pays, qui venait tout juste d’accéder à l’indépendance, et nous suivions le parcours de ce jeune Abdel Aziz Bouteflika (il était à peu près de notre âge – il vient de fêter son 82ème anniversaire, moi ce sera dans trois mois) qui, après avoir été proche de Ahmed Ben Bella, est devenu ministre dans le gouvernement du colonel Ouari Boumedienne, qui venait de renverser Ben Bella.

C’est ce Bouteflika qui veut se présenter pour un cinquième mandat présidentielle provoquant une vague de protestations tant dans le pays que dans l’importante colonie d’Algériens vivant en France. Ce qui est intéressant c’est que personne n’avait vu venir cette réaction, pas même l’armée qui pourtant contrôle étroitement le pays pratiquement depuis l’indépendance.

Les analystes offrent plusieurs explications à cet « aveuglement » ; pour ma part je retiens surtout que cela fait quelque temps que nous voyons apparaitre des mouvements qui sont caractérisés par une forme de « spontanéité » mais qui peuvent provoquer de grands bouleversements. Je citerai, évidemment, les « gilets jaunes » en France, et dans un même souffle, à cause de certaines similarités, nos « Petrochallengers » ; mais il ne faut pas oublier ce qu’on appelle le « printemps arabe », et on peut remonter au mouvement des « indignés » ; et tout récemment nous voyons des jeunes manifester pour l’environnement.

Bon ! C’est bien joli de faire de telles synthèses, encore faut-il trouver ce qui lie les différents évènements que j’ai rassemblés et, puisqu’ils se sont déroulés dans différents pays, il faut que ce lien soit d’ordre mondial. Un ami m’a récemment envoyé un article qui pourrait nous mettre sur la voie. Il s’agit de : « L’essor inquiétant du capitalisme autoritaire », par Olivier Passet, Directeur des synthèses, Xerfi.

Je vous cite tout de suite un passage : « … la démocratie est en recul sur tous les continents, notamment depuis 2010. Alors qu’en l'espace de quarante ans, le nombre des démocraties s'était multiplié dans le monde — passant de 35 à plus de 100— les ingrédients démocratiques reculent. Un tiers de la population mondiale vit dans un pays où la démocratie est en recul, selon une étude qu’ont publiée récemment des chercheurs de l’Université de Göteborg. Y compris et notamment en Europe ».

Je suis d’accord avec vous, dire « qu’en l'espace de quarante ans, le nombre des démocraties s'était multiplié dans le monde — passant de 35 à plus de 100 » est quelque peu exagéré. Certes un certain nombre d’entités politiques ont vu le jour, qui ont « adopté », au moins formellement, les principes démocratiques, mais de là à parler de « démocraties » …

Il faut cependant reconnaitre que « la démocratie » va très mal, aussi bien dans les « nouvelles démocraties » que dans les « démocraties traditionnelles ». Pour Olivier Passet, c’est le « capitalisme autoritaire » qui est responsable de la situation ; d’accord mais la question est de savoir comment il est arrivé à avoir ce pouvoir. Pour y répondre je dois utiliser l’approche hexagonale de la FONHDILAC ; cela fait un bout de temps que je n’en ai pas parlé, c’est le moment d’y revenir.

Dans un document daté d’Avril 2006, Jean-Robert Jean-Noël, lors président de la FONHDILAC, présente ce qu’il appelle « l’approche hexagonale » qui « vise, tout en s’appuyant sur la démarche participative, à développer un cadre harmonieux pour l’évolution de l’humain dans un cadre social équitable, dans un cadre naturel régénéré et bien équipé par des infrastructures adaptées, dans un cadre économique et financier incitatif et dans un cadre politique responsable et démocratique » (Jean-Robert Jean-Noël : L’Approche hexagonale [version actualisée], Avril 2006). Et il amène tout de suite ce qu’il appelle « les six capitaux : le capital humain, le capital social, le capital environnemental, le capital infrastructurel, le capital financier et économique et le capital politique ».

Dans les discussions qui ont suivi, nous avons établi que ces six capitaux devaient être classés dans un ordre bien précis, se fondant sur le raisonnement suivant :

1.       au centre de la réflexion il y a l’homme, qui est à la fois l’acteur et le bénéficiaire de tous les processus qui se déroulent au sein de la société ; le capital humain doit donc se trouver en première position ;
2.       mais cet homme n’est pas seul, il fait partie d’un groupe social ; le capital social vient donc en seconde position ;
3.       ce groupe social vit dans un environnement naturel, d’où le capital environnemental ;
4.       cet environnement peut être modifié par des aménagements, d’où le capital infrastructurel ;
5.       ce groupe humain exploite son environnement naturel et modifié par les aménagements dans des activités économiques qui doivent lui permettre de satisfaire ses besoins, d’où le capital économique ;
6.       enfin, pour éviter les dérapages, il est nécessaire que l’ensemble de ces activités connaisse une certaine forme de réglementation, d’où le capital politique (axe de gouvernance).

Je m’arrête là pour aujourd’hui ; nous verrons prochainement comment le fait de ne pas tenir compte de cette approche hexagonale a conduit à la situation que nous déplorons aujourd’hui.


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