mardi 25 juin 2013

AVEC LA TENDANCE ACTUELLE,HAITI NE SERA PAS EMERGENTE MEME EN 2130

Avec la tendance actuelle, Haïti ne sera pas émergente même en 2130
Le Nouvelliste | Publié le :24 juin 2013
 Thomas Lalime thomaslalime@yahoo.fr
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Quand le numéro un de la Direction générale des impôts (DGI), M. Jean-Baptiste Clarck Neptune, avait annoncé à la presse le jeudi 23 mai 2013 que les prévisions de croissance économique étaient passées de 6.9 % à 2 %, j'avais crû à l'exagération. Je n'étais surtout pas d'accord avec les raisons qu'il avait avancées pour justifier un tel échec de prévision. Mais quand j'ai lu les trois communiqués de presse du Fonds monétaire international (FMI) relatifs au programme de facilité élargie de crédit (FEC) conclu avec Haïti, je me rends compte qu'effectivement, le taux de croissance de 2013 pourrait ne pas dépasser 2 %. Ce qui confirme que les prévisions de croissance économique en 2012 et 2013, validées par le FMI, étaient fantaisistes et irréalistes. Le communiqué de presse n° 13/173 du FMI en date du 12 juin 2013 fait état de la mission dirigée par M. Boileau Loko qui avait séjourné à Port-au-Prince du 29 mai au 6 juin 2013 pour mener les entretiens relatifs à la sixième revue du programme appuyé par un accord au titre de la FEC. La mission a rencontré les plus hautes autorités haïtiennes dont le Premier ministre Laurent Lamothe, le ministre de l'Économie et des Finances Wilson Laleau et le gouverneur de la Banque de la République d'Haïti (BRH) Charles Castel. Au terme des entretiens avec ces autorités, les prévisions de croissance économique en 2013 du FMI sont passées de 6,5 % à 3,4%. L'année dernière, à la même époque, le communiqué n° 12/173 du FMI faisait passer les prévisions de croissance économique de 7 % à 4.5 %. Et au bout du compte, le taux réalisé était de 2,8 %. Le fameux prétexte justificatif était le passage des ouragans Isaac et Sandy. Donc, cette année, si les prévisions du FMI chutent déjà à 3,4%, il est alors fort probable de réaliser un taux de croissance inférieur à 2,8 %. Le premier cyclone qui touchera Haïti en 2013 sera retenu comme motif d'échec de la prévision. Quand j'ai lu les trois communiqués du FMI, j'ai remarqué la même ritournelle. Les mêmes phrases. Sauf les chiffres et certains noms, remaniement ministériel oblige, qui changent. «La mise en oeuvre du programme appuyé par la FEC est globalement conforme aux prévisions » revient toujours. Même si l'on passe d'une prévision de croissance de 7 % à 2.8 %. C'est à se demander s'il existe un scénario où la mission ne sera pas satisfaite. Un autre paragraphe qui revient régulièrement est la suivante : « La mission tient à remercier les autorités de leur chaleureuse hospitalité, de leur étroite coopération et de l'esprit de franchise qui a animé les entretiens. Les services du FMI entendent recommander à la direction de présenter le rapport des services du FMI relatif à la sixième [5e, 4e...] revue et à la prorogation de l'accord au titre de la FEC au conseil d'administration en juillet 2013.» Y aurait-il une corrélation positive entre « chaleureuse hospitalité » des autorités haïtiennes et la conclusion des rapports du FMI? La question demeure pendante. Selon le FMI, c'est la faible reprise de la production agricole qui limitera le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) à environ 3,4 % durant l'exercice 2013, contre un taux de 6,5 % prévu dans son programme avec Haïti. Quand viendra le prochain cyclone, ce taux sera probablement réduit à 2 %, comme le directeur général de la DGI avait déjà vendu la mèche. Il faut rappeler que depuis les années 1970, l'agriculture haïtienne a constamment décliné. Sa part dans le PIB est passée de 49.2 % en 1970 à 23.9 % en 2011, soit une chute de 51.4 %. Au cours de la décennie 70, l'agriculture représentait la première source d'exportation du pays. Son poids dans les exportations totales avoisinait les 60 % jusqu'en 1980. Mais depuis 1985, cette part n'a jamais dépassé la barre des 32 %. En 2005, elle était même inférieure à 6 % avant de passer à 9 % l'année suivante. Dans l'ensemble, entre 1970 et 2011, la part de l'agriculture dans les exportations totales a diminué de 85 %. Il convient de souligner également que le slogan «Haïti, pays émergent en 2030» est basé sur une hypothèse de croissance économique de 7 % et une croissance démographique de moins de 2 % pendant la période. L'émergence, selon les autorités haïtiennes, consiste à faire passer Haïti d'un revenu national brut (RNB) per capita d'environ 1 000 à 2 310 dollars américains en 2030, alors que celui de la République dominicaine dépasse déjà les 9 000 dollars américains. Pourtant, contrairement aux hypothèses d'émergence gouvernementale, en 2012, le taux de croissance démographique était de 2.5 % et le taux de croissance économique était de 2.8 %. En 2013, on va garder le même taux de croissance démographique et on risque de passer à 2 % de croissance économique. On va donc reculer en termes de PIB par habitant puisque le taux de croissance démographique serait plus élevé que le taux de croissance économique. Dans son essai sur le principe de la population en 1798, Thomas Robert Malthus avait partagé sa crainte concernant le fait que la croissance démographique mondiale était plus rapide que la croissance de la production. Ce qui laissait présager une paupérisation constante de la population mondiale qui pouvait déboucher sur des luttes fratricides pour la survie. Des luttes qui pouvaient conduire à un chaos mondial généralisé. L'économiste, démographe et pasteur anglican proposait de limiter les naissances en offrant des cadeaux aux couples sans enfant et en instituant un impôt sur les parents. Son pronostic pessimiste avait poussé les scientifiques à inventer des moyens d'augmenter le rendement agricole pour faire augmenter la production de façon exponentielle pour garantir la survie humaine. Malheureusement, Haïti n'a pas encore résolu le problème malthusien. La décennie 1970-1980 a été la seule période au cours de laquelle le taux de croissance économique surpassait le taux de croissance démographique. Depuis 1980, le niveau de vie, le produit intérieur brut (PIB) réel par habitant, s'est constamment détérioré. À titre illustratif, en 2011, le produit intérieur brut (PIB) réel par habitant représentait seulement 68 % de son niveau de 1980. Avec une telle tendance, Haïti ne sera pas émergente même à l'horizon 2130. Des changements structurels obligatoires Je répète encore une fois qu'il est présentement impossible pour Haïti de réaliser des taux de croissance supérieurs à 7% sans avoir au préalable opéré des changements structurels majeurs. Pour obtenir de pareils taux, disais-je dans ma chronique du 4 juin 2013, il faut avoir des investissements massifs nationaux et internationaux, contrôler la croissance démographique, mettre la masse de chômeurs au travail, réduire la corruption à sa plus simple expression pour faciliter la création d'entreprises et l'efficacité des politiques publiques et investir dans l'éducation de qualité pour pouvoir observer à long terme une hausse de la productivité des travailleurs. À long terme, nous disait Robert Solow, prix Nobel d'économie en 1987, seule la technologie, à travers une amélioration de la productivité, peut faire augmenter la croissance économique. Par technologie, on entend la façon de combiner les matières premières pour obtenir les produits finis. Ce n'est pas forcément disposer d'une connexion Internet, de posséder un téléphone portable intelligent ou un ipad. Des paysans outillés de houes, de serpettes et de charrues ne peuvent produire pour nourrir toute la population haïtienne. Il faut des tracteurs de pelouses. Un technicien de la DGI avec une calculatrice ne peut jamais être aussi productif que s'il était muni d'un ordinateur dernier cri. Voilà pour la technologie dont parlait Solow. Celle qui fait passer d'une frontière de possibilités de production faible à une autre beaucoup plus élevée. Mais il faut être capable de manipuler cette nouvelle technologie. D'où l'importance d'une formation de qualité pour la croissance économique. Tant qu'on n'aura pas touché à ces enjeux, les taux de croissance durables supérieurs à 7 % demeureront un voeu pieux. Il a fallu à Haïti 51 ans, de 1960 à 2011, pour voir son PIB réel doubler. Le PIB réel par habitant a de son côté diminué, puisque nous produisons moins aujourd'hui alors que nous sommes beaucoup plus nombreux. S'il faut encore attendre 51 autres années pour assister à un nouveau doublement du PIB réel, cela nous prendra alors plus d'une centaine d'années pour obtenir un PNB réel par habitant supérieur à 2 310 dollars américains tel que souhaité. Notons qu'avec un taux de croissance annuelle de 8 %, le PIB réel doublerait tous les neuf ans. S'il nous a pris un demi-siècle pour réaliser ce que des pays asiatiques ont réalisé en moins d'une décennie, c'est que nous avons souvent enregistré des taux de croissance négatifs. Autrement dit, nous avions trop souvent marché à reculons. C'est ce que, dans la littérature récente sur la croissance et le développement, on appelle un désastre économique. Pendant ce temps, certains pays asiatiques ont réalisé des miracles en doublant leur PIB réel par habitant, donc leur niveau de vie, à chaque décennie. Par exemple, les Chinois ont vu leur niveau de vie multiplié par environ 17 entre 1960 et 2007. Le Botswana a multiplié le niveau de vie moyen de ses citoyens par 11 sur la même période. Ils ont réalisé des miracles. Tout simplement. Mais pour y parvenir, la Chine avait opéré des réformes profondes. Elle a pris des mesures drastiques en vue de contrôler la croissance de sa population. Une loi datant des années 70 empêche à une famille chinoise d'avoir plus qu'un enfant. Un peu comme le proposait Malthus ! La Chine a réformé son système éducatif, notamment l'enseignement universitaire. La politique économique chinoise est clairement définie, elle est axée sur les exportations. La Chine est devenue le centre de production du monde, une façon de mettre au travail la plus nombreuse population de la planète. Sa politique étrangère ne fait preuve d'aucune ambiguïté. Aucune décision politique n'est improvisée. C'est exactement cela une stratégie de développement. Haïti ne peut faire l'économie de ces changements structurels et institutionnels si elle veut emprunter la route de l'émergence.
Thomas Lalime thomaslalime@yahoo.fr

mercredi 19 juin 2013

PARLONS DE CHOSES SERIEUSES

Parlons de choses sérieuses
Bernard Etheart
La fièvre du moringa est tombée. On n’entend plus parler de cette plante miracle pour Haïti et de projets qui veulent profiter de toutes ses qualités pour sauver la population haïtienne de ses problèmes alimentaires. C’est comme si on voulait nous transformer en herbivores et nous condamner à une diète faite essentiellement de feuilles de benzolive.
Je ne sais pas ce qui a provoqué cette brusque montée de fièvre car il y a longtemps que les propriétés du benzolive sont connues et qu’une bonne partie de la population sait en tirer profit ; alors d’où vient cette nouvelle mode, qui risque de tomber bien vite, comme toutes les modes.
Je sais que le moi est haïssable, comme l’a dit je ne sais plus qui, mais je vais parler de moi et d’une idée de mise à profit des qualités du benzolive qui m’était venue il y a pas mal de temps.
C’était il y a une trentaine d’années ; nous étions en pleine babydocratie ; Elsie vivait à Miami, envoyée là-bas par le même Baby Doc, et avait trouvé du travail chez des armateurs haïtiens qui assuraient le transport d’huile de table vers Haïti. Cette huile était raffinée dans quelques entreprises appartenant à des grands de l’époque, Brandt, Madsen, etc, et mise dans le commerce sous différents noms, Huile Suprème et autres.
À la même époque, je me suis amusé à consulter les statistiques de notre commerce extérieur et j’ai pu constater que, dans les importations alimentaires, l’huile de table venait en première position. Une bonne affaire pour mes armateurs et pour les propriétaires de raffineries ; mais une mauvaise affaire pour le pays, quand on se rappelle que, avec le maïs, l’arachide (notre pistache), le ricin et le benzolive, nous ne sommes pas à court de matière première pour la production d’huile.
Et voilà que le gouvernement entreprend de construire les installations de la SODEXOL (je ne sais plus comment décoder le sigle) qui devait, d’une part, raffiner de l’huile importée, mais aussi et surtout produire de l’huile à partir de matière première locale. Une invitation avait été lancée aux producteurs d’arachide et autres oléagineux à contacter la SODEXOL et j’avais encouragé les paysans de Croix Fer, grands producteurs de pistache à tenter leur chance. Cela n’a rien donné car, selon les experts de la SODEXOL, la teneur en huile de leur variété d’arachide était trop faible.
Je ne sais pas si la SODEXOL a jamais vraiment fonctionné ; tout ce que je sais c’est que ses installations ont été remises, je ne sais pas à quelles conditions, par le gouvernement de Marc Bazin à la Rice Corporation qui, devait en utiliser les installations portuaires pour importer du riz ! Mais ceci est une autre histoire sur laquelle il faudra peut-être revenir.
Mais revenons à notre benzolive. Comme on sait, les installations de la SODEXOL sont dans cette partie de la baie de Port-au-Prince qu’on appelle depuis quelque temps la Côte des Arcadins, plus exactement à Lafiteau, juste à côté de l’usine du Ciment d’Haïti. Cette zone est dominée par la chaine des Matheux qui offre le triste spectacle de ses mornes dénudés comme on peut le voir sur la photo prise justement au niveau de Lafiteau.
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Or à l’époque dont je parle, je venais d’apprendre de coopérants français qui avaient fait l’expérience, que l’on pouvait extraire des graines de benzolive une huile tout à fait appropriée pour la consommation et aussi belle que l’huile d’olive. D’où l’idée : pourquoi ne pas couvrir les Matheux de benzolive et utiliser les installations de la SODEXOL pour produire de l’huile de table ? Cela aurait comme premier intérêt de réduire nos importations d’huile, donc d’améliorer notre balance commerciale.
Mais ce n’est pas tout. Couvrir la chaine des Matheux de benzolive, c’est faire du reboisement, or les Matheux sont le bassin d’alimentation de plusieurs cours d’eau qui arrosent les bananeraies de la plaine de l’Arcahaie (Rivière Torcelle, Rivière Courjolles, Rivière Bretelle, Rivière des Matheux – ci-contre la chaine des Matheau au niveau de la Digue Matheux) Reboiser la chaine des Matheux aurait pour effet d’augmenter et de réguler le débit de ces rivières, tout profit pour nos producteurs de banane.
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Si maintenant on veut tirer parti des autres avantages du benzolive, en particulier de la possibilité d’utiliser les feuilles et les jeunes branches du benzolive comme fourrage, rien n’empêche de penser à un programme sylvo-pastoral sur les Matheux, pendant que l’on aurait suffisamment de matière première pour toutes les autres utilisations de la plante miracle.
Encore une fois, je ne suis ni agronome ni économiste ; j’essaie simplement de me servir de la chose la mieux partagée, le bon sens ; et mon bon sens me dit qu’il y a là des opportunités dont il faudrait tirer profit. Qu’en pensez-vous ?
Bernard Ethéart

HEM Vol.27 # 21 du 12-18/06/2013

dimanche 16 juin 2013

LES SPECIALISTES DE LA PROPAGANDE PRIS A LEUR PROPRE PIEGE

Les spécialistes de la propagande pris à leur propre piège

Par Leslie Péan,  13 juin 2013

Le marketing politique du gouvernement Laurent Lamothe a échoué le mardi 4 juin 2013 au Sénat. Si les questions posées n’étaient pas toujours conformes aux attentes, les réponses apportées aux élus n’étaient pas à la hauteur des dossiers présentés et des enjeux pour le pays.  C’est dommage. Le gouvernement a étalé son incompétence devant les médias, à la radio et à la télévision. Il n’a pas pu justifier nombre de dépenses dont les 5 milliards de gourdes (113 millions de dollars US) du Fonds d'urgence qui ont été débloqués suite au passage des ouragans Isaac et Sandy en 2012. Mais aussi d’autres dépenses, dont le 1 milliard 900 millions gourdes laissé par le gouvernement Préval, l’argent des appels téléphoniques (50 millions de dollars selon le gouvernement et 69 millions de dollars selon le sénateur Jocelerme Privert, fiscaliste et ancien directeur de la DGI) et des transferts, le fonds d’amortissement des dettes (annulées) par le Venezuela, etc.
Durant les deux dernières années, l’accroissement des dépenses publiques a heurté de plein fouet  le consommateur moyen avec l’augmentation continue du taux de change nominal USD/HTG de 40 gourdes en 2011 à 44 gourdes aujourd’hui (50 gourdes la nuit dans les bars) d’une part, et l’accroissement des prix des produits de première nécessité d’autre part. Selon les dernières données, l’insécurité alimentaire monte en flèche, frappant 15% de la population en 2013 (1.52 million de personnes) contre 8% (800,000 personnes) en 2011[1]. En plus de ce groupe, 6.7 millions d’Haïtiens n’arrivent pas à manger régulièrement selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM)[2]. Le Ministère du Commerce et de l’Industrie avait tiré la sonnette d’alarme sur la baisse du niveau de vie en disant : « Il est devenu de plus en plus inquiétant, quand on sait que plus de trois millions de gens souffrent de la malnutrition, dont 77% vivent en milieu rural [3]». Ce mardi soir 4 juin, le premier ministre Lamothe, qui bénéficiait d’un préjugé favorable par rapport au président Martelly, est tombé de son piédestal.  Mais cela ne veut nullement dire qu’il ne va pas tenter de chausser d’autres bottes. Premye so pa so. Dans un milieu où l’esprit et la raison sont continuellement assaillis, on peut parier que la fonction digestive qui vient avec le pouvoir l’emportera sur la fonction psychique.

Une gargote

Les ministres qui accompagnaient Laurent Lamothe ont essayé de communiquer mais ils n’avaient pas d’arguments convaincants. Là est leur problème. Ils ont affiché des ambitions mais n’avaient aucune substance. L’impression dominante à la sortie de la convocation était celle d’une cuisine peu soignée, d’une gargote ! Les ministres se sont diminués et humiliés devant la nation. C’est regrettable. Ils ont détruit l’image de leur hyperactivité, de leurs voyages, et de leur omniprésence sur la scène publique comme des vedettes de cinéma. On a eu le souffle coupé d’indignation de se  voir représentés par des individus aux regards noyés dans l’impuissance et le ressentiment. En fait, l’incapacité des ministres à communiquer clairement n’a d’égal que leur incompétence politique.
Pourquoi les ministres n’ont-ils pas anticipé les questions des sénateurs et préparé des réponses adéquates ? C’est ce qui se fait partout. Pourtant, le gouvernement Lamothe s’est toujours présenté comme celui de la communication. Que s’est-il donc passé ? Cela aurait dû être sa préoccupation première d’autant plus qu’il ne s’est pas présenté en plusieurs occasions antérieures devant le Parlement. La moindre intelligence appliquée aux affaires de l’État permettait de faire un relevé  détaillé des préoccupations des sénateurs pour établir un cahier de charges. Comme le dit Simon Dieuseul Desras, président du Sénat : « les suspicions et les dénonciations sont nombreuses et péremptoires : elles portent sur la corruption, le népotisme, le pillage et le gaspillage des fonds publics ».
                Comment analyser la situation après la catastrophe de la séance de convocation du premier ministre au Parlement ? Dans tout autre pays démocratique, le gouvernement aurait été défait séance tenante, pris au piège de sa propre politique de communication. C’est l’amère expérience de la démocratie. On a vu la caricature de la démagogie populiste incapable de fournir des explications rationnelles sur l’utilisation de la caisse publique. Pour sortir de ce mauvais pas, le premier ministre n’a trouvé rien de mieux que de présenter des photos et un bel album de souvenirs Après deux ans d’intoxication, la population haïtienne a fini par voir le bout de l’oreille de l’âne. La machine de propagande des tèt kale a créé une situation quasi irréversible. Leur but étant d’avoir tout le pouvoir pour eux, ils ont ignoré les règles élémentaires d’une gestion politique saine qui, tout en préservant leurs intérêts, permette de sauvegarder l’intérêt général. Les calculs d’épicier ne mènent pas loin. Sauf si l’opposition n’est pas à la hauteur.

Le temps des bandits légaux

La cassure de la relation avec l’opinion était claire. Le gouvernement a perdu tout ce qui lui restait de confiance dans la population. L’expression sur les visages des ministres était celle de la douleur et les sénateurs ont décodé dans le désarroi de nos dirigeants les subtilités de la corruption. C’était le cas quand Wilson Laleau, ministre des Finances, a déclaré ne rien savoir du million de dollars dépensé par le pouvoir exécutif pour les manifestions du 14 mai 2013 tenues au Champ de Mars. On doit reconnaître qu’il n’a même pas tenté de vendre des illusions ou des mensonges. L’Exécutif a-t-il des tiroirs secrets ou le ministre n’a-t-il pas le contrôle des dépenses fiscales ?
                Pour certains, le gouvernement Lamothe est celui d’un groupe navigant sans boussole.  Pour d’autres, on a affaire à une bande de bandits légaux déterminés à tout prendre pour eux-mêmes. Quant au président Martelly, sa stratégie s’appuie sur une exploitation éhontée des carnavals mais aussi, sur l’irrationalité des ventres creux et les bas instincts des adeptes des ripailles. Tablant sur la myopie de l’opinion, il se recueille autant au Vatican que dans les lakous de  Souvenance, Soukri et Badjo avec la même ferveur. Pas seulement religieuse mais aussi spéculative qui lui a permis de se rapprocher des affaires intéressantes à l’horizon avec l’exploitation des mines d’or, de cuivre, d’argent et de molitdem[4]. Avec la même vigueur qu’à l’accoutumée pour donner le contrôle de 16 des 18 sites miniers à la compagnie dénommée Caribbean General Trading (CGT) dirigée par son médecin privé résidant en Floride. 
À cet égard, il n’existe aucun complexe de timidité dans la mainmise du pouvoir exécutif sur ces gisements miniers dont un seul est évalué à plus de 11 milliards de dollars. Les signes avant-coureurs de l’irrégularité ne manquent pas et le président a pris toutes les dispositions pour que le secteur minier échappe aux capacités de contrôle du Parlement. Si faibles soient-elles, celles-ci sont tout de même sous-utilisées.  Le bilan de deux ans du pouvoir exécutif montre une corruption jamais vue auparavant à travers des allocations des fonds publics à l’épouse du président, à son fils et à travers des mécanismes de taxation sans représentation, mais aussi sans aucune loi autorisant de telles ponctions. Des impératifs d’accaparement créant une psychose handicapant la nouvelle dynamique que le premier ministre voudrait incarner, avec toutefois un côté brouillon.

Le sabordage d’un élan enthousiaste

                En dépit de cet aspect, le gouvernement Lamothe a fini par accepter de se présenter devant le Parlement. Malgré son autoritarisme hésitant et son goût effréné du pouvoir,  le président Martelly a poussé dans cette direction, obligeant Lamothe à accepter de se courber devant le contre-pouvoir du Sénat. A-t-il utilisé Laurent Lamothe comme un fusible pour faire baisser la tension ? Le cynisme et l’audace sont les seuls atouts de Martelly. On le voit en clair dans le secteur de l’électricité où il joue gros avec une politique de mystification. L’EDH ne donne l’électricité, selon les quartiers de la capitale que pendant  6 heures par jour, pour ceux qui ont de la chance. Une famille haïtienne à la capitale doit dépenser pour une petite génératrice des achats de kérosène de 25 dollars $US,  soit 1000 gourdes par jour. Ceux qui ont un inverter doivent encore acheter des batteries à 175 dollars US l’unité pour le faire fonctionner. Malgré l’absence de courant électrique, l’EDH envoie un bordereau de 5 000 à 10 000 gourdes par mois à ses abonnés.
                Les démocrates en prenant le contre-pied du pouvoir ne laissent plus la totalité des leviers politiques aux mains de l’Exécutif. La convocation du mardi 4 juin 2013 au Sénat est un satisfecit sans nuance pour l’opposition démocratique qui a toujours dit dès le début que  Martelly n’a pas les compétences pour diriger le pays.  Un constat universel. En contraignant Laurent Lamothe à s’engager dans cette épreuve où il a dévoilé ses faiblesses, le président Martelly a gagné une manche. Et de ce fait, il a sabordé les desseins que l’on prête à son premier ministre et que tout semble confirmer.  L’élan enthousiaste d’une force se voulant engagée, nouvelle, dynamique et jeune vient de subir un revers de taille.  Mais il importe d’être vigilants pour éviter d’être les dindons de la farce. À cette étape, la question aux sénateurs est celle-ci : le jeu vaut-il la chandelle ? Faut-il vraiment s’émouvoir dans la guéguerre larvée entre le président et son premier ministre ? Ne faut-il pas, au lieu de s’indigner des frictions entre des associés, plutôt méditer sur les destinées d’Haïti  face à une opposition qui n’arrive pas à donner des signes d’une maturité et des preuves convaincantes de sa capacité à assumer ses propres responsabilités ?

Sur les brisées du nationaliste Joseph Jolibois

Le sénateur Moïse Jean-Charles avait des arguments pour dénoncer la gestion du premier ministre. Ses accusations n’avaient encore utilisé que le quart des cartes qu’il avait en main. Revenu d’une tournée en Amérique Latine où il a mobilisé l’opinion publique pour s’opposer à l’occupation de la MINUSTAH, comme l’avait fait le nationaliste Joseph Jolibois entre 1926 et 1930 contre l’occupation américaine[5], le sénateur Moïse Jean-Charles allait passer à une autre étape. Selon certains, les forces d’occupation, intervenant dans cette marmite qui bouillonne, ont fait pression pour mettre fin à la séance. Aussi, le projet de résolution du sénateur Moïse Jean-Charles appelant à l’organisation d’une séance d’interpellation n’a pas pu se concrétiser. Selon d’autres, il se faisait tard et le président  du Sénat n’avait plus le choix. Comme on le sait, la séance s’est terminée en queue de poisson ! Le premier ministre a été sauvé miraculeusement de la condamnation. Mais il est encore dans une zone de turbulences. Après avoir été aussi saccagé en public, peut-il encore projeter l’image d’un être de lumière ?
De leur côté, les forces armées de l’occupation de la MINUSTAH sont en train de leurrer tout le monde. L’important est de  tout faire pour que les contrats miniers ne soient pas remis en question par des appels d’offres internationaux et des accords à ratifier au Parlement. C’est cela le vrai enjeu. C’est le fond des allées et venues entre présidence, primature, parlement, l’ex-gouvernement Préval, etc. Il faut donc une période de caducité du Parlement pour permettre d’avaliser les contrats miniers signés ou à signer par le gouvernement. Tout est censé fonctionner sur les roulettes bien huilées du silence. D’où le manque d’activités de cette trouvaille incongrue dénommée Collège Transitoire du Conseil Électoral Permanent (CTCEP) dans la préparation des élections qui n’auront pas lieu. Dans cette conjoncture, la lucidité demande aux démocrates de joindre leurs forces pour démasquer le projet présidentiel qui a des réponses certes, mais pas de solutions au mal qui empire et à la crise qui terrasse Haïti.

Redoubler d’efforts

Pour passer entre les mailles du filet de l’État de droit, le président Martelly, tout comme son prédécesseur Préval, viole le temps constitutionnel pour bloquer l’émergence d’une société de droit. La distorsion de taille est le refus de l’harmonisation du temps électoral et du temps constitutionnel. Un autre élément de la technique suggérée par les grands prêtres du système arbitraire san manman est d’ajourner le plus longtemps possible la création du Conseil Constitutionnel. Ainsi, le président peut différer ad vitam aeternam la promulgation des lois votées au Parlement sous le prétexte qu’il n’a pas l’accord du Conseil Constitutionnel. Les adversaires du changement trouvent dans le formalisme constitutionnel les moyens pour tourner en rond avec la complicité de l’internationale. Qui se sucre au passage en prélevant sur l’aide internationale l’équivalent de trois quarts du budget de fonctionnement haïtien, soit une moyenne de 725 millions de dollars chaque année, pour financer les troupes de la MINUSTAH. Le budget  de la MINUSTAH de 2009-2010 était de $611,751,200 ; celui de 2010-2011 était $853,827,400 ; celui de 2011-2012 était de $793,517,100 et celui de 2012-2013 de $648, 394,000[6].
Aussi, il importe de prendre conscience que la fragilisation du Premier Ministre doit aller de pair avec la diminution des pouvoirs présidentiels. Sinon, l’érosion des valeurs s’accentue et renforce le clan des spéculateurs présidentiels. C’est une manière efficace de contrer le système qui s’érige pour dévier Haïti de la voie du succès. À ce carrefour, les partisans du changement doivent redoubler d’efforts dans la mobilisation. La mauvaise prestation du premier ministre a rendu la révolte légitime pour tous, même pour ceux qu’une faible conscience critique porte à cautionner le gâchis actuel.



[1] OCHA-Nations Unies,  Haïti : Aperçu de la sécurité alimentaire et la nutrition, mars 2013.
[2] UN warns 1.5 million people face severe hunger following weather shocks, UN News Center, June 13, 2013.
[3] Milo Milfort, Haïti-Sécurité alimentaire : Risque de pénurie des produits de base, Alterpresse, 10 septembre 2012
[4] Roberson Alphonse, « Exploitation minière/Audition au Sénat, Mines d'Or et de cuivre, les "contrats sont illégaux et inconstitutionnels" », Le Nouvelliste, P-au-P, 22 janvier 2013.
[5] Leslie Péan, « L’Union Patriotique haïtienne 1920-1930 », Collectif Paroles, N° 13 et 14, Montréal, août-septembre 1981 et octobre –novembre 1981.
[6] United Nations, General Assembly, Approved ressources for UN Peacekeeping operations for the period from 1 July 2012 to 30 June 2013, A/C.5/66/18, New-York, June 27, 2012. Lire aussi Center for Economic Policy Research, MINUSTAH by the Numbers, Washington, D.C., December 8, 2011.

mardi 4 juin 2013

DES PREVISIONS QUI MINENT LA CREDIBILITE GOUVERNEMENTALE

Des idées pour le développement
Des prévisions qui minent la crédibilité gouvernementale
Le Nouvelliste | Publié le :03 juin 2013
 Thomas Lalime thomaslalime@yahoo.fr
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Le gouverneur de la Banque de la République d'Haïti (BRH), M. Charles Castel, affirmait le 2 janvier 2013 au micro de notre confrère Kesner Pharel sur Radio Métropole que la faible croissance économique de 2,8 % réalisée pour l'année fiscale 2011/2012 était en partie due à la sécheresse et aux ouragans Isaac et Sandy qui avaient ravagé une partie de la production agricole. On était passé d'une prévision de croissance de 7,8 % à une réalisation de 2,8 % pour cet exercice fiscal. Pourtant, l'ouragan Sandy ne faisait même pas partie de l'exercice fiscal 2011/2012. On s'attendrait plutôt à ce que ses impacts affectent la croissance économique en 2013 puisque l'ouragan Sandy avait dévasté les plantations agricoles au premier mois de l'année fiscale 2012/2013. Mais quand le numéro un de la Direction générale des impôts (DGI), M. Jean-Baptiste Clarck Neptune, annonce à la presse, le jeudi 23 mai 2013, qu'à la suite du passage de l'ouragan Sandy, les prévisions de croissance économique étaient passées de 6,9 % à 2 %, on est tombé des nues. Comme quoi, dans un pays à forte intensité cyclonique, le seul passage de l'ouragan Sandy a contribué à faire baisser les prévisions de croissance en 2012 de 7,8 % à 2,8 % et celles de 2013, de 6,9 % à 2 %. Sandy aurait donc fait d'une pierre deux gros coups ! Faut-il voir dans ces échecs de prévisions les impacts de Sandy ou plutôt le fait que celles-ci étaient fantaisistes ? Tout semble plaider en faveur de la seconde hypothèse. Les prévisions de recettes de la DGI pour l'exercice en cours ont été revues à la baisse, passant de 21,8 milliards à 18,8 milliards de gourdes, soit une baisse de 14 %. Pourtant, d'après le tableau des opérations financières de l'État (1), les recettes fiscales des provinces représentaient 6 % des recettes fiscales internes pour l'exercice fiscal 2011/2012. Celles-ci s'élevaient à 28,3 milliards de gourdes dont seulement 1,8 provenait des provinces. Donc, la part de la baisse de recettes fiscales due au passage de Sandy ne devrait pas dépasser 6 % ; puisque, d'une part, Sandy n'avait pas considérablement affecté Port-au-Prince qui fournit environ 94 % des recettes fiscales au Trésor public ; et, d'autre part, les provinces n'étaient pas complètement rasées. C'était plutôt les plantations agricoles, notamment les bananeraies, qui étaient grandement détruites. Il faut alors chercher ailleurs une bonne partie de l'explication de la non-réalisation des prévisions de recettes fiscales en 2013. Quant à l'Administration générale des douanes (AGD), son directeur général, Fresnel Jean-Baptiste, retient la subvention des produits pétroliers par l'État haïtien comme l'un des éléments responsables de la révision à la baisse des prévisions des recettes douanières qui passent de 31 milliards à 25 milliards de gourdes. Il indique que l'État haïtien perd 200 millions de gourdes par mois en subventionnant ces produits. Mais c'est une excuse qui tient difficilement, car cette subvention est un choix gouvernemental dont on devait tenir compte dans les prévisions macroéconomiques. Concernant les prévisions de croissance économique révisées à la baisse en 2012 et en 2013, il faut préciser que le sentier de croissance actuel de l'économie haïtienne ne dépasse pas 3 %. La moyenne des taux de croissance économique sur les 8 dernières années s'élève à 1,8 % et à 2,1 % si l'on enlève les années 2010 et 2011 pour tenir compte des effets négatifs du séisme du 12 janvier 2010. Il est donc clair que l'on ne pourra pas atteindre des taux de croissance supérieurs à 5 % sans avoir opéré au préalable des changements structurels et institutionnels dans l'économie. On ne passera pas de 2,8 % à 6,9 % de croissance du jour au lendemain et ce n'est pas la faute aux intempéries mais plutôt aux prévisionnistes qui les ont ignorées dans leurs calculs. L'économie de la croissance nous enseigne que, pour un pays comme Haïti, atteindre un niveau de croissance de l'ordre de 7% exige d'avoir des investissements massifs nationaux et internationaux, de contrôler la croissance démographique, de mettre la masse de chômeurs au travail, de réduire la corruption à sa plus simple expression pour faciliter la création d'entreprises et l'efficacité des politiques publiques et d'investir dans l'éducation de qualité pour pouvoir observer, à long terme, une hausse de la productivité des travailleurs. À long terme, nous disait Robert Solow, prix Nobel d'économie en 1987, seule la technologie, à travers une amélioration de la productivité, peut faire augmenter la croissance économique. Par technologie, on entend la façon de combiner les matières premières pour obtenir les produits finis. Des paysans outillés de houes, de serpettes et de charrues ne peuvent produire pour nourrir toute la population haïtienne. Il faut des tracteurs de pelouse. Un technicien de la DGI avec une calculatrice ne peut jamais être aussi productif que s'il était muni d'un ordinateur dernier cri. Voilà pour la technologie dont parlait Solow. Celle qui fait passer d'une frontière de possibilités de production faible à une autre beaucoup plus élevée. Mais il faut être capable de manipuler cette nouvelle technologie. D'où l'importance d'une formation de qualité pour la croissance économique. Tant qu'on n'aura pas touché à ces enjeux, les taux de croissance durables supérieurs à 5 % demeureront un voeu pieux. Qui sapent la confiance des agents économiques ? Pourra-t-on continuellement faire des prévisions de recettes et de croissance économique et les rater complètement sans nuire à la crédibilité des autorités et du gouvernement? Malheureusement non. Nous savons tous qu'il y a de fortes probabilités d'avoir des cyclones et des ouragans chaque année en Haïti. Le Centre national de météorologie (CNM) et la Direction de la protection civile (DPC) annoncent les prévisions au début de chaque saison cyclonique qui s'étend du 1er juin au 30 novembre. Aucun prévisionniste économique professionnel ne peut ignorer la vulnérabilité du pays dans ses scénarios de prévision. C'est au gouvernement de prendre des décisions pour mitiger les conséquences de la vulnérabilité du pays à l'environnement sur la performance économique. Donc, vendre Sandy comme motif d'échec des prévisions de croissance et de recettes est un bien faible argument. Aucun étudiant ayant suivi un cours de croissance économique ne peut croire en la possibilité pour Haïti de réaliser 7,8 % de croissance sans un revirement drastique dans la façon de diriger, de concevoir et d'exécuter les politiques publiques dans l'intérêt collectif. Les prévisions n'étaient donc pas crédibles. Et ce n'est pas pour renforcer la crédibilité gouvernementale ! Passer de 7,8 % à 2,8 % et de 6,9 % à 2% invite les agents économiques à ne plus prendre les prochaines prévisions au sérieux. Ce qui pourra faire augmenter la méfiance des agents économiques envers les statistiques gouvernementales. Pourtant, le 2 janvier 2011, le gouverneur Castel se montrait très optimiste quant à la possibilité pour le gouvernement haïtien de réaliser sa prévision de 7,8 % de croissance économique en 2012. Il misait à ce moment-là sur les bienfaits probables de la reconstruction. Alors que l'ancienne ministre de l'Économie et des Finances, Marie-Carmelle Jean-Marie, avait bien expliqué au micro de Kesner Pharel, le 1er janvier 2013, qu'en raison des faiblesses structurelles et institutionnelles tant dans le secteur public que dans le secteur privé, la reconstruction ne relancera pas la croissance comme on le souhaite. Malgré tout, dans la conférence de presse de la DGI, les autorités fiscales continuent à nous vendre le ralentissement des activités de reconstruction comme justification à la révision à la baisse de la prévision de croissance en 2013. Marie-Carmelle Jean-Marie considérait le manque de ressources humaines qualifiées comme un des facteurs structurels de la faible croissance économique observée ces dernières années. Il faut, disait-elle, renforcer la capacité des ministères en termes de ressources humaines, à commencer par les unités techniques, apporter du sang neuf en attirant de nouveaux cadres. Ce qui n'est pour le moment pas le cadet des soucis de nos dirigeants. La mauvaise performance du secteur agricole qui représente 25 % de la production nationale ne peut être tenue pour grand responsable de l'échec des prévisions de recettes et de croissance économique. Parmi les obstacles structurels à l'origine de la faible croissance en 2012, M. Castel pointait du doigt le foncier qui, estimait-il, constitue un poids énorme sur la croissance et le développement économiques d'Haïti. Il faudra adapter les codes haïtiens et travailler à combler l'écart entre les dépenses, 34 % du PIB, et les recettes internes qui ne dépassent pas 14 % du PIB. Comme l'ancienne ministre de l'Économie et des Finances, le gouverneur avait reconnu que, pour réaliser des taux de croissance supérieurs à 7 %, il est impératif que la machine administrative publique soit bien huilée au niveau notamment de la passation de marchés. Il faut, disait-il, faire vite et bien, donc rendre plus efficace l'appareil administratif. Ce qui exigera des cadres mieux formés, mieux équipés et mieux traités. M. Castel prônait aussi un dialogue entre les pouvoirs législatif et exécutif en vue de faciliter la création d'institutions et le vote de lois pro-croissance. Ce, autour d'un consensus social qui supporte l'effort du gouvernement à travers un plan, car, expliquait-il, le développement économique doit être l'affaire d'une population et non d'un gouvernement. En attendant de réaliser ces réformes structurelles nécessaires à l'obtention d'un nouveau sentier de croissance économique supérieur à 5 %, ce serait du respect envers les agents économiques que les autorités annoncent des prévisions réalistes qu'elles peuvent tenir. Il y va de leur crédibilité avant toute chose. (1): http://www.mefhaiti.gouv.ht/Documents/PDF/exercice_2011-201226-april-2013_11-34-23.pdf
Thomas Lalime thomaslalime@yahoo.fr

PITIE POUR BEDORET

Pitié pour le Bédoret
Bernard Etheart
02/06/2013
Cette fin de semaine, je me suis rendu dans le Nord, plus exactement à Limonade, pour représenter l’INARA à la présentation et à la valorisation du cahier de revendications d’organisations paysannes du « Grand Nord », autrement dit des quatre départements du Nord-Ouest, du Nord, du Nord-Est et de l’Artibonite. Une importante rencontre, organisée par la PAPDA (Plateforme Haïtienne pour un Développement Alternatif), et dont le Gouvernement, qui a placé l’année 2013 sous le signe de l’agriculture et de l’environnement aurait intérêt à tenir compte.
Nous aurons l’occasion de revenir à ces importantes assises, mais, pour aujourd’hui je vais m’en tenir à des observations faites en cours de route, particulièrement au niveau du morne Bédoret.
Pour faciliter les lecteurs je vais resituer ce Bédoret. Entre les Gonaïves et le Cap Haïtien, on à trois mornes à franchir. Le Puilboro d’abord, dont on commence la montée juste après Ennery, le plus import, dont la crête, souvent dans le brouillard, culmine, je crois, à 1.000 mètres d’altitude, et qui marque la limite entre les départements du Nord et de l’Artibonite. Puis vient le Bédoret, entre Plaisance et Limbé ; et enfin La Coupe Limbé.
Si mes connaissances en géographie sont exactes, ce Puilboro est une véritable barrière qui arrête toute l’humidité apportée par les vents alizés, ce qui explique que le versant nord est beaucoup plus verdoyant que le versant sud ; rappelez-vous toutes cette zone sèche que l’on traverse au nord des Gonaïves, une fois qu’on a laissé la verdoyante zone de Passe Reine, arrosée par la rivière d’Ennery.
Le Bédoret se trouve donc dans cette zone bénie des dieux, qui jouit d’une bonne pluviométrie, et où les paysans pratiquent l’agroforesterie (voir « L’économie verte » (10) La reconquête des mornes, HEM Vol. 27 # 15 du 01-07/05/2013), même quand ils ne connaissent pas le concept, comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. Autrefois, il y a quelques années, quand on descendait vers Plaisance, on rencontrait des groupes de femmes qui offraient des produits tout au long de la route ; et, comme on rentrait à Port-au-Prince, on pouvait faire provision de fruits : chadèques, oranges, mangues, ananas (anana-pain-de-sucre), de légumes et de tubercules (igname).
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Mais depuis quelque temps on en voit de moins en moins. En montant au Cap vendredi, j’ai encore fait cette remarque, par contre j’ai vu çà et là des planches exposées au bord du chemin. Je me suis dit que, en revenant dimanche je prendrais le temps de voir la chose d’un peu plus près.
Je l’ai fait ; et ce que j’ai vu m’a donné un choc. En montant le Bédoret, un peu après Camp Coq, je suis tombé sur un véritable marché ; je ne sais pas si ce marché peut se voir chaque jour ; je ne sais pas si c’est le dimanche que se tient le « marché aux planches » ; mais c’était impressionnant ! Des planches alignées sur plus de cent mètres ; des planches de toutes variétés : du chêne, mais très peu, du manguier, de « l’arbre véritable » … et des camions, au moins six, dont certains déjà chargés ; il y avait même un type avec un mégaphone, comme on en rencontre souvent dans les marchés.
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Nous nous sommes arrêtés pour faire des photos ; et n’avons pas été bien accueillis. Je ne sais pas si c’est notre attitude ferme, ou la plaque d’immatriculation (SE), qui nous a protégés, mais pendant un temps j’ai pensé que nous aurions pu être agressés ; je veux parler d’agression physique, car, pour l’agression verbale elle était déjà là. Pour finir, et je souhaiterais que nos dirigeants prennent note, le plus virulent de nos interlocuteurs nous a dit : « Donne nous du travail (comme cela nous n’aurons pas besoin de couper du bois) ».
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Mais ce n’est pas tout. En montant vendredi j’avais vu quelques sacs de charbon ; eh bien je les ai retrouvés. Et pas seulement quelques sacs. Même si je ne suis plus aussi radicalement opposé à la production de charbon (voir « L’économie verte » (7) La filière du charbon de bois, HEM Vol. 27 # 12 du 10-16/04/2013), mais fréquentes visites dans le Nord-Ouest me font toujours associer cette occupation à la misère, la misère humaine, mais aussi la misère de l’environnement, et la vue de ces sacs sur le Bédoret me fait frémir.
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En conclusion, je sais qu’il y a un marché pour le bois d’œuvre ; après tout il faut bien construire des logements ; mais ne peut-on pas rationaliser et réglementer ce secteur ? J’en reviens à l’agro-foresterie. Quand à la production de charbon, je ne crois pas qu’elle ait sa place dans cette région. En tout cas, il faut tout faire pour que ce merveilleux Bédoret ne devienne comme le Morne La Pierre qui domine les Gonaïves.
Bernard Ethéart
HEM Vol. 27 # 20 du 05-11/06/13

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