mardi 6 août 2019

LA DÉCENTRALISATION : LA SEULE ALTERNATIVE AU DÉVELOPPEMENT D’HAÏTI



LA DÉCENTRALISATION : LA SEULE ALTERNATIVE AU DÉVELOPPEMENT D’HAÏTI
GESLER JEAN-GILLES ET FÉLIX MARRÉ
JUILLET 2019
Publié dans Haïti En Marche (7-13 Aout 2019)

Les dernières scènes de déchoucage qui ne devraient pourtant paralyser que Port-au-Prince, avaient plongé le reste du pays dans un chaos révélateur d’un fait capital. Haïti n’existe que par sa capitale en dehors de laquelle toute vie est impossible. Un système anaérobique qui étouffe toute aspiration du reste du pays à une vie un peu plus décente. L’hyper-centralisme port-au-princien , un héritage de l’occupation étasunienne, concentre en son sein toutes les institutions nationales et privées, l’essentiel des activités commerciales et bancaires, les écoles supérieures, la quasi-totalité des emplois du secteur public que du privé; le seul aéroport international, etc. Port-au-Prince avale Haïti, consomme et consume tout ce que le pays produit; jusqu’à sa population qui s’octroie un droit d’ainesse et se désigne le peuple d’Haïti, décide à sa place et soumet la république à ses sautes d’humeurs. Il est plus que malsain qu’une ville se soit arrogé tous les privilèges d’un pays; des privilèges indus et grotesques dignes des duchés du haut Moyen-Âge, alors que l’État n’était pas né et les citoyens, de simples êtres vivants soumis à la tyrannie du prince qui en disposait comme bon lui semblait.

La dégradation générale du pays est la conséquence logique de cet hyper-centralisme et du mimétisme d’une pseudo élite politico-administrative qui ne sait faire que du copier-coller d’idées à la mode chez son tuteur, en l’occurrence les pays-amis. Le schème mental est usiné au fil des séminaires payés par les maîtres et animés par des coopérants qui se désignent des spécialistes en développement du tiers-monde. Ces personnages romantiques, à coups de séances d’idées toutes faites qui sont conçues aussi bien pour Haïti que pour l’Afrique, maintiennent les indigènes dans une position permanente du faire-semblant quand ils ne leur nient pas toute habileté et aptitude cognitives. Ces indigènes évolués du seul fait de leur contact avec les prétendus développeurs du Tiers-monde, s’agitent, se contorsionnent avec un zèle indu pour donner au tuteur la gage que son enseignement a été bien digéré. On les appelait dans les années 1980 et sans doute aujourd’hui encore les « Chicago boys », ces prosélytes de la secte du libre-échange et de la mondialisation débridée, qui n’avantage que les plus forts, les grandes multinationales et les individus les mieux armés financièrement pour tenir tête à la concurrence. Ainsi, ils ont poussé leur logique perverse jusque dans la destruction des derniers moyens de production nationale et par aveuglement collectif ou faiblesse politique émasculent la république en abandonnant une partie de la souveraineté nationale à une banque centrale dite indépendante passée au service des détenteurs de capitaux et la protection de leurs rentes.

Il est clair que le modèle actuel, cet anti-modèle, ne fonctionne pas. Ceux qui sont chargés de le maintenir en vie n’ont à leur actif aucun plan stratégique, aucun projet national, aucun grand chantier prouvant leur capacité à comprendre la problématique haïtienne et tenter d’y apporter quelque solution. Leur seul fait d’arme est la belle vie qu’ils mènent, les belles demeures qu’ils possèdent à l’étranger ou dans les replis du Morne de l’Hôpital. Dépourvus d’ancrage social et sans bagages intellectuels pour approfondir les réalités haïtiennes, ils partent avec l’échec inscrit sur leur front. Le centralisme à la romaine que cette élite impose au pays est dévastateur. Les Romains au moins s’étaient donné les moyens du Tout-vers Rome, en mettant en place des infrastructures, des grands travaux d’ingénierie, des réseaux routiers, des aqueducs, dans l’objectif d’apporter le développement à l’intérieur de ses murs ou pour civiliser les barbares, c’est-à-dire les populations de ses provinces en Afrique, en Asie ou en Europe.

En Haïti tout milite en faveur d’une nouvelle architecture politique consistant à remettre les régions au cœur des préoccupations de l’État; favoriser une fonction publique locale et régionale en vue de renforcer notre sous administration chronique qui traduit clairement l’inexistence d’une mission de service à la population. L’unité du pays ne serait pas plus entamée en considérant l’émergence d’entités périphériques fortes et autonomes afin de mutualiser les différentes ressources locales pour une autre forme d’engagement remettant l’action publique aux services des citoyens où qu’ils demeurent sur le territoire national. Cela s’appelle la décentralisation qui est inscrite dans la constitution de 1987 et qui octroie aux collectivités une relative autonomie administrative et financière, mais que les politiciens de Port-au-Prince traînent à matérialiser dans une Loi; une propédeutique pour féconder un autre avenir en commun en lieu et place de cette vie honteuse et dépendante de la charité universelle. Cette loi sur la décentralisation diviserait de notre point de vue les 10 départements géographiques en quatre (4) Régions administratives dotées chacune de pouvoirs et assorties d’un régime fiscal qui permettra à ces nouvelles entités de répondre aux besoins les plus pressants des citoyens. La région Nord, la région Centre, la région Ouest et la région Sud. Nous parlons de région administrative, fonctionnant avec un personnel politique élu que seconde une fonction publique régionale recrutée sur concours et un budget régional pour s’attaquer aux problèmes de ladite région, n’en déplaise au courant à la mode qui fait croire que tout commence et finit à la section communale, vision on ne peut plus étriquée et caricaturale d’une fiction administrative, d’autant que les attributions du CASEC n’ont jamais été définies.

Il faut admettre que la contribution fiscale très faible des provinces à l’effort national est un obstacle à une certaine autonomie financière qu’exige un vrai projet de décentralisation, (décentralisation dit automatiquement autonomie administrative et financière) mais c’est à l’État qu’il incombe d’user du monopole de la contrainte fiscale, dont il dispose pour faire payer les citoyens pour les services attendus. La nouvelle architecture administrative permettra de construire localement de nouvelles représentations de progrès et de solidarité par la conciliation des intérêts variés, ce par une plus grande responsabilisation des acteurs locaux. Ceci n’exclut pas un cadre global qui fixe les grandes orientations et objectifs de l’État à l’intérieur duquel se grefferont les initiatives locales. Tout en étant unitaire, la république d’Haïti n’est pas monobloc, les cœurs des différentes régions ne battent pas au même rythme ni au même tempo et leurs besoins ne sont pas identiques quoique de même nature. Elles se doivent de doter leurs métropoles régionales en biens et équipements de taille et constituer autour d’elles les multiples réseaux nécessaires pour se hisser à ce statut.

Par exemple, la région Nord d’Haïti qui devrait regrouper les départements du Nord-ouest, le Haut-Artibonite, le Nord, le Nord-est et le Haut Plateau central, aura besoin pour son emboitement des routes reliant Hinche à Port-de-Paix ; Fort-Liberté-Gonaïves, en un peu plus de deux heures d’automobile et une desserte aérienne internationale qui serait située à mi-chemin des quatre grandes villes de la région et qui serait adaptée à sa taille et à sa population. La région aura un grand besoin de compétences pour une reprise en main de ses ville centre pour en faire des pôles de développement économique, culturel et touristique. Elle se devra de recruter son personnel de la fonction publique régionale apte à exécuter des mandats qu’elle aura définis et encadrer en tant que donneurs d’ouvrages des firmes qualifiées pour sous-traiter des problèmes techniques. Les régions disposeront de compétences suffisantes qui les mettra en position de voler au secours des petites villes, les bourgs et les sections communales qui sont en proie à une absence chronique de personnel qualifié. Le Parc de Caracol est la preuve éclatante du dénuement des communes en matière de ressources humaines et de l’incapacité des départements à contrôler, encadrer un pôle d’activités aussi importantes pour le développement du département du Nord-Est.

Avec l’imputabilité retrouvée (le personnel politique se renouvelle par des élections) et une taxation acquiescée par une représentation, les régions administratives pourraient bénéficier de la possibilité d’emprunter sur des prévisions de rentrées. C’est ici que l’argent des assurés de l’ONA pourrait faire œuvre utile s’il était investi dans des projets porteurs et garantis par le service public au lieu d’être gaspillé en des prêts toxiques aux élus ou aux petits amis des différents pouvoirs en place. Ce serait le premier pas vers d’autres formes de financement sur un marché intérieur de capitaux ciblant d’abord les entités publiques. Sans être la recette miracle, c’est celle qui est retenue partout pour créer des emplois dans les régions; car les gens ne retourneront pas dans un endroit où l’avenir est bouché et pas d’opportunités pour faire vivre dignement leurs familles.

Regardons au plus près les grands moyens déployés pour éviter une véritable décentralisation du pays. À titre d’exemple, de gros appétits se jettent actuellement sur des pans du littoral national qu’ils ont convertis en ports privés au mépris de la constitution qui stipule que le littoral appartient à l’État. Alors que la République serait mieux servie avec deux ports en eaux profondes aux presqu’îles Nord et Sud qui pourraient servir de plateforme desservant au Sud, Haïti et le continent latino-américain et au Nord, les îles caribéennes, dont l’exiguïté de leurs territoires ne permet pas l’implantation de terminales susceptibles d’accueillir de gros porte-conteneurs. Le pays avec une telle stratégie pourrait développer une expertise maritime qui aurait muté en une maitrise de la mer afin de mettre à contribution ce moyen de transport pour le déplacement économiques n’en finissent pas de mettre en évidence. Une compréhension de cette problématique du déplacement dans la géographie du pays permettrait d’harmoniser le temps de parcours et la distance au rythme imposé par la mer et les massifs montagneux et en l’occurrence la chaîne des Cahos.

L’aberration névrotique veut qu’on continue à traverser les différents massifs montagneux par camions pour ravitailler nos grandes villes qui sont toutes côtières. On l’a vu durant les crises fabriquées par l’establishment politico-commercial de Port-au-Prince, les autres départements manquaient des produits pétroliers du seul fait de la peur de faire circuler les camions sur les grands chemins livrés aux bandits. La région administrative du Nord pourrait, avec la ville du Cap-Haïtien comme locomotive et d’autres satellites comme les Gonaïves et Fort-Liberté, être un puissant incubateur de changements, d’innovation et de productivité. On l’a aussi vu que pendant que Port-au-Prince brulait, le principal aéroport international du pays était fermé, alors que les gens du Nord continuaient de voyager vers la république dominicaine ou en Floride en utilisant le petit aéroport du Cap qui est en soi, il faut le dire, une plaisanterie. Ce petit aéroport, implanté sur une terre instable propice au mouvement de terrain et aux inondations est trop proche de la ville du Cap et les colonnes de bidonvilles qu’il faut traverser pour se rendre au centre historique, le Haut Artibonite et le Nord-ouest. Il est dépourvu des installations dignes d’un vrai aéroport et du personnel qualifié pour desservir une région si importante au point de vue de sa taille et de sa population. Coincé entre la mer et le Morne-Rouge, il est trop excentré par rapport à la région et éventuellement le nord-ouest dominicain, dont il est appelé aussi à desservir. Il est inadapté de par sa base opérationnelle et de son incapacité à offrir une plus large panoplie de services aux derniers nés des aéronefs de plus en plus diversifiés. Sa localisation est d’autant plus discutable qu’elle devrait impérieusement satisfaire à certaines exigences : possibilités d’une réserve d’emprises foncières en prévision d’éventuels agrandissements et au lieu géographique d’un nouveau maillage routier qui le mettrait à deux heures au moins des grandes villes de la région et des villes frontalières dominicaines et non des moindres.

On entend déjà monter l’halali des cyniques plaidant l’impossibilité d’une telle réforme. Car, une organisation nationale différente, adaptée aux réalités des régions et de la république, n’est pas dans l’intérêt de Port-au-Prince qui a la haute main sur le pays et qui, pour toute petite affaire de proximité que les autorités locales pourraient régler, dépêche un fonctionnaire, lequel en plus d’empocher per diem et prime d’éloignement, utilise comme bureau son véhicule, dont le moteur tourne en permanence pour lui assurer l’air conditionné que les modestes bureaux publics ne peuvent procurer. Gaz l’État, machine l’État…dirait feu Jean Dominique. Nous repasserons pour le réchauffement du climat. Pourquoi nous est-il si difficile de concevoir une organisation de la société fondée sur la noblesse des grands idéaux fédérateurs d’un vivre ensemble, sur un humanisme qui nous rapproche et non sur nos différences? Pourquoi ne pouvons-nous pas libérer notre générosité, à l’instar de nos pères fondateurs meurtris par les fers de l’esclavage qui avaient osé rêver un monde autre que celui de la plantation, fait de liberté, d’égalité et de fraternité? Ces propositions seront naturellement descendues en flammes par la cité-État qui jouit amplement de ce système de l’exclusif, du tout par et pour la capitale, donc rien pour le reste du pays. Un tel dépassement n’est possible que si l’on évacue la paresse et la peur qui nous paralysent pour nous prendre en main. Nous réussirons que si nous parviendrons à comprendre que l’unique loi qui vaille en économie est celle de la raison et la seule source de richesse durable est la productivité, l’inventivité et le travail des hommes dans un environnement sain et sécuritaire.

Gesler Jean-Gilles et Félix Marré (Juillet 2019)

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