mardi 3 octobre 2017

TOURISME RURAL EN HAITI: VALORISER PLEINEMENT LE POTENTIEL DES COMMUNAUTES


Le tourisme rural en Haïti : valoriser pleinement le potentiel des communautés

Par Abner Septembre 

Le tourisme rural peut se définir comme : « un tourisme qui se pratique en dehors de l’espace urbain ou de la ville, qui s’appuie sur les atouts naturels et culturels du milieu rural dans une démarche tant de rapprochement social valorisant (en termes de proximité, de respect mutuel et d’apprentissage), que de consommation responsable garantissant des retombées directes pour la population locale, tout en étant respectueuse de ses valeurs et de l’environnement. » Ce qui permet d’inclure dans le tourisme rural, pour reprendre De Sousa Santos, un type lié aux valeurs (tourisme responsable, solidaire, écologique, communautaire) et un autre type lié aux pratiques (écotourisme, agritourisme, tourisme religieux). Dans quelle mesure le tourisme rural peut-il bien être un outil au service du développement durable des communautés ? Comment habiter le milieu rural pour qu’il se prête bien au tourisme ? Quel rôle pour les acteurs : l’Etat, les familles, les professionnels du tourisme et du développement ? 

Pour aborder ce sujet plutôt sensible et complexe, partons d’un cas connu. Le Gouvernement de la République populaire de Chine a décidé de promouvoir le tourisme rural comme instrument efficace de lutte contre la pauvreté. L’objectif est clair : « extraire de la pauvreté, d’ici 2020, 17 % des populations démunies du pays ». De manière plus ciblée, il s’agit d’atteindre à l’horizon 2020 : a) trois millions d’entreprises de tourisme rural, b) deux milliards de visiteurs annuels, c) deux millions d’habitants des zones rurales chinoises qui sortent de la pauvreté chaque année, d) des estimations de recettes de l’ordre de plus de mille milliards de yuan (RMB), au profit de 50 millions d’habitants des zones rurales.

A l’horizon de 2030, Haïti a l’ambition de devenir un pays émergent. Dans les documents, le tourisme est considéré comme l’un des piliers de croissance. Cependant, dans cette démarche, le tourisme rural ne semble pas être une priorité pour l’Etat. Il existe un discours très timide, mais sans grande volonté ou conviction. Absence d’actions d’envergure, comparativement à ce qui se passe au niveau du tourisme conventionnel où le gouvernement accompagne les acteurs, leur accorde des avantages et fait la promotion pour y attirer des investissements. Dans le Forum sur la compétitivité et l’investissement (FCI), ni les organisateurs ni le Ministère du Tourisme (MDT) n’ont pensé à mobiliser un représentant du tourisme rural pour être aussi l’un des intervenants, le 21 septembre 2017, à la session sur le tourisme et la culture. En outre, Il n’y a rien qui correspond au tourisme rural dans le Plan directeur du tourisme, ni dans le Plan Stratégique de Développement d’Haïti, encore moins dans le budget de la République qui fait aujourd’hui un grand tollé sans que l’intérêt du milieu rural ne soit explicitement pris en compte.

Le milieu rural est traité en parent pauvre. Il patauge dans un environnement dégradé et accuse un niveau de chômage et de précarité élevé. Dans la Carte de la pauvreté en Haïti, il est clairement dit que « La pauvreté est rurale ». Pourtant, il existe dans le milieu rural en Haïti un potentiel touristique extraordinaire non encore exploité, aussi bien dans les plaines que dans les montagnes, et surtout que l’on ne retrouve pas dans les villes. Il s’agit entre autres des exploitations agricoles et de l’élevage, deux volets importants de l’économie rurale, mais aussi des vestiges de plantations sucrières, d’habitations
caféières et de forteresses, des grottes que le paysan appelle « Twou ying ». 

Sur le plan culturel, il y a la musique, la danse, le savoir-faire culinaire ancestral, et tout ce qui porte Damien François à considérer le milieu rural comme un véritable «laboratoire ethnologique avec sa religion, le Vaudou, sa langue épicée de proverbes, de contes, de devinettes, sa médecine», [Foire de la Montagne, Vallue 2004]. La montagne, en particulier, est un vrai cadre de villégiature avec son paysage très varié dans sa physionomie et dans sa composition floristique, ses vues imprenables, son air pur et vivifiant, ses rivières et cascades pleines d’enchantement, son calme et le concert des musiciens de la faune à la tombée de la nuit, la magnificence de la lune et les constellations d’étoiles dans le ciel, les petits chemins serpentés bordés d’herbes recouvertes de rosée scintillant sous l’effet des premiers rayons de compère général soleil, et tant d’autres richesses naturelles exposées à la contemplation humaine. C’est un vrai cadre d’évasion et de ressourcement, avec sa capacité de nous impressionner par l’hospitalité coutumière et le naturel du paysan, de nous émouvoir, de nous apaiser, de nous inspirer, de nous communiquer des vibrations ou sensations fortes, de nous rendre conscients des limites de nos connaissances comme l’enseigne le dicton créole «dèyè mòn gen mòn».

C’est en outre dans nos montagnes où l’on trouve un certain nombre d’espèces végétales et animales, dont certaines sont connues pour leur vertu médicinale et d’autres sont endémiques. C’est cet environnement pluriel, grâce aux différents microclimats, générateur d’une grande biodiversité qui fait considérer Haïti comme une fabrique d’espèces au niveau de la Caraïbe. C’est ce patrimoine riche et diversifié qui prédispose donc le milieu rural à être, selon François Damien, «des points de chute extraordinaire pour le touriste en quête d’exotisme et de sensationnel».

Etant dans un contexte caribéen dominé par le soleil et la mer, où il existe des géants du tourisme conventionnel qui en font à travers des enclaves balnéaires et des resorts leur point fort, Haïti avec ses nombreuses contraintes ne pourra en aucun cas faire tout de suite une compétition frontale, voire rafler sur ce terrain autant que certains d’entre eux dont la performance se chiffre à plus de 5 millions/an d’arrivées de touristes internationaux ou à un taux de croissance de + 7%. En attendant que le vent devienne favorable, Haïti a intérêt non seulement à accentuer un tourisme fondé sur d’autres atouts qui feront toute la différence, mais aussi à soutenir le tourisme rural à forte charge émotionnelle et à fort impact communautaire, tout en rendant le tourisme haïtien intégré à l’économie nationale.

Le moment s’y prête bien. Sur le plan international, le tourisme de l’intérieur devient un exutoire pour accompagner l’engouement pour le voyage hors des enclaves balnéaires ou des resorts. Le besoin social de vivre de nouvelles sensations et les grands défis de la planète faisant prendre conscience de notre « avenir commun » oriente le destin du tourisme mondial aujourd’hui. Si l’alerte a été donnée depuis le premier Sommet de la Terre (Rio 1990), c’est plus précisément durant les 5 dernières années que les thèmes retenus par l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) misent sur le tourisme communautaire, tout en sensibilisant à un tourisme responsable et respectueux. En baptisant 2017 « Année internationale du tourisme durable pour le développement », l’accent est mis sur un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil. 

Le message du Secrétaire général de l’OMT, Taleb Rifai, est clair : « Où que vous mène votre voyage, à n’importe quelle période, souvenez-vous de respecter la nature, de respecter la culture, et de respecter votre hôte... VOYAGE, APPRÉCIE ET RESPECTE. »

Le tourisme rural doit donc être une activité au service du développement intégral de l’homme paysan, garantissant tant la jouissance de ses droits par l’accès aux services essentiels, que la sécurité alimentaire et économique, ainsi qu’un environnement viable. Le tourisme rural, en particulier l’agritourisme, peut contribuer à la création d’un cercle vertueux permettant d’aboutir à des communautés durables et prospères, en utilisant comme tremplin ces trois piliers : habitat, eau, production (HEP), et comme socle ces 4 éléments : cadre légal, énergie, formation, route (CLEF-R).

On parle de 570 sections communales en Haïti. Dans chacune d’elles, on peut concevoir un pôle de vie commune, dit village de développement touristique. Dans une stratégie qui vise vraiment à mettre le pouvoir au service du milieu rural, on pourra y consacrer par an au moins 10 % du budget de la République. Ce pôle de vie commune sera caractérisé par la présence des services publics essentiels et un socle qui inclut les 4 paramètres du schéma. Pour cela, il faut partir d’une zone où le potentiel touristique existe vraiment, tout en cherchant une synergie avec les plages, afin de garder le touriste le plus longtemps dans la région et lui permettre de vivre les différentes passions du territoire.

Pour rompre avec la monotonie de la dispersion, il sera implanté une trentaine de nouveaux foyers. Ces habitats seront destinés à des jeunes, en vue de les encourager à pratiquer l’agritourisme.

De manière plus concrète et réaliste, on doit prévoir pour les trois piliers un appui moyen de $ 20,000.00/famille, soit : i) Habitat (espace pour la famille avec chambre d’hôte): US$ 10,000.00 ; ii) Eau (citerne familiale) : US$ 5,000.00 ; iii) Production (horticole, animale, artisanale, agroalimentaire): US$ 5,000.00.

Dans ce premier registre, on n’a donc pas besoin de considérer directement toute la population d’une section communale. Une famille qui n’est pas un acteur d’accueil peut être aussi un bénéficiaire par son insertion dans l’un ou l’autre maillon de la chaîne de valeur. Dans ce second registre, un investissement de trois mille à cinq mille dollars américains sera prévu par personne et une vingtaine d’entrepreneurs par an seront touchés.

L’approche d’inclusion et de participation privilégiera l’appel à propositions de projet d’entreprise, en passant par le Conseil d’Administration de la Section (CASEC). L’Assemblée de la section (ASEC) et la société civile joueront plutôt un rôle de contrôle et de vigie, à travers ce qu’on appelle le Conseil de développement de la section. Une telle stratégie permettra de sortir de l’ornière, par plan quinquennal qui correspondra à un mandat présidentiel, au moins 15 % des populations démunies du pays. Cette stratégie contribuera à faire effectivement d’Haïti, à l’horizon de 2030, un pays émergent.

Quelle est la valeur ajoutée du tourisme rural ? L’expérience de Vallue montre jusqu’ici qu’en dehors de sa capacité à générer des revenus pour divers groupes d’intérêt au niveau des communautés d’accueil, il est facteur de rapprochement social valorisant entre citadins et paysans. Il est un outil de nouvelle mise en valeur de pans de la tradition, du patrimoine matériel et immatériel, jusque-là non exploités dans une démarche de création de richesse. Il est facteur d’enracinement identitaire qui crée la confiance en soi ou un nouveau conditionnement mental pour produire, tout en servant de prétexte pour protéger l’environnement et conserver le patrimoine historique, architectural, culturel et naturel d’un lieu.

Il est facteur d’appropriation, de réinvention et d’aménagement du territoire, contribuant à diminuer l’exode rural, donc à désengorger les villes et à réduire la fuite des cerveaux et des capitaux. Le jeune, par exemple, découvre qu’il lui est possible de se construire et de changer sur place son propre statut et celui de sa famille. Il se fait aussi facteur de stabilité et de productivité, donc capable de contribuer à la compétitivité d’Haïti, en améliorant le pouvoir d’achat du paysan, en changeant son regard, sa perception et sa conception du monde et de la vie, créant chez lui l’envie de voyager ou de faire du tourisme. Emmanuel Charlot, un paysan de pure souche découvre qu’il a la meilleure terre, parce que celle-ci a une meilleure vue. Un vrai changement de paradigme. Faniel Laurent planifie de prendre son congé après avoir passé un temps à fournir des services de tour guidé dans son entreprise « Musée Végétal de Zamor ». Après avoir réalisé le marché villageois animé du 5e Festival du Tourisme Eco-Montagne, la communauté de Château non seulement est fière de son succès mais aussi découvre une nouvelle voie pour construire ensemble l’avenir.

Il s’agit là d’un saut qualitatif qui contribuera sans doute à modifier le type de rapport de dépendance, d’influence et d’exploitation que la ville a toujours entretenu avec le milieu rural. Le tourisme rural change la dynamique sociale à Vallue et augmente son niveau de compétitivité. Un paysan de Vallue qui va ailleurs et dit qu’il vient de là est souvent perçu comme une « personne bienheureuse ». Bref, le tourisme rural, un autre tourisme pour Haïti, est possible et générateur de plus-value.

Abner SEPTEMBRE
Sociologue, Entrepreneur
Promoteur du tourisme éco-montagne




mardi 11 avril 2017

LE IV CONGRES DE LA MONTAGNE



Le IVème Congrès de la Montagne
Bernard Ethéart
Lundi 10 avril 2017

Les lundi 27 et mardi 28 mars, l’Association des Paysans de Vallue a tenu son IVème Congrès de la Montagne. Bien que Vallue ait déjà fait l’objet de plusieurs publications dans ce journal, je me dois de fournir à ceux qui n’auraient pas eu l’occasion de lire quelques informations pour leur permettre de s’orienter. Vallue est une localité de la 12ème section des Fourques, commune de Petit Goâve. Elle est située en montagne dans une fourchette entre 650 et 003 m d’altitude. Une enquête datant de 2010 permettait d’estimer la population à 1.382 habitants, regroupés dans 227 familles.

En 1987, dans le cadre de ce large mouvement social que nous avons connu après le départ de Jean-Claude Duvalier, une association a pris naissance à Vallue, l’Association des paysans de Vallue (APV), qui a reçu en 1989 le statut d’Organisation Non Gouvernementale (ONG). Dans un article publié dans ce journal, j’ai tenté d’énumérer les grandes réalisations de l’association au cours de ses 30 ans d’existence (voir La 3ème édition du festival Eco-montagne, HEM Vol. 29 # 30 du 12-18/08/2015), je ne vais donc pas revenir là-dessus, je voudrais plutôt insister sur ce qui fait de l’APV une institution spéciale.

En effet, l’APV ne se contente pas de tenter d’apporter des solutions aux problèmes auxquels ses membres sont confrontés quotidiennement, elle tente aussi d’aborder des domaines qui peuvent éventuellement conduire à des changements radicaux dans les conditions de vie de la population. Il s’agit en l’occurrence de deux orientations qui touchent certes le domaine de l’économie mais peuvent avoir des conséquences positives sur l’environnement.

La première est l’option en faveur de l’éco-tourisme, vu certes comme un moyen de créer de nouvelles sources de revenus, mais qui suppose en même temps une attitude de protection et de conservation du patrimoine naturel et culturel. A titre indicatif, je citerai simplement les titres de deux articles que j’ai eu à publier et qui font bien voir la problématique abordée dans certaines des manifes-tations de l’APV : La 5ème édition de la Foire de la Montagne, in : HEM Vol. 26 # 48 du 19-25/12/2012 et La 3ème édition du festival Eco-montagne, in : HEM Vol. 29 # 30 du 12-18/08/2015.

La seconde orientation est l’option en faveur de la protection de la montagne, non plus simplement de l’environnement d’une manière générale, mais spécifiquement de la montagne. Et cette option aboutit à la décision de créer un « code de la montagne ». Vous me direz qu’il a y une bonne dose d’outrecuidance chez cette bande de paysans qui prétend s’engager dans la rédaction d’un code qui doit en principe s’appliquer partout où il y a de la montagne, autrement dit dans les deux tiers du pays.

Peut-être, mais en tout cas, lors d’un premier congrès, les participants ont signé une « Déclaration de Vallue » qui est un appel en faveur de la création de ce code. C’était en 2007. L’année suivante, la zone goâvienne a été frappée par ce quadrige de cyclones qui avaient noms Fay, Gustav Hanna et Ike ; et deux ans après c’était le tremblement de terre ! Toutes ces catastrophes ont évidemment eu le don de mettre la pagaille dans les programmations. Quoiqu’il en soit, en 2011, soit du 4 au 6 mai, l’APV a organise son troisième Congrès de la Montagne, sous le thème : Agriculture de montagne et gestion des risques : enjeux, contraintes et opportunités ? Il en est sorti une DECLARATION DE VALLUE SUR LA VIABILITE DE L’AGRICULTURE DE MONTAGNE.

Aujourd’hui nous voulons parler du IVème Congrès de la Montagne, qui s’est donc tenu dix ans après le premier et d’où est sorti une Mise à jour de la Déclaration de Vallue comme base de travail reconnue et approuvée par les participants au IVe Congrès de la Montagne pour les espaces de montagne de la région des Palmes, Haïti.

On aura remarqué que la déclaration fait toujours référence à Vallue mais qu’elle étend ses « compétences » à la « région des Palmes », autrement dit aux quatre communes de Gressier, Léogane, Grand Goâve et Petit Goâve. Car il s’est passé quelque chose au niveau de ces quatre communes et cela pourrait permettre à cette idée de code de la montagne de faire un grand pas en avant. Ce sont ces changements que nous essayerons de faire comprendre dans les prochaines semaines.


lundi 20 mars 2017

LES CENTRES DE CROISSANCE-DEVELOPPEMENT

Les centres de croissance-développement
Bernard Ethéart
Lundi 20 mars 2017

Dans la série que j’ai entamée il y a maintenant six semaines, j’ai par deux fois abordé le thème des fonctions de l’agriculture et chaque fois j’en ai retenu deux :
-          la production alimentaire pour satisfaire aux besoins de la population,
-          la création d’emplois pour la population des zones rurales (voir Quelques exemples, HEM Vol 31 # 08 du 08-14/03/2017 et Le virage, HEM Vol. 31 # 09 du 15 au 21/03/2017).
Il en est cependant une autre, que l’on ne saurait oublier, car elle est de la plus haute importance pour le développement économique, c’est la fonction de production de matière première pour l’industrie. On ne saurait l’oublier, en effet, puisque durant la période coloniale, ce n’est pas le fait de faire pousser de la canne, mais bien la transformation du jus de la canne en sucre qui a fait la fortune sinon de la colonie dans son ensemble, au moins des propriétaires de moulins et surtout des négociants français.
Sans vouloir trop nous étendre sur le sujet, rappelons que la transformation industrielle du jus de la canne a disparu dans la tourmente révolutionnaire et a laissé la place à des pratiques artisanales de production de sirop, de rapadou et de clairin. Durant le dernier quart du 19ème on verra réapparaitre les petites usines sucrières qui seront éliminées par la grande centrale sucrière à partir de l’occupation.
Je me fais violence pour arrêter à ce point car, quand il s’agit de la transformation de la canne-à-sucre je peux devenir intarissable. Dans notre histoire, nous avons connu deux autres produits de notre agriculture qui ont été matière première industrielle, mais cette fois pas pour l’agro-industrie. Je pense à la pite et au caoutchouc.
L’histoire de la pite commence avec l’occupation, quand l’État Haïtien encouragea l’installation d’une entreprise de production de pite dans la partie Est de la vaste Plaine du Nord en mettant à sa disposition une vaste étendue de terre. Ce fut un énorme succès ; la Plantation Dauphin était la plus grande exploitation de pite au monde. Une trentaine d’années plus tard, la pite ne présentait plus le même intérêt et Dauphin fut tout simplement fermé.
Pour le caoutchouc je suis moins bien informé. Je sais que la plantation de « kòn kabrit » fut présentée, sous la Présidence d’Élie Lescot comme la participation d’Haïti à « l’effort de guerre », que, comme pour la pite, elle a été la cause de grandes injustices vis-à-vis des paysans dont les terres furent confisquées, mais en 1946 la guerre était finie et les plantations indonésiennes de caoutchouc, que les Japonais avaient pratiquement confisquées, étaient de nouveau accessibles, donc plus besoin de caoutchouc haïtien.
On aura remarqué que dans les trois cas que nous venons de voir, il y a deux caractéristiques qui rappellent beaucoup ce qu’on nous fait miroiter comme « la formule » : les capitaux viennent de l’extérieur et le marché ciblé est aussi situé à l’extérieur. Cela fait penser à la fameuse phrase « Haiti is open for business » qui s’adresse aux tenants des capitaux ; cela rappelle aussi le principe des avantages comparatifs dont la proximité du grand marché nord-américain. Mais cela doit aussi nous rappeler les dangers que nous fait courir une telle dépendance.
Ce sont toutes ces considérations qui nous invitent à faire certains choix quand nous parlons de développer un secteur industriel à partir de matières premières venant de l’agriculture.
Un premier choix consiste à donner la priorité à l’agro-industrie, car, encore une fois, n’oublions pas que nous avons une population à nourrir. Un second choix est celui de mettre sur pied des entreprises de transformation, certes modernes, mais d’une taille et d’un niveau de complexité gérable à notre niveau. Un troisième choix est évidemment de viser, en premier lieu, le marché local.
On me permettra de faire un retour en arrière et de rappeler le Plaidoyer pour la refondation de l’État d’Haïti selon une vision haïtienne publié par la FONHDILAC (Fondation Haïtienne pour le Développement Intégral Latino-Américain et Caraïbéen) quelque trois semaines après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Nous y avions proposé au niveau de chaque arrondissement  ce que nous avons appelé un centre de croissance-développement qui serait doté d’équipements dans les domaines :
·         de l’éducation : écoles, lycées voire universités ;
·         de la santé : centres de soins d’urgence, dispensaires, hôpitaux ;
·         de l’approvisionnement en services de base : eau, énergie, communication ;
·         de l’administration publique : complexes administratifs dignes de ce nom, de manière à ce qu’on ne soit pas obligé de se rendre à Port-au-Prince pour la moindre démarche ...
Mais, il ne s’agissait pas de s’arrêter aux équipements car « pour nous, l’important est le développement des filières agricoles ». Nous ne nous sommes, à l’époque, pas étendus sur ce point, mais l’idée était que, à partir de l’identification des ressources au niveau de chacun de chaque arrondissement, des efforts seraient entrepris pour lancer des activités autour de leur exploitation (production et transformation).
C’est ce qui explique que, quand le PNUD entreprit d’organiser, avec le Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI), une série d’ateliers (un dans chaque département, sauf l’Ouest qui en a eu deux) pour l’identification et la systématisation des produits locaux dans une perspective d’amélioration de la qualité et de la commercialisation de ceux-ci, la FONHDILAC ne pouvait rester indifférente. L’identification des ressources locales est en effet le point de départ d’un centre de croissance-développement ; nous avons donc participé au programme en assurant la logistique, soit en tant que FONHDILAC, pour l’atelier du Nord-Est, à Fort Liberté, soit à travers une institution membre de la FONHDILAC : Hydrotech pour l’atelier du Centre, à Hinche, CEHPAPE et FONDTAH pour les ateliers de l’Ouest, à Petit Goâve et à Port-au-Prince (voir Identification et Systématisation des Produits Locaux, HEM Vol. 26 # 50 du 02-08/01/2013).



lundi 13 mars 2017

LE VIRAGE


LE VIRAGE
Bernard Etheart
13 Mars 3017

Cela fait maintenant plus d’un mois que je me suis aventuré à écrire sur un thème qui n’est vraiment pas ma spécialité : l’économie (voir HEM Vol. 31 # 04 à 08). Vous me demanderez quelle mouche m’a piqué et j’ai envie de vous répondre avec cette fameuse phrase du « Tigre », je veux parler de George Clémenceau, Président du Conseil (Premier Ministre) en France durant les dernières années de la « Grande Guerre » (1914-1918), qui affirmait : « La guerre est une chose trop importante pour être confiée à des militaires ». Dans notre cas on aurait juste besoin d’une petite modification : l’économie est une chose trop importante pour être confiée à des économistes.

Mais, cette petite impertinence mise à part, voyons quel est le fond du problème. Eh bien, c’est tout simplement que, en dépit de toutes les aides en paroles et en espèces sonnantes et trébuchantes, l’économie haïtienne continue sa descente infernale vers l’abîme et les conditions de vie de la grande majorité de la population ne cessent de se détériorer. Comme dirait Hamlet, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le royaume et il s’agirait de voir de quoi il s’agit et ce qu’il faut changer. C’est dans ce sens que j’ai parlé d’une « nouvelle politique économique » (voir Une nouvelle politique économique, pour un nouveau gouvernement, HEM Vol. 31 # 04 du 08-14/02/2017) et d’un « nouveau paradigme » (voir Un nouveau paradigme ( ! ?), HEM Vol. 31 # 5 du 15-21/02/2017).

Dans ce second article j‘avais exposé l’opposition entre les deux projets de société en compétition au moment de la création de l’État d’Haïti : « voie démocratique paysanne » et « voie aristocratique terrienne », et j’avais terminé en disant que c’était cette dernière qui l’avait emporté, compte tenu de la catégorie sociale qui était arrivée à monopoliser le pouvoir (voir Un nouveau paradigme ( ! ?), HEM Vol. 31 # 5 du 15-21/02/2017).

Identifier et donner un nom aux faits sociaux est une chose, mais encore faut-il bien comprendre ce qui se cache derrière ce nom. Dans le cas de la « voie aristocratique terrienne », l’idée centrale est que c’est le commerce des denrées tropicales qui avait fait la richesse de la colonie de Saint Domingue (ceci est encore à voir) et, que si on veut assurer la richesse du nouvel État, il faut relancer cette exportation de denrées tropicales, car c’est elle qui va faire entrer l’argent du blanc dans nos caisses.

Cette idée remonte au moins au Précurseur, Toussaint Louverture, mais on la retrouve tout au long de notre histoire. Je veux en donner deux exemples. Quand Salomon prit sa loi de 1883 qui prévoyait la distribution de terres de l’Etat à des paysans, il fut explicitement stipulé qu’une importante proportion de la parcelle attribuée devait être destinée à la production de denrées d’exportation. 55 ans plus tard, la loi de mars 1938 sur les colonies agricoles prévoyait que les parcelles distribuées aux familles devaient produire « à la fois des vivres alimentaires et des articles d’exportation ».

Je voudrais essayer d’imaginer un autre paradigme, mais avant tout je veux dire clairement quels sont les objectifs que nous fixons pour notre agriculture :
-          Le premier est la production alimentaire pour satisfaire aux besoins de la population haïtienne. Nous devons sortir de cette situation où notre agriculture produit moins de la moitié de ce que nous consommons.
-          Le second est la création d’emplois en milieu rural avec entre autres buts, celui de réduire cet exode rural qui est à l’origine du profond déséquilibre démographique que nous connaissons aujourd’hui.

Je sais que ce deuxième objectif va à l’encontre des propositions que nous font les grands esprits, à savoir vider les campagnes de leurs habitants et parquer tout le monde dans des parcs industriels, mais rien que d’y penser, je reviens à cette formulation de Chavannes Jean-Baptiste, que j’ai déjà citée, quand il parle d’un projet de « recolonisation » du pays (voir Le salut dans l’agriculture ?, HEM Vol. 31 # 06 du22-28/02/2017).

Venons-en au grand argument économique à savoir que les exportations sont sources de richesse car ce sont elles qui font rentrer les devises dans le pays. Sur ce point j’ai deux remarques.

La première est que les exportations ne font pas rentrer les devises dans le pays, elles les font entrer dans la poche des exportateurs. C’est comme quand on parle de la richesse de la colonie de Saint Domingue. Saint Domingue n’était pas riche ; la majorité de la population vivait même dans des conditions exécrables : ils étaient esclaves. Les riches c’étaient les colons, mais surtout les négociants des grands ports français qui recevaient les bateaux arrivant des Antilles.

La seconde remarque est que nous avons une autre source de rentrées de devises, et qui aujourd’hui est plus importante que toute l’assistance que nous pouvons recevoir des généreux bailleurs de fonds (savez-vous comment on les appelle dans le peuple ? « baryè de fon » pas mal non ?), je veux parler de ce qu’on appelle, je crois, les « rémittences », autrement dit les transferts de la diaspora. L’avantage de ces fonds est qu’ils ne sont pas directement captés par les requins de bord de mer ; ils sont envoyés à des particuliers qui les utilisent selon leurs besoins, y compris pour acheter de la nourriture.

Il suffit donc de mener une politique qui facilite l’accès des consommateurs aux produits locaux et nous aurons une « exportation différenciée » mais dont les profits iront directement au producteur lequel pourra alors devenir consommateur de produits manufacturés éventuellement produits localement.

Je sais, vous allez vous moquer de mon « il suffit de … » ; je ne me fais pas d’illusions ; je sais qu’il sera très difficile d’amener les consommateurs à faire machine arrière en ce qui concerne les mauvaises habitudes de consommation qu’ils ont acquises durant ces trente dernières années. Mais cela devra faire partie d’une vaste campagne de revalorisation de nos us et coutumes, en un mot, de notre culture. Je crois avoir décelé des indices favorables à ce changement, aussi je ne désespère pas de nous voir prendre ce virage.
Bernard Ethéart

Lundi 13 mars 2017

vendredi 27 janvier 2017

ENTRE RIVALITES, INCONNUES ET MENACES, L'ANNEE 2017 RISQUE D'ETRE CHAUDE A L'INTERNATIONAL


Entre rivalités, inconnues et menaces, l’année 2017 risque d’être chaude à l’international

Fernando ESTIME 

24 janvier 2017, 10:50 catégorie: Tribune4 204 vue(s) A+ / A-
L’année 2017 ne s’annonce pas radieuse à l’international, que ce soit d’un point de vue politique ou économique. Entre les menaces d’attentats commandités ou inspirés par l’État islamique et acolytes, la lutte contre cette même organisation en Syrie et en Irak, la montée des droites nationalistes, les nouvelles orientations géostratégiques de l’administration Trump, la rivalité Chine-USA, une économie mondiale poussive sans oublier des conflits latents en Palestine, au Yémen et en Afghanistan. De fait, entre rivalités, inconnues et menaces, l’année 2017 risque d’être chaude à l’international.
L’inconnue majeure de cette année 2017 est l’orientation géopolitique et géostratégique de la nouvelle administration américaine. N’étant qu’à ses débuts, on ne peut se faire une idée que par les premiers signaux émis et le moins que l’on puisse dire c’est plus « Western » que « Broadway ». En effet, mis à part Reince Preibus, la tête d’affiche de la « Dream Team » à la sauce Trump est constituée de Généraux, d’hommes d’affaires multimillionnaires qui se trouvent être ses amis ou des membres de sa famille et des pointus de l’ultra droite. Autant dire que ce n’est pas fait pour assurer des acteurs en dehors de la « Trumposphère ». Et ce n’est certainement pas sa vision de l’OTAN que le Président juge obsolète, le Brexit dont il se félicite, son protectionnisme affiché et les propos peu diplomatiques et certaines fois impolis qu’il porte sur des dirigeants de pays alliés qui sont de nature à rassurer à Varsovie, à Berlin, à Bruxelles, à Paris ou à Mexico. Autant dire Présidence Trump, dans les grandes capitales, on croise les doigts et on jugera sur pièce.
Autre inconnue de 2017 est la relation Trump-Poutine et au-delà la relation entre les deux puissances géostratégiques. Sous surveillance étroite des démocrates et d’une bonne frange républicaine comme les sénateurs Lindsey Graham, Marco Rubio et John McCain, le président Trump n’aura peut-être pas le loisir de se la jouer copain-copain avec l’homme fort du Kremlin. Pour revenir au président Poutine, en 2016 en bon joueur d’échec avec un sens du timing aiguisé, il a pu avancer ses pions et pousser son agenda avec une habileté extraordinaire tenant compte de la puissance économique objectivement faible de la Fédération de Russie. Poutine est peut-être brutal, mais c’est un fin stratège qui a une vision à long terme de son pays : il veut que la Russie soit respectée. Cette vision est partagée par une majorité de sa population qui s’est sentie humiliée durant la présidence de Boris Eltsine par les Occidentaux et trouve dans le camarade Vladimir, un homme fort de nature à donner toute sa grandeur à la Russie. En outre, Vladimirovitch Poutine dispose d’un autre avantage considérable, il est le seul dirigeant d’une grande puissance à penser qu’il sera au pouvoir en 2024, donc de son point de vue, le temps joue pour lui.
Sur la Syrie, Poutine est en train de réussir un coup de maître, imposer une « Paix Russe » en Syrie ou tout au plus sur la Syrie dite « utile », c’est-adire les grandes villes côtières d’Alep, en passant par Damas jusqu’au fief alaouite où la Russie dispose d’une importante base navale, la seule qu’elle a dans cette région importante qu’est la Méditerranée. Il est utile de rappeler que la timidité des puissances occidentales lui a facilité son coup, lui qui a bien pris le soin d’organiser des fiançailles de raison avec le président turc Erdogan. Car ce dernier, vilipendé en occident en raison de la répression brutale de ses opposants, a trouvé en Poutine un homme qui lui ressemble. D’autant plus que la crainte suprême du président Erdogan est de voir se constituer à sa frontière une entité kurde. Au final, Erdogan se dit que Bachar El-Assad est peut-être un « salopard », mais ce sera de toute manière mieux qu’un État kurde à sa porte alors qu’il est en guerre contre une rébellion indépendantiste kurde en Turquie.
Une autre grande inconnue géostratégique de 2017 sera la relation sinoaméricaine. En effet, Donald Trump a déjà franchi une ligne rouge aux yeux de Pékin en acceptant de s’entretenir au téléphone avec la présidente de Taïwan, province rebelle aux yeux de la Chine populaire. Entre les présidents Trump et Xi, on est déjà parti pour un « No love lost », d’autant plus que ce ne sont pas les sujets de discordes qui manquent. En effet, il y en a un paquet : des disputes territoriales en mer de Chine, l’explosion des dépenses militaires chinoises et la modernisation accrue de son armée avec pour objectif avoué de rivaliser les Américains dans le Pacifique ; sans oublier les menaces de guerre commerciale de Trump et sa volonté d’imposer de lourdes taxes aux produits chinois dans le cadre d’une politique protectionniste assumée. On semble parti pour un sérieux bras de fer entre les administrations américaine et chinoise. Mais dorénavant, Trump est prévenu, les Chinois ne se laisseront pas marcher sur les pieds, car ce n’est pas le genre de la maison. L’empire du Milieu ne se laissera pas faire. De fait, cela risque de chauffer dans le Pacifique et en mer de Chine du Sud. À Davos, le président chinois a donné un avant-goût en faisant la leçon à Trump. En effet, le président de la République populaire de Chine, qui se trouve être également le secrétaire général du Parti communiste, l’un des 5 pays encore officiellement communistes donc, s’est posé comme le défenseur du libre échange et a tiré à boulet rouge sur Trump et sa politique protectionniste. Il y va sans dire que le décor est planté. La Chine attend Trump la main sur la gâchette.
En Haïti, le président Jovenel Moïse présidera pour les 5 prochaines années la destinée d’un pays en urgence chirurgicale où tout est à reconstruire. Le nouveau gouvernement va récupérer un pays qui vient de perdre plus de 20 % de son PIB en raison de la tempête Matthew alors qu’Haïti se relevait déjà difficilement des dégâts du séisme de 2010. Pour ne rien arranger, la monnaie nationale est en train véritablement de devenir un « Zorèy Bourik ». En effet, il faut près de 70 gourdes pour acheter 1 dollar américain. Quid du fonctionnaire qui a le même salaire de 25 000 gourdes qu’il avait en 2012 ? La réponse est simple, il a perdu 50 % de son pouvoir d’achat. Certains me diront au moins, il lui reste encore du pouvoir d’achat contrairement au 70 % de la population qui vivent en dessous du seuil de pauvreté de 2 dollars américains par jour. Comme dit le dicton « chen grangou pa jwe », donc de facto le nouveau gouvernement n’aura pas d’état de grâce. Comme quoi, les mauvaises nouvelles déjà reçues ne suffisaient pas, il fallait donc ajouter une autre, Haïti avec tous ses problèmes aura une croissance négative de -0.6 % cette année. Autant dire que la migration de nos jeunes vers le Chili, le Brésil avant la tentative coûteuse et périlleuse d’atteindre l’eldorado USA n’est pas prêt de s’achever.
D’un point de vue économique, le dernier rapport sur les perspectives de l’économie mondiale du Fonds monétaire international présenté le 16 janvier 2017 ne projette pas une année reluisante. En effet, le FMI prévoit une croissance mondiale modérée de l’ordre de 3.4 % et que sa dynamique évolue ; et donc de fait, les prévisions risquent encore d’être révisées à la baisse. La croissance chinoise qui pèsera sur de nombreux autres pays, notamment les pays émergents et les pays en développement qui exportent des produits de base devraient se situer en 6 et 6.5 % en 2017. Cette croissance sera de l’ordre de 1.6 % dans la zone euro et de l’ordre de 4.5 % dans les pays émergents et en développement.
Avec les sorties de récession russe et brésilienne et un sursaut américain, la croissance mondiale sera donc plus forte en 2017. L’essentiel du rebond tient à l’amélioration des perspectives économiques chez certains grands pays émergents et la prévision d’une croissance plus robuste aux États-Unis. En effet, les réductions d’impôts et le plan de relance massif dans les infrastructures promises par l’administration Trump devraient tirer vers le haut la croissance américaine, selon les prévisions du FMI, qui sera de 2.3 % en 2017 et 2.5 % en 2018. Mais l’institution de Bretton Woods prévient immédiatement que les facteurs de risques et de vulnérabilités susceptibles de faire dérailler ces prévisions sont légions à commencer par un regain de protectionnisme notamment aux États- Unis et les niveaux de dettes publiques et privées élevés dans certains pays importants, le flou qui entoure le Brexit… Comme l’a si bien rappelé le chef économiste du FMI, le très respecté, Maurice Obstfeld : « la seule certitude est que l’incertitude a augmenté ». 2017, on y est, autant croiser les doigts et espérer le meilleur.
Fernando ESTIME
Politologue, spécialiste des
Relations internationales
Professeur, Directeur de
Recherche à la LIDGA

lundi 9 janvier 2017

Une analyse en profondeur de l’échec des partis politiques face à Jovenel Moise.

Une analyse en profondeur de l’échec des partis politiques face à Jovenel Moise.
Reynald Orival
7 Janvier 2017
Quel est l’objectif d’un parti politique ou un groupe allié de partis politiques ? C’est évidemment la prise du pouvoir pour appliquer un programme politique qui vise à faire avancer un pays sur les plans politique, économique, social, éducatif, scientifique, etc. La prise du pouvoir peut se faire aussi dans le but de tirer des profits socio-économiques par un clan, par une famille ou des corrompus alliés au détriment de la grande majorité.
Dans un système démocratique, les élections sont organisées afin de renouveler le personnel politique pour une durée déterminée par la loi. Le processus électoral est régi également par des lois et l’une des lois fondamentales : toujours un gagnant et un ou des perdants.
Par suite de libérations du bureau de contentieux électoral national (BCEN) après l’analyse des demandes des trois partis contestataires des élections du 20 novembre 2015, le conseil électoral provisoire a proclamé avant hier l’entrepreneur Jovenel Moise, “nèg bannan”, vainqueur des dernières élections présidentielles avec un score de 55,60 % .
Pourquoi le groupe des huit partis réunis avait perdu la bataille pour la prise du pouvoir ? Qu’en est il du groupe des trois, Lapeh, Pitit Dessalines, Fanmi Lavalas? Dans Marc 3 verset 24, lit-on dans la Sainte Bible, que si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut subsister.
- La division au sein des partis alliés (le groupe des huit) est un premier élément qui explique la victoire de Jovenel Moise.
Aux élections d’octobre 2015, Jude de Lapeh croyait qu’il arrivait en première position à la place de Jovenel. Jean Charles Moise de Pitit Dessalines et Marise du fanmi lavalas croyaient que les élections étaient truquées. Dans leur subconscience, ils étaient aussi des gagnants. Une conjoncture de mécontentements les avait forcés à se réunir autour d’une table de concertation pour adresser leurs griefs.
a) Dans le fond des choses, ils n’étaient pas sincères entre eux-mêmes. Moise Jean Charles, dans une station de radio de la capitale, avait déclaré qu’il ne soutenait pas Jude Célestin dans toute éventualité d’un second tour entre Jovenel Moise car il pense que Jude Célestin était de même plumage que Jovenel Moise : deux éléments de la classe politique traditionnelle.
b) Quant à Maryse Narcisse de Fanmi Lavalas, elle faisait cavalier seul en portant ses revendications devant la première version du BCEN. Elle comptait absolument sur la popularité de l’ex-président Jean Bertrand Aristide. Une popularité qui est maintenant en chute libre.
c) Les six autres partis du groupe huit figuraient comme des éléments de renforcement sans grande valeur réelle. L’homme fort de la situation était Jude Célestin puisqu’il arrivait en seconde position pour un second tour. Renforcé par la présence de sept autres partis politiques, il avait tout basculé pour changer les données : nouveau gouvernement et nouvelle institution électorale.
d) Un regroupement de partis politiques unifiés dans l’apparence et très divisés dans le fond jouait en faveur de Jovenel qui gardait son sang froid et accordait plus d’importance à une campagne moderne ou il continuait à vendre sa vision: l’eau, (les rivières), le soleil, les hommes pour la relance de l’agriculture en Haïti avec un slogan: améliorer, corriger et innover.
e) En dernier lieu, une bataille de trois contre un allait, malgré les nombreuses protestations, en faveur de Jovenel Moise. Ce dernier est déclaré le gagnant des dernières élections du 20 novembre 2016. Une mauvaise leçon de la division ! Une grande victoire grâce à la division des opposants. Et comme disait la chanson de l’orchestre Tropical : “Tou sa ki pa bon pou yonn li bon pou yon lòt”, ils ont fait dans leur égoïste la victoire sans équivoque de Jovenel Moise.
- Une stratégie de campagne moderne
Une campagne moderne avec les nouvelles technologies de l’information et des communications, une présence très visible dans la presse haïtienne, une équipe de campagne très dynamique avec l’aide d’un spécialiste international renforçaient la chance de Jovenel Moise de gagner les élections même s’il fallait refaire les élections plus de trois fois.
- Un langage de communication très simple.
Comme il parlait avec son franc cœur d’entrepreneur qui est loin d’être d’un politicien faisant traditionnellement des promesses fabuleuses dans les campagnes électorales pour séduire l’électorat, Jovenel vendait sa vision de “nèg bannan” comme s’il demandait à la population sa chance d’expérimenter son savoir, sa vision et sa détermination de changer Haïti en un vaste champ d’activité économique comme il a fait avec les terres abandonnées de Caracol. Dans ses interventions à la radio, il n’avait jamais critiqué ou dires des médisances sur ses compétiteurs. Il les avait souvent appelés des compétiteurs et non des adversaires. Il prêchait toujours un langage d’abnégation, de respect, de réconciliation et de participation de tous les secteurs du pays. Dans le camp des compétiteurs, c’est pourtant le dénigrement, les dénonciations et les accusations qui étaient leur cheval de bataille dans les émissions des stations de Radios et de Télévisions du pays. Une stratégie sur laquelle ils misaient beaucoup pour acculer Jovenel Moise: Leur principal adversaire ou compétiteur en oubliant qu’ils étaient aussi dans la bataille pour la même position.
Une attitude qui apportait de l’eau au moulin de Jovenel Moise. Ses poignets de main cordiale aux supporteurs de Jude Célestin qui s’apprêtaient à le chahuter avaient créé plutôt de l’admiration chez certains. L’absence des autres compétiteurs dans le débat organisé par le secteur économique avait permis aux indécis de se balancer dans le camp de Jovenel. Une autre répétition (cette fois-ci en douceur) de l’action d’Henry Christophe de ne pas abandonner la ville à l’ennemi.
- Une mobilité sur le terrain
Disposant de grands moyens économiques que ses adversaires unifiés en apparence très divisés dans le fond, Jovenel Moise était le candidat qui arrivait à parcourir tous les grands quartiers, toutes les sections communales, toutes les villes du pays pour vendre à la population sa vision et sa grande détermination à vouloir changer les choses en Haïti. Ses propres moyens économiques et l’aide de ses supporteurs/ alliés venant de plusieurs secteurs de la société civile avaient donné à Jovenel Moise un avantage considérable sur ses compétiteurs. Ces derniers étaient limités dans ses déplacements pour raison économique.
- Un héritage du PHTK de l’ex-président Michel Martelly
Les compétiteurs de Jovenel Moise avaient voulu lui rendre la vie difficile, voire impossible, du fait qu’il fut choisi par l’ex-président Michel Martelly. Dans un premier temps, ses détracteurs le faisaient passer pour un gérant de la plantation de banane de Michel Martelly. Un quidam de la province sans une bonne éducation. C’est un inconnu de la politique haïtienne, disaient-ils. Il n’a jamais milité sur le béton (les incessantes manifestations de rue). On voyait en lui le prolongement de la gouvernance de l’ex-président Michel Martely, tant décriée par l’opposition des partis politiques non alliés. Tournant le négatif en positif, Jovenel Moise a su profiter du mot “nèg bannan” que ses adversaires/compétiteurs avaient utilisé dans un sens péjoratif pour le critiquer, le diminuer. Un nom qu’il avait assumé avec élégance et qui devenait un slogan fort. Cela lui avait permis de s’identifier à la classe des paysans. Un atout majeur qui lui avait valu beaucoup de votes dans cette tranche de la population. Là encore la Bible a raison de dire “la pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle”…
- Un modèle de famille réussie
Dans l’histoire du passé politique haïtien, pour occuper une haute position dans l’administration publique, il faudrait être un homme ou une femme marié et avoir un foyer convenable et solide. Du directeur du Lycée national au président de la République, il fut un temps jusqu’à François Duvalier, les cadres supérieurs ou directeurs de l’administration publique étaient obligés de respecter ce simple noble principe : hommes ou femmes mariés. C’était l’étiquette même de notre société.
Pour certains, Jovenel Moise offrait un retour vers les valeurs morales et sociales ou la famille est un rempart solide de la société. Un modèle de couple de 23 ans de mariage à suivre qui croit dans l’avenir du pays en éduquant et élevant ses enfants avec une femme responsable en Haïti. Un autre atout qui jouait en faveur de Jovenel Moise.
Si aujourd’hui l’entrepreneur Jovenel Moise (le Dumarsais Estimé du temps moderne, pour plus d’un) a gagné les élections, ce n’est pas la victoire définitive. C’est plutôt le commencement d’une grande bataille contre la corruption généralisée, l’injustice normalisée et le taux très élevé de chômage dans tout le pays et une consommation excessive des produits alimentaires venant de l’extérieur.
J’espère que le nouveau président Jovenel Moise élu aura l’intelligence et la capacité de choisir des hommes intègres, aimant réellement Haïti et valables, pour faire parti de son équipe. Car le tambour après le bal sera extrêmement lourd pour un mandat de cinq ans.
Quand aux 190 partis politiques enregistrés et reconnus par l’état haïtien, le moment est venu de faire la politique une autre façon, plus moderne, en vous regardant dans un miroir d’audit et de la conscience pour revoir la façon rétrograde que vous utilisez, depuis 1986, pour continuer à mener la barque du pays vers la mauvaise direction. Celle des Duvalier était mauvaise c’est pour cela que le brave peuple, en 1986, avait mis fin à ce règne des tontons macoutes.
Aujourd’hui, cette affaire de réunir cinq ou dix personnes autour d’une table ou sous un “poto elektrik” pour créer un parti politique doit être mise dans dans les annales de l’histoire. Offrons plutôt aux pays cinq grands partis politiques, bien organisés avec des membres endocrinés et éduqués dans une vision diversifiée de développement économique, social, culturel pour que le pays connaisse un lendemain meilleur.
Et aux prochaines élections de 2022, le taux de participation des électeurs pourra passer de 21% à plus de 80%. Et rétablir la confiance des électeurs ! Qu’en dites-vous les politiciens des partis politiques ?

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