jeudi 15 avril 2010

Le salut d’Haïti passe par l’émergence d’un Etat Stratège

Le salut d’Haïti passe par l’émergence d’un Etat Stratège

Par Guichard DORE

15 avril 2010

Les pays comprennent, depuis une quinzaine d’années, qu’au-delà des questions d’école et de culture générationnelle, l’Etat ne peut plus se contenter d’être un Etat d’exécution, il doit être un Etat de mission. Les politiques de la décentralisation et le renforcement de la territorialisation de l’action étatique, à travers les instances déconcentrées, sont révélateurs de la nouvelle manière d’aborder et de traiter les questions centrales d’intérêt public que ce soit dans les champs économique, social et culturel. La coopération décentralisée propulsée dans le domaine de la coopération au développement et le contrat-plan signé entre l’Etat et les Collectivités Territoriales n’y sont donc pas pour rien, ils traduisent le changement qui s’est opéré dans les rapports territoriaux et dans les relations entre les puissances publiques. Avec la fin des blocs Est/Ouest suivie de la montée de la mondovision qui emporte les frontières nationales, si l’Etat n’est pas stratège, il est appelé à disparaître. La mise en place d’un Etat stratège est impérative si l’on veut accompagner le développement socioéconomique en vue d’assurer le développement politique.

Obtenir des résultats des principaux moteurs de la croissance ne peut se faire sans la mise en œuvre d’une stratégie résultant d’une lecture plurielle et éclairée des divers paramètres conditionnant la santé économique d’un pays. Dans ce cas d’espèce, les stratèges décident parce qu’incarnant le long terme et les exécutants exécutent. Les stratèges sont dans une logique de mission et non d’exécution. Ils sont les premiers à comprendre que la stratégie est aussi importante pour le fonctionnement et la performance de l’action étatique que le sang l’est pour le corps. Un Etat dépourvu de stratégie est un Etat qui est inéluctablement désarmé et incapable d’appréhender les questions essentielles du futur. Si Haïti veut sortir de l’ornière du sous-développement et tarir les sources du financement de ses malheurs, elle doit adopter le modèle de l’Etat stratège. L’Etat Stratège peut être décliné en cinq outils opérationnels.

Un outil qui dépasse les solutions d’hier
La spécialisation sectorielle dans des pans de l’économie est l’option privilégiée par les nations qui veulent compter et exister dans le village planétaire. Un Etat qui se réfère à des solutions obsolètes, en se croyant pouvoir suivre le cours des évènements mondiaux, ne peut connaître que des crises récurrentes dans l’économie globalisée. Dans l’économie de la connaissance, les méthodes d’hier ne peuvent pas saisir les enjeux d’aujourd’hui et éclaircir l’avenir. Les pays, n’ayant pas de stratèges dans la conduite de leurs politiques publiques et réputés comme étant de grands visionnaires, sont en crise ou en faillite. Bon nombre de ces pays n’ont pas compris le phénomène d’accélération de l’histoire qui est l’une des conséquences de la mondialisation qui, elle-même, modifie complètement le rapport de l’homme avec le temps et l’espace. Les stratèges qui déterminent les politiques nationales et locales intègrent ce paramètre dans leurs grilles d’analyse évitant le péché de l’enferment tout en s’imprégnant de la culture de dépassement. L’Etat stratège récuse les solutions passéistes et valorise les solutions qui inventent et préparent l’avenir pour ne pas le subir. Loin de la sphère diachronique, les Etats, conscients de leur avenir, inscrivent leurs actions dans une logique prospective pour pouvoir avoir de bonnes perspectives d’avenir. C’est dans une vision stratégique de l’Etat que la logique de projet s’est longtemps substituée à la logique séquentielle dans le management public.

Tout changement porteur d’espérance, il n’est pas anodin de le rappeler ici, est piloté par des stratèges. Toute révolution dite tranquille qui vise à transformer positivement les conditions de vie ne peut être réalisée que par un Etat soucieux du long terme. L’Etat stratège se situe dans une perspective futuriste. En ce sens, les fruits espérés des opérations entreprises dans le cadre d’une démarche baptisée ‘’révolution tranquille’’ ne peuvent être déterminées et conduites que par un Etat qui fait du pilotage et prépare l’avenir, donc un Etat stratège. Il met la stratégie au cœur des politiques publiques tout en stimulant l’effort collectif. Dans cette optique, la révolution dite tranquille, si elle est bien conduite, apparaît comme une variante minimaliste et balbutiante de l’Etat stratège. L’Etat stratège, dans le cadre d’un contrat républicain, dépasse les phases balbutiantes et rachitiques parce qu’il a pour objectif d’améliorer durablement les conditions de vie de la population dans un contexte mondial où l’économie est l’ossature sur laquelle repose la structure politique.

Chaque âge économique correspond à un modèle organisationnel de la vie étatique. L’Etat stratège est le modèle organisationnel de la vie publique qui correspond à la globalisation de l’économie. Il est clair, pour toutes personnes averties, que les défis de la mondialisation ne peuvent pas être relevés avec des solutions passéistes et minimalistes conçues dans une époque où les frontières étaient idéologiquement et rigoureusement gardées et protégées. Recourir aux solutions des années 1960 -1970, ayant fait leurs preuves à une période où les frontières nationales étaient fermées, pour appréhender un phénomène nouveau à option ouverte et changeante c’est affirmer son incapacité inventive et imaginative tout en refusant de comprendre et de saisir le sens de l’histoire. Renoncer à comprendre, c’est décourager l’autre à apprendre.

Un outil au service de la République
Fraîchement sortie de la guerre civile, la République de la Côte d’Ivoire s’est engagée dans un processus de mise en place d’un Etat stratège. Depuis la prise du pouvoir par les libéraux au Sénégal, la vision stratégique de l’Etat sénégalais ne fait que renforcer. N’en déplaise aux théoriciens de la révolution tranquille, l’Etat stratège n’est pas l’apanage exclusif des pays riches. La stratégie se situe au cœur des politiques publiques des Républiques qui veulent assurer de meilleurs avenirs à leurs populations. L’Etat stratège est un puissant mécanisme permettant aux Républiques de mieux se situer et se positionner dans le processus de la globalisation. L’Etat stratège est fondamental pour les Républiques qui veulent avoir une bonne place dans le village planétaire où tous les dangers se mondialisent et toutes les opportunités sont présentes.

Un outil simple pour un Etat gestionnaire
L’Etat stratège est un Etat de mission, il se situe à l’antipode de l’Etat/pompier et de l’Etat supplétif. Son rôle est triple ; il doit anticiper et traiter les problèmes, apercevoir les opportunités et résorber les tensions et les conflits. L’Etat stratège c’est un Etat qui maîtrise son périmètre, fixe une vision de long terme, fait du pilotage en lieu et place de la tutelle. L’Etat stratège définit et identifie ses moyens financiers, fait de la contractualisation, possède des gestionnaires et administrateurs compétents au profil diversifié. L’État stratège signifie la co-construction des politiques publiques comme devant être le résultat d’une composition tripolaire à savoir l’État, le marché et la société civile. Cette dernière est multisectorielle et multipolaire. L’Etat stratège c’est un Etat qui divorce d’avec la culture d’annonce pour épouser la culture du résultat, il signe des contrats d’objectifs et détermine les indicateurs de performance et les critères d’évaluation des politiques publiques.

Un outil au service de la démocratie
Il y a trois préalables essentiels (Michel Clair : SEDNE) à une vision d’un État stratège qui co-construit les politiques publiques. D’abord, au niveau de la démocratie représentative, les partis politiques doivent accepter qu’ils ne sont plus les seuls à orienter les politiques publiques. Ensuite, la fonction publique doit changer son état d’esprit à l’égard de la contribution de la société civile en mettant de côté toute forme d’arrogance. Enfin, la société civile ne doit pas se prendre pour le gouvernement, ce qui produirait un détournement de la démocratie. Ces éléments sont essentiels au renforcement de l’adhésion des citoyens à la mise en œuvre de nouvelles politiques publiques et contribueront à la rapidité des changements et à leur pérennité. Il s’agit d’une manière d’exercer la démocratie représentative par le renforcement de la participation des différents acteurs de la société.

L’Etat républicain efficace, qui veut se prémunir des crises nuisibles pouvant mettre en péril sa cohésion interne, situe les démarches qu’il entreprend dans une logique cubique. Il cherche tous les moyens pour garantir la sécurité interne et externe de la nation et faire respecter la législation en vigueur (Etat régalien). Il doit assurer et préserver les droits fondamentaux imprescriptibles et inaliénables des concitoyens dans leurs expressions les plus consensuelles (Etat providence). Il doit être au service de la liberté collective tout en préparant le long terme (Etat stratège). L’adoption d’une vision stratégique au niveau de l’appareil de l’Etat vise à permettre à la sphère publique d’atteindre l’efficacité et remplir ses missions premières

Un outil explicatif au service du développement socioéconomique
La vision stratégique privilégiant l’économique sur le tout-politique s’oppose à un système étatique partisan de gré à gré ou les plus faibles n’auront pas droit de cité. Un pays ayant des moyens extrêmement limités, doit faire des choix stratégiques clairs. Ici, les planificateurs et les managers publics ont toutes leurs places. Haïti, tenant compte des expériences qu’elle a acquises au cours de ces deux dernières décennies, doit privilégier le développement socioéconomique accompagné d’un État stratège pour arriver à son développement politique.

Un État stratège, accompagnant le développement économique et social d’Haïti, permettra au pays de se doter des instruments juridiques et administratifs nécessaires facilitant les investissements et la circulation des biens et des capitaux dans le pays dans le cadre de l’économie globalisée. Si les dirigeants décident d’adopter cette ligne, il n’y aura pas de problème insurmontable, les nouvelles règles du jeu seront fixées et appliquées à tous.

L’État stratège ne vise pas à remplacer les individus ni à confisquer leurs droits à entreprendre. Il a pour vocation de libérer les énergies et le sens d’initiative des citoyens. Il doit créer les conditions pour permettre à chacun de concrétiser ses rêves, instaurer un système méritocratique et offrir des chances égales à tous.

L’État stratège ne peut être visible que dans un nouveau management public, dans la mise en place des pôles d’innovation, des pôles économiques de compétitivité, la territorialisation de l’action publique, la transformation du lien civique, de nouveaux rapports État/société, la revitalisation des liens privés, la construction d’un pacte futuriste de progrès pour tous, le respect des lois et de la propriété privée etc. L’État stratège peut faciliter les investissements de la diaspora dans les divers secteurs de l’économie nationale par la création des chambres consulaires dans les différents départements du pays pour aider les acteurs économiques dans leurs prises de décision (veille économique et stratégique, formation, information, conseil, détection des marchés et de débouchés etc.), par l’exécution d’une politique fiscale incitative, par la conduite d’une politique monétaire responsable, par le déverrouillage de l’accès au crédit, par la mise en œuvre d’une politique douanière garantissant les investissements réalisés sur le territoire national.

Depuis plus de 20 ans, les Haïtiens de toutes couleurs politiques, par leur action ou par leur mutisme, ont contribué au démantèlement du peu d’infrastructures que le pays s’est doté pour garantir son fonctionnement. L’État stratège, ayant des indicateurs de résultat et recourant à des outils performants pour évaluer les politiques publiques, saura faire régner la loi, la paix et l’intérêt national en vue d’arriver au développement politique tant souhaité. Il doit protéger, développer et assurer la viabilité du patrimoine économique du pays. L’inacceptable ne peut et ne saura accepter. L’ordre républicain sera respecté, les coupables seront condamnés et le progrès pour tous sera l’objectif à atteindre.

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