mardi 6 avril 2010

Reconstruire Haïti Rebâtir son Etat

Reconstruire Haïti Rebâtir son Etat
Dr Nicolas-L. Pauyo
20 Mars 2010

Haïti ! Il y a des centaines d'années
Que j'écris ce nom sur le sable
Et la mer toujours l'efface ...

Ces vers célèbres qui sont de René Dépestre montrent -on ne peut
plus clairement- la raison fondamentale pour laquelle Haïti a
toujours échoué durant ses plus de deux cents ans d'histoire.
Elle a échoué... parce qu'on a toujours écrit son nom ...dans le
sable. Il est normal que la mer l’ait toujours... effacé ! Il n’est
donc pas étonnant que beaucoup de décideurs internationaux soient
arrivés à penser, même avant 2010, qu’« Haïti est le cimetière des
bonnes intentions » ("Haïti, où les meilleures intentions échouent",
Donald Steinberg in Le Figaro,1er février 2010 )

Le Séisme du 12 Janvier 2010 qui a ravagé Port-au-Prince a extrêmement
compliqué cette situation et exacerbé le cadre clinique de ce menu
pays. Le nom d’Haïti a de nouveau été effacé…Désormais rien ne sera
plus le même dans cette terre. Désormais l’on se référera à l’histoire
d’Haïti en termes d’avant-séisme ou d’après-séisme, d’avant-cataclysme
ou de post-cataclysme, de pré-Désastre et d’après-Désastre tout comme
on parlait naguère du monde antédiluvien, du monde postdiluvien, de
l’Europe d’avant-guerre ou de l’Europe d’après-guerre. "Un séisme,
c’est la fin d’un monde, la perte des repères, un choc inimaginable…
Les cartes sont rebattues dans la société " comme le dit Pierre
Verluise. Et Laënnec Hurbon écrivant dans Le Monde découvre une
«Haïti, l'année zéro». Le 12 Janvier aura donc marqué la fin d’un
monde ou d’un système en Haïti et l’éclosion d’un autre système. Le
phénix haïtien va-t-il renaitre de ses cendres ?

Le Défi à relever

Encore récemment, c’est-à-dire avant l’hécatombe du 12 Janvier,
l’intelligentsia haïtienne était unanime à réclamer un Etat nouveau
pour le pays. Elle clamait sur tous les toits que l’Etat haïtien était
une entité en déliquescence, ou que l’Etat avait démissionné. Il y
avait alors une seule chose à rebâtir. Aujourd’hui, cependant, cette
intelligentsia plongée dans l’angoisse et l’inanition, constate que
l’Etat qui doit être rebâti est non seulement les structures
étatiques, les institutions de la Loi, de la Justice et de la
gouvernance, mais aussi des logements physiques pour l’Etat car celui-
ci, au lendemain du sinistre, dort dans la rue comme tout le monde,
est sans domicile fixe (SDF) comme tout le monde. Ce qui est nouveau
en 2010 est donc ceci : Il faut non seulement (re)bâtir l’Etat mais
aussi (re)construire sa maison.

Alors, comment sortir "Haïti: -Un Diamant dans la Boue" (titre du
dernier livre de Charles Joseph Charles), comment tirer Haiti de cette
fange où elle se trouve, de cet "antre pestilentiel", de cette
"perdition où nul ne peut séjourner une heure"? (Jean Théagène,
politologue) ou plutôt de ces décombres qu’a laissés le sinistre ?
Comment, après l’hécatombe, arracher le pays au sable mouvant de la
pauvreté et de l'indigence pour l'incruster dans le roc acéré du
développement durable ? Qui le fera ? Pourquoi vient-on aider en si
grand nombre ? Combien de temps faudra-t-il? Qui goûtera aux fruits
premiers de la récolte ? Quels sont les obstacles à prévoir et
comment les surmonter ? Que faire pour que la reconstruction d’Haïti,
de l’Etat haïtien et de la Nation haïtienne soit pour le bénéfice des
Haïtiens, même si l’étranger qui y a aidé doit jouir pour un temps
d’une certaine influence? Pour commencer, de quoi disposons-nous ?

Le Jour du Jugement

Le 12 Janvier en Haïti s’est révélé être un grand jour du jugement. En
quelques minutes tout le monde s’est aligné pour passer par-devant le
tribunal de l’histoire et de la Nature :
─Les anciens colons et autres envahisseurs parce qu’ils ont pillé,
déboisé puis abandonné Haïti tout en continuant à la maltraiter après
lui avoir imposé une Dette astronomique.
─Les Français en particulier qui à partir de 1749 ont fondé Port-au-
Prince sur une faille géologique en colère. Et les haïtiens qui en
ont fait la capitale du pays.
─Les gouvernements haïtiens, surtout celui de François Duvalier qui a
charrié tant de monde à Port-au-Prince à l’occasion de ses Fêtes
politiques tout simplement pour que ces braves paysans en guenille
viennent crier Vive ! et poser pour une belle photo publicitaire
démontrant aux puissances étrangères suspicieuses que le Leader était
populaire.
─Les gouvernements plus récents qui n’ont pas su rectifier le tir et
faire cette décentralisation qu’eux-mêmes prônaient tellement.
─Les puissances étrangères et les grands bailleurs de fonds
internationaux qui ont initié et financé des programmes d’ajustement
structurel et de sous-traitance qui ont drainé la paysannerie vers
Port-au-Prince sans investir dans les provinces, créant ainsi un
environnement fertile pour la pullulation des bidonvilles et
l’amoncellement de presque 3 millions de personnes à Port-au-Prince
pour que celles-ci aillent périr sous les décombres dans l’hécatombe
du 12 Janvier. Ces mêmes puissances ont braqué leur lifting néolibéral
qui a détruit le marché agricole haïtien et forcé la population à une
importation agricole pèpè dont le quartier général se trouverait
toujours à Port-au-Prince.
─Les Partis politiques enfin (puisqu’il nous faut clore la liste) en
ce sens qu’ils se sont montrés en dessous des attentes du peuple
longtemps avili et meurtri. Le Grand séisme les a tellement saccagés
qu’ils sont demeurés les derniers à se prononcer même des mois après
le désastre. Fin Mars 2010, anniversaire de la Constitution sous
l’égide de laquelle ils disaient fonctionner, personne ne sait où se
trouvent nos partis et leurs chefs.

La guerre des Plans de Reconstruction

Dans les semaines qui ont suivi l’hécatombe, nous avons lu au moins
une centaine d’articles écrits par les universitaires haïtianologues
les plus connus, ou des sommités de la politologie depuis Christophe
Wargny ou Régis Debray jusqu'à Jeffrey Sachs ou à Jean-Germain Gros.
Nous avons de même prêté une attention soutenue aux études des
géologues haïtiens et ceux des grands observatoires internationaux
dans le dessein de découvrir les manquements de chaque secteur. Là
encore nous avons découvert l’empreinte de l’étranger qui a malmené
l’environnement haïtien et la connivence des fils du pays qui ont fait
de Port-au-Prince une Tour de Babel en accumulant trois millions de
personnes sur une faille géologique en colère, qui s’était déjà
manifestée en 1751 et 1771. Ainsi les Haïtiens ont asséné le coup de
grâce après l’œuvre irresponsable, lâche et ignoble des colons et des
envahisseurs récents, de sorte qu’un désastre naturel (certes
inévitable) en est venu à avoir l’effet d’un Armageddon
thermonucléaire.

C’est là la faute qu’il ne faut pas chercher, c’est-à-dire sur
laquelle il ne faut pas en ce moment crucial s’attarder et
s’appesantir tandis que la terre continue de se dérober sous nos pas.
Il nous faut plutôt « chercher le remède » comme le dit Henry Ford.
Ce remède quel est-il ? Ce sont des plans de reconstruction.

Reconstruction de l’Etat. Reconstruction physique du pays.

Malheureusement, les plans sont nombreux et souvent ils se marchent
sur les pieds car ils reflètent des intérêts discordants. Il arrive
que certains investigateurs trouvent que les désastres du type de ce
qui s’est passé en Haïti entretiennent le super big business et
enrichissent les méga-compagnies étrangères de sorte qu’aux portes
d’Haïti se trouvent alignés, au dire de Georgianne Nienaber, des
Mercenaries opposés aux Visionnaires (Titre de son article sur Haïti
paru dans le Huffington Post du 17 mars 21010)

Les Américains avaient déjà leur Plan que l’ancien Président Clinton
avait élaboré suivant les postulats de l’éminent Professeur Paul
Collier. Il ne resterait qu’à le modifier en fonction de la nouvelle
et cruelle réalité créée par le grand Séisme, comme l’a dit Madame
Clinton présente à Port-au-Prince peu après l’hécatombe.

Les Français ont présenté le leur. Voulant « combler 400 ans de
solitude » (selon le mot de Debray) Nicolas Sarkozy est venu avec son
agenda pour arracher l’ancienne colonie française à son « sort
malheureux », suivant les propres termes du premier président français
à fouler le sol d’Haïti depuis l’Indépendance de ce pays en 1804 !..
Sarkozy présent en Haïti, voulait se recueillir et se pénétrer des «
moments très douloureux que nous regardons en face sans les contester
» (discours de circonstance).

Les Dominicains conduits par le président Leonel Fernandez ont prévu
un Plan de 10 milliards de dollars sur 5 ans. Lula Da Silva est venu
lui aussi, a offert 100 millions. Michelle Bachelet du Chili a
voulu de même apporter sa pierre sans savoir qu’un séisme de magnitude
plus grande l’attendait dans son propre pays. Le Premier Ministre
canadien Stephen Harper n’a pas manqué au rendez-vous…Il s’est
empressé d’organiser une Conférence. La kyrielle sera longue des
leaders internationaux et de leur part du Plan colossal. C’est
pourquoi, dans un élan de cynisme, Castro Desroches se permet d’écrire
dans l’AlterPresse du 29 janvier 2010 qu’« Haïti est devenu le lieu
géométrique de toutes les misères du monde. Un lieu de pèlerinage pour
politiciens désœuvrés et missionnaires philanthropes... Avec la
tragédie du 12 janvier, Haïti offre une opportunité en or aux
protagonistes de la politique internationale d’affirmer enfin une
prétention humanitaire ou de confirmer une vocation internationaliste
».

La Diaspora haïtienne a présenté aussi diverses versions d’un Plan
de reconstruction. Dans la majorité des cas elle demande entre 15 et
20 milliards sur 20 ans. Monsieur Dumarsais Siméus, puissant
industriel et ancien candidat à la présidence, demande carrément une
mise sous tutelle d’Haïti. Il demande 66 milliards sur 20 ans.. La
Fondation Haïtienne pour le Développement Intégral Latino-Américain et
Caraïbéen (FONHDILAC) a écrit un plan excellent mais veut que la
Reconstruction soit faite plutôt « à l’haïtienne » faisant très peu de
place à la Communauté internationale, alors que son projet de 10 ans
doit coûter 40 milliards de dollars. Quant au Président Préval reçu
par Obama à la Maison Blanche en Mars 2010, il présente ce qu’il
appelle tout simplement Le Plan, un plan de 14 milliards de dollars,
une « vision de reconstruction paradisiaque d'Haïti », un plan
finalement jugé idyllique par la presse haïtienne et par le Président
américain lui-même qui insista sur le fait qu’il faut d’abord sauver
le million et demi de sinistrés qui dorment sous la pluie avant de
concevoir un paradis. Obama s’était quand même engagé à demander au
Congrès 3 milliards de dollars pour la reconstruction. La conférence
des bailleurs de fonds du 31 mars 2010 devrait marquer le ton pour
qu’enfin l’on commence à travailler.

Le secteur privé des affaires, qui dit avoir souffert une perte de 5
milliards de dollars américains propose un plan “ horizon 2020”. Les
intellectuels haïtiens de l’intérieur ont aussi avancé leurs projets.
Dunois Erick Cantave s’est illustré par des « Recommandations »
judicieuses en vue de « refonder l'Etat-nation sur des bases plus
rationnelles, plus modernes, plus solides et de recréer l’espoir ».
Mais lui aussi veut rester loin de l’étranger dans la reconstruction.
Ce qui est remarquable c’est que ce bon analyste ne dit même pas le
montant à quoi s’élèvera son projet. Le groupe de Réginald Boulos et
de Sauveur Pierre-Etienne aussi s’est empressé d’échafauder quelque
chose.

Donc partout, à travers ce qu’on commence à appeler l’humanitaire
d’Etat ou la « bataille humanitaire », on découvre un chaînon
manquant, on voit la discorde, des larmes de crocodiles, « une
surenchère compassionnelle hypocrite » (pour le dire comme Pierre
Haski), des conflits, des convoitises, comme si au lendemain du méga-
drame tellurique Haïti était devenu un gâteau à trancher par les
puissances amies et par les classes dominantes, les grands mangeurs
traditionnels. Heureusement que celui qui lit à tête reposée peut
découvrir à travers ces écrits ─certes improvisés─ des dominateurs
communs tels que :

1. La mise en hibernation de la Constitution de 1987. Une charte
nouvelle à introduire quand toutes les clameurs se seront tues et
qu’une première période de transition et de reconstruction aura été
raisonnablement couverte.
2. La montée de la Diaspora et des Haïtiens de l’intérieur dans
une citoyenneté égale et légalement reconnue.
3. La création d’un Conseil spécial de gouvernement. Le
Professeur Gros, puis le célèbre lobbyiste haïtien de Washington,
Stanley Lucas, l’appellent Autorité de Reconstruction d’Haïti ; la
Secrétaire d’Etat américaine défend, elle, une Interim Haiti
Recovery Commission, or IHRC pour un Plan de 18 mois tandis que les
fonds colossaux seraient gérés par un Haitian Development Authority
(HDA) pendant au moins 10 ans. La FONHDILAC dénomme son conseil à
elle Autorité d’Aménagement Global d’Haïti (Ad’AGH). Dans la plus
extrême urgence, Boulos réunit un cénacle à Santo Domingo et brandit
un Plan stratégique de sauvetage national (PSSN), tandis que Siméus
fait appel à un International Council of Governance (ICG). Ces
visionnaires politiques font une place large à la communauté
internationale et l’ONU en même temps que quelques-uns insistent
pour que l’haïtien y joue un rôle déterminant. Même une grand’mère a
parlé et a tenu un colloque à Montréal. Le plan du Groupe de
Réflexion et d'Action pour une Haïti Nouvelle (GRAHN : grand’mère en
créole) mérite une attention soutenue bien qu’il soit plutôt long (700
pages à paraitre.) On a même trouvé des tenants à cours de plans et
qui voulaient ressusciter le fameux Cadre de coopération intérimaire
(CCI) de 2004, le Document de stratégie nationale pour la croissance
et la réduction de la pauvreté (DSNCRP), et mettre en avant le PDNA
et ses fameux groupes thématiques. Quant à « Le plan » dévoilé par
René Préval à la Maison Blanche, il prévoit une « Agence d'exécution
», dirigée par des Haïtiens, des fonctionnaires de l'ONU et d'autres
techniciens étrangers. Ceux qui lisent bien le rôle de cette agence
d’exécution, comme l'éditorialiste Giles Whittell et d’autres
analystes connus, disent que dans les faits c’est l'agence
d'exécution qui va diriger le pays en attendant que le vrai
gouvernement haïtien renaisse de ses cendres. Autres dénominateurs
communs :
4 Un coût total du projet allant de quinze à vingt milliards de
dollars sur au moins dix ans.
5 La reconstruction doit être l’œuvre d’ingénieurs et
architectes hautement qualifiés et férus des normes antisismiques ou
parasismiques internationales. Finies les constructions anarchiques,
et l’exploitation exagérée des mines de sable. Les constructions
doivent répondre désormais à des codes et aux lois de l’urbanisme. On
profitera pour décongestionner les villes (surtout celles qui sont
soumises à l’aléa sismique) et atteindre enfin à la décentralisation
et la déconcentration administrative prônées depuis la Carta Magna de
1987.
6 Des questions sur le sort de Port-au-Prince en tant que
capitale du pays. La plupart des auteurs, mus par les récentes menaces
des géologues, optent pour le Centre du pays (puisque le Nord a aussi
sa faille géologique et pourrait même être en train d’attendre son
propre désastre). D’aucuns privilégient St Marc ou Marchand
Dessalines. D’autres encore font l’apologie d’un Axe-Capitale où
l’Administration serait répartie sur plusieurs villes voisines du
Centre y compris Mirebalais.

Un concept primesautier : -Apologie d’un Etat apolitique

Les autres questions portent sur le sort du Président de la république
encore en place en 2010, du Corps législatif et autres autorités après
le 7 février 2011. Ceci équivaut à se demander comment se fera la
balance des pouvoirs quand la nouvelle Autorité aurait été mise sur
pied. Et d’autres questions que nous considérons plutôt comme étant
des vétilles ne méritant pas trop de souci puisque dans les prochaines
années ce qui importera plus pour le million et demi d’Haïtiens jetés
dans la rue c’est la Reconstruction de l’Etat et la reconstruction du
pays haïtien et non les questions ostentatoires de pouvoirs ou la
vanité des titres et des positions politiques. Pour cette raison même
nous donnons toute notre adhésion à un article de Maryse Noël
Roumain, Ph.D. dans lequel elle suggère une définition tout à fait
singulière et primesautière du terme Etat dans les circonstances
concrètes du moment c’est-à-dire dans le contexte haïtien d’après-
désastre. A la question de savoir De quel État avons-nous besoin ? le
docteur Noël-Roumain répond :
« Dans cette nouvelle conjoncture, il nous faut dépasser toute vision
réductrice car l’État ce ne sont plus les occupants du palais
présidentiel d’ailleurs sérieusement endommagé et désaffecté, ce ne
sont plus les différents ministères réduits en poussière et leur
personnel désorganisé et désorienté, ce ne sont plus les sénateurs,
les députés et le personnel du corps judiciaire incapables de
fonctionner. Ce n’est même plus le corps de police en formation.
‘L’État, ce devrait être l’ensemble des forces vives et saines de la
nation organisées autour des taches de reconstruction et de
leaderships compétents et dévoués à la cause du pays.
‘Le consensus aujourd’hui est qu’un État performant est une condition
nécessaire à la reconstruction et au relèvement des pays ou l’État a
failli ».( AlterPresse le 21 janvier 2010).

L’Etat ainsi redéfini par cette grande Dame de notre nouvelle
politologie est un Etat apolitique, un Etat de cadres, un Etat de fils
du pays suffisamment qualifiés pour mettre la main à la pate et
désireux de le faire. Cet Etat répond à une conjoncture spéciale et
particulière, un consensus d’exception. La classe politique haïtienne
et les classes dominantes nostalgiques se doivent de s’accommoder de
cette nouvelle et cinglante réalité. Après le 12 Janvier quiconque
s’arrête et regarde en arrière sera changé en statue de sel !

L’essentiel est que hier encore nous suspections que malgré
l’engagement pris par la communauté internationale et le
positionnement de l’Onu à travers son Envoyé spécial Bill Clinton,
rien de sérieux n’allait vraiment se faire. La différence aujourd’hui
est que tout le monde pense ou même croit que cette fois-ci c’est pour
de bon. Les amis du pays si nombreux à son chevet, si enthousiastes et
si « émus » après l’apocalypse du 12 Janvier, finiront par ouvrir
leurs cœurs et sauver le pays de cette « tectonique le la misère »,
pour répéter le mot de Christophe Wargny, le sauver de son histoire
qui, au dire de Jean Matouk est « un séisme permanent ». Cet élan
admirable de générosité spontanée a fait que seulement quarante jours
après les grandes secousses telluriques, les économistes pouvaient
comptabiliser plus de 4 milliards de dollars disponibles si les
promesses sont tenues. -Lire Après le séisme, le défi de la
reconstruction par Patricia Lecompte, in Reuters News, 12 février
2010.

Ceci est réconfortant car il faut prévoir que bientôt les émotions se
seront tues. Les caméras seront parties. Comme le dit l’économiste
Leslie Péan dans son propre plan, la communauté internationale va
avoir d’autres chats à fouetter. Haïti risque alors de plonger, comme
toujours, dans l’oubli. Régis Debray qui vient de demander que les
grandes puissances déclarent Haïti « pupille de l’Humanité » fait
appel à un système de synergie internationale sans prétention
hégémonique. C’est une façon de « rendre l'éphémère durable et
l'émotion rationnelle » dit le glorieux philosophe des affaires
d’Haïti..

Rebâtir l’Etat
Aux grands maux les grands remèdes

Après l’hécatombe du 12 Janvier la grande question est celle de
rebâtir l’Etat en même temps qu’on reconstruit le pays. Mais la plus
grande question est celle de savoir où placer cet Etat en regard de la
reconstruction du pays. Quelques-uns demandent qu’il soit placé au
cœur de la reconstruction, mis au centre des décisions, tout en étant
constamment renforcé. D’autres préféreraient qu’il soit mis à l’écart,
« fermé pour restructuration » jusqu'à ce que, institutionnellement
rebâti et remembré, il puisse répondre à l’appel. Dans ce dernier cas
l’aide irait directement aux Organisations non gouvernementales
(ONG), comme elle l’a toujours été d’ailleurs depuis les années quatre-
vingt-dix. (La grande faiblesse de l’Etat haïtien n’est-elle pas liée
à cette mise à l’écart depuis ce temps-là ?)

Rebâtir l’Etat reviendra toujours à remembrer les institutions, tracer
les fondements nouveaux avec l’équerre d’une constitution réaliste,
pragmatique, des lois et des principes justes. Il signifiera aussi
vider le ciment de l’unité nationale et le bon sable de l’ordre
public, de la sécurité des vies et des biens, de la justice et de
l’équité. Il voudra dire brasser le mortier d’un consensus entre les
différents pouvoirs et les agences, tout ceci en vue de dresser des
murs solides et une superstructure à l’épreuve des séismes politiques
et de leurs répliques. Il faudra désormais déplacer l’Etat des failles
géologiques sur lesquelles il s’est trouvé assis depuis 1804,
décentraliser le pouvoir afin que centre et périphérie jouissent de
droits et de privilèges égaux. Roody Edmé, fort des mêmes métaphores,
estime qu’« Il s’agira de nouveaux comportements à adopter vis-à-vis
de notre environnement, de faire tomber les murs de l’indifférence, de
ramasser les gravats du népotisme destructeur, de désencombrer les
chemins de « l’unité historique de peuple » dont parlait le théoricien
Marcel Gilbert ».

Ce sont toutes les institutions qui doivent être refondues car toutes
sans en excepter une seule ont péri le 12 Janvier. Le Judiciaire est
tombé avec son Temple de Thémis. La Police, son corolaire a connu la
débandade dans les premiers jours. (Même la police de la MINUSTAH a
été violemment secouée après avoir perdu son quartier général et une
centaine de ses membres qui ont péri sous les décombres y compris son
chef de Mission Hedi Hannabi).

L’Exécutif haïtien tout entier a été jeté dans la rue. Tous ses
édifices ont été convertis en amas de sable et de débris. Déjà un
exécutif en crise bien avant le 12, ce corps a exhibé tous ses signes
de lassitude… Même si dans les semaines qui ont suivi, cet exécutif
s’obstinait à se refaire un visage, la déception a été la plus grande
tant dans l’opinion haïtienne que dans celle des pays dits amis.

Le Législatif déjà en débandade avant le 12 fatidique à cause de tant
d’élus arrivés au terme de leur mandat, a plutôt montré tous les
signes prémonitoires d’une mort clinique.

Même l’Eglise (la grande Eglise et les ti-legliz) qui dans le temps «
faisait et défaisait les rois » en Haïti ou qui jusque tout récemment
affichait encore un semblant d’ascendant « moral », a été
complètement détruite avec tous ses glorieux symboles et quelques-uns
de ses princes. Jusqu’au moment où nous écrivons (mars 2010) nous
essayons encore en vain de repérer la voix et autres signes de vie
de la sainte Eglise…sous les décombres.

Nous ne savons pas combien de temps durera la reconstruction d’un Etat
si fragilisé. Mais nous croyons que l’étranger qui a toujours eu nos
dossiers en poche ne pourra sans doute pas le reconstruire à la place
des Haïtiens. Mais les Haïtiens non plus ne pourront guère rebâtir
tout seuls leur Etat et leur pays. Voilà le dilemme. Aussi acquiesçons-
nous enfin à l’idée prônée déjà trop longtemps par Turneb Delpé, celle
d’une Conférence Nationale, une vraie, où les Haïtiens rechercheraient
un consensus, une nouvelle manière ou plutôt une manière nouvelle de
concevoir la vie haïtienne et de diriger. Ce sera en même temps un
consensus réaliste sur le degré de participation que les Haïtiens
devraient allouer aux grands amis qui se pressent derrière la porte et
font peur parfois.

Haïti a besoin enfin d’un Etat moderne, un régime de lois au lieu d’un
régime d’hommes, un Etat légal-rationnel répondant aux postulats posés
par Weber et autres théoriciens, un Etat engagé dans la sécurisation
et la défense du territoire national, la sécurisation de la propriété,
des titres de propriété et de l’investissement, la protection des
vies ; un Etat détenant le monopole de la violence contre les
contrevenants nationaux, transnationaux et internationaux. Un Etat
qui couvre tout le territoire et qui est maitre du centre et de toute
la périphérie suivant les postulats de Wallenstein.

Oui, Haïti a besoin d’un Etat porté vers le développement, un Etat
pouvant faire baisser au strict minimum les « couts de transaction »
suivant les vues de Ronald Coase, ou d’Oliver Williamson et des
tenants de la Nouvelle Economie Institutionnelle (NEI) et de Douglass
North. Un Etat qui enfin se libère de la domination étrangère – ou si
vous voulez que je le dise autrement : un Etat qui s’arrache enfin au
char « humanitaire » de l’ONU (et des autres) où il se trouve remorqué
depuis la MINUHA de 1994 jusqu'à la MINUSTAH de 2004.

Haïti, après le grand Séisme, a besoin d’un Etat mu par une morale
élevée et surveillée de près par les lois les plus sévères.. Le pays a
vécu trop longtemps dans une corruption devenue aujourd’hui
proverbiale. Les grands amis ne voudront rien donner, et surtout rien
investir s’ils savent que nous sommes des voleurs sans pitié pour nos
propres citoyens. Un rapport de la National Academy of Public
Administration daté de 2006 n’avait-il pas révélé la raison principale
pour laquelle les grands bailleurs de fond n’étendent pas une aide
substantielle à Haïti ? Le rapport voit que l’Etat haïtien est
«diversement considéré comme un cauchemar, un Etat prédateur,
effondré, en faillite, un Etat parasitaire, kleptocrate, fantôme,
virtuel, un Etat paria ». Haïti doit refaire son image, nettoyer son
nom, émonder son renom.

Naissance enfin d’une Nation haïtienne

Le grand Séisme -enfin- a servi à fournir la preuve que la
construction d’une nation haïtienne est possible. Ceux qui nous
accusaient de ne pas être une nation, ceux qui écrivaient qu’« On a
fondé l’Etat et oublié la nation » ou qui disaient qu’Haïti est « Une
société sans Etat ni nation » (titre d’un écrit de Régis Debray)
devront un jour se voiler la face. En effet l’opinion internationale a
été surprise de la solidarité agissante des Haïtiens de toutes les
couches sociales durant le désastre. Nos observateurs disent nous
avoir vus nous sacrifier pour sauver nos frères haïtiens et même les
étrangers venus pieusement mourir avec nous, ils nous ont vu partager
entre nous un même morceau de pain avant l’arrivée de l’aide.

Le pays a de même fait preuve d’une inimaginable résistance devant le
danger et d’une incroyable volonté de vivre comme on l’a vu dans le
cas des survivants rescapés trois et même quatre semaines après le
Séisme. Qui ne se souvient de ce petit garçon au visage émacié et à
peine sauvé des décombres après plus de trois semaines ? Il a ouvert
les deux bras en souriant sous les applaudissements nourris de la
foule… Ajoutez à ce don de la résistance et cette volonté de vivre et
de vivre ensemble, les vastes richesses culturelles d’Haïti, son riche
imaginaire, sa grande créativité et son sens de la famille. Ces
attributs qui demeurent forts ou plutôt que l’hécatombe a renforcés,
annoncent que l’Etat une fois rebâti n’aura pas de mal à bâtir la
nation dont nous rêvons tous.

1 commentaire:

  1. La FONHDILAC n'est une organisation de la diaspora haïtienne. Elle est basée en Haiti, a Croix-des-Bouquets, elle est constituée d'institutions et de cadres haïtiens vivant jusqu'à présent en Haiti. Elle prône une vision haïtienne de la refondation mais cette refondation doit s'appuyer sur la communauté internationale et non l'oeuvre de cette communauté.
    Par ce texte est bien charpente et très bien écrit. Compliment a l'auteur, Dr Pauyo.
    Jean Robert JEAN-NOEL

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