lundi 17 décembre 2018

Le G20 de Buenos Aires





Le G20 de Buenos Aires
Bernard Ethéart


Miami dimanche 16 décembre 2018

La rencontre de la COP 24 à Katowice (Pologne) touche à sa fin ; mais avant d’en parler, je voudrais dire un mot sur la réunion du G20 qui s’est tenue juste une semaine plus tôt à Buenos Aires (Argentine).
Et pour commencer, qu’est-ce que le G20 ?
Pour répondre à cette question, il faut commencer par le commencement et dire un mot du G7, qui a donné naissance au G20.

Le G8 (pour « Groupe des huit »), actuellement connu sous le nom de G7 (« Groupe des sept »), est un groupe de discussion et de partenariat économique de huit pays réputés être les plus grandes puissances économiques du monde : États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie, Japon, Russie, cette dernière étant suspendue depuis 2014.

D'abord G5 de façon informelle, puis provisoirement G6 lors de sa création en 1975, et rapidement devenu G7 avec l'intégration du Canada en 1976, le groupe s'est élargi à la Russie en 1997 pour devenir le G8.

À partir de l'annexion de la Crimée par la fédération de Russie, en mars 2014, les pays membres du G7 (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie, Japon et + Union européenne) ont temporairement suspendu la Russie du groupe économique. Le groupe est donc redevenu G7 (« Groupe des sept »).

En 2015, le G8 comprend 12,2 % de la population mondiale et produit environ 50,2 % du PIB mondial.

Population (2015) 
    PIB (2015)
Millions
%
Milliards $
%
Rang mondial
Monde
7.389
100,0
78.000
100,0
G8
900
12,2
39.141
50,2
États-Unis
322
4,38
18.287
23
1
Japon
126
1,7
4.882
6,3
3
Allemagne
81
1,1
3.909
5
4
France
(2017) 67
0,89
2.935
3,8
5
Royaume-Uni
(2014) 64
0,87
3.003
3,9
6
Italie
60
0,81
2.153
2,8
9
Russie
146
2
2.099
2,7
10
Canada
35
0,47
1,873
2,4
11
Autant pour le G7, qu’en est-il du G20 ?

Le Groupe des vingt (G20) est un groupe composé de dix-neuf pays et de l'Union Européenne dont les ministres, les chefs des banques centrales et les chefs d'État se réunissent annuellement. Il a été créé en marge du G7 du 25 septembre 1999 de Washington, après la succession de crises financières dans les années 1990. Il vise à favoriser la concertation internationale, en intégrant le principe d'un dialogue élargi tenant compte du poids économique croissant pris par un certain nombre de pays. Le G20 représente 85 % du commerce mondial, les deux tiers de la population mondiale et plus de 90 % du produit mondial brut (somme des PIB de tous les pays du monde).
Ce sont donc les représentants de ces pays qui étaient présents à Buenos Aires et selon certains, c’est d’eux que dépend la « gouvernance mondiale ».

Je cite : « La gouvernance mondiale ne pourra évoluer qu'à travers le G20 :
·       d'une part, le Conseil de sécurité des Nations unies est paralysé par le droit de veto et ses missions pourraient être mieux remplies par le G20 assez représentatif des rapports de force mondiaux;
·       d'autre part, si les États-Unis n'ont plus la force d'imposer seuls leurs vues, ils peuvent malgré tout par le biais de cette instance jouer un rôle positif de catalyseur. »

À part le fait que la « gouvernance mondiale » ne saurait être à la charge de personnes dont la seule légitimité vient du nombre de millions qu’ils représentent, une façon de voir qui rappelle la fameuse question de Staline : « De combien de divisions dispose le Pape ? » le premier compte rendu de la rencontre de Buenos Aires contredit cette façon de voir : « Les États membres du G20 réunis en sommet à Buenos Aires ont diffusé samedi 1er décembre un communiqué commun, qui fait le service minimum sur le commerce et confirme le cavalier seul des États-Unis sur le climat ».

Le G20 n’est pas paralysé par le droit de veto, mais les Etats Unis, loin de jouer un rôle positif de catalyseur, peuvent bloquer toute discussion sérieuse et toute décision sur des sujets si importants qu’ils soient.

Les membres du G20 "signataires de l'accord de Paris" soulignent dans le communiqué que ce dernier est "irréversible" et "s'engagent à sa pleine mise en œuvre", prenant en compte toutefois les "capacités respectives, au vu des diverses situations nationales".

Les dirigeants des principales économies mondiales "notent les problèmes commerciaux actuels" mais s'abstiennent de toute condamnation du protectionnisme dans ce document négocié jusqu'à la dernière seconde et rendu public par l'Argentine, le pays hôte.
Le G20 promet de faire un point sur cette réforme d'une OMC honnie de Donald Trump, mais aussi contestée pour d'autres raisons par Pékin, au cours de son sommet l'an prochain au Japon.

Les États-Unis rappellent quant à eux dans un paragraphe distinct qu'ils ont rejeté l'accord de Paris. Ils disent s'engager en faveur de "la croissance économique, l'accès à l'énergie et la sécurité, en utilisant toutes les technologies et les sources énergétiques disponibles, tout en protégeant l'environnement".
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’insister.


jeudi 22 novembre 2018

Haïti doit changer de système

Haïti doit changer de système
LOUIS NAUD PIERRE, PhD
Le National, 17 Septembre 2018
L’objet de cet article est de mettre en évidence les mécanismes de reproduction du système de prédation instauré à l’époque coloniale. Système qui constitue la source des principaux maux constitutifs du malaise vécu par la population haïtienne, toutes couches sociales confondues. Parmi ces maux, les principaux sont : un processus de paupérisation croissant de la société, la rareté des services essentiels (eau, énergie, transport, nourriture, logement, gestion des déchets, assainissement, éducation, santé, accès au droit et à la justice, etc.), l’exclusion, l’inégalité et l’insécurité multiforme, sans compter la perte d’indépendance et de souveraineté nationale. Ce système contredit donc le désir de progrès économique et social tel qu’exprimé par la population, et ceci doléances après doléances. Il s’agit de permettre de mieux comprendre le fonctionnement de ce système, et des stratégies mises en oeuvre par les élites traditionnelles pour le perpétuer. Cette compréhension est la condition sine qua non pour que les projets et politiques publiques viennent répondre à des enjeux et des besoins de réformes relatives à la transformation de ce système vers un système de production de richesse, en rapport avec l’impératif d’amélioration des conditions d’existence individuelle et collective érigé en finalité. 
La continuité entre le système de prédation colonial et le système haïtien 
Un système comporte quatre variables fondamentales : 1) une finalité ; 2) un ensemble d’interactions entre des éléments ; 3) les règles organisant cet ensemble en fonction de ladite finalité ; 4) les mécanismes de pouvoir ou de contrôle de l’application de ces règles. La première variable, dite finalité, est théorisée par Norbert Wiener en termes de cybernétique (1948) : la théorie des communications et du contrôle aussi bien dans les êtres vivants, les sociétés et les machines. Un système se définit par sa finalité. Celle-ci sert à : orienter l’organisation en interne, servir de guide aux comportements, commander chaque processus dans le sens de l’atteinte des résultats visés. Les trois dernières variables constituent l’objet de la sociologie des organisations développée, entre autres, par Erhard Friedberg (Le Pouvoir et la Règle, 1993), Michel Crozier (L’acteur et le système, 1977). 
S’agissant plus spécifiquement de la finalité propre au système haïtien, il faut noter les expériences socio-historiques associées à la dynamique du colonialisme : la colonie de Saint- Domingue s’inscrit dans la stratégie globale des États occidentaux qui cherchent, à partir de la fin du XVe siècle, à trouver des matières premières pour développer leur industrie naissante ainsi que des débouchés pour ses produits. C’est ainsi qu’ils ont entrepris de coloniser des pays dont ils s’approprient les ressources. La prédation s’érige ainsi en finalité de l’entreprise coloniale : un échange dans lequel une partie parvient à dérober le bien (marchandise, service, somme d’argent, matières premières) de l’autre partie, donc sans lui donner quelque chose d’équivalent ; et ceci soit par la force, soit par la ruse, soit par des astuces commerciaux, soit par d’autres stratagèmes (vente de produits contrefaits, suppression de la concurrence, exercice de tutelle, etc.). La prédation présuppose le refus de produire et de donner l’équivalent de ce qui est reçu d’un tiers. C’est la destruction de tout sentiment d’obligation, de devoir et de responsabilité envers autrui. 
La prédation coloniale s’énonce ainsi : « Tout par pour la métropole ». Trois règles fondamentales organisent les interactions entre les représentants de la métropole et les habitants des colonies : le monopole commercial des compagnies coloniales (droit attribué au commerçant français d’approvisionner exclusivement les colonies et d’en exporter seules les productions) ; 2) l’interdiction de développer l’industrie de transformation des matières premières locales ; 3) la dépendance politique (droit de la métropole de nommer les autorités politico-administratives de la colonie). Au fond, comme le soutient le baron Alexandre-Stanislas de Wimpffen, la finalité de toutes les colonies est de « servir de jouet aux caprices, de pâture aux besoins, de proie à l’avidité de leur métropole, de son fisc, de ses traitants, de ses marchands, de ses compagnies, de ses intrigants accrédités » [Alexandre-Stanislas de Wimpffen, 1993 (1797)]. 
Dans le cas d’Haïti, le problème fondamental est celui de la survivance du système de prédation colonial. Mais comment se manifeste cette survivance ? De quoi est-elle faite ? En quoi ce système constitue-t-il la principale source de malaise vécu par la population ? Y a-t-il un moyen d’en sortir ? 
L’idée explorée dans cet article est la continuité entre le système de prédation colonial et le système haïtien. Les élites traditionnelles endossent les mêmes rôles que les représentants de la métropole : d’une part, celui d’entremetteur entre les besoins de débouchés de l’industrie occidentale et la demande de consommation nationale ; d’autre part, celui de la répression sociopolitique. La conséquence en est la prédominance de l’importation et l’abandon de toutes perspectives de production. Changer de système signifie la remise en cause de la logique de prédation, et des règles organisant les interactions politiques, économiques et socioculturelles en conséquence. Ce changement présuppose l’adoption d’une logique de production, laquelle présuppose l’amélioration des conditions d’existence individuelle et collective comme finalité de l’action humaine
La survivance de la logique coloniale 
Certes, la Révolution de 1804 a consacré la fin de la colonisation et de l’esclavage. Mais, cette fin se limite aux textes. Dans les têtes, la logique coloniale demeure. Ce problème est mis en évidence dans de nombreux travaux en sciences sociales consacrés à ce pays. Parmi ces travaux, il convient de citer : Jean Price-Mars, La vocation de l’élite (1919) ; Laënnec Hurbon, Comprendre Haïti (1987) ; Gérard Barthélemy, Le pays en dehors (1989) ; Mats Lundahl, « History as an obstacle to change : the case of Haïti » (1989) ; Lesly Péan, Haïti, Economie politique de la Corruption (4 tomes, 2000-2007) ; Louis Naud Pierre, Haïti, les recherches en Sciences sociales et les mutations sociopolitiques (dir., 2007). Cette survivance est attestée à travers l’actualité des règles organisant les interactions en vue de la prédation. 
En premier lieu, le monopole commercial de la métropole est remplacé par celui d’une minorité. Celle-ci exerce de fait le droit d’approvisionner exclusivement le pays qui dépend à plus de 75 % des produits importés pour la consommation nationale. Il s’agit d’un droit de la force, ou droit du plus fort, lequel refoule et supprime le droit légal-rationnel de facture moderne. Le monopole est maintenu grâce à une double stratégie. La première est la prise de contrôle des ports et des douanes qui deviennent ainsi les lieux par excellence où s’exerce la répression de la concurrence : des concurrents vont jusqu’à préférer abandonner leur marchandise à la douane, en raison des brimades qu’on leur impose. La seconde stratégie consiste en l’usage de la violence visant à contraindre un nouvel arrivant sur le marché à renoncer à ses activités. 
En second lieu, les activités de production sont interdites de facto. Cette interdiction est liée à la mise en oeuvre d’une double stratégie. La première est le verrouillage du système de crédit. Les propriétaires sont de plus en plus nombreux à renoncer à l’exploitation de leurs terres agricoles, ceci faute de financement de l’achat d’intrants et de l’outillage approprié. Les artisans ne peuvent pas développer leurs entreprises pour les mêmes raisons. La capture de l’État permet de faire le reste : dresser des obstacles devant tout investisseur orienté vers la production. La seconde stratégie est le financement des entreprises de déstabilisation du pouvoir. Le but est de créer un chaos dissuasif pour les porteurs de projets industriels qui requièrent une vision et une planification sur le long terme. 
Enfin, la dépendance est inhérente et essentielle au système de prédation. Sur le plan commercial, les produits alimentaires et manufacturés écoulés sur le marché national sont, on l’a vu, importés dans une large mesure. Par ailleurs, il convient de noter que le financement de la consommation de ces produits est lui-même assuré, pour plus de 2/3, par des transferts internationaux : aides bi- et multinationales, aides humanitaires, transferts de la diaspora, ainsi de suite. Au niveau politique, l’aspiration des élites politico-économiques traditionnelles se résume à la jouissance de tous les avantages qu’offre leur position dominante conservée avec le concours de quelques puissances de tutelle, ceci en échange de leur collaboration à l’entreprise de pillage du pays. Le renoncement à tout projet national, implique chez ces élites l’anéantissement de la conscience identitaire, du sens de responsabilité et d’engagement en faveur des idéaux portés par la Révolution de 1804. 
Ici, la prédation se manifeste par le fait que l’argent gagné dans les opérations commerciales violentes (fraudes, vente de produits périmés, contrefaits, à des prix excessifs, surfacturation de l’État, etc.) n’est pas réinvesti dans l’économie nationale. Il est, pour la plus grande part, placé dans des banques domiciliées dans les puissances de tutelle dont il finance le développement ; le reste finance la consommation personnelle et familiale. 
Le propre de ce système de prédation est, comme le montre Samuel Pierre dans un article intitulé « Une Haïti nouvelle est possible », paru dans Le Nouvelliste en date du 04 septembre 2018, d’engendrer une situation où : « une infime minorité confisque sans partage la grande majorité de la richesse nationale, laissant dans une misère infrahumaine un nombre grandissant de concitoyens et au mépris de la solidarité sociale qui sert de ciment à toute société conviviale ». D’où le malaise central de la société haïtienne. Malaise qui s’exprime par une attitude de méfiance et d’hostilité de tous envers tous. 
En effet, sur les 12 millions d’habitants, environ 6,3 millions (58,9 %) ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins essentiels, dont 2,5 millions (23,8 %) vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 1,50 dollars par jour. Ces chiffres devraient augmenter d’année en année, compte tenu du déphasage de la croissance démographique (1,5 % par an) avec la croissance économique dont le taux tend vers 0. Le déséquilibre croissant ressources-population constitue une source d’inquiétude générale. Ce qui enferme toutes les couches sociales confondues dans un délire de peur : peur de la perte de son monopole commercial, peur de la concurrence et de la compétition économique, peur des risques de l’existence (accident, maladie, etc.), peur de manquer, peur du lendemain. L’insécurité inhérente au chaos sociopolitique ne fait qu’attiser ces peurs, avec en conséquence l’inscription des individus dans un registre purement instinctif et déshumanisé. Et tout se passe comme s’ils n’obéissent qu’à la seule loi biophysiologique. 
Pour durer dans le temps, ce système de prédation met en branle des mécanismes de répression sociopolitique. L’objet de cette répression est l’affaiblissement de la capacité de réaction de la population. 
La répression sociopolitique 
La répression sociopolitique repose sur trois règles fondamentales: 
La première est la diversion qui consiste à pointer des boucs émissaires au public. Il s’agit, à chaque fois, de désigner un individu, un groupe social, pour endosser la responsabilité du malaise engendré par le système de prédation ; faute pour laquelle les agents désignés sont, comme le démontre René Girard dans Le Bouc émissaire (1986), totalement ou partiellement, innocents. Au cours de ces cinquante dernières années, à chaque poussée de crise politique liée à ce malaise, les tenants du pouvoir sont vite choisis pour jouer ce rôle de Bouc émissaire. Ce phénomène émane de motivations multiples. Dans certains cas, ces motivations sont conscientes ; elles relèvent donc d’une stratégie de dilution de responsabilité. Dans d’autres cas, les motivations s’avèrent inconscientes. Il est ici question de mécanismes de défense destinés à protéger le système contre des réactions de remise en cause radicale au sein de la population ; l’attention est alors détournée vers certains de ses effets secondaires, tels que : les arbitraires et la corruption des dirigeants. La stigmatisation de ces derniers permet d’éviter le procès du système de prédation et de ses effets sur le malais général. 
La seconde règle met en exergue la stratégie d’intoxication de l’opinion publique par la propagation de fausses informations ou par la pratique systématique de l’information tendancieuse. L’affaire Petrocaribe en est une bonne illustration. Force est de constater que le montant des fonds en question fait l’objet de toutes les manipulations. Il faut montrer l’énormité des dommages dus aux malversations, et leur impact sur le malaise général. Ici, deux remarques s’imposent. Primo, parmi les personnes citées dans le rapport de la Commission anti-corruption du Sénat, seuls quelques-unes sont visées par la dénonciation « populaire » qui les fait passer pour des ennemis du peuple ; la grande majorité est oubliée. Secundo, le lien avec le système de prédation global est passé sous silence ; système qui est fait de monopole commercial, de franchises douanières et fiscales, de contrôle des ports et des douanes, de main mise sur les marchés publics, de verrouillage du crédit, de capture de l’État, ainsi de suite. Ce n’est visiblement pas la transformation du rapport de prédation qui est visée. Le but se limite à la désignation de quelques figures emblématiques chargées fictivement des maux (notamment la corruption, la prévarication, etc.) dont la société aimerait se débarrasser pour se croire normale. 
La troisième règle concerne l’intimidation. Il s’agit d’une pression qui revêt diverses formes, telles que : les campagnes de salissage et de diffamation qui créent un sentiment de crainte, conduisant un nombre grandissant de citoyens à renoncer à la participation aux affaires publiques. De nos jours, de puissants groupes de pression, par des agents interposés, identifiés et financés, transforment les médias traditionnels aussi bien que les médias sociaux en lieux de menace, de harcèlement, ou de nuisance à la réputation de personnalités publiques jugées dangereuses pour leurs intérêts. D’où la corruption de l’espace public haïtien et l’impossibilité d’y faire entendre une parole rationnelle et progressiste. 
Les forces répressives traditionnelles sont ainsi remplacées par des pseudo-directeurs d’opinion et de conscience. La fonction de ces derniers consiste à semer la confusion, à rendre ainsi incompréhensibles les mécanismes de prédation qui, précisément, accompagnent le processus de paupérisation croissante auquel la population haïtienne est assujettie : diversion, intoxication, intimidation se substituent à l’information, à l’analyse ou l’expertise scientifique et technique. Les citoyens sont ainsi condamnés à l’ignorance des vrais enjeux des luttes politiques. 
Construire une nouvelle finalité 
Le système de prédation hérité de l’époque coloniale atteint aujourd’hui ses limites. En témoigne le développement des maux constitutifs du malaise général. La réaction à ce malaise donne lieu à des comportements inimaginables de cupidité, d’agressivité, parfois d’une grande férocité. En conséquence, c’est la transformation de l’espace social haïtien en un véritable champ de bataille où règne la loi du plus fort, du plus rusé ou du plus habile, et donc où les pervers sont rois. 
Cette dégradation morale apparaît comme le symptôme de l’inadaptation du système de prédation aux profondes mutations que subit la société haïtienne au cours de ces cinquante dernières années. L’inadaptation signifie que le système est incapable de générer des interactions dans le sens de la prise en charge des nouveaux problèmes associés à deux grandes séries de phénomènes constitutifs de ces mutations : d’une part, l’explosion démographique, la forte migration interne et externe, l’expansion de l’urbanisation, le changement climatique ; d’autre part, l’insertion dans la dynamique de mondialisation, l’adoption de la démocratie et de l’économie de marché, le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). 
La capacité de traitement des nouveaux problèmes politiques, économiques et socioculturels, associés à la grande transformation de la société haïtienne nécessite de changer de système. Cette nécessité présuppose de construire une nouvelle finalité, en l’occurrence : l’amélioration des conditions d’existence individuelle et collective, ce qui suppose la création d’un environnement favorable à la production servie par le travail et l’industrie. La construction et l’adhésion populaire à cette finalité passent par le dialogue national. 

L’objet du dialogue national est de construire la confiance en ravivant le sens de soi et des autres. Construire la confiance suppose de réhabiliter la dimension d’appartenance consentie à un collectif. C’est cette conscience d’appartenance qui fonde le sentiment d’obligation, de devoir et de responsabilité envers les autres membres. Ainsi, le travail et l’industrie cesseraient d’être vécus comme des nécessités associées aux besoins de survie personnelle ; ils constitueraient des formes d’engagement en faveur de l’amélioration des conditions d’existence individuelle et collective, et donc des valeurs. 

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