lundi 5 avril 2010

HAITI POST-SEISME: FAUT-IL REVISITER LE DISCOURS DE DESSALINES

4 Avril 10
Haïti-post-séisme : Faut-il revisiter le discours de DESSALINES ?

Réflexions sur le 31 mars 2010

Lors de la découverte des manuscrits de Qumran, les biblicistes se sont donnés des moments d’exultation. Les milieux académiques théologiques pensaient avoir déterré du diamant longtemps recherché. La première question qui doit monter à l’esprit après la découverte de Julia Gaffield sur l’Acte de notre indépendance est celle-ci : pourquoi le document original en Angleterre ? La relation entre Haïti et l’Angleterre remonte dès les guerres de l’Indépendance.

La France était en guerre face à Haïti alors que l’Angleterre, maitresse des mers bloquait les forces napoléoniennes qui persistaient de retourner pour étouffer la révolution de quelques nègres arrogants. L’indépendance d’Haïti « avait été acquise avec l'aide de la marine britannique qui pendant les six derniers mois du conflit à Saint-Domingue fut en quelque sorte l'alliée des troupes indigènes... La longue marche des Noirs vers l'indépendance et l'appui qu'ils avaient du gouvernement britannique... (Yves Bénot et Marcel Borigny, Rétablissement de l’Esclavage dans les Colonies de Saint-Domingue, 1802, page 149)

Heureusement, la guerre aérienne électronique n’existait pas encore.

L’Haïti de Dessalines était face à deux ennemis puissants de l’Angleterre : la France et les Etats-Unis. Pour la France, un Napoléon qui voulait conquérir assez d’états en Amérique et avoir en poche ses petits Louisiane. Les Etats-Unis, de son côté, menaient une guerre contre l’Angleterre pour la conquête de leur indépendance. Haïti va se trouver entre les deux. Résultats : La France orgueilleuse ne digérera jamais qu’une panoplie d’esclaves deviennent libres. Les Etats-Unis, dont G. Washington qui était un propriétaire d’esclaves ne tolérera pas que d’anciens esclaves proclament urbi et orbi la contagion de la liberté dans la région. Dans la constitution de 1805 de Dessalines, l’équation est celle-ci « Haïti = Terre Libre pour toutes les nations et couleurs… »

Les Etats-Unis vont placer Haïti sous embargo pendant 60 ans. Les Etats-Unis ont refusé qu’Haïti participe dans le concert des Nations en 1825 à Panama … imaginez des anciens esclaves autour de la même table face à des esclavagistes. La France, pour sa part, exigera l’indemnité que plusieurs appellent dette de l’indépendance.

En ce 1er janvier 1804, Dessalines savait qu’il était en face d’ennemis puissants car les cicatrices de l’esclave minaient encore la chaire de sa peau. Il sait comment Toussaint est parti et s’est déterminé à travailler sur un agenda de non-retour : « Je ne veux garder avec moi que des braves, nous serons attaqués ce matin; que ceux qui veulent redevenir esclaves des Français sortent du Fort, que se rangent autour de moi ceux qui veulent mourir en hommes libres… Et si les Français pénètrent dans cette enceinte je vous ferais tous sauter ! »

Le discours de Dessalines du 1er janvier 1804

Le discours est dominé par le mot LIBERTE. La connotation du mot LIBERTE à cette époque-là veut dire rupture. C’est une LIBERTE par rapport à un contexte, à une situation, à une guerre féroce, à un combat, à des enjeux et à des orientations d’un Général en Chef des forces armées révolutionnaires.

Peuple, sur ta constance et ton courage, nous avons dit NON! Un peuple qui a choisi de mener une guerre irréversible à un moment où incendier tout le pays était une alternative possible. Dessalines rappellera à son audience : tu luttais depuis quatorze ans. Pendant ce long combat qui a demandé beaucoup : suicide, fratricide, mamans tuant leurs propres bébés, marronnage, empoisonnement, kamikaze, diplomatie … ceci d’une horde d’esclaves qu’on a ramenés comme des bêtes de somme dont plusieurs ont fait le régal des requins, des vents de mers, des dents de la mer, des tempêtes océaniques, des vagues montantes et descendantes pendant plus de trois siècles. Les retombées qu’on connait tous… « Marseille accapare le commerce du Levant. Sur ses quais et dans ses magasins, s'entassent les tapis, les indiennes, les liqueurs, le riz, les blés, les vins de Chypre, les huiles, les peaux, les mousselines, les toiles peintes. Bordeaux et Nantes ont le monopole des denrées coloniales. A elle seule, Saint-Domingue leur fournit la moitié du sucre consommé dans le monde. » (Pierre Gaxotte, La Révolution française, Nouvelle édition établie par Jean Tulard, Éditions Complexe, Bruxelles 1988, p. 21).
Dessalines savait tout ça.
Cette LIBERTE dont parlait Dessalines indique une séparation totale d’avec la France alors que Toussaint voulait une sortie en douceur, une sorte de Commonwealth que l’Angleterre va adopter plus tard et jusqu'à aujourd’hui. La France aussi. Cette rupture brutale dessalinienne va faire que les encyclopédies ont toujours plus de choses à raconter sur Toussaint que Dessalines qui nous dit « mon nom est devenu en horreur à tous les peuples » esclavagistes. De cela, l’on comprendra qu’il est accusé de terroriste parce qu’il se mettait debout contre les forces qui contrôlaient les êtres inferieurs dans leur compréhension que « rien de bon ne peut sortir d’un nègre. » Récemment, après le séisme on peut comprendre cette parole de Dessalines « qu'en maudissant le jour qui m'a vu naitre…». Rien n’étonne les avisés sur les commentaires réducteurs de ce fondamentaliste religieux qui racontait des bobards, en panne de culture… comme s’il a été déconnecté avec les phénomènes naturels qui se produisent soit dans la terre : séisme, éboulement, volcan ; dans le ciel : la neige, la pluie, les tornades, les ouragans; dans les océans : le tsunami. Quand les maisons de la Floride sont ravagées par les tempêtes débordantes, ce fondamentaliste ne trouve-t-il rien à baver sur le sort des victimes? Qu’a-t-il dit de Katrina ?

En jurant « le serment de vivre libre et indépendant, de préférer la mort à tout ce qui tendrait à te remettre sous le joug. », ca nous indique que vivre indépendant à l’époque était cette rupture inadmissible chez les grandes puissances pour bloquer « les nègres ». Le racisme incrusté dans le cœur de l’homme ne pourrait jamais accepter que des va-nu-pieds parlent d’indépendance…

Lors de ce discours, on peut comprendre le public attentionné constitué de guerriers, de combattants, de soldats, de femmes restées debout auprès de leurs hommes pour leur dire « allez-y, nous sommes avec vous ». Nombreuses sont les héroïnes de l’Indépendance dont on a tu les noms pendant des années. Psychologiquement, le Général s’exprimait face aux soldats, aux citoyens qui ont dit NON au mal absolu de l’esclavage.

C’est ce même Dessalines qu’on va assassiner le 17 octobre 1806 pour les raisons que l’on sait. Je n’ai pas encore lu un Historien qui révèle que Dessalines a été assassiné par des mains invisibles de l’Internationale mais surtout par ses frères d’armes avec qui il a planifié dans un esprit d’union –noirs et mulâtres- les stratégies militaires du 18 novembre 1803. Peut-être me trompé-je?

Après le séisme, comment réfléchir sur le mot LIBERTE qui voulait dire rupture dans l’esprit de Dessalines? Aujourd’hui, un pays qui n’a rien et plus rien. Ces quelques milliards qu’on promet le 31 mars 2010, on sait comment ça va se passer. Les mêmes Etats des Lieux vont être faits par les mêmes bailleurs comme dans un panier de recyclage. Les propositions vont être placées dans les tiroirs et certaines seront mises en « résidence surveillée » pour vice de procédure. De longues bureaucraties au niveau national passant d’un ministère à un autre pour peu de visibilité et d’utilité. Quant à la bureaucratie internationale, on ne va jamais sortir un dollar à la sauvette. Tout doit être dans un plan, une stratégie bien définie et coordonnée. Quelques temps après l’Haïtien va commencer à blâmer l’Internationale d’avoir mal abordé le problème et l’Internationale va acculer l’Haïtien d’être incapable par manque de capacité d’absorption, d’incompétence et de corruption. Entre temps, les ONGs mènent la dance.

Cette LIBERTE dans l’esprit du 1er janvier 1804 doit être revisitée. C’est le moment d’une coordination haïtiennement solide via un leadership axé sur les résultats, de la construction d’un tableau de bord public par souci de transparence et du droit à l’Information. C’est aussi le moment de définir les grands enjeux, de mettre à jour les grandes orientations pour des résultats dans des temps précis, un ordre chronologique dudit programme de développement qui assure une durabilité systémique. Que l’on sache par exemple aussi banal que ça puisse paraitre…. sur un tableau quelque part « que la construction du Palais National se terminera exactement à quelle date » Cet exemple pourrait être le cas de plusieurs autres.

Je me rappelle quand le CCI a été accueilli à Washington, les ténors de la Transition se disaient « Eurêka ! » et l’Internationale montrait aussi une attitude optimiste, exactement le même scenario du 31 mars 2010. Deux ans après ce 19 juillet 2004, soit en juin 2006 malgré la volonté, l’expérience des hommes et femmes qui eux-mêmes ont fait l’Internationale et leur savoir-faire… certains vont dire en 2006, à tort ou à raison, que la montagne a accouché d’une souris… Visibilité questionnable! « Ils (les gens de l’internationale) viennent à mon bureau chaque jour, parfois m’empêchent de travailler, mais concrètement je ne sais pas ce qu’ils veulent. » lança l’ancien Premier Ministre de la Transition à un journaliste.

Peuple LIBRE en 1804, on peut l’être encore aujourd’hui en 2010 tout en re-conceptualisant, re-contextualisant la connotation du mot LIBERTE. Fort de cela, nous devons redéfinir nos intérêts nationaux dans un cadre stratégique, dégageant un rapport donnant-donnant, gagnant-gagnant, ceci portant vers une Nouvelle Haïti dans laquelle l’on sent une impulsion vers 10 ans, 20 ans et 50 ans. Si nous sommes pressés de voir les choses bric-à-brac arriver hier ou demain, sachez que l’Internationale n’est jamais pressée. Cette fois-ci, entre la solution et le problème, on saura pour de bon est-ce que c’est Haïti ou l’Internationale?

JJ JOSEPH

Le 4 avril 2010

Document original de l'Acte de l'Indépendance:

http://www.nationalarchives.gov.uk/dol/images/examples/haiti/0001.pdf

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