vendredi 2 août 2013

LA POLITIQUE DE REBOISEMENT DU GOUVERNEMENT MARTELLY-LAMOTHE EN PANNE DE STRATEGIES POLITIQUES ET ECONOMIQUES


La politique de reboisement du gouvernement Martelly Lamothe en panne de stratégies politiques et économiques ?

MICHEL WILLIAM
1 AOUT 2013

Le  reboisement et la conservation  des sols en Haïti sont  les  frères  siamois d’une nation  vulnérable mal prise en charge par un état délinquant. Pour n’avoir pas respecté l’enseignement général sur les bassins versants á savoir  la gestion d’un bassin versant repose sur  3  piliers fondamentaux: la planification intégrée, la responsabilisation territoriale et la prise en compte des contraintes paysannes  dans l’élaboration de la politique nationale, notre énergie est dépensée en vain. Le pays compte trente  bassins versants totalisant  2.177.000 has .De cette superficie, 1.749.900 has de  terre ayant plus de 20% de pente nécessitent une intervention urgente  de l’Etat  haïtien dans un contexte  hautement démocratique. Hautement démocratique   signifie la recherche  d’un consensus politique entre les trois grands pouvoirs de l’état, le quatrième pouvoir et l’opposition politique pour approcher la nébuleuse du reboisement du pays. Compris entre 100.000 et 300.000 gourdes á l’has, le cout des modèles de mise en défense et de reboisement des terres pratiqué dans les projets á financement étranger  n’est pas répétitif. Avec les prix exorbitants  de vente á la république  des plantules  forestières et  fruitières payés entre  vingt et quarante  gourdes l’unité, les gouvernements haïtiens   n’ont  pas opté pour le reboisement ordonné et planifié du pays .Ils ont  plutôt opté pour un  marché de plantules et d’expérimentation des structures anti érosives couteuses, profitables aux ayants droit.

Parallèlement, le pouvoir de Martelly depuis son arrivée aux affaires fait  face aux doléances d’une population  rougies au blanc par une presse  qui projette dans le politique la réalité économique de la rue et qui exprime  le raz de bol d’une opposition qui ne s’attendait pas du tout au retour d’un régime politique  proche du duvaliérisme. Le pouvoir de Martelly en s’attaquant á  n’importe quelle priorité des cinq E  choisies a d’abord un problème de perception politique á  résoudre. Pour le résoudre il devra s’appuyer sur l’aile démocratique de l’opposition  humiliée et affaiblie  par le pouvoir de Lavalas et INITE au cours des vingt cinq dernières années. Des ministères comme  l’Agriculture, l’Environnement, les Affaires Sociales, l’Education Nationale  et  l’Intérieur doivent être gérés par l’OPL, la fusion  la KID, le RDNP et Acaau, comme preuve de sincérité du mikisme á l’opposition anti duvaliériste que son pouvoir n’est pas un retour au duvaliérisme révolu. Ce nouveau pouvoir jettera les bases d’un programme idéologique de reboisement obligatoirement chaud dans les deux pointes, parce  que son exécution  aura exigé l’utilisation de la carotte et du bâton légal. Entendez par l’expression bâton légal une entente politique sur les institutions á mettre en place, sur les programmes et projets á  réaliser et  sur un arsenal de lois organiques et du code pénal révisé  á la lumière des technologies du vingt et unième siècle et des piliers fondamentaux ci-dessus évoqués...

 Le pouvoir de Martelly a choisi le slogan  « chak ayisyen yon pye bwa ». C’est bien, mais  on n’y  a pas trouvé la motivation á la fois nationaliste et économique des élites urbaines   et des paysans qui vivent dans le bassin versant á  reboiser. Encore moins un désir ardent  de  participation en masse de la jeunesse  des écoles qui bénéficient du PSUGO. Ironiquement le PSUGO divise plus qu’il n’unit. On ne sent pas la volonté du gouvernement de forcer le reboisement depuis la collectivité territoriale.  Dans les modèles récents  de reboisement tous les gouvernements haïtiens  sont  en panne de stratégies politiques et économiques. Aujourd’hui le problème haïtien n’est pas de planter des arbres  mais de trouver chaque jour   á  manger et á  entretenir sa famille. Si le reboisement lui offre cette alternative, sa participation est acquise déjà aux idées du pouvoir. Si le pouvoir fait du reboisement un programme  prioritaire, alors  il devra  démontrer qu’il est sérieux et qu’il entend que  tout le monde fasse de l’argent y compris le groupe politique   qui manœuvre derrière  cette idée. Produire des plantules et  les mettre en terre sont une face de la médaille  Le suivi permanent  donné aux plantules mises en terre á  travers les structures mixtes état /société civile est l’autre face de la médaille. Il n’y a pas de stratégie  ni á l’amont  ni á l’aval. C’est aussi le sérieux du gouvernement et des hommes d’affaires qui doit prévaloir  dans le choix des politiques énergétiques  publiques comme alternatives  á  l’utilisation du charbon de bois pour permettre aux investisseurs de faire de l’argent  á  moyen et á  long terme  et non á  très court terme  comme  c’est le cas actuel. Quid du consommateur ? »Jodiya, pou nenpot teknisyen repare yon tib an kwiv nan yon fou /recho a gaz pwopan, pipiti kob li mande  se cinq mil goud» .Yon ti recho 2 plas a gaz pwopan koute  2.500 goud. Yon bonbonn gaz 22 liv koute 600 goud. Yon pano solê 250 watt koute tet neg ,paske wap peye  1,75 dola uss, pou chak watt. Pa gen sekirite.Yap vole yo.Pa gen kredi pou malerez yo achte  teknoloji sa yo. Answit malerez sa yo pa idantifyab nenpot kote yale, pou pemet kredi a  swiv yo tou patou».Et  alors !

Quelles sont les causes justificatives du déboisement ? Quelles sont les politiques facilitatrices  du reboisement ? Quelles sont les conséquences  du non  reboisement ? On ne trouve aucune réponse á ces questions dans le programme triennal de 116 millions de plantules du MDE. Comme si le reboisement se ramenait seulement á placer des commandes de plantules, á les payer, á faire des commissions  puis á  les donner pour être plantées!

Cout d’un has  de terrain  protégé et  reboisé
 A  date et jusqu'à preuve du contraire, ni le ministère de l’agriculture, ni le  ministère de l’Environnement  ne dispose de cout  réel et pratique  pour un has   protégé et reboisé. Un has de terre protégé  et reboisé en montagne  était de quarante  mille gourdes á  l’has, il y a quelques vingt années. Aujourd’hui dépendant de la  nature des structures mécano végétatives de défense  et de restauration de sol établies et du type d’essences forestières  ou fruitières adaptées á   l’écologie,  le cout d’un has  protégé et reboisé  peut varier   de cent  mille á  trois cent  mille  gourdes.  Un seul seuil en béton peut couter jusqu'à 250.000 gdes. Une plantule de bambou est achetée par l’état  entre 50  et 300 gdes, dépendant de la hauteur. Un fruitier  coute  entre  30 et 40 gdes l’unité. Une plantule forestière de vingt cms de hauteur  coute entre vingt á trente gourdes. Une plantule de benzoliv coute dix  gourdes á la pépinière. La plantule de benzoliv  est livrable  sur un mois et demi (lajan an  fet vit vit, men li pa rive nan poch mounn kote ki bezwen benzoliv  la). En reboisant les terres avec une densité clairsemée de 40 á  50 arbres á  l’ha pour permettre temporairement les cultures vivrières sarclées et en prévoyant un taux de 10% de rejets (leftover) il faudrait quatre vingt six millions six cent vingt mille plantules .Imagine-t-on le montant astronomique que l’état aurait á  dépenser  pour produire simplement cette quantité de plantules achetées même aux prix de  la pépinière á 15 gourdes l’unité. On aura besoin d’un milliard deux cent quatre vingt dix neuf millions de gourdes (1.299.000.000 ).Quid  du  cout des seuils en béton, des seuils en murs secs, des haies vives, du transport, de la plantation, de l’entretien, des pots de vins ,en plus de la surveillance permanente des plantules  ? N’en parlons même pas. Que d’économie on aura faite par plantules en donnant ces contrats aux écoles de la section communale? Combien d’argent la république aurait économisé et quelle somme du  budget serait allée aux collectivités  et dans les écoles  en plus du PSUGO ?

Conclusion
Depuis tantôt une vingtaine d’années le reboisement est  devenu la   « nuestra  causa » ou celle de la « familia politica « des ONG internationales et des amis du cercle du pouvoir exécutif. Le reboisement tel que organisé est un processus de racket programmé dans le budget des ministères  ou des ONG dans le simple but de faire des commissions lucratives sur chaque plantule commandée. Ce sont des projets rigolo sauf ceux qui atterrissent maigrement  dans le milieu rural après avoir essuyé la mitraille des kyrielles d’organisations populaires qui relaient les prédateurs haut placés dans le braquage des fonds alloués au  reboisement.

Le pouvoir du gouvernement de Martelly et celui du parlement ne réalisent pas  que les citoyens  sont parvenus á  identifier les vrais problèmes du reboisement et qu’ils les enjoignent de mettre fin á  la valse  des millions qu’ils ne veulent plus  danser. Pour aider le reboisement  á trouver sa voie, mentionnons deux mesures prises dans un autre domaine  par la PNH et qui  ont marché très bien. La première  était le remorquage des voitures  en bon état mal stationnées  sur le  trottoir (les voitures en mauvais état  ne l’étaient pas). Le second est le port   obligatoire du casque  par les motocyclistes. La  première mesure fut rapportée parce que les pénalités payées par les contrevenants  n’allaient pas dans les caisses de l’état. La seconde est légitimement  observée parce que les contraventions  qui se paient chères sont distribuées par la police  au premier venu qui s’aventure á  circuler en moto  sans le port du casque dans les rues des grandes  villes. Si la gestion économique  de ces deux mesures est questionnable il n’en reste pas moins vrai que leur application avait porté  des fruits. Il faut simplement corriger les déviations .La même approche est suggérée pour compléter le paquet de mesures motivationnelles et contraignantes qui conditionnent la réussite d’un projet de reboisement.

Nous n’avons pas, nous n’aurons jamais assez d’argent pour mener á  terme un projet de reboisement  dans les 30 bassins versants dont les eaux en furie  dévastent á chaque averse tout sur leur passage. Au prix magouilleur des contrats de plantules signés entre l’état et les pépiniéristes il faudra  huit milliards de gourdes pour les produire. Avec une fraction du  budget d’investissement demandé de 1 552 142 521  de gourdes  pour le MDE ou de  6 409 316 728 de gourdes pour le MARNDR, combien d’années mettrait chacun de ces ministères  pour reboiser les basins versants et pour les protéger? Dire que les prévisions budgétaires faites par l’état et par la communauté  internationale sont généralement décaissées en fin d’exercice á hauteur de 60% pour le gouvernement  et de 41% pour l’étranger est encore  un autre sujet d’inquiétudes dans l’étude et dans la distribution du budget. Et si lá-encore  avec ces  huit milliards de gourdes  il y avait une chance sur mille que le reboisement réussisse, les haïtiens n’auraient qu’á  attendre l’arrivée de ce jour pour rendre grâce á  Dieu.

Non ! Non ! Il n’y a aucune chance que le reboisement  du pays  réussisse dans ces conditions. Il faut rejeter ces projets rigolo de 116.millions de plantules et de construction de master seuil en béton non étudiés dans un plan ordonné de valorisation des ressources humaines  et de renforcement des institutions étatiques  de proximité qui en conditionnent leurs succès. Si nous voulons que les projets de reboisement réussissent, commençons  d’abord par rétablir l’autorité de l’état dans les sections communales. Le reboisement du pays  est un must qui incombe au premier chef au pouvoir décentralisé. Nous ne pouvons pas  nous y soustraire. Organisons les pouvoirs locaux, rendons-les responsables et fonctionnels. Organisons la justice dans les sections communales. Organisons la police environnementale  ou la police communale sous le commandement de l’autorité civile  locale pour punir les contrevenants. Rendons la production de pépinières obligatoire dans toutes les écoles ayant bénéficié du PSUGO. Donnons ces contrats de production de plantules pour que l’argent du reboisement profite aux gens des zones á reboiser. Etendons ces mesures aux lycées publics et aux collèges privés du secondaire en milieu rural en échange des services fournis par l’état ou par le privé. Faisons  des pratiques de mise en défense  des sols et de reboisement une matière de base dans les programmes annuels d’examens scolaires. Mettons dans le curriculum des examens annuels  de fin d’études le reboisement  et la défense –restauration des sols comme des matières de base obligatoires. Rendons les services d’identification nationale et  d’intelligence nationale fonctionnels  pour pouvoir garantir le crédit donné par les banques  commerciales ou par une banque de développement. Et comme  toutes ces innovations demandent un consensus politique et  du temps pour  mettre en place une gouvernance locale  fonctionnelle ,votons une » loi d’expérimentation »,  choisissons des bassins versants pilotes  dans lesquels ce paquet intégré  de gouvernance et de reboisement sera expérimenté pour servir de lieux d’excursions, de démonstration et de motivation aux  groupes des leaders qui ont ces mêmes problèmes de reboisement chez eux. « Politik se fe tout mounn fe lajan. Martelly dwe fe lajan rebwazman ale nan môn kote rebwazman ap fet la, poul jwenn patisipasyon pep la  tout bon. Si Mateli eseye rale bo kotel,tout pati politik, LAVALAS  ak INITE te imilye yo, lap gen yon chans, poul sove pouvwa’l , ak pati politik  sa yo, kap ede’l nan rebwazman an,  pandan ke lap rasire  opinyon piblik la, menm si janklod Divalye se mounn pa li, pouvwa pal la, la, pa yon pouvwa  divalyeris  ki depase  deja  jodia.»

1er Aout 2013

Références
-Le bluff du Benzoliv et des 116 millions de plantules de reboisement du MDE
Michel William  Nouvelliste juin 2013
-Planter 116 000 000 d’arbres en trois ans (mai 2013 – mai 2016), 
en sommes-nous prêts? Karly Jean Jeune  juillet 2013
-Le « Benzoliv » ou la plante par laquelle le président  Martelly peut faire  la différence
 Forum internet Michel William  25 Mai 2013
-Morne L'Hôpital, les dés sont jetés
 Robenson Geffrard rgeffrard@lenouvelliste.com mercredi 06 juin 2012
-Projet de reboisement d’Haïti    Michel William 30 juin 2011
-Vulnérabilité environnementale  en Haïti Bassins versants  rapport USAID Haïti  20 juin 2010
-La problématique politique du traitement des basins versants Michel William  New York 13 Octobre 2011,
-Un contrat avec Ayiti en 5 points, publié dans les colonnes du journal Le Novateur #102 f Stuppard Wednesday, October 27, 2010
-Zonage  Foret des pins (selon le vocabulaire  en usage par les habitants de Foret des Pins/Maccaya.) Juin 2009 enquête d’opinion de Yves André Wainright
-Les actes de l’Atelier national sur les choix énergétiques MARNDR 21 janvier 2000

-Gestion des Bassins versants, politique sous sectorielle du MARNDR Agr Paul Verlaine  Jean Baptiste (Les actes de la semaine du developpent Rural 13-17 décembre 1999).

jeudi 1 août 2013

"L'ACCULTURATION"



« L’acculturation »
Serge H. Moïse av.

Barreau de P-au-P.

        On n’en parle pas assez, on n’en parle presque pas, mais le pire fléau qui puisse frapper une nation, plus terrifiant que la bombe atomique, demeure l’acculturation de ses élites.

        L’élite d’une société en est le guide nous enseigne la sociologie moderne. Elle en est le fleuron du développement social, économique, culturel et politique. C’est encore elle qui oriente l’éducation, le vivre-ensemble par l’exemple évidemment.

        Elle est le creuset de la mémoire collective, dispensatrice du savoir mais surtout du savoir faire. Elle combat le vice et la corruption sous toutes ses formes. Elle symbolise le beau, le bon et le juste.

        Or dans le cas de notre « singulier petit pays », au lendemain de la guerre de l’indépendance, la geste combien héroïque de mil huit cent quatre, nous avons opté pour la religion de l’ancien maître et pour sa langue, oubliant ou ignorant qu’une langue charrie les valeurs culturelles du peuple qui l’a inventé.

        Cette jeunesse lâchée en pâture pour être « dressée à la française » dans un environnement caraïbéen se retrouve confrontée à une hybridation de son ethos qui rend plutôt difficile la recherche identitaire indispensable à l’épanouissement de l’être humain.

        « Quand vous ne savez pas d’où vous venez, vous ne pouvez pas savoir où aller! »
        L’éducation dans de pareilles conditions se révèle une technique de manipulation, de lavage de cerveau efficace et efficient. C’est tout de même à travers « l’éducation » que la religion, instrument de domination par excellence, atteint insidieusement mais sûrement ses objectifs inavouables et inavoués.

        Tout a commencé avec l’histoire tronquée enseignée et transmise aux générations, les unes après les autres.

        Quoi de plus aberrant que des millions de jeunes négros caraïbéens qui récitent à tue-tête, sans savoir de quoi ils parlent : « Nos ancêtres les Gaulois… ».

        Autre fausseté bien ancrée dans le subconscient de nos pseudo-intellectuels qui vous diront avec une sotte fierté que le français est leur langue maternelle.

        D’autres vous répéteront avec assurance et dans un langage châtié et très pointu : « La révolution haïtienne est fille de la révolution française ». Ainsi, les idées libératrices de Danton et de Robespierre auraient traversé les océans et instruit les pauvres hères taillables et corvéables dans les Antilles, de la voie à suivre. Que ferions-nous sans nos cousins les Gaulois?

        Dire que pas un de nos « zentellectuels », historiens, sociologues et autres « analystologues » n’a pensé à questionner ces incongruités qui se répètent depuis plus de deux cents ans, exception faite de Jacques Casimir qui essaie de remettre la pendule à l’heure.

        Ce n’est un secret pour personne que la métropole peuplait les colonies des rebuts de sa société. Les indésirables repris de justice, forçats de tous calibres, les prostituées auxquelles on offrait une dernière chance de se refaire une vie relativement décente. Tout ceci est tellement occulté que les rejetons issus de ces croisements, s’enorgueillissent du premier géniteur européen de leur lignée, quant à la contrepartie nègre, n’en parlons pas, tout heureux que ce soit difficile sinon impossible de remonter de ce côté de l’arbre généalogique.

        Et tout le monde s’en accommode, sujet tabou s’il en est, comme une espèce de consensus social, l’unique d’ailleurs au sein de cette drôle de société.

        « Il a fallu l’union des noirs et des mulâtres pour réaliser l’indépendance de la première république nègre ».

        Que c’est beau à dire et à écouter! Mais de quelle union parlons-nous? Ogé, Chavannes et consorts ont tenté de régler leurs propres affaires et ont lamentablement échoué. Ces deux leaders ont d’ailleurs payé de leur sang cette échauffourée qui leur a valu hélas le supplice de la roue.

        Les rigaudins après une meilleure évaluation du problème se sont rendus compte qu’ils étaient perdus à moins de s’adjoindre les taillables et corvéables. Et comme lorsqu’on est en situation de faiblesse, il faut se monter plus intelligent, ces gentlemen n’avait pas d’autre choix que de confier le haut commandement des troupes à l’intrépide, l’inégalable Jean-Jacques Dessalines. Lequel, ne flairant pas le piège, se donna corps et âme jusqu’à la proclamation de l’indépendance. Il sera nommé gouverneur à vie, puis sacré empereur. Mais quand vint le moment de partager le butin de guerre et qu’il eût à poser la question fatidique :
        « Et les autres dont les pères sont en Afrique, ils n’auront rien ? »
       
 La réponse ne se fit point attendre en dépit des efforts désespérés de Charlotin Marcadieu. Quel était le projet de société qui sous-tendait cette présumée union qui devait faire la force? Et même après la mort de l’empereur, qu’est-ce qui a eu comme changement d’attitude et de comportement entre bossales et créoles? Divisions mesquines, préjugés incohérents et stupides qui ont culminé, en mil neuf cent quarante six (1946) à ce mouvement noiriste qui n’a guère fait mieux.

        Le colonel John Russel, qui a cantonné au pays pendant l’occupation américaine, confiait à un de ses amis que l’homme haïtien, quelle que soit sa formation, a la mentalité d’un gamin de sept ans. Le président américain Franklin Delanoe Roosevelt n’a-t-il pas affirmé, que pour mieux tenir en laisse ces négros turbulents, il fallait faire en sorte que les va-nu-pieds soient toujours à couteaux tirés avec les nantis portant souliers? Et la vie suit son cours habituel depuis toujours comme si de rien n’était avec le résultat que plus ça change, plus c’est pareil.

        Rions un peu pour ne pas en pleurer. Ceux de notre âge s’en souviendront avec le rictus qui convient en la circonstance. Un petit effort de mémoire, lequel d’entre nous, adolescent et fougueux pouvait oser conter fleurette à une demoiselle de bonne famille dans notre vernaculaire? Il était remis à sa place immédiatement et de belle façon, comme le dernier des béotiens.

        Écrire une lettre à l’élue de son cœur et qui serait ponctuée de fautes d’orthographe ou de mauvais accords dans les verbes, il est voué aux gémonies et son avenir s’annonce peu prometteur.

        Très jeune, il nous a été inculqué que le «  kreyòl » n’était pas une langue humaine et nous y avons cru comme tout bon colonisé.

        Au tout début de l’émigration haïtienne vers des cieux plus cléments, nos compatriotes s’en allaient en République Dominicaine puis à Cuba. Rares étaient ceux qui s’avisaient de traverser les rives du Potomac où ils étaient confinés dans des fonctions de larbins de service.

        Puis vînt l’exode massif à cause de la satrapie duvaliérienne, nos diplômés en quête de survie, furent trop heureux d’offrir leurs modestes services aux différents pays avancés qui au même moment en avait grand besoin.

        Nous y étions en sécurité, vingt fois mieux payés que nous ne l’aurions jamais été sous les tropiques, le Canada, le Québec en particulier, les États-Unis, l’Afrique et la France pour ne citer que ces pays-là, sont vite devenus des havres de paix et de bonheur. Création d’emplois en permanence, la loi l’ordre dans la cité, on était donc enfin sorti de l’auberge.

       Inconsciemment l’acculturation s’accentue et nous fait prendre des grands airs vis-à-vis de ceux-là restés en arrière, dans la colonie dirigée par des comédiens érigés en « rois-nègres », comme l’ont d’ailleurs si bien expliqué Frantz Fanon et Kléber G. Jacob.

        Et en ce qui nous concerne, nos frères « kyskeyens » l’ayant compris ont décidé à travers la constitution de mil neuf cent quatre vingt-sept, en ses articles 13 et 15, nous ont administré, mais à tort bien sûr, un magistral coup de pied au cul.

        Tout ce qui précède n’a d’autre objectif que de nous rappeler que nous sommes tous responsables de la situation lamentable de notre pays, le plus corrompu et le plus pauvre de l’hémisphère, qu’il nous incombe d’en prendre conscience et d’envisager ensemble, main dans la main les voies de notre propre rédemption.

       Haïti c’est chacun d’entre nous, où que nous soyons et quoi que nous fassions. Nous devons donc nous ressaisir individuellement et collectivement afin de divorcer d’avec les effets pervers de notre acculturation et renoncer dans les plus brefs délais au « pitô nou lèd nou la ».

        Nous pouvons le faire et nous le ferons lorsque tous ensemble dans un tête-à-tête franc, ouvert, honnête et constructif, nous parviendrons à donner préséance aux intérêts supérieurs de la nation en mettant de côté nos ambitions personnelles et mesquines.

                                                                

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