mercredi 19 mai 2010

ÉCHEC D’UNE RÉFORME

ÉCHEC D’UNE RÉFORME
Heidi FORTUNÉ
15 mai 2010

Avant même qu’elle ne commence, la réforme judiciaire va déjà dans le mur. Elle ne prend pas vraiment en compte ce qui doit l’être, préférant plutôt des aménagements superficiels et cosmétiques. Elle va dans la lignée du conservatisme haïtien dont le mot d’ordre reste : « surtout ne rien changer en profondeur ». C’est encore une fois l’inadaptation foncière de l’esprit étroit de nos dirigeants à la modernité qui se met en lumière. Les mêmes méthodes, les mêmes habitudes, les mêmes connivences sont là. Le droit haïtien reste tout aussi archaïque que féodal. Pourtant, un changement profond et réel y est indispensable et incontestable.

Pour réformer, il faut identifier l’objectif et mettre les moyens pour y arriver. Mais pour identifier l’objectif, encore faut-il se poser les bonnes questions. Voila deux ans et demi que le processus de réforme est engagée au niveau de la justice haïtienne et aucun changement majeur, aucune incidence apparente n’ont été ressentis par ce passage. Aujourd’hui, nous assistons à l’échec cuisant d’une réforme qui, jusqu'à maintenant, ne se concrétise pas sur le terrain. Les maux de notre système judiciaire sont tellement nombreux que même une radioscopie électromagnétique n’est pas suffisante pour y remédier.

La réforme, ce n’est pas d’offrir seulement aux chefs de juridictions des véhicules et des frais de fonctionnement, il faut également penser aux officiers de police judiciaire et principalement aux Magistrats instructeurs qui représentent la force motrice et le noyau central de la chaîne pénale. Il faut comprendre que le Doyen et le Commissaire du Gouvernement ne sont aucunement impliqués dans l’enquête criminelle proprement dite. La réforme, ce n’est pas d’octroyer à certains magistrats proches du pouvoir de petits avantages, ce n’est pas seulement l’ajustement des salaires, c’est d’avoir une justice rapide et efficace qui répond aux vœux des justiciables. La réforme suppose une redéfinition du rôle des Parquets, une meilleure distribution des moyens de la justice, une professionnalisation et une spécialisation accrues des Magistrats, des primes de risques, des avantages sociaux pour les Juges et un renforcement de la continuité du service public de la justice.

Avec la création de l’Ecole de la Magistrature, on devrait revoir le mode actuel de nomination des Magistrats et consacrer leur inamovibilité effective dans toute l’acceptation du terme. La réforme judiciaire devrait prendre en compte la refonte de nos codes de lois, simplifier la procédure pour un divorce par consentement mutuel en supprimant l’audience obligatoire devant le juge lorsqu’il n’y a pas d’enfant à charge. La réforme devrait favoriser la collégialité des Magistrats dans des cas particuliers et penser à la dépénalisation (sauf en cas d’insolvabilité ou de récidive) de certaines infractions telles : les contentieux de la propriété intellectuelle et la diffamation. La réforme devrait également supprimer la présence du Ministère Public au procès civil et alléger les procédures en développant les modes alternatifs de règlements à l’amiable. La conciliation et la médiation devraient être aussi renforcées. Une procédure participative de négociation assistée d’un avocat serait créée, et proposée par l’avocat à son client. En cas d’échec, le dossier serait transmis à un tribunal. La réforme devrait enfin préconiser au procès pénal les procédures simplifiées du plaider-coupable (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en dehors de toute mise en examen) et proposer un renforcement de la compétence des Juges.

L’Exécutif ne manifeste aucune volonté pour renforcer la justice ou pour améliorer son efficacité et sa visibilité. Il fallait penser à la construction de véritables Palais de Justice où les citoyens trouveraient de la conciliation, de la médiation civile et pénale, des consultations juridiques gratuites, un guichet unique du greffe et un réseau informatique branché sur internet au service des Magistrats. Patauger et s’agiter dans l’eau ne veut pas dire qu’on est en train de nager. En d’autres termes, il y a une différence entre s’activer et accomplir quelque chose qui en vaut la peine. Il est évident que les gens faisant partie de la Commission pour la Réforme du Droit et de la Justice(CRDJ) n’ont pas de vision novatrice…tout comme le gouvernement qui les a nommés d’ailleurs. Et pour preuve, la soi-disant réforme a finalement accouché d’une souris. Croyez-nous, elle sera remise en question sous peu pour impasse. Et pour éviter cela…des discussions doivent s’ouvrir. Sinon, il faudra donc faire avec pendant longtemps encore…pour le meilleur et surtout pour le pire.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti, Ce 15 mai 2010
http://heidifortune.blogspot.com

dimanche 16 mai 2010

Haiti-Reconstruction : Le pari américain face au défi haitien

Haiti-Reconstruction : Le pari américain face au défi haitien

Haïti: Par Pierre-Richard Cajuste
et Jean-Robert Hérard*

Le « débat » passionné, qui a cours ces jours-ci autour de la constitution de la Commission intérimaire pour la reconstruction d'Haïti (CIRH), de par ses orientations fondamentales et son contenu insidieusement politicien, est loin de toucher le fond du problème. On a vu que certaines interventions dans les médias, purs produits des enthousiasmes primesautiers et du déni de la réalité existante, passent tout à fait à côté de l'enjeu politico-stratégique qui fonde la formation de cette Commission. C'est facile de tomber dans des invectives empreintes d'un fort relent de nationalisme éculé et d'éviter d'imaginer une approche plus réaliste et plus adaptée à la situation actuelle. C'est facile de vociférer et de crier haro sur le baudet de la « mise sous tutelle », d'élucubrer sur la « perte de souveraineté », de fantasmer autour de la présence sur le territoire national de prétendus Sonthonax et Polvérel !....Oui, c'est facile ! Car le contraire exigerait un effort de recherche, de réflexion, d'auto-critique et aussi... de courage politique pour admettre que la culpabilité est aussi partagée.

Le risque évident de ce piétinement théorique, de l'insipidité de ces faux débats reste le galvaudage intellectuel d'une opportunité, d'une chance - la dernière, peut-être ! - que les Haïtiens ne peuvent se payer le luxe de laisser passer. Les enjeux politico-stratégiques et opérationnels de cette Commission intérimaire revêtent une importance particulière et ne sont guère des trouvailles de dernière heure du Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki Moon, ou de l'ancien président américain Bill Clinton. Elle est la résultante d'un long processus tapissé de crises politiques, d'échecs économiques, de passions idéologiques effrénées, de despotismes, de répressions, d'interventions militaires dans l'arène politique, d'interventions de la politique dans les casernes militaires, d'erreurs de politiques stratégiques, de tactiques politiques erronées, d' une carence de vision globale, etc... Et si aujourd'hui l'Organisation des Nations Unies semble avoir la haute main dans les affaires du pays, c'est tout bonnement parce que c'est par elle que la prise de conscience de la situation haïtienne est arrivée aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale.

Origines de l'engagement de la communauté internationale

La préoccupation de la communauté internationale par rapport à la situation haïtienne ne date pas d'hier. En ce sens que l'implication de l'ONU dans les affaires nationales haïtiennes fut une aventure politique théorique et opérationnelle menée techniquement par l'organisation mondiale qui a fini par inscrire Haïti dans ce que le philosophe appelle « le grand jeu de l'historico-mondial ». Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a dévasté une bonne partie du pays a effectivement mondialisé la cause haïtienne à un point tel que la prise en charge, l'engagement des nations donatrices et l'application du concept de « responsabilité partagée » semblent maintenant devenir des réalités incontournables. Il n'en reste pas moins que les Nations Unies se sont penchées sur le problème haïtien depuis qu'en juillet 1949 le Conseil Économique et Social (ECOSOC) de cet organisme publiait le rapport de la Mission d'assistance technique des Nations Unies auprès de la République d'Haïti. Ce rapport signé personnellement par le Secrétaire général d'alors, Trygve Lie, a salué la Mission comme « une innovation dans l'ordre des activités des Nations Unies » et comme une sorte de « prélude aux plus vastes efforts que les organisations internationales intéressées [seraient] appelées à déployer [...] dans l'exécution du programme audacieux d'assistance technique aux pays insuffisamment développés ».

La question de « développement » n'a jamais été abordée ; l'impératif des crises politiques successives dans le pays a fini par gommer toute initiative de penser une nouvelle stratégie de développement. Bien que les partenaires techniques internationaux rassemblés au sein de l'ONU aient compris que cet « État en faillite » n'est pas à même de jouer ses fonctions régaliennes, il reste que la politique a damé le pion à toute autre option politique.

Les premières élections présidentielles transparentes, honnêtes et justes réalisées dans le pays ont été organisées par les Nations Unies en décembre 1990 quand la Présidente provisoire d'alors Mme Ertha Pascal Trouillot en a fait la demande expresse.

Mais le coup d'État militaire du 30 septembre 1991 qui avait renversé le Président constitutionnellement élu Jean-Bertrand Aristide et la période d'instabilité grave qui s'en était suivie, ajoutés aux pressions et sanctions internationales, ont conduit à la saisine du cas haïtien par le Conseil de Sécurité. La Résolution 940 du 31 juillet 1994 évoquait le Chapitre 7 - Haïti comme menace à la paix et à la sécurité internationales — et autorisait l'usage réel de la force en Haïti pour déloger les militaires putschistes en septembre 1994 et favoriser le retour au pouvoir du Président Aristide.

Dans la même foulée, le Conseil de Sécurité, dans la résolution 1212 de 1998, avait invité les organismes et institutions des Nations Unies, en particulier le Conseil Economique et Social, à contribuer à l'élaboration d'un programme d'aide à long terme à Haiti. Une grande première dans l'histoire de l'Organisation, en effet !

Plus tard, la résolution 1999/4 du 7 mai 1999 de l'ECOSOC qui a créé le Groupe Consultatif Ad Hoc est en ce sens très significatif puisque sa mission est de formuler des recommandations sur les dispositions à prendre pour que l'aide internationale à Haiti soit suffisante, cohérente, bien coordonnée et efficace. Toutefois, l'instabilité politique n'a permis au groupe de fonctionner seulement pendant une période de trois mois.

En 2004, après le renversement par la force du président Aristide, le Chef du Gouvernement Intérimaire, le Premier Ministre Gérard Latortue, demandait à l'ECOSOC de réactiver le Groupe Ad Hoc et le programme d'aide à Haïti. Cela a pris effet lors des Sessions de Fonds du 23 juillet 2004 et du 11 novembre 2004. Par lettre en date du 27 juin 2005, destinée au président de l'ECOSOC, le Chef du gouvernement intérimaire a fait savoir que son gouvernement a pris la disposition de constituer une cellule de réflexion stratégique, un « Think Tank », dont le mandat sera de définir le contenu du programme à long terme et de travailler en étroite collaboration avec le « Groupe Consultatif Ad Hoc. »

En réitérant cette demande, le Gouvernement Intérimaire a, sans nul doute, engagé le pays dans une autre forme de coopération sensible, dans la mesure où un organisme international est invité à préparer pour le compte de l'actuel et des futurs gouvernements haïtiens des programmes à long terme de développement. Le schéma que le Premier Ministre Latortue avait à l'esprit n'a rien à envier à la constitution de cette Commission intérimaire d'avril 2010.

Avec l'élection de Ban Ki Moon comme Sceretaire Général, l'Organisation a commencé à repenser sa stratégie en Haïti. Les divers échecs essuyés sur la question haïtienne ont poussé les décideurs à rejeter la démarche conventionnelle pour embrasser une nouvelle approche axée sur l'investissement. Ce tournant s'est inscrit dans les débats au sein du Conseil de Sécurité quand la Chine et la Russie se sont poussés en avant avec l'analyse a savoir que la question haïtienne n'est pas seulement politique mais que la situation socioéconomique du pays devrait être adressée avec autant d'urgence que de rigueur et de rationalité si l'on ne veut pas être pris au piège de cette instabilité chronique.

Alors que ce débat faisait son bonhomme de chemin dans les couloirs de cet immeuble de vert glauque surplombant l'East River, entre les diplomates échangeant, entre autres, leurs opinions sur la dernière collection printanière des complet-vestons de chez Savile Row ou de chez Brooks Brothers, des « scholars », comme l'économiste Paul Collier, sur la demande du Secrétaire General, ont voulu se prononcer sur la question haïtienne. La nomination de Bill Clinton en septembre 2009 comme Envoyé Spécial du Secrétaire Général entrait dans cette logique de prise en charge face à l'incapacité des acteurs nationaux à prendre en mains les destinées du pays.

L'on savait que Bill Clinton, comme ancien Président des Etats-Unis, allait utiliser son influence pour non seulement inciter les investissements dans le pays, mais aussi porter les donateurs à respecter les engagements pris vis-à-vis du pays. Tout semblait aller comme sur des roulettes quand la crise créée par la destitution prématurée et gratuite du Premier Ministre Michèle Pierre-Louis est venue bloquer le processus et épouvanter quelque peu les potentiels investisseurs qui avaient préalablement payé une visite guidée au Bord-de-Mer, constaté le potentiel d'Haïti et finalement envisagé l'exécution de projets dans le pays.

Le contexte post-12 janvier 2010 venait à relancer le dossier Haïti avec plus de rigueur à un moment où l'on craignait un « ras-le-bol des donateurs » vis-à-vis de la question d'Haïti. La communauté internationale est parvenue à la conclusion que les perfusions traditionnelles ponctuelles au malade ne sont pas suiffisantes, mais qu'il faut plutôt une intervention chirgucicale, drastique pour extirper les maux qui rongent le pays.

L'absence d'une doctrine de la pauvreté

Qui ne se souvient des grands débats idéologiques des années 60 sur les diverses théories de la modernisation et de la dépendance entre les théoriciens, académiciens en Occident et dans le Tiers-Monde. De Walt Rostow et Samuel Huntington à Raul Prebisch et Samir Amin en passant par André Gunder Frank, il faut croire que la Guerre Froide attisait la chaleur des grands conflits intellectuels et théoriques sur les voies du développement et de la lutte contre le sous-développement.

La décade 70-80 a connu aussi l'émergence de nouvelles théories sur le développement parmi les intellectuels marxistes et non-marxistes et sur les diverses stratégies appropriées pouvant aider les pays en voie de développement à sortir de l'ornière de la pauvreté. Toujours dans le registre de l'eschatologie marxiste, on se souviendra des grandes articulations discursives des Paul Sweezy, Paul Baran, Charles Bethleheim, et plus tard, James Petras, Irwing Kristol et consorts sur la dépendance d"un Tiers-Monde se débattant à la périphérie du centre impérial. Ce genre de discours qualifié de « progressiste » a eu ses adeptes et...ses critiques. Jusqu'à date, il fait florès dans certains milieux où l'on discute passionément sur les veines ouvertes de l'Amérique Latine dénoncées par l'Urugayen Eduardo Galeano. Un oeuvre considéré comme une sorte de Bible, de « Popol Vuh » moderne pour les militants de la gauche et même pour un dirigeant socialiste au pouvoir comme Hugo Chávez, comme l'avait été une décade plus tôt celui de Pierre Jalée sur le pillage du Tiers-Monde. Bref, nous citons cette époque parce qu'elle avait mis bas, en pleine guerre froide, une atmosphère chaude de débats politico-idéologiques hautement intellectuels, desquels les idées articulées étaient opérationnalisées et empiriquement testées et modelées dans la glaise du réel par les dirigeants du Tiers-Monde assistés des bailleurs de fonds. Il y avait des doctrines du « développement », dont la validité - ou non - pouvait être évaluée. Chaque camp - Etats-Unis et Union Soviétique - se débattait avec sa cohorte d'alliés pauvres du Tiers Monde pour chercher à tirer ses marrons du feu de ces expérimentations conceptuelles pour enfin fièrement proclamer la vérité de leur Utopie.

Aujourd'hui, le contexte n'a plus cette configuration d'échanges/conflicts théoriques sur les réalités des pays pauvres. Et pour cause. Avec la fin de la guerre froide et l'échec des programmes d'ajustement structurel prônés durant la décades 80-90 par les institutions de Bretton Woods, les pays riches se sont engagés dans une spirale de lutte contre la pauvreté dont les tenants et les aboutissants ne s'arcboutaient sur aucune doctrine scientifique, bien spécifique. Les défaites expérimentées avec l'application des théories dites scientifiques dans les pays capitalistes de la périphérie, la perversion et l'échec des initiatives marxistes-léninistes tentées par divers pays du Tiers-Monde ont conduit au constat de la réalité de la pauvreté comme marque fondamentale des pays don't certains comme Haïti se situent nettement en dehors de l'historico-mondial capitaliste.

On a beau critiquer les manquements du système, les failles des institutions d'État, le déficit de savoir-faire, le délabrement des infrastructures -surtout après le 12 janvier 2010 - etc...on dénonce, on dénonce tout ça de manière ponctuelle, sans s'accorder sur une vision nouvelle de ce que devrait être la gouvernance politique. En un mot, il n'existe pas de corpus doctrinaire sur la thématique de la pauvreté et de l'Etat en faillite qui structure les énoncés des politiques publiques dans une sorte de paradygme scientifique qui serait le modèle, le « blueprint » à adopter et à mettre en oeuvre...Les DSRP sont-ils parvenus à cet objectif final ? Vont-ils permettre aux pays de satisfaire les objectifs du Millénaire prévus pour 2015 ? La question reste ouverte...

Dans la perspective d'arriver à un consensus universel sur la question de la pauvreté et de la bataille pour son éradication, les Nations Unies ont parrainné quatre conférences internationales qui ont créé l'espace pour l'articulation des négociations entre les pays développés et les pays émergeants en vue de ré-équilibrer l'équation de la planète. Il s'agit du Sommet du Millénaire de 2000, du Sommet de Doha (Qatar) en 2001, suivi par la confirmation des engagements des pays riches lors de la Conférence sur le financement du développement de Monterrey en mars 2002 et de la Conférence de Johannesburg de septembre 2002 sur l'environnement et le Développement Durable.

L'inévitabilité du « success story » américain

L'image du Président Bill Clinton accompagné de l'ex-président George W. Bush déambulant sur les ruines de Port-au-Prince contient une charge symbolique que l'on aurait intérêt à décrypter dans l'intérêt de l'analyse sur l'implication des Etats-Unis dans la crise haïtienne. Pareille symbolique est on ne peut plus éloquente et elle ne véhicule qu'un message : l'engagement des Etats-Unis en Haïti s'est articulé sur une base bipartisane (Démocrates et Républicains). Un genre de consensus, de « contrat politique » que la culture politique américaine généralement privilégie et chérit. Ce qui, malheureusement fait défaut chez nous.

La vénération quasi-religieuse de la Présidence en tant qu'institution fait partie intégrante de la symbolique patriotique américaine. Elle est fondamentale dans la culture politique du pays — même quand et surtout quand il s'agit d'un ancien Président. L'ethos américain ne s'accomode pas de l'échec ou de l'humiliation d'un Président en exercice ou d'un ancien Président qui continue à jouir de l'aura d'honneur dont l'a couvert la fonction éminement prestigieuse qu'il a occupée au numéro 1600 de la Pennsylvania Avenue à Washington. Ce n'est pas une mince affaire : il n'y a qu'à regarder l'apothéose, la grandeur et le faste qui entourent les fameuses inaugurations des « Libraries » des anciens Présidents, une forme muséographie présidentielle visant à faire perdurer dans l'imaginaire américain les moments forts de leur passage au Bureau Ovale. Ainsi on voit mal que l'Establishment américain, le Président Barack Obama en particulier, va laisser le Président Bill Clinton se casser les dents sur la coque dure de la réalité volatile d'Haïti. L'on dira que le passé est là qui témoigne de ces échecs successifs des Etats-Unis en Haïti. Oui, c'est un point valable ! Mais la réalité est tout autre cette fois-ci. Pourquoi ?

Pris dans le bourbier afghan et irakien, incertain des pulsions incontrôlées d'Amadinejade et des envolées lyriques d'Hugo Chávez, il n'y a au tableau que la République d'Haïti qui offre au Président Obama l'espace rêvé pour l'articulation d'une histoire de succès politico-diplomatique.

D'un autre côté, l'engagement international, surtout américain, se présente du côté haïtien comme un choix entre la solidarité intéressée des partenaires techniques internationaux et la menace d'apocalypse pesant sur le pays si les Haïtiens sont laissés livrés à eux-mêmes. L'un des signes que les choses ne sont pas les mêmes qu'en 1990 et que les allégeances politiques peuvent ne plus épouser les contours idéologiques du passé, c'est l'entente tacite entre des intellectuels et des fractions des masses populaires qui se retrouvent sur la même longueur d'ondes, dans ce partage du destin qui s'exprime comme l'exaltation sacrificielle d'une solidarité internationale.

De 2004 à nos jours, la partie haïtienne engagée dans les négociations avec l'ONU, principalement par la faiblesse patente d'une diplomatie multilatérale incohérente et/ou l'absence d 'une compréhension réelle des problèmes et du fonctionnement de l'organisation des Nations Unies, ne s'est pas rendue compte que le pays doit enfin emprunter la voie de la « responsabilité partagée ». Bref, elle n'a pas su honorer ses responsabilités. C'est précisément ce manque qui explique que la communauté internationale a unilatéralement augmenté son influence numérique et ses responsabilités au sein de la Commission intérimaire. Ce déséquilibre se lit aussi comme l'expression d'un manque de confiance par rapport aux dirigeants haïtiens. Ce n'est pas un hasard que les médias internationaux et américains ont matraqué durant des semaines l'esprit des téléspectateurs sur les accusations de corruption et de mauvaise gestion des gouvernants haïtiens de Duvalier à nos jours. Le Président René Préval jouit de l'appui politique de la communauté internationale, certes ! Mais la « stabilité » dont se vantait le Président Préval — stabilité qui n'était autre que le silence de l'opposition traditonnellement vocale et médiatique - semble avoir pris fin...

C'est un fait qu'aujourd'hui l'« oecuménisme » du Président René Préval a sauté de toutes pièces et que les chapelles d'opposants s'éparpillent pour confesser publiquement leurs désaccords. La lune de miel étant terminée, les uns et les autres pourront user de leur pouvoir de convocation et leur capacité de nuisance pour subervertir le processus. L'espoir, dans ces conditions, est que l'intervention décisive de cette Commission intérimaire dans la réalité de la Reconstruction va coaguler le flot des passions politiciennes de l'opposition.

Le fait est que la Loi d'Urgence est irréversiblement votée et que l'existence de la Commission intérimaire est une réalité de l'heure. Que faire ? C'est la grande question pour les commentateurs. Pour beaucoup, ce nouvel espace de développement de la solidarité internationale reste une opportunité, tout en ayant à l'esprit une démarche inclusive, consensuelle la seule voie pour sortir Haïti de ce que le philosophe Bernard-Henri Lévy appelle « la nuit de la non-Histoire ». Et, c'est aussi Aragon qui nous apprend que « quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat ».


* Jean-Robert Hérard (Jeanroherard@yahoo.com) est un ex-Ambassadeur d'Haïti au Venezuela, et Pierre-Richard Cajuste (Cajuste2000@yahoo.com), ex-Délégué haïtien aux Nations Unies.

samedi 8 mai 2010

Qui ? Qui ?

Les pieds dans le plat, rubrique du Nouvelliste
Qui ? Qui ?

Gary Victor

7 Mai 2010

Haïti: De nouvelles répliques ont été ressenties lundi après-midi à Port-au-Prince, comme pour nous rappeler qu'on aurait tort déjà de tout oublier pour que nous nous acharnions encore dans nos attitudes et nos comportements suicidaires. On a beaucoup parlé, après le séisme du 12 janvier, d'année zéro, d'une possibilité maintenant de repartir sur de nouvelles bases. Mais on ne repart pas sur de nouvelles bases, quelle que soit l'ampleur de la catastrophe, si on n'identifie pas sereinement les causes de cette fragilité qui a permis la destruction.

Quelques semaines après le 12 janvier, il est malheureux de constater que beaucoup persistent encore dans des pratiques qui ont à voir avec nos longues habitudes de survie individuelles toujours préjudiciables à l'intérêt collectif. Des élans apparemment patriotiques sont motivés, au fond, par des intérêts purement égoïstes. Dans l'incapacité de notre société de produire des hommes d'État avec une conscience aiguë de notre devenir, la communauté internationale ne peut que proposer des plans suspendus dans les airs, dont une grande partie restera voeux pieux sous prétexte qu'aucun projet concret n'aura été présenté par nos dirigeants. Car, il faut bien l'admettre, rien ne risque de marcher du côté national si les traditionnels ripoux ne perçoivent pas des avantages immédiats et tangibles, puisque là est leur seul intérêt, la population haïtienne n'ayant toujours été pour eux qu'une variable insignifiante, pour ne pas dire inexistante.

Aussi les nationalistes aujourd'hui se retrouvent pris dans un cercle vicieux où ils ne peuvent s'agiter qu'en s'enfermant dans le cadre étroit d'une rhétorique de toujours. On admet que le pouvoir en Haïti est corrompu, incapable de gérer ladite reconstruction, mais en même temps on ne doit pas donner à l'étranger l'autorité de gérer cette reconstruction. Il faudrait alors penser un autre cadre pour le pilotage de cette reconstruction. Mais à chaque fois qu'on a pourfendu un pouvoir en Haïti, c'était pour permettre à d'autres ripoux de venir s'asseoir à la table. Serait-ce une malédiction ou quelque part, dans nos pensées, dans nos pratiques, se trouverait ouverte une quelconque trappe pour évacuer constamment les tentatives de sortir des rails de la sclérose ?

Il faut admettre en premier lieu que nos gouvernements ne sont que l'expression du malaise de tout notre corps social, l'expression de cette corruption que toute notre société accepte comme normale, comme une pratique qui, refusée par quelqu'un, fait de lui un renégat, un imbécile aux yeux de ses pairs et de sa famille. La ségrégation cultivée au haut de l'échelle sociale est vécue et intériorisée même dans les couches les plus basses de la population. Le mépris de nous-mêmes, le mépris de l'autre, le mépris de la vie est devenue la norme, que ce soit chez lesdits ignorants que chez les dits instruits, même en terre étrangère.

D'où la nécessité du renouvellement du matériel humain haïtien tout simplement. D'où la nécessité de faire de l'éducation la priorité pour qu'on puisse bâtir un autre pays, et non pas rebâtir, ce qui sous-entend que le sphinx crasseux que nous connaissions renaisse de ses cendres. Mais là encore, nous sommes dans le cercle vicieux. Qui va concevoir cette nouvelle politique pour l'éducation ? Qui aura intérêt à ce que nous ayons un autre matériel humain qui n'ira pas prendre des bains de piscine ou nous choisir ces horreurs que nous avons toujours connues comme dirigeants depuis que cette nation existe ? Qui ! Qui ?

Gary Victor

Prolongeons le mandat, changeons la Constitution, donnons du temps au temps

Prolongeons le mandat, changeons la Constitution, donnons du temps au temps
EDITO du Nouvelliste
Frantz Duval
6 Mai 2010


Haïti: Comme un professeur le premier jour de classe à l'école maternelle, le président René Préval a reçu la presse au Palais national pour sa presque rituelle conférence de presse de la quinzaine.
Assis seul à son bureau, très maître d'école, sûr de lui, prolixe, sortant une série d'arguments rodés, plaisantant pour alléger l'atmosphère, le président a vendu sa marchandise : crise au sein du C.E.P, prolongation de son mandat, liberté de la presse.
La leçon sur la liberté de la presse a été la cerise sur le gâteau, en fin de conférence. D'ailleurs, il fut plutôt question des responsabilités de la presse.
Comme un chat qui déguste du petit lait, le premier citoyen de la nation a sorti un ensemble d'exemples qui en moins d'une semaine décrédibilise la presse. Des médias importants et des personnalités incontournables du monde médiatique en ont reçu pour leur grade. Sans acrimonie, mais avec un plaisir non feint, le président a fait la leçon, félicitant les uns, indexant les autres sans sortir du cercle de l'ANMH.
Point par point, le président a retracé les gaffes, la précipitation et la légèreté qui ont présidé la conduite de certains dossiers, la semaine écoulée.
« Il y en a qui ne vont pas en dormir cette nuit », a lâché un journaliste qui assistait à la prestation présidentielle. « Tout vaut mieux que l'énervement... », a soutenu un autre.
Sur le dossier de l'amendement de la loi électorale qui permettra au président de rester 96 jours de plus que prévu au cas où les élections n'auraient pas lieu à temps, le chef de l'Etat a dit et redit sa bonne foi. L'acrobatie a dû être pénible pour ce président connu pour son grand respect de sa parole prononcée. Plus question de partir impérativement et de plein gré le 7 février 2011.
La Constitution en est sortie écartelée entre la date fétiche du 7 février inscrit en toutes lettres dans la loi mère pour l'entrée en fonction du président élu et la durée du mandat présidentiel qui est de cinq ans, elle aussi consignée dans la Charte fondamentale de 1987. La proclamation des résultats, qui fit de lui président en 2006 et fixait les termes de son mandat, a été passée aux oubliettes.
Le souci de la concordance et de l'harmonisation du temps électoral et du temps constitutionnel a été la conjugaison du jour.

Dans cette affaire, c'est le principe de la mécanique des organes phalliques qui s'applique : quand un bout passe, tout passe. On a prolongé le mandat des maires, des députés et des sénateurs, pourquoi refuser un si petit extra au président. Cette mécanique est une affaire de pouvoir et celui qui a avec lui la force, législative dans ce cas précis, a tous les droits.
A propos du CEP, le président fut tout aussi à son aise. Encore une fois, l'organe électoral offrit au chef de l'Etat la facilité de l'argumentation. Les conseillers se fourvoient si souvent que cela devient pitoyable. Préval a toutes les cartes en main, grâce à un prétexte offert sur un plateau par les conseillers eux-mêmes, pour changer de C.E.P sans donner l'impression de le vouloir et de satisfaire ainsi le souhait ardent des partis politiques réticents à entrer dans le jeu électoral.
La conférence de ce jeudi a prouvé, encore une fois, que le président est passé maître dans la maîtrise du timing et du terrain. En inventant la prolongation du mandat que personne n'attendait, en instillant dans les pensées de l'opinion que les élections ne vont pas avoir lieu de sitôt et en préparant le pays à l'entrée en scène de la constituante (le ministres Jasmin à vendu la mèche ce matin en estimant souhaitable la convocation d'une l'Assemblée constituante), Préval envahit l'espace médiatique et donne le la.
Oublions les vrais problèmes, surfons sur la crête d'une série de vagues les unes plus politiques que les autres.
Oublions le fait que le président doit veiller à la bonne marche des institutions. Oublions que les élections avec ou sans tremblement de terre n'allaient pas avoir lieu en février 2010. Oublions que la Cour de Cassation est inopérante et que personne n'est apte à assurer la transition présidentielle si le 14 mai nous surprend sans président élu.
Bête politique au sang froid et aux coups de grand maître des échecs, le président s'offre même le face à face avec la presse, la grande, celle qui est réputée hostile à son pouvoir sur un terrain que personne n'avait encore choisi : l'éthique et la déontologie.
Waouh !!! Que de services gagnants pour un président que l'on croyait sur la défensive et plus souvent muet et renfermé sur son pré carré.
La succession de dossiers politiques permet aussi à l'exécutif d'évacuer les vrais problèmes. Qui parle encore de la vie dans les camps. De la reconstruction de la capitale. De la débauche de moyens qui accouche de si peu de résultats depuis bientôt cinq mois. Des fantômes qui nous dirigent le pays. Personne.
Il faut du temps. Prolongeons le mandat. Il faudra encore plus de temps. Changeons la Constitution. Dans un pays où même la présidence à vie ne suffit à personne, c'est à désespérer.


Frantz Duval
duvalf@hotmail.com

Artibonite 4 C: aucun barrage au Barrage

Artibonite 4 C: aucun barrage au Barrage
Roberson Alphonse
4 Mai 2010

Il n'y a plus d'obstacles à la construction du barrage hydroélectrique « Artibonite 4 C » dont la puissance sera de 32 mégawatts. Les agriculteurs de Mirebalais et de Boucan Carré dont les terres seront inondées ont donné un accord assorti d'exigences à l'édification de cet ouvrage qui doit coûter quelque 200 millions de dollars américains au Brésil de Lula Da Silva.


Haïti: «Le projet de construction du barrage hydroélectrique Artibonite 4 C avance à grands pas. Ce, à la satisfaction de la population et du gouvernement », a confié le ministre des Travaux Publics Transports et Communications l'ingénieur Jacques Gabriel. Quelque huit mois après le début des consultations entre le président René Préval et des agriculteurs, inquiets pour leur avenir, qui vivent sur les deux rives du fleuve Artibonite, dans les localités de Mirebalais et de Boucan-Carré, une entente assortie d'exigences a été trouvée pour l'édification de cet ouvrage dont le bassin de rétention s'étendra sur plus de 400 hectares de terres en culture.

« Les gens de la zone se sont engagés à permettre aux constructeurs de réaliser les études de prospection avant de passer à la préparation du dossier d'exécution de ce barrage qui permettra de produire 32 mégawatts d'électricité et d'irriguer plus de 1500 hectares que doit financer le Brésil pour un montant de 200 millions de dollars», a par ailleurs indiqué le ministre, qui, au passage, a aussi annoncé la réhabilitation de tout le système électromécanique de Péligre afin que cette centrale passe de 54 à 70 mégawatts de puissance.

« Les populations des localités de Carporand, de Penchinat, de Balumettes, de Fedja, de Bosiaud, de Gilbert, entre autres, n'étaient pas contre le principe de la construction d'un nouveau barrage en vue d'augmenter la capacité énergétique du pays. Mais elles avaient des inquiétudes et des exigences formulées dans le mémorandum remis au chef de l'Etat,René Préval », a confirmé M. Descollines Abel, membre d'un collectif qui représente entre 15 et 20 000 agriculteurs. Continuer >





L'intégration d'une politique d'irrigation à grande échelle, la relocalisation des populations dans des villages modernes, la réorientation professionnelle, la construction d'écoles et d'universités pour renforcer l'accès à l'éducation, sont, selon M. Descollines Abel, quelques-unes des recommandations des membres de ce collectif qui ne digèrent toujours pas les promesses non tenues faites à la population du Plateau central lors de la construction du barrage de Péligre au début des années soixante.

« Pour 400 hectares inondés, on pourra irriguer 1370 hectares selon le type de barrage qui sera construit, a expliqué le ministre de l'Agriculture pour qui les avantages du projet Artibonite 4 C sont intéressants. Si on utilisaient les 32 mégawatts pour alimenter des électropompes installées dans les deux rives du fleuve Artibonite de Mirebalais jusqu'à Désarmes on peut augmenter à 16.000 hectares les surfaces irriguées. Avec une production annuelle de 10 tonnes à l'hectare cela fait 160.000 tonnes, soit 50 % de l'importation annuelle de riz », a argumenté le ministre Joanas Gué.

« L'argent est disponible pour la construction du barrage. Je pensais que le chantier allait être ouvert après la visite du président Brésilien Luis Ignacia Lula Da Silva en Haïti récemment, a indiqué le sénateur du Centre Edmonde Supplice Beauzile qui s'est plaint d'avoir été longtemps écarté de ce dossier par le chef de l'Etat René Préval. Il y a deux mois, j'ai réalisé des rencontres avec des élus locaux et des habitants des localités où le barrage sera construit en vue de dissiper leurs préoccupations légitimes sur leur avenir. Lors de ces consultations, on a mis l'accent sur les avantages et les retombées bénéfiques pour le département. Cependant nous resterons vigilant afin d'éviter que l'expérience malheureuse des agriculteurs abreuvés de promesses lors de la construction de Péligre ne se reproduise pas», a ajouté le parlementaire.

Des tentatives d'obtenir des informations supplémentaires auprès de la présidence sur les avancées de ce projet après le périple du chef de l'Etat au Brésil ont été infructueuses. Le 8 septembre 2009, le président René Préval avait donné la garantie. « qu'aucune décision ne sera prise sans l'accord de la population dans le processus de construction de ce barrage.

Entre-temps, le Plateau Central, relativement à l'abri des secousses sismiques, devient, avec la nationale numéro 3 pavée, sa proximité géographique avec la République Dominicaine, son agriculture florissante, Péligre et bientôt le barrage Artibonite 4 C, la zone d'extension naturelle de la Capitale.


Roberson Alphonse

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