lundi 15 septembre 2014

LA FIN D'UNE HISTOIRE ECONOMIQUE

« La fin d’une histoire économique »
Bernard Ethéart

J’en ai enfin terminé avec l’ouvrage de Fritz Jean : « Haïti, la fin d’une histoire économique », sorti au mois de mars de cette année. Je l’avais commencé tout de suite, lors d’un séjour à Miami ; puis revenu en Haïti, j’ai été pris par un tas de choses ; de retour chez le blanc, je m’y suis remis ; et voilà, ça y est. Je tenais beaucoup à le lire car une vidéo de l’auteur présentant l’ouvrage, alors à paraitre, avait retenu mon attention.

Il parlait l’économie haïtienne comme d’une « économie de rente ». La première fois que j’ai entendu parler de cela, c’était dans la bouche d’un ami hollandais, Geert van Vliet, un économiste qui travaillait alors à la représentation de la BID en Haïti. À l’époque je ne saisissais pas trop bien son propos, mais j’avais comme une intuition que cela pourrait donner un fondement économique à ma façon d’interpréter l’évolution de la société haïtienne.

Quand le livre de Fritz Jean est sorti, j’ai écrit à Geert pour lui en parler ; il m’a répondu en joignant la copie d’une lettre où il parle encore d’économie de rente. J’en extrais un bref passage :
« Mais depuis les années, et influencé sans doute par cette image des rentes, je suis de plus en plus convaincu que le Haïti se transforme peu à peu dans une économie rentière à part entière. Une Arabie Saoudite au moment de la hausse des prix du pétrole. Sauf que l'origine de la rente en Haïti n'est pas le pétrole ni le nickel ou le fer. L'origine de la rente est la pauvreté et les désastres naturels et sociaux. Ceux-ci forment une source inépuisable de mobilisation de la rente (l'aide internationale). »
Autant pour van Vliet, voyons maintenant comment Fritz Jean présente la chose. Pour lui, le système a commencé à fonctionner dès les débuts de notre histoire de république indépendante, et dans le secteur agricole. Je cite :
Trois facteurs sont à la base de l’accumulation de rente au niveau du secteur agricole :
-          La dotation initiale en facteur Terre (T) caractérisée par une distribution de faveurs et non de mérites ou de besoins des familles (nombre de dépendants) ;
-          La rémunération de l’effort-travail ;
-          Les avantages que procure le rapprochement du pouvoir d’État pour la commercialisation des produits. (p. 39)
De cette situation découlent deux formes de rente :
-          La rente de situation qui se concrétise dans la commercialisation des produits du travail agricole (faire-valoir direct et faire-valoir indirect), et
-          La rente absolue provenant de la forme de valorisation indirecte des terres (faire-valoir indirect). (p. 42)
Ce système fonctionna tout au long du dix-neuvième siècle ; mais, vers la fin de cette période, la baisse de la productivité de l’agriculture à laquelle vint s’ajouter la chute des prix des principaux produits d’exportation, a obligé les « rentiers » à trouver une nouvelle formule.
« Lorsque les prix des principaux produits d’exportation chuteront sur le marché international, ces entrepreneurs du bord-de-mer vont se transformer en importateurs de biens de consommation agricoles et conserver la situation de rente due aux privilèges que confère l’État. » (p. 110)
Et nous voilà partis pour le phénomène de la centralisation.
« Avec la disparition de la rente agricole, les oligarques des provinces fuient la campagne pour se réfugier à Port-au-Prince, le centre de distribution des privilèges et faveurs en regard du renforcement de la seule source d’accumulation de richesses encore viable, l’import-export. » (p. 178)
Il est cependant fort difficile pour un état d’importer quand il ne produit rien ; il faut donc bien qu’il y ait une source qui alimente le système. Bien sûr, il y a les caisses de l’État, mais elles non plus ne sont pas alimentées comme il le faudrait. Alors ? Geert van Vliet nous apporte la réponse : « L'origine de la rente est la pauvreté et les désastres naturels et sociaux. Ceux-ci forment une source inépuisable de mobilisation de la rente (l'aide internationale). »
Mais il n’avait pas pensé à une autre source : la diaspora. Je cite Fritz Jean : « Et les ressources de cette diaspora haïtienne chassée du territoire par la misère économique et/ou politique constitueront au XXème siècle, en conjonction avec l’aide internationale, la base d’une nouvelle forme de rente : la rente des transferts de la diaspora qui se confirmera à la fin du XXème siècle, s’annonce à l’horizon. Toutefois, la rente du Bord-de-mer s’affirme : l’économie essentiellement marchande se construit. » (.p 91)
Pourtant la situation n’est pas rose :
« Avec la dégradation continue de l’appareil productif, le seul jeu économique d’importance dans le pays devient les transferts de la diaspora. Les marges sur ce commerce d’argent s’amenuisent avec la pénétration de trop d’acteurs et surtout les restrictions des institutions internationales avec des préoccupations de plus en plus pointues sur la circulation de l’argent sale dans les systèmes financiers. » (p. 189)
Et voilà le résultat :
« La forme d’accumulation s’épuise et la manifestation la plus concrète de cet épuisement est son incapacité à permettre à cet ordre qui l’alimentait de se reproduire :
-          Cet État ne peut plus répondre aux besoins de ses citoyens ;
-          Cet État ne peut pas assurer le fonctionnement de ses institutions (CEP) ;
-          Cet État, au niveau de la justice, ne peut même pas sévir contre ses citoyens déviants : ils sont jugés ailleurs. » (p. 189)
On comprend alors que l’auteur nous ait dit, dès l’introduction, que « la crise actuelle, caractérisée par un déni de légitimé (sic) de toutes les institutions du pays, traduit la fin d’une ère et constitue une exigence d’émergence d’un nouveau paradigme ». (p. 28)
À bon entendeur …
Bernard Ethéart
Miami le 31 août 2014


« La fin d’une histoire économique » (2)
La semaine dernière nous avons vu que pour Fritz Jean, le système de « l’économie de rente » a commencé à fonctionner, dès les débuts de notre histoire de république indépendante, dans le secteur agricole. (« La fin d’une histoire économique », HEM Vol. 28 # 33 du 03-09/09/2014). Ceci n’a pas manqué d’avoir des conséquences désastreuses pour le secteur.
Au départ, il y a les distributions de terre. « Du président de la République, en passant par les généraux, les officiers supérieurs, et rarement à des militaires sortis des rangs, les terres sont redistribuées en quantum selon le rang ou les privilèges jouis au sein de l’administration. De cette manière se configure tranquillement le mode d’exploitation des terres agricoles et se dessinent des relations déterminantes dans les rapports de production entre une paysannerie démunie qui assure, généralement en faire-valoir indirect, la mise en culture de ces terres, et des propriétaires absentéistes qui perçoivent une rente correspondant à un contrat très souvent informel. » (p. 40)
Cela s’explique par le type de société mis en place. « Le pouvoir se trouve concentré dans les mains d’une armée essentiellement créole dont les officiers supérieurs sont, pour la plupart, des anciens affranchis noirs et mulâtres. Ces derniers vont d’ailleurs immédiatement réaffirmer leurs droits de propriété sur la grande partie des terres abandonnées par les Français. Le groupe créole, composé de toutes les catégories nées dans la colonie et qui détient le contrôle de l’État, estime à la fois normal et facile de reconstituer à son profit l’ancien système, celui qu’il a toujours connu, à l’exclusion toutefois de l’esclavage. » (p. 52)
J’ai toujours eu envie de caractériser la société des cent premières années de notre vie nationale comme une société féodale, influencé sans doute par le passage, décrit par Karl Marx, de la société esclavagiste à la société féodale puis à la société capitaliste. Et je suis tout heureux de voir que je ne suis pas le seul à penser ainsi.
Fritz Jean cite en effet Jacques Barros : « Une société de type féodal s’était mise en place. 90 % de paysans illettrés furent dès lors, et jusqu’à nos jours, la masse écrasée de mépris et de taxes dont le travail a permis les jeux politiques, les malversations, et l’instabilité chronique d’une minorité privilégiée. » (p. 109).
Paradoxalement donc, la révolution haïtienne, bien qu’influencée par la révolution française qui a aboli la féodalité en France, a abouti, en Haïti, à la mise en place d’un système féodal. Et je reviens à Fritz Jean : « Comme le signale Casimir de manière ironique, contrairement à la Révolution Française, 1804 n’avait pas aboli la féodalité. » (p, 71).
Le problème est que cette organisation sociale portait en elle-même le germe de sa propre destruction. Je reviens à Fritz Jean :
§  Le mode de distribution amorcé au lendemain de la guerre de l’Indépendance, en confinant la vraie force de travail à un rôle de second plan dans la mise en valeur du facteur terre (T), n’en a pas favorisé une exploitation efficiente ;
§  La rémunération totalement inadéquate de l’effort-travail consenti par les exploitants directs des terres, en faire valoir direct et indirect, a assujetti la production à des contraintes technologiques ne permettant ni l’amélioration du facteur terre (T), encore moins celle du facteur travail (L), en l’absence d’un accompagnement de l’État ou d’investissements des principaux bénéficiaires des rentes générées par le système ;
§  La perpétuation des faveurs d’un État protecteur, comme principal instrument de contrôle des mécanismes du marché, a constitué le point d’achoppement ultime à la créativité pour l’exploitation des potentialités réelles du terroir. » (pp. 58-59)
Résultat, la productivité de l’agriculture est en baisse constante, et la production également par la même occasion. Fritz Jean : « Déjà en 1842, la production commençait à baisser comparée à 1832, et les efforts d’exportation reposaient sur la coupe de bois. » (pp. 61-62). Ou encore : « Donc en cette fin du XIXème siècle, début du XXème siècle, l’agriculture commence à perdre  de sa capacité à générer un surplus exportable, source d’une rente de situation pour les oligarchies provinciales. » (p.82).
Haïti étant un pays « essentiellement agricole », les problèmes du secteur agricole vont avoir des effets sur l’ensemble de la société. Fritz Jean : « Avec l’essoufflement d’une production agricole, qui ne reçoit ni les investissements adéquats ni l’accompagnement nécessaire pour un saut technologique qualitatif, la pression d’une population en augmentation exponentielle conduit inévitablement à des crises agraires ayant comme corollaires :
§  une extinction progressive de la rente au niveau du secteur agricole ;
§  en cette fin de siècle, les exportations haïtiennes vont chuter de manière considérable, et on parlera de crise des exportations ;
§  une exploitation à outrance des ressources forestières qui se traduit par une dévastation des mornes ;
§  le campêche restera l’un des produits à conserver une certaine tenue au niveau des exportations : 33,3 milliers de tonnes en 1896 contre 61,2 milliers de tonne en 1903-1904 ;
§  la couverture forestière passera de 25 % (1804-1870) à 18 % (1870-1920) ;
§  un déplacement des populations vers les villes ;
§  une réorganisation des rentiers autour de l’État pour une meilleure maîtrise des circuits de commercialisation, avec comme conséquence une transformation de l’appareil productif en dehors du secteur agricole. » (pp. 69-70).
S’il y en a parmi vous qui me lisent régulièrement, ils doivent bien se douter que ce n’est pas pour rien que je me suis livré à cette petite démonstration. Cela fait longtemps, en effet, que je suis parti en guerre contre ces bien-pensants qui montrent du doigt le paysan haïtien, l’accusant d’être responsable de tous nos malheurs, ce « peyizan avèk ti bout manchèt » congénitalement incapable de s’adapter à la modernité, et qui réclament une « nouvelle classe d’agriculteurs ».
Je savais bien sûr comment réfuter leurs arguments, mais je remercie un Fritz Jean, un économiste bon teint, à qui on peut faire difficilement les reproches que l’on m’adresse souvent, d’avoir fait la démonstration que le vrai responsable, ce n’est pas le paysan, mais cette classe féodale, qui sévit encore parmi nous, et qui a mis en place un système qui ne peut que nous mener à la ruine. Et si c’est de leur côté que l’on va recruter la « nouvelle classe d’agriculteurs », ils ne sauront faire autre chose que reproduire le même schéma.
Bernard Ethéart
Miami le 7 septembre 2014

« La fin d’une histoire économique » (3)
Dans moins d’un an nous célébrerons le centième anniversaire du débarquement des marines dans notre pays. C’est en effet le 28 juillet 1915 que le petit soldat Pierre Sully est tombé en accomplissant son devoir. J’ai parlé de « célébrer ce centième anniversaire », mais je ne voudrais pas que cela soit mal interprété. Certes cette occupation fut un moment majeur de notre histoire, et après un siècle, il est bon de marquer l’évènement, mais pour moi il s’agit surtout de tirer une sorte de bilan, de voir si cette occupation a comblé les attentes de ceux qui l’ont appelée de tous leurs vœux.
Car il y en a eu pour souhaiter l’occupation, ou tout au moins l’intervention du blanc dans notre vie économique. Dans la série d’articles que j’ai publiés sur l’évolution de la structure foncière, je cite des passages de Roger Gaillard décrivant un certain état d’esprit de la bourgeoisie haïtienne durant les deux premières décennies du 20ème siècle (voir « Les blancs débarquent » HEM, Vol. 19, # 20, du 15-21/06/2005).
« D’abord, … on battit la grosse caisse sur le thème, neuf encore dans notre histoire économique, de la très prochaine et bienfaisante pénétration du capital étranger dans notre activité productrice. On connaît l’air, qui, par la suite, deviendra rengaine : « Haïti est riche en ressources ; notre main-d’œuvre est abondante et bon marché ; nous possédons des cadres techniques de valeur ; la plupart de nos négociants, enfin, sont imaginatifs et disciplinés. Ce qui manque, c’est l’argent. » … Le raisonnement se poursuit alors, sous la forme parfaite du syllogisme. « Or de cet argent, nos grands et puissants voisins ne demandent pas mieux, sous certaines conditions, bien entendu (sécurité des investissements, stabilité politique), que de nous en abreuver. Il faut donc, en satisfaisant au plus vite à ces exigences, profiter de tant de bonne volonté témoignée. Vive donc l’Amérique, et, par-dessus tout, vivent son argent et ses capitalistes ! » – dernier mot que certains de nos journaux, on le verra, pris d’une soudaine vénération, affubleront parfois d’une majuscule. (Roger Gaillard, La République Autoritaire, Port-au-Prince, 1981)
Leurs vœux ont été exhaussés ; ce 28 juillet 1915, le blanc a débarqué ; mais si nous regardons, cent ans après, on peut se demander si le résultat est à la hauteur des espérances. Fritz Jean donne la réponse : « Toutefois, le gros capital américain n’était pas au rendez-vous. Lorsque les Américains se retirèrent d’Haïti en 1934, seulement deux compagnies d’importance y étaient encore établies : la HASCO et la Plantation Dauphin. » (p. 96)
Que s’est-il donc passé ? Il y a environ trois mois, je publiais deux articles consacrés à une réunion de travail organisée par le CRESFED autour des relations haïtiano-dominicaines (voir L’anti-haïtianisme dominicain HEM Vol. 28 # 18 du 21-27/05/2014 et Les relations économiques – le « gap » HEM Vol. 28 # 19 du 28/05-03/06/2014). Au cours de ces discussions, on a parlé des investissements nord-américains dans l’’industrie sucrière en République Dominicaine vers la fin du 19ème siècle et on en est pratiquement arrivé à la conclusion qu’il y avait du côté des nord-américains un choix délibéré de considérer la République Dominicaine et Cuba comme des zones « dignes » de recevoir leurs investissements pendant qu’Haïti resterait simplement un réservoir de main-d’œuvre bon marché.
Si  on veut bien voir, Fritz Jean ne dit pas autre chose : « Mais cela traduit, d’après nous, toute une stratégie des autorités américaines qui considéraient des espaces d’investissement de l’autre côté de la frontière, à Cuba et en quelques autres pays de l’Amérique latine, et l’abondante main-d’œuvre haïtienne, réservoir où puiser des bras pour faire fonctionner ces industries naissantes. Il fallait seulement pacifier la campagne ; cela s’est fait dans le cadre de cette trilogie :
-          Répression systématique des mouvements insurrectionnels ;
-          Encouragement de la migration de la main-d’œuvre vers d’autres espaces de valorisation ;
-          Affaiblissement des centres de pouvoir provinciaux et par là réduire les oligarchies provinciales en simple subordonnées du grand centre de pouvoir de Port-au-Prince. » (pp. 96-97)
La lecture de l’ouvrage de Fritz Jean est aussi l’occasion de faire le point sur un des reproches que l’on fait souvent à l’occupant, à savoir que c’est de lui que nous avons hérité cette centralisation qui pose aujourd’hui tant de problèmes. Or Fritz Jean nous dit que ce mouvement vers Port-au-Prince a débuté bien avant l’occupation. « Donc en cette fin du XIXème siècle, début du XXème siècle, l’agriculture commence à perdre  de sa capacité à générer un surplus exportable, source d’une rente de situation pour les oligarchies provinciales. Quitter la périphérie devient une nécessité pour la survie de ces réseaux sociaux provinciaux trop éloignés du centre de distribution des privilèges. » (p. 82) L’occupant n’en est pas pour autant innocent car il a accentué le mouvement : « Cependant, en regard de la tendance générale qui a marqué la structure de production avant leur arrivée, il n’y a eu qu’une continuation, avec une centralisation jamais commue à date des institutions de contrôle autour du pouvoir de Port-au-Prince. » (p. 89)
Il est un troisième point qui me tient, si je puis m’exprimer ainsi, particulièrement à cœur. Cela fait longtemps que je me dis que le plus grand tort que l’occupation ait fait au pays c’est d’avoir bloqué un processus. Je vois toute cette période qui précède l’arrivée des marines, avec ses coups d’état, ses présidents assassinés, le palais national incendié, comme les convulsions d’un régime qui est arrivé au bout du rouleau. Je pense que personne ne savait encore comment on allait en sortir, mais je crois que toutes ces douleurs allaient permettre à la nation d’enfanter une nouvelle formule.
Cette nouvelle formule ne serait certainement pas du goût de ceux qui avaient bénéficié du régime moribond et on peut se demander si « l’appel au blanc » n’allait pas au-delà des considérations économiques publiquement affichées. En tout cas le blanc a débarqué et l’interprétation que donne Fritz Jean de son intervention va dans le sens de la mienne. « L’invasion américaine viendra apporter au peuple « l’honneur et le bonheur », et surtout l’aider à « faire face aux données de la crise générale du système traditionnel, en évitant la révolution en profondeur … » On verra plus loin qu’il aura à chaque crise un palliatif endogène ou exogène. Et le système continuera à exister jusqu’à son épuisement complet en 2012. » (p. 85)
Nous sommes de nouveau à un de ces carrefours ; allons-nous encore une fois laisser passer la chance ?
Bernard Ethéart

Miami le 15 septembre 2014

lundi 11 août 2014

GESTION SOCIALE DE L'EAU (2)


Gestion sociale de l’eau (2)
Bernard Ethéart
Miami le 11 août 2014
La semaine dernière, j’ai entrepris de parler de l’atelier sur Le Cadre Légal de l’Irrigation en Haïti, organisé par la Fondation Haïtienne de l’Irrigation (FONHADI) en décembre de l’année dernière (voir Gestion sociale de l’eau HEM Vol. 28 # 29 du 06-12/08/2014). Je m’étais attaché à résumer la présentation du premier intervenant, Jean Robert Jean Noël, qui, après avoir donné quelques chiffres concernant le secteur de l’irrigation, a présenté les grandes phases de l’histoire de l’irrigation en Haïti.
Aujourd’hui, je voudrais parler de la présentation du second intervenant, Cécile Bérut, qui devait aborder le point central de l’atelier : la LOI SUR LE TRANSFERT DE GESTION DES SYSTEMES IRRIGUÉS.

Pour commencer, elle a abordé les raisons de la mise en place d’une telle loi. J’espère qu’elle ne m’en voudra pas d’avoir un peu modifié l’ordre de présentation.

Les raisons relatives à la mise en place de la loi sur le transfert de gestion des PI sont les suivantes :
1.       Pour moi, la première raison se trouve dans l’inefficacité de l’ancien système, L’irrigation est encore régie par le Code rural de 1963 qui définit un mode de gestion centralisé : l’Etat est « en charge de l’administration des systèmes d’irrigation », sans participation des usagers qui sont juste « tenus d'assurer le curage et le sarclage des canaux secondaires et tertiaires desservant leurs plantations ». L’Etat, par le biais du MARNDR, assure également la Police des Eaux.
2.       La deuxième raison serait une affaire d’opportunité, si je peux m’exprimer ainsi. La Constitution de 1987 favorise et reconnait l’importance de la participation des citoyens à la vie nationale, dans le cas de l’irrigation, cela implique la participation des usagers dans la gestion des systèmes. Le décret du 30 septembre 1987 portant organisation et fonctionnement du MARNDR confirme cette orientation en donnant, dans son article 4, mission au MARNDR d’ « encourager les usagers des systèmes d’irrigation à s’organiser en groupements afin de rendre plus rationnelle et plus efficace l’utilisation de cette ressource ».
3.       En troisième lieu, il convient de faire preuve d’un peu de réalisme. Depuis que l’Etat est devenu « absentéiste », après 86, mais surtout à partir de 94, de nombreuses associations d’irrigants se sont mises en place dans la plupart des périmètres irrigués du pays.
4.       Ces associations d’irrigants attendent de l’Etat la confirmation de leur légitimité, de leur droit à l’autonomie et la reconnaissance de leurs capacités de prendre en main la gestion des systèmes d’irrigation.
Il faut donc une loi
5.       qui régisse le mode de gestion des systèmes d’irrigation ;
6.       qui donne aux associations d’usagers des systèmes d’irrigation un statut propre et la personnalité juridique ;
7.       qui pose les principes et le cadre du transfert, total ou partiel, de la gestion des infrastructures d’irrigation à ces associations d’irrigants.
Quelques avancées peuvent être constatées, et aussi Jean Robert Jean Noël que Cécile Bérut ont cités des dates marquantes :
       avec la fin du projet de réhabilitation des périmètres de la plaine de l’Arcahaie (PREPIPPA) (Année 90-00), le MARNDR a signé un contrat de transfert de gestion avec l’Association des Irrigants de la Plaine de l’Arcahaie ;
       par la suite le MARNDR a aussi signé avec des associations sur des périmètres réhabilités par le PPI-I, de sorte que une trentaine de systèmes sont gérés officiellement par des associations d’irrigants ;
       dans l’Artibonite, le PIA a travaillé sur la gestion par les usagers du système d’irrigation de la Vallée de l’Artibonite et mis en place d’une fédération d’associations d’irrigants ;
          le projet PPI I a élaboré une méthodologie de mise en place des associations d’irrigants (quatre phases, quatorze étapes et trois niveaux de contractualisation) ;
       dès 1998 la firme LGLSA a travaillé à lélaboration d’un avant-projet de loi sur le transfert de gestion ; en 2011, cet avant-projet a été soumis à la Primature qui l’a égaré ; en 2012, il a été réintroduit à la Primature avec un exposé des motifs.
Je terminerai, pour aujourd’hui avec un résumé des principes de cet avant-projet, tel que présenté par la conférencière :
       D’une gestion centralisée à une gestion locale ;
       Les ressources en eau font parties du domaine public de l’Etat et celui-ci, par des structures appropriées, en assure la protection et la gestion ;
       L’Etat, représenté par le MARNDR, peut transférer tout ou partie de la gestion d’un système d’irrigation à une association d’irrigants reconnue (Art 5) ;
       L’Etat reste également Maitre d’ouvrage des infrastructures d’irrigation mises en place directement ou avec la participation des usagers (Art 6) ;
       le transfert se réalise par contrat entre le MARNDR et l’association d’irrigants ; les termes du contrat sont fixés par la loi ; (les parties contractantes, description di système, engagements, modalités d’appui et d’accompagnement, modalités de gestion, mise en place d’un conseil de surveillance – Art 8) ;
       Un conseil de surveillance est mis en place pour veiller à la bonne application du contrat ; il se compose de représentants de l’Etat (DDA), des Collectivités territoriales impliquées ; (section 3 – Art 10 à 13) ;
       Un type d’organisation nouveau est créé, les associations d’irrigants, avec des statuts spécifiques et un objectif bien défini qui est d’assurer ou de participer à la gestion des systèmes d’irrigation ; (Art 14,15, 16,17) ;
       Les principes de constitution et de fonctionnement de ces associations d’irrigants sont précisés ; ils comportent notamment la mise en place d’une assemblée générale souveraine et d’un comité exécutif élu ; (Articles 18-19-20-21-22-23) ;
       Une procédure de reconnaissance par le MARNDR est mise en place, qui confère aux associations d’irrigants reconnues la personnalité juridique ;
       Les associations d’irrigants assurent leur autonomie financière en collectant de leurs membres des redevances (Art 25) ;
       Les associations d’irrigants assurent la Police des eaux (Art 26) ;
       Dispositions transitoires : le MARNDR doit encourager la création d’associations d’irrigants (Art 27), les AI qui existaient avant la loi doivent demander la reconnaissance.

dimanche 20 juillet 2014

HAITI 2030: UN PAYS SANS PAUVRETE EXTREME

Haïti 2030: Un pays sans pauvreté extrême
 

Le Nouvelliste | Publié le : 15 juillet 2014| Mary Barton-Dock
 

 


   Nous savons tous que, depuis l’an 2000, Haïti a souffert de grandes crises politiques et catastrophes naturelles répétées qui, à chaque fois, ont affecté négativement les perspectives de croissance économique. Cependant, ce que nous savons maintenant, c'est que, pendant cette même période - en dépit de ces catastrophes -, Haïti a réussi à réduire l'extrême pauvreté. Cela représente une avancée significative et devrait être reconnu comme un indicateur de progrès et une preuve qu’avec un effort soutenu, Haïti pourrait éliminer l'extrême pauvreté.

De nouvelles données publiées récemment par l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) sur la base del’enquête des conditions de vie des ménages conduite par l'Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI) en 2012 montrent que l'accès aux services de base s'est amélioré et que l'extrême pauvreté a diminué de 31 à 24 pour cent depuis 2000. Pour cette analyse, le terme extrême pauvreté s’applique aux Haïtiens gagnant moins de 42 gourdes par jour (environ 1 $ US dollar) et le terme pauvreté s'applique aux Haïtiens gagnant moins de 82 gourdes par jour (environ 2 $ US).

Par rapport à 2000, les données montrent que le revenu et l'accès aux services se sont améliorés. Les progrès les plus importants concernent l'accès à l'éducation, où le nombre d'enfants inscrits dans les écoles a augmenté de 78 à 90 pour cent. Néanmoins, trop d'enfants abandonnent l'école ou doivent redoubler : il y a donc un besoin urgent de résoudre le problème de qualité de l'éducation. Il y a eu également une certaine amélioration de l'accès  aux services d'assainissement, bien qu'elle soit très faible en zone rurale, et que les progrès dans l'accès à l’énergie fiable et à l'eau potable restent très limités.

Malgré certaines avancées dans la lutte contre la pauvreté, certaines observations restent néanmoins préoccupantes. Le coefficient Gini, qui mesure l'inégalité des revenus, est resté constant depuis 2001,  soit 0,61. Cela signifie qu’Haïti reste le pays avec la plus grande inégalité des revenus en Amérique latine et dans les Caraïbes, et l'un des pays les plus inégalitaires du monde.

Les progrès en zones urbaines ont été beaucoup plus importants qu’en zones rurales. Dans les zones rurales, où plus de la moitié de la population réside encore, les niveaux de pauvreté extrême n'ont pas changé et l'inégalité des revenus a augmenté. L’accès aux soins de santé, à l'éducation, l'eau, l'assainissement et l'électricité est également beaucoup plus faible dans les zones rurales. Les données montrent également que la population pauvre est concentrée géographiquement au Nord, où les départements du Nord-Est et du Nord-Ouest ont un taux de pauvreté extrême qui dépasse 40 pour cent.

Les progrès dans les grandes villes - la région de Port-au-Prince en particulier –s'explique notamment par une augmentation des emplois mieux rémunérés dans la construction, la fabrication et les services, et par des niveaux plus élevés de consommation alimentée en partie par l'aide au développement et les transferts de fonds de la diaspora. Alors que la lenteur des progrès dans les zones rurales est due à uneforte dépendance au secteur agricole dont des meilleurs rendements, et donc une meilleure qualité de vie, dépendent principalement d’une météo capricieuse.

J'ai eu l'occasion de voyager dans certains des départements les plus pauvres du pays. Le contraste avec la capitale de Port-au-Prince est saisissant. Les familles haïtiennes dans le Nord-Ouest et du Sud du pays ont encore à parcourir de longues distances sur des routes  à moitié effondrées pour se rendre dans les centres de santé et les écoles. Seulement 16% des habitants des zones rurales ont accès à un assainissement amélioré, contre 48% dans les villes. Ils travaillent dur pour produire de la nourriture, mais voient leur récolte se gâter avant d’atteindre un marché ou de pouvoir être consommée.

Ces nouvelles données et cette analyse sont très précieuses pour guider les politiques publiques. Elles devraient aider le gouvernement à continuer à réduire davantage la pauvreté. Ceci est essentiel, étant donné que, malgré les progrès, il y a encore 6,3 millions d'Haïtiens qui vivent dans la pauvreté, et 2,5 millions de personnes sont dans l'extrême pauvreté. Haïti reste très vulnérable, non seulement aux catastrophes et à la fragilité, mais aussi au fait qu’une partie de cette amélioration est liée à des niveaux élevés de l'aide internationale et de la diaspora.

Néanmoins, la réduction de la pauvreté extrême à la suite d'un tremblement de terre dévastateur, d’ouragans destructeurs et de fragilité politique est une victoire de la résilience du peuple haïtien. Et cette victoire devrait nous donner à tous l'espoir que des progrès plus considérables, et plus rapides sont possibles en Haïti. Si nous pouvons maintenir le cap et utiliser cette analyse pour orienter les politiques de développement, une Haïti sans pauvreté extrême serait possible.

Mary Barton-Dock
 


 Envoyée Spéciale pour Haïti de la Banque mondiale

lundi 30 juin 2014

LA REHABILITATION DU "PITIMI" (2)

La réhabilitation du « pitimi » (2)
Bernard Ethéart
30 juin 2014

Dans mon dernier article consacré à « l’Atelier sur le Développement d’un sorgho multi-usage (alimentation, fourrage, alcool) en Haïti » (voir La réhabilitation du « pitimi », HEM Vol. 28 # 22 du 18-24/06/2014), j’avais fait le rappel d’une série d’articles que j’avais publiés, il y a cinq ans, autour d’une conférence organisée par le CHIBAS sur la culture du jatropha, connu en Haïti sous le nom de gro medsiyen (voir HEM Vol. 23 # 23 à 26).
On était alors en pleine polémique entre ceux qui estimaient qu’il y avait intérêt à se lancer dans la culture intensive du jatropha à des fins de production de bio-diesel et ceux qui pensaient qu’il valait mieux utiliser la terre pour la production alimentaire (voir La compétition pour la terre, HEM Vol. 23 # 26, du 22-28/07/2009).
Aujourd’hui, le CHIBAS revient à la charge avec son idée d’intensifier la culture du petit mil et celle-là a plus de chance d’être bien accueillie ; on n’a plus ce problème de compétition pour la terre entre la production alimentaire et la production de matière première pour la fabrication de bio-carburant, car le petit mil qu’il s’agit de développer est, comme il est dit dans l’annonce de l’atelier, à usage multiple.
Au cours de l’atelier nous avons eu la présentation des résultats d’une étude sur « Les conditions ex-ante du développement du sorgho sucré en Haïti » ; on y présente les avantages du sorgho sucré ; c’est un peu comme on disait à propos de je ne sais plus quel fruit : il n’y a rien à jeter :
·         Les graines peuvent servir à
o   L’alimentation humaine,
o   L’alimentation animale ;
·         Les tiges ont une
    • Utilité agro-industrielle :
-          Fabrication de sirop,
-          Fabrication d’alcool ;
    • Utilité bioénergétique :
-          Alcool utilisable dans les réchauds,
-          Gel Alcool ;
·         Les feuilles peuvent servir de
    • Fourrage pour alimentation animale.
Attention, ne vous pressez pas de dire que la mariée est trop belle. La culture du sorgho multi-usage peut certes présenter de nombreux avantages, mais il faut tenir compte d’un certain nombre de facteurs et ce sont justement ces facteurs que l’étude sur les conditions ex-ante du développement du sorgho sucré en Haïti devait identifier.
Le but de l’étude était de connaitre les conditions qui favoriseraient l’adoption du sorgho sucré multi-usages en Haïti?
          Conditions agro-climatologiques?
          Conditions techniques?
          Conditions économiques et financières?
          Conditions socio-culturelles?
Je ne vais évidemment pas pouvoir rentrer dans les détails de cette étude, mais grâce à la gentillesse de Daphnée Charles, qui en avait fait la présentation, je suis en mesure de donner quelques éléments.
Par exemple : les Zones favorables à l’expansion du sorgho:
  • Cabaret/Arcahaie et St Michel: favorable à une expansion en monoculture
  • Avec St Marc, ces zones jouxtent une zone de transformation industrielle
  • Pour les problèmes d’oiseaux et de cécidomyie, il est recommandé de caler les calendriers de la nouvelle variété sur les calendriers des variétés actuelles et les zones Saint Marc, Saint Michel et Cabaret présentent déjà une production importante de sorgho pouvant favoriser l’adoption.
  • La découverte d’une variété sucrée déjà existante à Cabaret pourrait faciliter l’adoption.
  • Les zones Arcahaïe/Cabaret sont les plus marquées par le manque d’approvisionnement et nécessitent de la matière première complémentaire.
  • Pour sa valorisation industrielle, nous avons fixé les facteurs limitant et les calculs technico- économiques qui doivent être approfondis
·         Quant à sa valorisation dans les réchauds, nous anticipons qu’au prix actuel de l’alcool, ce sera difficile. Mais possible avec une augmentation de la production et une chute du prix sans rentrer en compétition avec les objectifs alimentaires
Vous allez peut-être vous demander ce qu’est la cécidomyie ; pas de problème, je ne le savais pas non plus ; mais entre-temps j’ai appris que c’est un moucheron qui provoque des gales sur différentes plantes.
Et puisque nous sommes dans les définitions, je vais revenir à ce « gel-alcool » mentionné plus haut et que je ne connaissais pas. C‘est un combustible utilisé dans les petites cuisinières et les radiateurs. Il a l’avantage d’être moins dangereux que l’alcool liquide parce qu’il brûle plus lentement mais surtout qu’il ne risque pas de projeter un liquide enflammé, s’il est renversé accidentellement.
Un autre terme m’avait donné des problèmes durant différentes présentations ; il s’agit de ce  « brix » qui revenait à tout bout de champ chaque fois qu’on parlait de la possibilité de produire du sirop ou de l’alcool à partir des tiges de sorgho. J’avais bien une petite idée, mais j’ai dû vérifier. Le degré brix est le contenu en sucre d’une solution aqueuse. Un degré brix correspond à 1 gramme de sucrose dans 100 grammes de la solution. Evidemment il est important que les tiges aient une quantité de sucre suffisante pour que la production soit rentable.
Pour terminer, je reproduirai simplement le deuxième diapo de la présentation qui nous donne le Contexte de l’étude :
          12 janvier 2010
          Nécessité de relancer l’agriculture haïtienne
          Une solution: innovation
          Nécessité de mobiliser des processus d’innovation capable de répondre aux enjeux du système agricole.
          Opportunité du sorgho sucré multi-usage
          1) Alimentation
           2) Fourrage
           3) Sirop ou alcool
Je n’ai qu’un mot à ajouter : la démarche est intéressante ; souhaitons qu’on ne s’arrête pas en route.

Miami le 30 juin 2014

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