dimanche 13 novembre 2011

WATERLO


Waterloo !
Par Daly Valet
Le Matin : du 11 au 17 nov. 2011

Le président Martelly devrait être en train de se mordre les pouces. Il a une passion pour l’armée. Il avait développé d’intimes relations avec de hauts gradés de la génération des militaires putschistes de la période post-Duvalier. Le chanteur Sweet-Micky avait même son colonel éponyme dans les casernes. Ce dernier faisait et défaisait dans le pays à la faveur du coup d’État du 30 septembre 1991. Malgré tout, les expériences de M. Martelly avec l’institution militaire n’ont jamais été concluantes. Il avait été renvoyé, après y avoir été admis, de l’Académie militaire des Forces armées d’Haïti. Amour-propre fissuré. Traumatisme déstabilisant. Aujourd’hui président de la République, il pensait pouvoir se guérir. Et de là, restituer la fierté d’Haïti par l’armée. Du titre d’officier des FAD’H qui lui a été refusé à celui de commandant en chef qu’il s’octroierait légalement et sans concours avec son projet de nouvelle force de défense nationale, un cheminement spectaculaire qui rétablirait un certain équilibre intérieur. Thérapie. Choc.

Choc, certes. Mais, surtout dégâts directs. Et dommages collatéraux. Michel Martelly n’aura peut-être jamais l’armée de ses rêves. Ce qui risque de le plonger dans un abattement moral paralysant. Comédie du pouvoir, d’une part. Tragédie dans son exercice, de l’autre. Revers. Il voulait une nouvelle prouesse haïtienne à Vertieres. Mais  une sainte alliance a déjà mis son armée en déroute. Sans un coup de pétard. Quand les forces révolutionnaires menées par les Dessalines et les Christophe avaient en face d’elles, sur les champs de bataille, rien que des forces expéditionnaires françaises  pro-esclavagistes, Martelly devait affronter, à huis clos, une coalition dite amie d’Haïti. Cette alliance est faite d’Américains, de  Français, de Canadiens, de Brésiliens, de Chiliens et autres, déterminée à lui « rentrer dedans », pour répéter l’un d’entre eux. Il leur fallait amener le président Martelly à enterrer, de gré ou par coercition, son idée de nouvelle armée. Évidemment, on lui a assené quelques bonnes et dures vérités. Sans ménagement. Il avait encaissé sans acquiescer au départ. Il faut reconnaître qu’il avait bravement joué, en privé, au traditionnel héros haïtien devant l’étranger. Mais, après s’être durablement affaibli et diminué politiquement par l’affaire Bélizaire, tout indique qu’il a finalement mis bas les armes. Il s’est affaibli et de puissantes forces internationales en ont profité pour le sabrer à son flanc faible. Débandade. Défaite ? Waterloo !

Il ne sera permis au président de notre pays sous tutelle que de sauver la face. Cérémonies symboliques. Mesures légales sur la création d’une armée. Mais des mesures probablement sans portée réelle. Une armée haïtienne virtuelle qui risque de n’avoir aucune existence concrète sur les terres occupées d’Haïti. Le président Martelly sera jugé, dans l’histoire, par sa capacité à transformer Haïti et à déjouer les édits arbitraires de nos puissants « amis » étrangers. Entre-temps, son projet d’armée a été décrété « mort-né » par ceux-là qui se croient, de fait, maîtres des lieux.

Stratège militaire génial et légendaire, Napoléon Bonaparte avait perdu, en 1815, par présomption, la bataille de Waterloo face à la Belle-Alliance des forces anglaises, néerlandaises et prussiennes. Il les avait sous-évaluées. Ambigüité dans la chaîne de commande. Déficit de soutien politique en France. Mauvais timing. Inadéquation des moyens techniques. La comparaison à Martelly vaut plutôt, ici, pour sa valeur d’enseignement historique. Les deux hommes auront été mis en déroute pour des rasions largement similaires. Un trop-plein de suffisance. Notre président voulait mettre la nation devant le fait accompli d’une armée qui n’aurait de national que la doctrine. Comme pour son plan de scolarisation gratuite. Il ne communiquait pas avec son peuple sur les tenants et aboutissants de son idée hasardeuse. Il laissait à ses adversaires, comme le sénateur braillard, Moïse Jean-Charles, le soin de définir, négativement, son plan à sa place.  Des hommes s’entraînaient militairement au nom du pays, quand le pays lui-même n’était pas entraîné dans le projet. Politiquement, ce projet, chasse gardée du clan présidentiel, inquiétait plus qu’il ne rassurait. Manque de soutien collectif ferme. Des rancuniers de l’ère putschiste pilotaient tout, avec, pour certains, un esprit revanchard. Le Président semble n’avoir pas su bien évaluer l’ampleur des réticences haïtiennes et des résistances internationales, notamment américaines.  La peur est, par ailleurs,  là que la réalisation de ce plan entrainerait un démembrement de la Police nationale d’Haïti.

Des  partenaires internationaux clés sont convaincus que cette nouvelle armée ne pourrait se financer que par les revenus du commerce de la drogue. D’autant que le chef de l’État n’a jamais été en mesure d’expliciter, pour ces partenaires sceptiques, d’où proviendraient les 96 millions de dollars initialement prévus, ni les 25 millions de dollars du budget de cette force revu à la baisse sous le poids de contraintes multiples. Inquiétudes géopolitiques. Spéculations. Conjectures lugubres. Le projet d’armée de M. Martelly s’est révélé être une affaire internationale, plus qu’il ne se l’imaginait. D’autant que l’armée de la République dominicaine voisine fait froncer les sourcils à Washington en raison de la pénétration grandissante, dans  ses rangs, des forces de la drogue.

Il faut dire, aussi,  que les anciennes FAD’H n’ont pas laissé derrière elles une réputation qui rassurerait les inquiets  sur leur éventuelle remobilisation. L’ombre épaisse de cette armée des coups d’État et des violations des droits humains pèse encore lourd sur les consciences. C’est, entre autres, l’un des boulets qui ont empêché le plan de Martelly de progresser jusqu'à sa matérialisation. Pour le président de la République, le 18 novembre 2011 ne sera point le Vertieres de nos aïeux. Ç’aura été, hélas, son Waterloo !
D.V.

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