mardi 1 novembre 2011

LE PARC INDUSTRIEL DE CARACOL


Le parc industriel de Caracol
Bernard Ethéart
Ces jours-ci on nous abreuve de bulletins de victoire au sujet du démarrage de la construction du parc industriel de Caracol et, bien que ce projet remonte à l’administration précédente, on nous le présente comme le premier résultat de la politique d’ouverture du pays aux investisseurs étrangers qui doivent transformer ce pays en paradis. Tous ces discours ne sont pas sans me rappeler une atmosphère du même genre que le pays a connu dans les années qui précédèrent le débarquement des marines en 1915 et que Roger Gaillard a si bien décrite  dans sa République autoritaire.
Dans une série d’articles publiés dans ce journal, de février à octobre 2005, et consacrés à l’évolution de la structure foncière, j’ai rappelé cette période et je me suis un peu arrêté à analyser le résultat de cette « bienveillante pénétration » que certains avaient appelé de tous leurs vœux. C’est terrible de constater comment nous refusons de tenir compte des enseignements de notre histoire, car enfin, qu’il s’agisse des investissements dans la production de sisal, d’hévéa, de figue-banane ou même de canne-à-sucre, au bout du compte, à part quelques privilégiés, le bilan n’est pas très positif.
Dès que j’ai entendu parler de ce nouveau projet, ma première réaction a été de vouloir vérifier la valeur agricole des terres qui allaient y être consacrées. Je n’ai pas pu mener une véritable enquête, mais une courte visite m’a permis de constater qu’il s’agissait de terres sous culture (voir HEM, Vol. 25, # 07 du 09-16/03/2011). L’Etude des impacts environnementaux et sociaux du parc industriel dans la Région du Nord d’Haïti réalisée, pour le Ministère de l’Economie et des Finances, par le cabinet de conseil en  développement industriel Koios Associates LLC le confirme :
Le site du parc industriel … occupe 243 hectares dans la commune de Caracol … Il s’y trouve environ 300 parcelles de bonnes terres agricoles dont la plupart de superficie entre 0,5 et 1,0 hectare … qui seront endommagées par la construction du parc. Il existe encore une quarantaine de parcelles voisines du parc qui seront également susceptibles d’endommagement …
Et l’étude de parler de l’impact social qui découle du défrichage … d’une zone agricole qui représente le principal moyen de subsistance pour plus de 1.000 personnes … C’est le cas de dire comme les anglo-saxons : understatement of the year, car 340 parcelles familiales cela représente bien plus que 1.000 personnes. Evidemment, on parle de dédommagement, en nature et en espèce, on parle aussi de réinstallation ; mais quand on sait que les paysans de Pitobert, chassés par la « zone franche’ de Ouanaminthe, n’ont toujours pas été réinstallés, après plus de dix ans, bien que le terrain pour leur réinstallation soit identifie depuis quatre ans, on peut être sceptique.
Et tout cela pourquoi ? … pour faciliter les investissements d’entreprises de fabrication de vêtements, nationales et internationales, ainsi que ceux d’autres entreprises d’industrie légère, attirées non seulement par les préférences tarifaires généreuses et l’accès aux marchés accordés par les Etats-Unis, mais aussi par la main-d’œuvre bon marché et la proximité du marché américain. Et voilà ! Pour permettre à quelques profiteurs de s’enrichir sur le dos de la main-d’œuvre haïtienne, on va sacrifier des hectares de bonnes terres agricoles pendant qu’un bon tiers de la population est en situation d’insécurité alimentaire.
Je me suis déjà élevé contre cette politique à l’époque où M. Collier était dans toutes conversations (voir Collier revu et corrigé, HEM, Vol. 23, # 30, du 19-25/08/09 et Retour à Paul Collier, HEM, Vol. 23, # 35, du 23-29/09/2009) et  je ne cesserai jamais de faire valoir mon point de vue. La priorité des priorités doit être d’augmenter la production agricole en vue d’augmenter la disponibilité de nourriture pour la population. Cela passe par un des investissements dans l’agriculture, ce qui permet de faire face à la seconde priorité qui est la création d’emplois, car, seuls ceux qui ne veulent pas le savoir ne le savent pas, la création d’emplois dans l’agriculture est moins coûteuse et ces emplois sont mieux rémunérés que dans l’industrie.
Dans le cas de Caracol c’est encore plus fichant car, même si on parle de bonnes terres agricoles, le niveau de productivité y est assez faible ; il pourrait cependant être amélioré. Un rapport présenté par une équipe haïitiano-dominicaine, après avoir mentionné qu’il s’agit d’une zone à forte potentialité agricole, révèle cependant que la rivière n’est pas exploitée pour l’arrosage des terres, de plus, la nappe phréatique (serait) très haut : a six mètres de profondeur on trouve de l’eau ce qui expliquerait l’existence de puits sur le site. Autrement dit, avec quelques investissements, il est possible de mettre en place une agriculture irriguée.
Et l’équipe de conclure très logiquement : « L’implantation d’un parc industriel dans la zone serait beaucoup plus appropriée à l’agro industrie ceci permettrait de revaloriser les terres de la zone et encourager la production nationale au lieu d’une industrie textile prévue. » Qui dit agro-industrie dit développement des filières, donc création d’emplois supplémentaires et développement de ces pôles de croissance dont nous ne cessons e parler à la FONHDILAC.
Il y a un chiffre dans l’étude de Koios qui m’a fait tiquer. Ils parlent de La fourniture de moyens de subsistance à un maximum de 500.000 personnes, soit 10 % de la population d’Haïti. Ne sommes nous donc que 5 millions ?
L’étude aborde aussi le problème de l’environnement. Le plus grand risque environnemental identifié est celui de la fragilité de la Baie de Caracol. Toutes les eaux de drainage du parc industriel et des zones de développement prévues autour du parc finiront par se déverser dans la baie de Caracol. Au cours de notre étude, nous avons déterminé qu’il s’agit d’un système côtier unique, productif et précieux. Encore un understatement ! Dans la zone de Caracol se trouve une des plus importantes mangroves du pays et on frémit à la pensée que ces chers investisseurs Coréens ont l’intention d’installer une teinturerie ! que va-t-il se passer quand l’eau chargée de produits chimiques de la teinturerie arrivera dans la mangrove ? L’étude n’en parle pas, mais peut-être ne sont-ils pas au courant de ce secret d’Etat.
Car il s’agit bien de secrets d’Etat. L’équipe haïtiano-dominicaine rapporte avoir rencontré la Direction Départementale Agricole du Nord-Est (DDANE).
Les points qui ont été débattus
·         Les responsables agricoles ne sont au courant administrativement d’un tel projet
·         Il fallait un plan d’aménagement avant une telle initiative permettant le développement de la zone et contrôler tous les impacts d’un tel projet
·         Ce choix a été fait sans l’aval du Ministère de l’Environnement et du Ministère de l’Agriculture des Ressources Naturelles et du Développement Rural
Sans commentaires
Bernard Ethéart

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