Le
parc industriel de Caracol
Bernard Ethéart
Ces jours-ci on nous abreuve de
bulletins de victoire au sujet du démarrage de la construction du parc
industriel de Caracol et, bien que ce projet remonte à l’administration
précédente, on nous le présente comme le premier résultat de la politique
d’ouverture du pays aux investisseurs étrangers qui doivent transformer ce pays
en paradis. Tous ces discours ne sont pas sans me rappeler une atmosphère du
même genre que le pays a connu dans les années qui précédèrent le débarquement
des marines en 1915 et que Roger
Gaillard a si bien décrite dans sa République autoritaire.
Dans une série d’articles publiés
dans ce journal, de février à octobre 2005, et consacrés à l’évolution de la
structure foncière, j’ai rappelé cette période et je me suis un peu arrêté à
analyser le résultat de cette « bienveillante
pénétration » que certains avaient appelé de tous leurs vœux. C’est
terrible de constater comment nous refusons de tenir compte des enseignements
de notre histoire, car enfin, qu’il s’agisse des investissements dans la production de sisal, d’hévéa, de
figue-banane ou même de canne-à-sucre, au bout du compte, à part quelques
privilégiés, le bilan n’est pas très positif.
Dès que j’ai entendu parler de ce
nouveau projet, ma première réaction a été de vouloir vérifier la valeur
agricole des terres qui allaient y être consacrées. Je n’ai pas pu mener une
véritable enquête, mais une courte visite m’a permis de constater qu’il
s’agissait de terres sous culture (voir HEM, Vol. 25, # 07 du 09-16/03/2011).
L’Etude des impacts environnementaux et
sociaux du parc industriel dans la Région du Nord d’Haïti réalisée, pour le
Ministère de l’Economie et des Finances, par le cabinet de conseil en développement industriel Koios Associates LLC le confirme :
Le site du parc industriel … occupe 243 hectares dans la commune de
Caracol … Il s’y trouve environ 300 parcelles de bonnes terres agricoles dont
la plupart de superficie entre 0,5 et 1,0 hectare … qui seront endommagées par
la construction du parc. Il existe encore une quarantaine de parcelles voisines
du parc qui seront également susceptibles d’endommagement …
Et l’étude de parler de l’impact
social qui découle du défrichage … d’une
zone agricole qui représente le principal moyen de subsistance pour plus de
1.000 personnes … C’est le cas de dire comme les anglo-saxons :
understatement of the year, car 340 parcelles familiales cela représente bien
plus que 1.000 personnes. Evidemment, on parle de dédommagement, en nature et
en espèce, on parle aussi de réinstallation ; mais quand on sait que les
paysans de Pitobert, chassés par la « zone franche’ de Ouanaminthe, n’ont
toujours pas été réinstallés, après plus de dix ans, bien que le terrain pour
leur réinstallation soit identifie depuis quatre ans, on peut être sceptique.
Et tout cela pourquoi ? … pour faciliter les investissements
d’entreprises de fabrication de vêtements, nationales et internationales, ainsi
que ceux d’autres entreprises d’industrie légère, attirées non seulement par
les préférences tarifaires généreuses et l’accès aux marchés accordés par les
Etats-Unis, mais aussi par la main-d’œuvre
bon marché et la proximité du marché américain. Et voilà ! Pour
permettre à quelques profiteurs de s’enrichir sur le dos de la main-d’œuvre
haïtienne, on va sacrifier des hectares de bonnes
terres agricoles pendant qu’un bon tiers de la population est en situation
d’insécurité alimentaire.
Je me suis déjà élevé contre cette
politique à l’époque où M. Collier était dans toutes conversations (voir Collier revu et corrigé, HEM, Vol. 23, # 30, du 19-25/08/09 et Retour à
Paul Collier, HEM, Vol. 23, # 35, du 23-29/09/2009) et je ne cesserai jamais de faire valoir mon
point de vue. La priorité des priorités doit être d’augmenter la production
agricole en vue d’augmenter la disponibilité de nourriture pour la population. Cela
passe par un des investissements dans l’agriculture, ce qui permet de faire
face à la seconde priorité qui est la création d’emplois, car, seuls ceux qui
ne veulent pas le savoir ne le savent pas, la création d’emplois dans
l’agriculture est moins coûteuse et ces emplois sont mieux rémunérés que dans
l’industrie.
Dans le cas de Caracol c’est encore
plus fichant car, même si on parle de bonnes
terres agricoles, le niveau de productivité y est assez faible ; il
pourrait cependant être amélioré. Un rapport présenté par une équipe
haïitiano-dominicaine, après avoir mentionné qu’il s’agit d’une zone à forte potentialité
agricole, révèle
cependant que la rivière n’est pas
exploitée pour l’arrosage des terres, de plus, la nappe phréatique (serait) très
haut : a six mètres de profondeur on trouve de l’eau ce qui
expliquerait l’existence de puits sur le
site. Autrement dit, avec quelques investissements, il est possible de mettre
en place une agriculture irriguée.
Et l’équipe
de conclure très logiquement : « L’implantation
d’un parc industriel dans la zone serait beaucoup plus appropriée à l’agro
industrie ceci permettrait de revaloriser les terres de la zone et encourager
la production nationale au lieu d’une industrie textile prévue. » Qui
dit agro-industrie dit développement des filières, donc création d’emplois
supplémentaires et développement de ces pôles de croissance dont nous ne
cessons e parler à la FONHDILAC.
Il y a un
chiffre dans l’étude de Koios qui m’a fait tiquer. Ils parlent de La fourniture de moyens de subsistance à un
maximum de 500.000 personnes, soit 10 % de la population d’Haïti. Ne sommes
nous donc que 5 millions ?
L’étude
aborde aussi le problème de l’environnement. Le plus grand risque environnemental identifié est celui de la
fragilité de la Baie de Caracol. Toutes les eaux de drainage du parc industriel
et des zones de développement prévues autour du parc finiront par se déverser
dans la baie de Caracol. Au cours de notre étude, nous avons déterminé qu’il
s’agit d’un système côtier unique, productif et précieux. Encore un
understatement ! Dans la zone de Caracol se trouve une des plus
importantes mangroves du pays et on frémit à la pensée que ces chers
investisseurs Coréens ont l’intention d’installer une teinturerie ! que
va-t-il se passer quand l’eau chargée de produits chimiques de la teinturerie
arrivera dans la mangrove ? L’étude n’en parle pas, mais peut-être ne
sont-ils pas au courant de ce secret d’Etat.
Car il
s’agit bien de secrets d’Etat. L’équipe haïtiano-dominicaine rapporte avoir
rencontré la Direction Départementale Agricole du Nord-Est (DDANE).
Les points qui ont été débattus
·
Les responsables agricoles ne sont au
courant administrativement d’un tel projet
·
Il fallait un plan d’aménagement avant une
telle initiative permettant le développement de la zone et contrôler tous les
impacts d’un tel projet
·
Ce choix a été fait sans l’aval du
Ministère de l’Environnement et du Ministère de l’Agriculture des Ressources
Naturelles et du Développement Rural
Sans
commentaires
Bernard Ethéart
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