DIALOGUE
DE SOURDS
Me Serge H. Moïse
13 Nov.
2011
Depuis trente ou quarante ans, des démarches
sont régulièrement entreprises afin d’attirer au pays des investisseurs
étrangers dans la perspective de relancer notre économie. De temps à autre des
voyages sont organisés pour des délégations pléthoriques qui reviennent avec
des promesses mirobolantes, lesquelles hélas n’arrivent jamais à se concrétiser.
Pourtant, gouvernement après gouvernement, l’on assiste au même scénario
inutile, avec toujours le même résultat.
Il ne suffit pas de s’accrocher à un rêve
pour qu’il devienne réalité. Encore faut-il de manière rationnelle et
pragmatique, en tenant compte des besoins de la population, toutes classes
confondues, préparer le terrain à cet effet.
Attirer des investisseurs étrangers, et,
à ce chapitre, il y a loin de la coupe aux lèvres, à cause de l’insécurité
grandissante, les tracasseries administratives pour enregistrer une compagnie
commerciale, le non respect du droit de propriété et des lois en général,
l’état de délabrement de nos routes et du système judiciaire, la pénurie en
matière d’électricité, autant de facteurs négatifs qui ne peuvent que décourager
d’éventuels affairistes en quête de profits plus ou moins juteux. L’humanitaire
se révèle donc plus intéressant que toute autre forme
d’investissement, faisant de notre coin de terre l’industrie de la misère
humaine sous toutes ses formes.
Nous devons donc apprendre à d’abord compter
sur nous-mêmes. Nous l’avons fait à une époque où nous ne disposions pas dans
nos rangs de cette kyrielle d’analystes, de théoriciens, d’intellectuels de
belle eau et de techniciens aux connaissances les plus pointues et ce dans tous
les domaines.
Il nous a fallu un peu plus de trois
cents ans de tentatives avortées, d’essais mal planifiés, de trahison entre nous, de revers et de
mauvaise fortune. Mais nous n’avions pas baissé les bras. Nous avons recouru à des ruses témoignant d’une
perspicacité et d’une intelligence
supérieure. Nous avons inventé le marronnage et qui plus est, nous avons
utilisé la force de l’ennemi pour le combattre et le terrasser.
Certaines chaines de notre esclavage
furent donc rompues, celles visibles à l’œil nu évidemment. L’indépendance
nationale fut proclamée à grand renfort de tambours et de trompettes au grand
dam des « bwanas ». La preuve venait d’être faite que l’homme noir avait
lui aussi une âme susceptible d’atteindre la cime des dieux tutélaires.
A partir de cette geste héroïque à nulle autre pareille, nous sommes
devenus le phare de la race tout entière. Ceux qui ont voulu nous imiter furent systématiquement éliminés.
Les bourreaux ont juré que cet exemple ne se reproduirait plus jamais et ils
ont tenu parole, bien souvent, avec la complicité consciente ou non de certains
de nos frères.
La vie étant une lutte perpétuelle, il ne faut donc pas s’attendre à ce
que la nôtre prenne fin aujourd’hui ou demain. Si comme le célèbre pied noir
Enrico Macias, nous pouvons chanter « Rien n’est plus beau qu’un fusil
rouillé », il n’en demeure pas moins que pour avoir baissé les bras et ce
à plus d’un titre, nous avons-nous-mêmes contribué, largement, à nous retrouver
dans ces profondeurs abyssales du laxisme, de la corruption et de la misère.
Puisque nous en sommes conscients, tout n’est pas encore perdu, la
rédemption demeure donc possible à
condition de respecter les lois de la nature que les anciens n’ont pas manqué
de nous enseigner et qui s’expriment à partir de sages adages tel :
« Une famille divisée est une famille affaiblie, appelée à
disparaître ».
La zizanie, les luttes mesquines et fratricides, les inégalités sociales
et l’analphabétisme maintenus à dessein ne peuvent conduire qu’à ce chaos que
nous avons échafaudé patiemment et inlassablement depuis l’ignominie de mil
huit cent six au pont rouge.
« Ventre affamé n’a point d’oreille ».
L’éducation gratuite pour tous, certainement et dans les plus brefs
délais. Toutefois, il faut éviter de mettre la charrue avant les bœufs. Ne
confondons pas scolarisation et éducation car en reproduisant des générations
d’acculturés, la nation risque de ne jamais émerger de son gouffre actuel. De
plus les besoins primaires doivent être pris en compte avant les besoins
secondaires, tertiaires et ainsi de suite. Les parents qui ne travaillent pas
ne peuvent pas loger, nourrir et habiller leurs enfants et les rendre aptes à
recevoir les bienfaits de l’éducation. La création d’emplois demeure le point
de départ incontournable à partir de quoi tout le reste devient possible.
« Il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre et
pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir ».
Vouloir à tout prix faire comme les autres, les singer autrement dit,
nous maintiendra irrémédiablement dans cette situation d’assistanat qui fait le
bonheur de tous, sauf le nôtre.
« Pour pratiquer la
vertu il faut un minimum de bien-être »
Demander à des gens qui ne travaillent pas et qui n’ont aucune chance de
le faire, de respecter la morale et le droit, dépasse l’entendement humain. Une
maman dont les trois ou quatre rejetons crèvent de faim ne saurait résister à
la tentation de se prostituer afin de nourrir ses poupons, au risque d’attraper
le virus du sida. Désespérée, elle n’hésite pas!
« Il n’y a rien de nouveau sous le soleil »
En effet, les cataclysmes tant naturels qu’humains ont jalonné, sous
toutes formes, notre histoire sur cette minuscule planète. Nous avons tout vu
et pourtant…
« Les défaites du Droit sont toujours provisoires »
Puisqu’il est encore question de changement, la modernisation de la
législation haïtienne, lentement mais sûrement, sera amorcée sous peu aux fins
de nous permettre de rejoindre le cercle des nations civilisées.
Nous invitons nos aimables lecteurs à poursuivre ce bel exercice et à
réaliser qu’en effet, tout a été dit, mais qu’entre le dire et le faire, il y a
souvent un fossé difficile à franchir.
Nos propos sont, pour souligner à l’eau forte cette fois-ci, que la
solution à nos problèmes ne se situent pas aux antipodes de nos capacités. Bien
au contraire, l’important pour nous est d’arrêter de chercher midi à quatorze
heures. Il nous incombe de créer notre propre modèle de développement qui
commencera par l’instauration de cette grande chaine de solidarité, pas au
niveau des discours et des interminables palabres, mais de manière concrète à
travers le (FHS) Fonds Haïtien de Solidarité.
Travaillons tous ensemble à faire disparaître, autant que faire se peut,
les inégalités sociales par la création immédiate d’emplois sur toute l’étendue
du territoire national. C’est possible avec le Fonds Haïtien de Solidarité.
Mettons un terme à notre dialogue de sourds séculaire, faisons une
réalité de notre maxime nationale : L’union fait la force. C’est nettement
possible avec le Fonds Haïtien de Solidarité.
Faisons franchement appel à la participation active de toutes les filles
et tous les fils de la nation, tant ceux de l’intérieur que ceux de l’extérieur
dans le cadre de cette grande kombite nationale. C’est certainement possible
avec le Fonds Haïtien de Solidarité.
Me Serge
H. Moïse
Barreau
de P-au-P.
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