lundi 28 novembre 2011

Si…



Si…
Par Daly Valet
Le Matin : du 25 nov. au 1er  déc. 2011

Et si, au début des années quatre-vingt, Jean-Claude Duvalier avait fait le choix de chevaucher l’Histoire, dans le sens de la modernité démocratique, par une libéralisation franche et décisive du régime dynastique hérité de son  Papa Doc ? Et si le général Henry Namphy et ses acolytes militaires et macoutes n’avaient pas cautionné Ruelle Vaillant et sabordé, dans le sang, le processus électoral de 1987 ? Et si, en 1989-1990, le général Prosper Avril n’avait pas gouverné dans la violence politique répressive et kidnappé, à son profit, le processus électoral et démocratique ? Et si, en 1993-1994, le général Raoul Cédras avait été suffisamment grand et visionnaire pour réaliser, tôt, avec son complice, le colonel Michel François, que leur coup d’État était insoutenable et relevait de l’anachronisme historique ? Et si Jean-Bertrand Aristide n’avait pas opté, en tant que président, pour le populisme autoritaire, anarchisant et violent ? Et si René Préval avait rejeté le chaos institutionnel et les magouilles électorales comme moyen de se maintenir au pouvoir ? Et si le président Michel Martelly et son entourage immédiat n’avaient pas, jusque-là, donné l’impression qu’ils étaient en hibernation entre le 6 février 1986 et 13 mai 2011, et que, durant leur long sommeil, ils ignoraient tout des combats et conquêtes démocratiques du peuple haïtien ? Et si M. Martelly ne s’était pas imaginé pouvoir imposer au pays, sans concertation nationale, une armée avec les mêmes gérontes des années jeanclaudistes et putschistes ? Et s'il n’avait pas ordonné l’arrestation arbitraire du député Arnel Bélizaire et entraîné l’appareil judicaire et les institutions d’État de sécurité dans la commission d’un forfait ? Et si ses ministres d’État, Josué Pierre-Louis et Thierry Mayard-Paul, avaient dit toute la vérité au pays et assumé, courageusement et publiquement, leurs responsabilités dans cette dérive autoritaire ?

On  ne fait pas l’Histoire avec des « si ». Ainsi court, de génération en génération, l’idée reçue. Erreur. L’historiographie moderne se fait désormais  avec des « si ». Si Napoléon Bonaparte avait regretté de n’avoir pas su gouverner Saint-Domingue à travers Toussaint Louverture, c’est dire qu’en dehors de la capture et de l’emprisonnement de ce dernier à Fort-de-Joux, d’autres options s’offraient à l’empereur français. Des options qui auraient pu engager notre histoire sur une trajectoire différente que celle que cristallise 1804 et conférer un autre destin à la présence française dans les Amériques. Quand l’entêtement, l’aveuglement, l’ignorance, les préjugés et le messianisme président aux choix des gouvernants, ils en paieront, personnellement, les conséquences et les peuples en feront forcément les frais.  Ce ne sont pas toujours des contraintes externes ni des facteurs matériels qui structurent l’ordre  interne  des choses. L’humain est aussi à considérer dans notre évaluation du cours de l’Histoire. Quand des dirigeants poursuivent, dans la témérité,  des politiques  infructueuses contraires à leurs propres intérêts et à ceux de leurs nations, c’est la sottise humaine qui se trouve, dès lors, aux commandes. L’esprit de contradiction au pouvoir. Les méthodes de gouvernement comme restées, chez nous, à l’état stationnaire depuis deux cents ans. En son temps, le deuxième président américain, George Adams, avait fait, déjà, le regrettable constat que, comparativement aux autres sciences, celle du gouvernement « n’était guère mieux pratiquée qu’elle ne l’était il y a trois à quatre mille ans ».

Évidemment, l’histoire contemporaine des peuples ne fait qu’accréditer le constat de M. Adams. Son lointain successeur, Georges W. Bush, nous a, injustement, donné, par vanité, la boucherie d’Irak. Saddam Hussein s’est fait pendre, là-bas, en tyran fanfaron pour des armes qu’il n’avait pas. En Égypte, Hosni Moubarak a préféré la terreur et l’humiliation au lieu de démocratiser son régime et accéder aux demandes de son peuple. En Tunisie, Ben Ali a laissé pourrir son régime plutôt que de l'assainir et le moderniser. En Lybie, Kadhafi est resté dictateur intraitable et sanguinaire jusqu'à sa mise à mort brutale et inhumaine. Al-Assad de la Syrie les rejoindra, un jour, dans l’humiliation et la défaite. Ce sera l’épilogue tragique de son aveuglement suicidaire dans l’arbitraire.

Rappels historiques, petite leçon de choses à nos dirigeants actuels. Car leurs états de service relèvent du suicide politique et font déjà du mal au pays. Un gouvernement fraîchement installé mais paralysé par l’action d’hommes de peu de grandeur et plutôt faibles en convictions démocratiques. L’affaire Martelly-Bélizaire nous a dit assez sur l’encanaillement de notre appareil d’État et le laisser-aller qui y prévaut. Trop c’est trop. Il faut sanctionner. Réviser. Corriger. Amender. Réformer. Et transformer.

Les  présidents civils et militaires haïtiens cités, ici, ont tous connu l’humiliation. Certains l’exil forcé et prolongé. D’autres sont toujours dégoûtés et rejetés par les Haïtiens. Ils avaient gouverné dans et par la bêtise. Ils ne sont pas à reproduire dans l’Haïti d’aujourd’hui. Le prestige de l’actuel président et des ministres qui lui sont proches en a pris un sérieux coup dans l’affaire Bélizaire. Dans le dossier de l’armée aussi. Une fuite en avant qui lui a valu le Waterloo du 18 novembre 2011 que nous avions annoncé. À sa décharge, il s’est vite ressaisi devant la vigueur des hostilités. Atterrissage forcé, certes. Mais preuve d’humilité louable et à encourager. D’aucuns diront que les consultations nationales et les pourparlers entre les trois pouvoirs de l’État sont annoncés avec du retard. Mais mieux vaut tard que jamais. Espérons que M. Martelly sortira grandi et renforcé des derniers revers. Et qu’il a finalement compris qu’il évolue dans le cadre d’arrangements légaux et institutionnels modernes et postautoritaires. Sinon, comme pour ses prédécesseurs, c’est avec de regrettables « si » qu’il sera surtout retenu dans l’Histoire.  
D.V

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