mardi 2 juillet 2013

QU'EST-CE QU'HAITI A A VENDRE A LA ZONE ECONOMIQUE PETROCARIBE

Qu'est-ce qu'Haïti a à vendre à la Zone économique PetroCaribe ?
Le Nouvelliste | Publié le :01 juillet 2013
 Nesmy Manigat
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Sceptiques pourraient être tous les Haïtiens face à cette question quand on connaît la capacité actuelle de production et de compétitivité de notre secteur agricole. Pourtant, le gouvernement et les producteurs ne devraient pas passer à côté de cette question, car il s'agit d'abord de savoir comment rembourser au moindre coût aujourd'hui un milliard de dollars que nous devons collectivement au Venezuela. Une seconde vie pour PetroCaribe En effet, les pays unis par l'Accord énergétique de PetroCaribe ont remboursé en 2012 près de 800 millions de dollars de leur dette en nature principalement en vendant au Venezuela le surplus de leur production agroalimentaire. Certes, le Venezuela, qui connaît des problèmes au niveau de sa production agricole, a importé l'an dernier pour près de 8 milliards de dollars de produits alimentaires. Un marché de plus en plus intéressant pour ces pays signataires de l'AEP. Il n'est donc pas étonnant que le gouvernement vénézuélien, pressuré par à la fois l'opposition et les membres, soit aujourd'hui à la recherche d'une plus grande efficacité et d'un plus grand retour sur investissement de ce dispositif de « crédit- fournisseur » qui le prive de plusieurs milliards de trésorerie par an. Ce geste de solidarité inestimable, qui a permis à plusieurs pays d'assumer un agenda pro-pauvre à travers la mise en oeuvre de plusieurs projets sociaux, montre des signes d'essoufflement et doit retrouver une nouvelle légitimité, au Venezuela même. Si Chavez en avait fait un instrument de solidarité régionale et de leadership du Venezuela dans la zone, son successeur semble déterminé à transformer ce qui jusqu'à présent est connu comme l'accord énergétique PetroCaribe en la Zone économique PetroCaribe (ZEP) de façon à promouvoir les échanges commerciaux entre ces 18 pays. La Bolivie et l'Equateur ont été aussi invités à prendre part à ces échanges. Il s'agit, en plus du domaine énergétique, de renforcer les échanges commerciaux, dans le domaine agricole, du tourisme et des moyens de transport régionaux entre tous ces pays. A Managua, lors du 8e sommet des chefs d'Etat pour traiter de la ZEP, une place spéciale a été accordée à la dimension sociale et culturelle, sur la demande de la délégation haïtienne, une proposition qui fut fortement supportée par le Venezuela. Très bonne nouvelle pour les pays ayant une offre exportable compétitive, extensible. Très bonne nouvelle pour le Venezuela qui s'assure de la régularité de son approvisionnement et d'une utilisation des fonds de PetroCaribe dans des secteurs en complémentarité avec son économie. Un agenda plus complexe et plus laborieux Le succès de PetroCaribe, en plus de son agenda régional à la fois pro-pauvre et pro-investissements, a été jusqu'à présent sa simplicité et le peu de mécanismes bureaucratiques dans le cadre des échanges. Aussi, les observateurs questionneront la capacité réelle des pays de la région à gérer des mécanismes commerciaux complexes, quand on sait comment s'est terminé le projet pharaonique de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) ou encore le marché commun de la Caricom qui tourne depuis des décennies presque à vide. Cette fois, les principaux leaders de la région plaident pour un accord qui mise sur l'expérience « non bureaucratique » de PetroCaribe. Ceci suppose malgré tout que ces différents gouvernements, en plus de leur diplomatie, mettront en place des équipes de professionnels aguerris et dédiés à la gestion de ce nouveau mécanisme d'intégration du commerce régional. Tout ceci fait défaut à Haïti, plus rompue aux schémas d'échanges préférentiels (CBI, HOPE, UE/ACP...) et disposant de peu de cadres et d'expériences dans le domaine. Il restera aussi et surtout la mobilisation du secteur privé comme défi. En effet, en plus des réunions et accords entre chefs d'Etat et de gouvernement, ce sont des alliances stratégiques et l'existence de réseaux d'affaires, entre producteurs, entrepreneurs de la région qui importent. Ils sont les vrais acteurs invisibles de tous ces sommets dans le cadre des échanges commerciaux. Certes, Haïti a réussi le pari de proposer et d'obtenir l'organisation de la prochaine réunion de PetroCaribe au mois de septembre pour faire avancer le travail les groupes thématiques retenus à Managua. Mais, plus qu'un défi logistique, il s'agira d'une opportunité historique d'être au coeur d'une innovation d'intégration régionale, même si dans l'immédiat le pays a très peu à offrir. Une véritable chance pour le pays d'influencer l'agenda économique régional en étant force de propositions. Pas de raccourcis pour Haïti, mais une occasion de réformes. En dépit des faiblesses structurelles de l'appareil productif, Haïti ne saurait ignorer cette opportunité, même si les étapes, avant d'en prendre avantage, sont multiples. Il n'y aura pas de raccourcis possibles. Tout est déjà dit ou presque, sur ce qu'il y a lieu de faire dans des études et documents de stratégies sectorielles conçus depuis des années (réforme agraire, financement, organisation, appui et renforcement des producteurs, expertise, laboratoire de qualité, pistes agricoles, logistique, conditionnement...). Plus rien n'est à inventer. A ce sujet, il ne serait pas prudent pour le gouvernement de monter une opération rien que pour le Venezuela ou la ZEP. Il s'agit une fois pour toutes de réorienter l'utilisation des fonds de PetroCaribe et de financer le lancement de notre machine agricole qui devra faire l'équilibre entre l'autosuffisance alimentaire et une offre agroalimentaire exportable. Les deux scénarios ne sont pas exclusifs, comme le pensent certains, car on n'est pas seulement obligé de vendre que son excédent de production. On peut démarrer avec une offre ciblée dans des domaines où on pourrait avoir un avantage compétitif. C'est le cas du miel, de l'ananas, des mangues, des fruits de mer, etc. Tout un programme qui reposera la question de la cohabitation d'une stratégie d'industrie de substitution à l'importation et de la promotion d'offre agricole exportable. Tout un programme qui remettra à l'ordre du jour la régulation des frontières, un cadre commercial incitatif, un régime tarifaire adéquat, un taux de change réaliste. Tout un programme qui reposera avec acuité le défi de la décentralisation, de la qualité des investissements dans les zones rurales et la place de la paysannerie traditionnelle, etc. Tout un programme qu'aucun gouvernement ne saurait réussir seul sans mobiliser le reste du pays, dans une agriculture mondiale devenue presque un secteur tertiaire misant de plus en plus sur la recherche universitaire et les techniques de marketing moderne pour survivre. Bref, une opportunité qui invite à un dialogue sur ce secteur.
Nesmy Manigat

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