Comment sortir de ce mauvais pas ?
BERNARD ETHEART
16 JUILLET 2013
C’est avec cette question que j’ai
terminé, la semaine dernière, la chronique que j’avais consacrée à la dernière
publication de Fritz Deshommes (voir Ce
pays qui s’ignore / Yon peyi ki pa konnen valè tèt li, Fritz Deshommes, HEM
Vol. 27 # 25 du 10-16/07/2013). Quand j’ai formulé cette question, je ne
pensais pas y porter de réponse tout de suite, mais elle m’a trotté dans la
tète toute la semaine et me voilà en train d’essayer d’apporter, au moins, des
éléments de réponse.
Tenter de répondre à cette question nous renvoie à la thématique qui nous
préoccupe depuis trois ans, la refondation. Si on se réfère aux textes
officiels, je pense au Plan Stratégique de
Développement a long terme (PSDH) publié par le Ministère de la
Planification et de la Coopération Externe (MPCE), quatre domaines ont été
retenus : la refondation territoriale, de la refondation économique, de la
refondation sociale et de la refondation institutionnelle.
En revoyant mon texte de la semaine dernière, je me dis que la refondation
la plus importante, celle qui conditionne toutes les autres, avait été
oubliée : la refondation mentale. Si vous me demandez en quoi consiste
cette refondation mentale, je vous dirai, me référant, encore une fois à mon
papier de la semaine dernière, que c’est tout simplement rompre avec le néo-colonialisme
social.
Evidemment, c’est vite dit, mais mettre un tel programme en œuvre
n’est pas une petite affaire. Cela suppose, par exemple que nous cessions
d’accorder plus de valeur à des choses venant de l’extérieur, ou alors
d’attendre que l’étranger donne de la valeur à quelque chose du pays avant d’en
faire autant. Je vais prendre un exemple banal. Quand nous sommes revenus en
Haïti, nous avons beaucoup fréquenté des étrangers. C’était la belle époque de
la coopération française qui nous valait la présence d’un grand nombre de
jeunes coopérants qui se sont emballés pour l’artisanat haïtien. Eh bien, c’est
leur comportement qui a lancé la mode, chez les haïtiennes, de s’habiller avec
de grandes robes en carabella, ou, quand ils reçoivent du monde à diner, de
servir la salade dans un coui. Et si
vous voulez un exemple plus « sérieux », je vous rappellerai qu’il a
fallu qu’un blanc, Dewitt Peters, encourage la peinture haïtienne pour que les
haïtiens la « découvrent ».
Pour revenir à des considérations plus générales, je dirais que le titre
même du livre de Fritz Deshommes nous oriente vers deux pistes. Il y a
« le pays qui s’ignore » et « le pays qui ne connait pas sa
propre valeur ».
Dans le cas du pays qui s’ignore, il
ya a depuis quelque temps des choses intéressantes qui se passent. J’ai eu
l’occasion de recevoir à mon émission Alex Duquella. J’avais tenu à le recevoir
pour l’avoir entendu parler de son Club
Patrimoine, qui organise des sorties avec ses étudiants pour leur faire
visiter les sites historiques ou culturels du pays. Dans le même ordre d’idée
j’ai reçu également le jeune Jean Max Beauchamp qui a lancé dans le milieu
étudiant Découvrir Haïti, un
mouvement qui a un peu le même objectif. Il y a quelques années, nous avions
rencontré, chez Manolo, à la Petite Rivière de Nippes, un bataillon de jeunes
qui combinaient leur amour de la moto avec de sites à travers le pays ;
mais je n’ai plus de contact avec eux.
Il est un autre domaine où il se passe
aussi des choses : la gastronomie. Déjà le Ministère de l’Agriculture
avait lancé la mode des foires qui offraient aux visiteurs l’occasion de gouter
des spécialités culinaires venant de différentes régions du pays. Cette initiative
a été reprise et on connait le succès qu’au la foire organisée par « Mèt
Fey Vèt », un succès qui lui a fait perdre le contrôle de son initiative.
Mais dans ce cas il est moins question de découvrir des choses que l’on ne connait
pas que de retrouver des spécialités auxquelles on n’a pas accès à
Port-au-Prince ou dans la diaspora.
Dans le cas du pays qui ne connait pas
sa propre valeur, puisque nous parlons de Fritz Deshommes, je vais aborder un
sujet qui lui tient à cœur : la Constitution. J’ai cité, la semaine
dernière, les deux ouvrages auxquels je fais alusion, à savoir « Haïti : la Nation écartelée.
Entre Plan Américain et Projet National » et « Et si la Constitution de 1987 était porteuse de
refondation ? ». En gros, l’idée est que la Constitution que nous
avons adoptée en 1987 est en fait un projet de société qui peut nous permettre
de sortir du marasme dans lequel le pays est plongé. Seulement voilà, elle est
l’œuvre d’Haïtiens et plutôt que de faire l’effort de la mettre en application,
on préfère écouter les conseils de ces amis qui nous veulent tant de bien et nous proposent des formules qui vont
dans le sens de leurs propres intérêts.
Pour terminer j’aborderai un sujet qui
a fait les grands titres au début de l’année mais est sorti de l’actualité ;
je veux parler de Kita Nago. On a, à
l’époque, dit tout et n’importe quoi sur cet évènement, mais surtout n’importe
quoi, sans prendre la peine d’entendre vraiment ce qu’en a dit celui qui l’a
lancé. De quoi s’agissait-il ? de faire la preuve que, quand ils le
veulent, les Haïtiens sont capables de relever un défi, comme de transporter un
morceau de bois d’une demi-tonne de la pointe ouest de la Pesqu’Ile du Sud à l’extrême
nord-est du territoire. La preuve est faite ; malheureusement les
organisateurs ne semblent pas avoir trouvé le moyen d’aller au-delà de l’évènement.
Bernard Ethéart
HEM Vol. 27 # 26 du 17-23/07/20113
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