jeudi 30 mai 2013

EN FORGEANT LA TRANSITION



EN FORGEANT LA TRANSITION
GERARD LATORTUE
JANVIER 2013

            Désigné  Premier ministre par le conseil des sages en mars 2004, j'ai accepté de diriger le gouvernement de transition qui se mettait en place. Haïti était alors considéré comme un pays en faillite. A cause d'une inflation galopante, la misère chronique n'avait jamais pesé aussi lourdement sur les masses populaires; l'économie était en lambeaux, le secteur prive des affaires affaibli, dévasté; les institutions nationales dans un état généralisé de délabrement; les cas de vols, de viols, enlèvement et assassinats devenus le quotidien des citoyens, enfin une polarisation extrême, un tissu national déchiré laissaient se profiler le spectre de la guerre civile.

            La tache était donc énorme pour ne pas dire impossible et j'ai accepté de m'y atteler, c'était parce que, mu par le désir ardent et la volonté de sortir mon pays du chaos existant pour le conduire vers l'instauration d'une démocratie qui apporterait plus de justice, moins d'inégalités sociales et d'un certain bien-être au peuple haïtien. J'en ai fait ma mission.
            Avec le concours et la participation active d'un groupe de professionnels confirmés et de technocrates avertis, j'ai formé un gouvernent restreint qui s'était mis immédiatement au travail. L'équipe gouvernementale s'est fixé un petit nombre d’objectifs prioritaires, à savoir:

            I- Réconciliation Nationale

            Dans le but d'éviter tout risque de guerre civile, le gouvernement a décidé de ne pas répéter l'erreur, commise à la charte de Duvalier, d'exclure pendant dix (10) ans les duvaliéristes de toute participation dans la gestion des affaires de l'état.

            En 2004, la tentation était grande dans certains secteurs de vouloir exclure les lavalassiens - qualifies tous de "chimères" - de la vie politique du pays. Le gouvernement de transition s'était opposé fermement à cette approche. Nous avons même retardé la formation du Conseil Electoral Provisoire de plusieurs semaines dans le but d'obtenir la participation du parti Lavalas au CEP. Enfin de compte, Lavalas refusant de s'associer au processus électoral avait donc rejeté toutes nos tentatives d'arriver à une réconciliation nationale.

            II- Organisation d'élections libres et inclusives

            L'histoire politique d'Haïti est jalonnée de graves crises politiques et sociales qui ont eu souvent pour causes principales des élections frauduleuses, non inclusives ou des velléités d'un Président de la république d'amender la constitution afin de rester au pouvoir au delà du terme constitutionnel imparti.

            Le défi pour le gouvernement de transition était alors de définir une stratégie qui permettrait assez rapidement de retourner à l'ordre constitutionnel sans que cela ne puisse être interprété comme une rupture démocratique. Cette stratégie comprenait quatre volets:

            i- Trouver un consensus entre les différents acteurs politiques, religieux et la société civile.

            ii- Instaurer un climat sécuritaire propice en rendant la police nationale plus efficace.

            iii- Mettre en place un Conseil Electoral Provisoire indépendant capable de gérer librement les différentes opérations électorales.

            iv- Trouver le financement nécessaire pour la réalisation des élections.

            L'action du gouvernement de transition, dont la mission essentielle était d'organiser des
 élections libres, démocratiques et inclusives était guidée par cinq (5) principes directeurs:

            i- La défense faite aux Ministres, Secrétaires d'états, Directeurs généraux et autres hauts cadres de l'administration et de la police de se porter candidat à moins qu'ils démissionnent.

            ii- L'engagement irrévocable pris par les Ministres et Secrétaires d'état de renoncer de renoncer à tous postes ministériels ou diplomatiques du premier gouvernement qui sortirait du gouvernement.

            iii- La nécessité d'inclure toutes les tendances politiques y compris les cadres ou militants du gouvernement précédent.

            iv- La transparence totale du processus électoral par l'utilisation des nouvelles technologies d'information, depuis la préparation des cartes électorales jusqu'a la tabulation et la proclamation des résultats.

            v- L'interdiction totale d'utiliser des ressources financières ou matérielles de l'état en faveur ou contre un candidat à la course électorale.

            Le processus s'est déroulé dans de très bonnes conditions grâce à la neutralité du gouvernement, de la police et des observateurs nationaux et internationaux. De plus, l'indépendance totale du CEP et l'accès équitable de tous les partis politiques à la presse d'état tant parlée, écrite ou télévisée ont grandement facilité la réalisation de ces élections.

            Les résultats des élections ont été salués par l'ensemble de la classe politique et la communauté internationale. Il n'y a eu aucune contestation vis-à-vis des députés ou sénateurs élus. Tous ont été légitimes comme étant les représentants authentiques de la volonté populaire.

            La journée du 7 février 2006 restera dans les anales politiques d'Haïti, comme une journée historique au cours de laquelle le peuple a voulu réaffirmer sa foi dans la démocratie représentative et son espoir que la politique pouvait se faire dorénavant dans le respect des lois et de la personne humaine.
           

III- Réforme de l’Etat

En attendant la refondation de l’Etat, par un éventuel dialogue national, le gouvernement de transition a entrepris une vaste réforme de l’Etat visant en particulier à la déconcentration des services publics, la modernisation de l’administration, le renforcement des institutions étatiques, la reforme de l’état civil, la refonte des lois devenues désuètes ou inadaptées à l’évolution des mœurs et la mise en œuvre d’un programme de convivialité entre le gouvernement, la société civile, le secteur privé des affaires et les acteurs politiques. De plus, le gouvernement avait entrepris une réforme en profondeur de l’administration publique en codifiant les conditions de recrutement, de promotion, de mise à la retraite et de révocation des fonctionnaires. Nous avons lancé les bases d’un véritable statut de la fonction publique axé sur la compétence si indispensable  pour la mise en place d’une administration  publique efficace au service du développement national.

IV- Bonne gouvernance économique et lutte contre la corruption

La bonne gouvernance économique et financière préconisée par le gouvernement s’articulait  autour de 8 axes principaux :

i-La recherche des grands équilibres macro économiques visant à  juguler l’inflation, à augmenter les recettes fiscales et douanières et à réduire le train de vie de l’Etat.

 ii- L’élimination des comptes discrétionnaires de la Présidence, de la Primature et des différents ministères et institutions publiques autonomes. Exceptionnellement la Présidence de la République, la Primature et le ministère de l’économie et des finances, pour des raisons d’efficacité, avaient été autorisés à maintenir un (1) compte discrétionnaire.

iii- La création de grilles de salaires pour les différentes catégories de fonctionnaires et d’employés publics ainsi qu’une grille officielle de «Per diem » pour tous les agents de l’Etat en mission à l’étranger, y compris le Président de la République, le Premier ministre et les ministres, secrétaires d’Etat et directeurs généraux.
 
iv- La création du Centre de Facilitation des Investissements (CFI) dans le but d’encourager les investissements, réduire les formalités bureaucratiques liées à la création des entreprises et de promouvoir  l’esprit d’entreprises seul capable effectivement de contribuer à la création d’emplois et la
génération  de revenus.

v- L’assistance donnée au secteur privé des affaires par un programme spécial de« stimulus » pour aider à son relèvement après les destructions et les pillages qui ont suivi le départ du Président Aristide le 29 février 2004.

vi- L’institutionnalisation de la lutte contre la corruption par le renforcement de l’UCREF et la création de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC)
vii- L’obligation faite aux fonctionnaires de rang élevé de déclarer leur patrimoine au greffe du tribunal de première instance de Port-au-Prince au moment de leur entrée en fonction et au moment de leur départ.

viii- La création de la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP) qui établit les règles  applicables à la passation, l’approbation, l’exécution et au contrôle de tous les marchés publics.

V- Renforcement de la sécurité Publique

Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement de transition a trouvé dans le pays une police nationale faible en effectif, peu professionnelle, infiltrée de bandits, mal équipée, mal formée et mal payée. Face à cette situation, il était très difficile pour le gouvernement de lutter contre les gangs armés liés au mouvement  lavalas en grande partie. Pour renforcer la sécurité publique, nous avons mis en place une stratégie autour de 4 axes principaux :

i-                    Recrutement de nouveaux policiers sur la base d’un concours et  vetting  des membres
de la PNH afin d’identifier les bandits qui avaient infiltré l’institution.

ii-                   Instructions aux policiers de toujours donner une réponse proportionnelle face aux attaques des gangs armés contre lesquels ils ne devraient utiliser leurs armes que dans les cas de légitime défense.

iii-                Mise en place d’un programme de formation accélérée incluant des cours sur la protection des  droits de l’homme et l’acquisition d’équipements de base pour protéger les policiers y compris des gilets par balles et des armes de poing.

iv-                 Amélioration des salaires et autres compensations accordées aux policiers et la construction de nouveaux commissariats de police bien équipés. Cette stratégie a donné de très bons résultats surtout après la nomination d’un nouveau Commandant en chef de la Police hautement qualifié et très motivé à donner à la PNH le vrai sens de sa responsabilité première qui est de servir et de protéger.

Pour conclure, je dirai qu’en deux ans et malgré les limitations imposées par l’Accord du 4 avril 2004, le gouvernement de transition peut se prévaloir d’un bilan positif. Ce bilan est marquee essentiellement  par l’organisation d’élections libres, démocratiques, transparentes et surtout inclusives. A aucun moment, l’Etat n’est intervenu pour bloquer ou aider un candidat.

Ce bilan est aussi marqué par des avancées notables dans les domaines de la déconcentration/décentralisation administrative, de la recherche d’un équilibre du GENRE, de la création d’un cadre de coopération internationale et de l’institutionnalisation de la lutte contre la corruption.

 On notera enfin tous les efforts du gouvernement pour créer un climat de convivialité entre tous les acteurs de la vie politique et de la société civile. Cependant, il est bon de remarquer que le gouvernement de transition a fait face à deux grands obstacles qui auraient pu compromettre sa mission. Le premier obstacle, d’ordre  politique, était le refus des lavalassiens  de participer au processus électoral. Le deuxième, d’ordre sécuritaire, consistait en la présence des groupes armés qui créaient des troubles un peu partout à travers le pays, et spécifiquement à  Port-au-Prince.

 La grande leçon à tirer de l’expérience du gouvernement de transition, est qu’un Premier ministre, chef de gouvernement, peut très bien coexister à coté d’un Président de la République, chef de l’Etat, pourvu que les deux mettent les intérêts vitaux du pays au dessus de leurs intérêts personnels, familiaux ou idéologiques.

 J’ose croire qu’en facilitant et en encourageant la mise en place d’un gouvernement et d’un parlement légitimes ainsi qu’en institutionnalisant la lutte contre la corruption, le gouvernement de transition aura contribué à jeter les bases indispensables pour la modernisation des structures politiques, sociales, et économiques d’Haïti.

Gérard  Latortue
 Janvier 2013


Pour le texte complet de l’Accord du 4 avril 2004, voir le Livre Blanc du Gouvernement de transition, Annexe 2



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