mardi 4 juin 2013

PITIE POUR BEDORET

Pitié pour le Bédoret
Bernard Etheart
02/06/2013
Cette fin de semaine, je me suis rendu dans le Nord, plus exactement à Limonade, pour représenter l’INARA à la présentation et à la valorisation du cahier de revendications d’organisations paysannes du « Grand Nord », autrement dit des quatre départements du Nord-Ouest, du Nord, du Nord-Est et de l’Artibonite. Une importante rencontre, organisée par la PAPDA (Plateforme Haïtienne pour un Développement Alternatif), et dont le Gouvernement, qui a placé l’année 2013 sous le signe de l’agriculture et de l’environnement aurait intérêt à tenir compte.
Nous aurons l’occasion de revenir à ces importantes assises, mais, pour aujourd’hui je vais m’en tenir à des observations faites en cours de route, particulièrement au niveau du morne Bédoret.
Pour faciliter les lecteurs je vais resituer ce Bédoret. Entre les Gonaïves et le Cap Haïtien, on à trois mornes à franchir. Le Puilboro d’abord, dont on commence la montée juste après Ennery, le plus import, dont la crête, souvent dans le brouillard, culmine, je crois, à 1.000 mètres d’altitude, et qui marque la limite entre les départements du Nord et de l’Artibonite. Puis vient le Bédoret, entre Plaisance et Limbé ; et enfin La Coupe Limbé.
Si mes connaissances en géographie sont exactes, ce Puilboro est une véritable barrière qui arrête toute l’humidité apportée par les vents alizés, ce qui explique que le versant nord est beaucoup plus verdoyant que le versant sud ; rappelez-vous toutes cette zone sèche que l’on traverse au nord des Gonaïves, une fois qu’on a laissé la verdoyante zone de Passe Reine, arrosée par la rivière d’Ennery.
Le Bédoret se trouve donc dans cette zone bénie des dieux, qui jouit d’une bonne pluviométrie, et où les paysans pratiquent l’agroforesterie (voir « L’économie verte » (10) La reconquête des mornes, HEM Vol. 27 # 15 du 01-07/05/2013), même quand ils ne connaissent pas le concept, comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. Autrefois, il y a quelques années, quand on descendait vers Plaisance, on rencontrait des groupes de femmes qui offraient des produits tout au long de la route ; et, comme on rentrait à Port-au-Prince, on pouvait faire provision de fruits : chadèques, oranges, mangues, ananas (anana-pain-de-sucre), de légumes et de tubercules (igname).
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Mais depuis quelque temps on en voit de moins en moins. En montant au Cap vendredi, j’ai encore fait cette remarque, par contre j’ai vu çà et là des planches exposées au bord du chemin. Je me suis dit que, en revenant dimanche je prendrais le temps de voir la chose d’un peu plus près.
Je l’ai fait ; et ce que j’ai vu m’a donné un choc. En montant le Bédoret, un peu après Camp Coq, je suis tombé sur un véritable marché ; je ne sais pas si ce marché peut se voir chaque jour ; je ne sais pas si c’est le dimanche que se tient le « marché aux planches » ; mais c’était impressionnant ! Des planches alignées sur plus de cent mètres ; des planches de toutes variétés : du chêne, mais très peu, du manguier, de « l’arbre véritable » … et des camions, au moins six, dont certains déjà chargés ; il y avait même un type avec un mégaphone, comme on en rencontre souvent dans les marchés.
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Nous nous sommes arrêtés pour faire des photos ; et n’avons pas été bien accueillis. Je ne sais pas si c’est notre attitude ferme, ou la plaque d’immatriculation (SE), qui nous a protégés, mais pendant un temps j’ai pensé que nous aurions pu être agressés ; je veux parler d’agression physique, car, pour l’agression verbale elle était déjà là. Pour finir, et je souhaiterais que nos dirigeants prennent note, le plus virulent de nos interlocuteurs nous a dit : « Donne nous du travail (comme cela nous n’aurons pas besoin de couper du bois) ».
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Mais ce n’est pas tout. En montant vendredi j’avais vu quelques sacs de charbon ; eh bien je les ai retrouvés. Et pas seulement quelques sacs. Même si je ne suis plus aussi radicalement opposé à la production de charbon (voir « L’économie verte » (7) La filière du charbon de bois, HEM Vol. 27 # 12 du 10-16/04/2013), mais fréquentes visites dans le Nord-Ouest me font toujours associer cette occupation à la misère, la misère humaine, mais aussi la misère de l’environnement, et la vue de ces sacs sur le Bédoret me fait frémir.
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En conclusion, je sais qu’il y a un marché pour le bois d’œuvre ; après tout il faut bien construire des logements ; mais ne peut-on pas rationaliser et réglementer ce secteur ? J’en reviens à l’agro-foresterie. Quand à la production de charbon, je ne crois pas qu’elle ait sa place dans cette région. En tout cas, il faut tout faire pour que ce merveilleux Bédoret ne devienne comme le Morne La Pierre qui domine les Gonaïves.
Bernard Ethéart
HEM Vol. 27 # 20 du 05-11/06/13

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