Pitié
pour le Bédoret
Bernard Etheart
02/06/2013
Cette fin de semaine, je me suis
rendu dans le Nord, plus exactement à Limonade, pour représenter l’INARA à la
présentation et à la valorisation du cahier
de revendications d’organisations paysannes du « Grand Nord »,
autrement dit des quatre départements du Nord-Ouest, du Nord, du Nord-Est et de
l’Artibonite. Une importante rencontre, organisée par la PAPDA (Plateforme
Haïtienne pour un Développement Alternatif), et dont le Gouvernement, qui a
placé l’année 2013 sous le signe de l’agriculture et de l’environnement aurait
intérêt à tenir compte.
Nous aurons l’occasion de revenir à
ces importantes assises, mais, pour aujourd’hui je vais m’en tenir à des
observations faites en cours de route, particulièrement au niveau du morne
Bédoret.
Pour faciliter les lecteurs je vais
resituer ce Bédoret. Entre les Gonaïves et le Cap Haïtien, on à trois mornes à
franchir. Le Puilboro d’abord, dont on commence la montée juste après Ennery,
le plus import, dont la crête, souvent dans le brouillard, culmine, je crois, à
1.000 mètres d’altitude, et qui marque la limite entre les départements du Nord
et de l’Artibonite. Puis vient le Bédoret, entre Plaisance et Limbé ; et
enfin La Coupe Limbé.
Si mes connaissances en géographie
sont exactes, ce Puilboro est une véritable barrière qui arrête toute
l’humidité apportée par les vents alizés, ce qui explique que le versant nord
est beaucoup plus verdoyant que le versant sud ; rappelez-vous toutes
cette zone sèche que l’on traverse au nord des Gonaïves, une fois qu’on a
laissé la verdoyante zone de Passe Reine, arrosée par la rivière d’Ennery.
Le Bédoret se trouve donc dans
cette zone bénie des dieux, qui jouit d’une bonne pluviométrie, et où les
paysans pratiquent l’agroforesterie
(voir « L’économie verte »
(10) La reconquête des mornes, HEM Vol. 27 # 15 du 01-07/05/2013), même
quand ils ne connaissent pas le concept, comme Monsieur Jourdain qui faisait
de la prose sans le savoir. Autrefois, il y a quelques années, quand on
descendait vers Plaisance, on rencontrait des groupes de femmes qui offraient
des produits tout au long de la route ; et, comme on rentrait à
Port-au-Prince, on pouvait faire provision de fruits : chadèques,
oranges, mangues, ananas (anana-pain-de-sucre), de légumes et de tubercules
(igname).
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Mais depuis quelque temps on en voit
de moins en moins. En montant au Cap vendredi, j’ai encore fait cette remarque,
par contre j’ai vu çà et là des planches exposées au bord du chemin. Je me suis
dit que, en revenant dimanche je prendrais le temps de voir la chose d’un peu
plus près.
Je l’ai fait ; et ce que j’ai
vu m’a donné un choc. En montant le Bédoret, un peu après Camp Coq, je suis
tombé sur un véritable marché ; je ne sais pas si ce marché peut se voir
chaque jour ; je ne sais pas si c’est le dimanche que se tient le
« marché aux planches » ; mais c’était impressionnant !
Des planches alignées sur plus de cent mètres ; des planches de toutes
variétés : du chêne, mais très peu, du manguier, de « l’arbre
véritable » … et des camions, au moins six, dont certains déjà
chargés ; il y avait même un type avec un mégaphone, comme on en
rencontre souvent dans les marchés.
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Nous nous sommes arrêtés pour faire
des photos ; et n’avons pas été bien accueillis. Je ne sais pas si c’est
notre attitude ferme, ou la plaque d’immatriculation (SE), qui nous a
protégés, mais pendant un temps j’ai pensé que nous aurions pu être
agressés ; je veux parler d’agression physique, car, pour l’agression
verbale elle était déjà là. Pour finir, et je souhaiterais que nos dirigeants
prennent note, le plus virulent de nos interlocuteurs nous a dit :
« Donne nous du travail (comme cela nous n’aurons pas besoin de couper
du bois) ».
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Mais ce n’est pas tout. En montant
vendredi j’avais vu quelques sacs de charbon ; eh bien je les ai
retrouvés. Et pas seulement quelques sacs. Même si je ne suis plus aussi
radicalement opposé à la production de charbon (voir « L’économie verte » (7) La filière du charbon de bois, HEM
Vol. 27 # 12 du 10-16/04/2013), mais fréquentes visites dans le Nord-Ouest me
font toujours associer cette occupation à la misère, la misère humaine, mais
aussi la misère de l’environnement, et la vue de ces sacs sur le Bédoret me
fait frémir.
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En conclusion, je sais qu’il y a un marché
pour le bois d’œuvre ; après tout il faut bien construire des
logements ; mais ne peut-on pas rationaliser et réglementer ce secteur ?
J’en reviens à l’agro-foresterie.
Quand à la production de charbon, je ne crois pas qu’elle ait sa place dans
cette région. En tout cas, il faut tout faire pour que ce merveilleux Bédoret
ne devienne comme le Morne La Pierre qui domine les Gonaïves.
Bernard Ethéart
HEM Vol. 27 # 20 du 05-11/06/13
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