mercredi 29 mai 2013

QUAND LA POLITIQUE FAIT CHUTER LA GOURDE


Quand la politique fait chuter la gourde
Le Nouvelliste | Publié le :27 mai 2013
 Thomas Lalime thomaslalime@yahoo.fr
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Dans son éditorial du mardi 21 mai 2013, Frantz Duval, rédacteur en chef du Nouvelliste, a tiré la sonnette d'alarme : la gourde se déprécie et cette dépréciation pourra faire augmenter le niveau général des prix. La vie chère pourra s'inviter à la table des ménages dans les prochains mois, pour reprendre les propos de l'éditorialiste. Deux jours plus tard, le gouverneur de la Banque de la République d'Haïti (BRH), M. Charles Castel, se voulait rassurant en affirmant que les fondamentaux de l'économie sont au beau fixe et qu'il n'y a pas matière à s'inquiéter. Qui croire? Les statistiques publiées par la BRH elle-même dans sa note sur la politique monétaire couvrant le premier semestre de l'année fiscale semblent plutôt pencher la balance du côté de l'éditorialiste. Le montant des réserves s'élevait à 1,2 milliard de dollars, soit l'équivalent de trois mois d'exportation ; le taux d'inflation est de 7,3 % en glissement annuel au mois d'avril ; les importations ont diminué de 1 % et les exportations ont augmenté de 19 % ; les transferts sans contrepartie de la diaspora ont crû de 8 %, nous fait savoir le conseil d'administration de la BRH. Donc, si l'on regarde le passé, il n'y aurait pas lieu de s'alarmer. Ce serait des anticipations adaptatives, c'est-à-dire les agents prennent leurs décisions sur la base des statistiques du passé (backward looking agents). Mais là où le bât blesse, c'est lorsque les agents économiques regardent plutôt le futur. Ce serait des anticipations rationnelles faites sur la base des informations passées, présentes et des projections qui tiennent compte également de leurs connaissances de l'environnement politique, social et économique, de l'incertitude sur le futur et les signaux reçus des dirigeants (foward looking agents). Et si l'on tient compte de tous ces facteurs, on ne saurait conclure que la réaction du marché des changes est irrationnelle et infondée, comme le gouverneur de la Banque centrale semble vouloir le dire. Depuis mai 2012, le taux de change, le prix du dollar américain par rapport à la gourde, a progressivement augmenté. La tendance est la même pour le taux d'inflation qui est passé de 4,9 % en juin 2012 à 7,3 % en avril 2013. Et rien ne laisse présager une baisse dans un futur proche. La note sur la politique monétaire du mois de mars 2013 (1), publication trimestrielle de la BRH, a mentionné que le 2e trimestre 2013 a été caractérisé par la poursuite de la dépréciation de la gourde par rapport au dollar américain, en dépit d'une augmentation des transferts privés sans contrepartie, et par une amélioration du solde commercial de la balance des paiements. Le taux de change (taux de référence de la BRH) de mars 2013 a augmenté de 1 % par rapport au premier trimestre et de 3,3 % en glissement annuel pour atteindre 42,99 gourdes pour un dollar américain en mars 2013. Ces derniers jours, il faut environ 44 gourdes pour se procurer un dollar américain dans les banques commerciales. Selon la note de la BRH, «la hausse du taux de change s'explique d'une part par l'augmentation de la demande de dollar telle que reflétée par la hausse du volume de transactions sur le marché des changes combinée à un déficit de l'offre de devises. D'autre part, le taux de change a subi l'influence des anticipations négatives de la part des agents économiques, lesquelles ont été alimentées par certaines rumeurs fantaisistes ». On ne sait pas de quelles rumeurs parle la BRH et sur quelles bases elle les qualifie de fantaisistes. La Banque des banques semble oublier qu'en cas d'incertitude, notamment sur la tenue des élections, et en cas de méfiance des agents économiques, les rumeurs, même fantaisistes, peuvent être interprétées comme des signaux d'un futur peu reluisant. Les agents s'adaptent alors en connaissance. Seule la crédibilité des dirigeants peut dans ce cas renverser la vapeur. La note sur la politique monétaire de la BRH l'admet : «L'incertitude générée par la situation socioéconomique et politique a contribué au renforcement de la préférence des agents économiques pour la devise américaine dans la constitution de l'épargne de précaution alors que, parallèlement, l'utilisation du dollar pour le règlement de certaines transactions à l'étranger a augmenté.» Conséquences : les agents économiques continuent d'afficher une préférence pour le dollar comme réserve de valeur, car le taux de dollarisation des dépôts dans le système bancaire s'est renforcé passant de 56,09 % en octobre 2012 à 56,58 % en février 2013. La situation financière de l'État, au deuxième trimestre 2013 clos au mois de mars, est caractérisée par une baisse des recettes fiscales alors que les dépenses publiques sont tirées à la hausse par les dépenses d'investissement, je cite toujours la note de la BRH qui semble contredire les affirmations du directeur général de la DGI, Jean-Baptiste Clarck Neptune. Après leur progression saisonnière au premier trimestre 2013, les recettes fiscales ont enregistré une baisse au deuxième trimestre 2013 en comparaison au même trimestre de l'année antérieure. Les recettes collectées, au deuxième trimestre 2013, s'élèvent à 9,9 milliards de gourdes contre 11,12 milliards de gourdes à la même période pour l'exercice 2012, soit une baisse de 12,4 % par rapport au premier trimestre 2013 et de 3,9 % en glissement annuel, peut-on lire dans la note de la BRH. Cette baisse des recettes au premier semestre 2013, peut-on lire à la page 7 de la note, est imputable non seulement à celle des recettes internes, mais, à un niveau moindre, des recettes douanières. Les recettes internes affichent une baisse de 14,6 % sous l'effet conjugué de l'impôt sur le revenu (-21,9 %), des droits d'accise (-35,5 %) et des autres taxes (-10,7 %). Les recettes douanières étaient également en baisse de 4,2 % au premier semestre de l'année fiscale par rapport à la même époque de l'exercice précédent. Donc, pour les six premiers mois de l'exercice fiscal en cours, les recettes sont en baisse à la DGI et à la douane. L'évolution des recettes fiscales depuis le début de l'exercice est due, entre autres, à un tassement de l'activité économique au deuxième trimestre de l'exercice 2012-2013, d'après la BRH qui associe la baisse des recettes fiscales au ralentissement de l'activité économique au cours du deuxième trimestre 2013 au regard des projections faites pour les indicateurs conjoncturels. Parallèlement à la baisse des recettes, les dépenses publiques ont considérablement augmenté en totalisant 13,4 milliards de gourdes pour le deuxième trimestre 2013, contre 9,8 milliards de gourdes à la même période de l'exercice précédent, soit une hausse de 37 %. La croissance des dépenses publiques est en grande partie due, selon la BRH, à la hausse des dépenses d'investissement évaluées à 3,11 milliards de gourdes. En comparaison au deuxième trimestre 2012, les dépenses d'investissement affichent une croissance de 131 %. Ces dépenses sont réalisées dans le cadre de la mise en oeuvre de projets dans le domaine de l'éducation, des infrastructures sanitaires et routières et de la reconstruction des bâtiments publics, d'après la même note. Dans l'ensemble, les opérations financières de l'État pour le deuxième trimestre de l'exercice fiscal se sont soldées par un déficit du solde global d'un montant de 3,9 milliards de gourdes. Ce résultat enregistré au deuxième trimestre 2013 a contraint les autorités fiscales, en plus des émissions de billets de trésorerie pour un montant de 3,2 milliards de gourdes, à recourir à un financement monétaire d'un montant de 2,1 milliards de gourdes au 20 mars 2013, selon la note. Cette dernière phrase est la plus importante de la publication de la BRH puisque financement monétaire rime avec inflation, c'est un des rares phénomènes sur lesquels les économistes semblent s'entendre. Les données utilisées contenues dans la note datent du 20 mars 2013. Les choses se sont-elles améliorées depuis ? On attend la note du troisième trimestre fiscal pour le savoir avec exactitude. Le déficit serait réduit entre-temps à 2,6 milliards, selon le gouverneur. Mais si les autorités avaient prévu une amélioration significative des finances publiques, il n'y aurait nullement besoin d'un financement monétaire. Financement monétaire = inflation Contrairement à ce qu'ont affirmé le gouverneur et le directeur général de la DGI à la presse, la note trimestrielle de la BRH a donné les raisons de s'inquiéter. Parmi celles-ci, on peut citer les anticipations pessimistes mais rationnelles des agents, le déficit budgétaire et, plus important encore, le financement de ce déficit par la Banque centrale, l'incertitude sur le climat sociopolitique et surtout des signaux négatifs du pouvoir exécutif. La note sur la politique monétaire de la BRH est clair : Il y a bel et bien un déficit budgétaire et ce déficit est financé en partie par l'émission monétaire. Serait-ce une exception tolérée une fois par la Banque centrale ? S'agit-il d'un retour à une mauvaise pratique abandonnée depuis le gouvernement de la transition en 2004? Pourquoi les recettes du premier semestre de l'année fiscale sont-elles en baisse par rapport à la même période de l'exercice précédent, malgré l'intensification des efforts du gouvernement pour augmenter les recettes? Pourquoi les dépenses sont-elles à la hausse ? Est-ce uniquement à cause des investissements publics dans l'éducation, la santé et les routes, comme le souligne la note de la BRH ? À quoi servent les investissements publics s'ils engendrent un déficit financé par la BRH qui engendrera l'inflation et la décote de la gourde ? Aucun agent économique autre que le gouvernement ne peut répondre à ces questions. Ce qui peut alors justifier leurs anticipations et les spéculations de toutes sortes. Les conséquences du déficit budgétaire sur les investissements privés et la stabilité économique peuvent être telles qu'il vaudrait mieux viser l'équilibre budgétaire. C'est ce que les macroéconomistes appellent l'effet d'éviction où l'investissement public contribue à chasser l'investissement privé. Ce qui serait un jeu à somme nulle, voire à somme négative. Donc, même si le déficit était dû à l'investissement dans les projets publics, comme le précise la Banque centrale, ce ne serait pas forcément un choix judicieux du gouvernement. Mais l'hypothèse qui fait frissonner est celle d'un déficit engendré par des excès de dépenses lesquelles l'ancienne ministre de l'Économie et des Finances, Marie-Carmelle Jean-Marie, disait vouloir combattre. Et en ce sens, les festivités commémoratives du 14 mai ont lancé un mauvais signal aux analystes économiques et politiques. Des questions pertinentes surgissent : Comment un gouvernement en déficit budgétaire peut-il choisir de dépenser plus de 40 millions de gourdes pour célébrer le deuxième anniversaire d'une prise de pouvoir ? Ne serait-ce pas là un exemple d'irrationalité ? Ce sont ces signaux que les agents économiques peuvent interpréter comme une sorte d'insouciance de nos dirigeants et qui les invitent à s'attendre au pire dans le futur. Et comme le contexte du départ de Mme Jean-Marie envoyait déjà un signal de mauvaise gouvernance aux agents économiques, le déficit budgétaire et son financement monétaire, ne serait-ce qu'en partie, sont venues rendre pessimistes les anticipations des ménages. L'inflation, nous disait Milton Friedman, prix Nobel d'économie en 1997, est toujours et partout un phénomène monétaire. Fondateur de l'école monétariste, Friedman est l'un des économistes les plus influents du XXe siècle. Et l'une de ses plus grandes contributions à la science économique a été la réhabilitation de la théorie quantitative de la monnaie qui explique l'inflation ou la vie chère par la création monétaire, particulièrement quand cette émission monétaire n'est pas proportionnelle à la création de biens et services. Et parlant de création de richesse, les statistiques sont claires : 2,8 % de la croissance du produit intérieur brut (PIB) l'année dernière, des prévisions de seulement 2 % pour l'exercice en cours, pour reprendre les propos du directeur général de la DGI à la presse la semaine dernière. Le gouverneur annonce l'injection de 15 millions de dollars américains sur le marché des changes pour calmer la tension, il faut attendre les prochaines semaines pour constater les résultats. Mais il ne faut pas s'attendre à un grand retournement de la situation si l'origine de cette tension est plutôt politique. Dans cette éventualité, il faudrait plutôt des réponses politiques qui ne peuvent être qu'autres choses que la rigueur dans la gestion des dépenses publiques, la réalisation des crédibles, libres et honnêtes. Il faudra moins de soupçon de corruption, moins de rumeurs et moins d'extravagances de la part de l'exécutif. D'ailleurs, lorsque la BRH intervient sur le marché, les opérateurs économiques se demandent pour combien de temps et jusqu'où pourra-t-elle aller pour juger de la crédibilité de ses interventions? On comprend que les fluctuations du marché des changes et la hausse de l'inflation peuvent être également psychologiques ; et, dans ce cas, ce ne sont pas les interventions de la BRH, même justes, mais plutôt les mesures politiques concrètes et efficaces qui apaiseront les esprits. (1): http://www.brh.net/note_polmon2t13.pdf
Thomas Lalime thomaslalime@yahoo.fr

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