dimanche 15 août 2010

Jude CNE, candidat de INITE

Jude CNE, candidat de INITE
Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com


Jude Célestin. Ce nom ne vous dira pas grand-chose tant l'homme est discret. Dites Jude CNE, du nom du service des équipements lourds qui réalise des routes aux quatre coins du pays, et tout le monde saura que l'on parle du directeur général du Centre National des Equipements, le bras robuste et fidèle qui permet à René Préval de donner forme à ses projets les plus audacieux en termes d'aménagement du territoire. Le Nouvelliste vous présente Jude Célestin, le jeune loup qui a ravi sa place à Jacques Edouard Alexis pour devenir le candidat de INITE.


Haïti: Jude Célestin est né le 19 juin 1962 à Port-au-Prince d'une mère originaire de Grand-Gosier et d'un père Jacmélien. Le candidat de INITE est un produit de ce Sud-Est si important aux yeux du sénateur Joseph Lambert, Jude, comme tout le monde nomme le DG du CNE, y garde des attaches solides et a un pied-à-terre à Thiotte où il a, pendant des années, cultivé des terres et investi dans l'exploitation de caféiers.
Jude passe son enfance au Bois-Verna, dans la bâtisse qui loge le collège Fernand Prosper. Toute la famille est d'ailleurs composée d'enseignants : son père, sa mère, ses tantes et oncles, tout le mode fait sacerdoce de transmettre le pain de l'instruction.

Le futur candidat a une enfance tranquille et fréquente le Petit Séminaire Collège Saint-Martial. Il a la chance d'aller à l'école chez lui pendant quelques années en fréquentant le collège Fernand Prosper avant d'achever son secondaire au Centre d'Etudes Secondaires. Ses études achevées, il part pour la Suisse et entreprend une formation universitaire en génie. Il se spécialise dans la mécanique. Le travail manuel le fascine, la vitesse et les moteurs aussi.

En 1985, ingénieur en mécanique, il revient en Haïti et commence à travailler à la Minoterie d'Haïti. Sa première quinzaine de travail, il la passe en salopette, les mains dans le cambouis, à réparer tout ce qui ne marche pas.
Résultat : sa paie est de six cent soixante gourdes soit quarante gourde par jour. Le salaire d'un simple ouvrier. Le Français qui dirige le service où il est affecté lui présente des excuses : on a confondu l'ingénieur avec un manoeuvre tant il mettait la main à la pâte.

Il gravit tous les échelons de la direction technique avant de devenir directeur d'usine en 1991. C'est le plus haut poste dans l'entreprise à côté du directeur général qui siège en ville, à la rue Pavée. Jude règne sur Lafitteau. En cette année 1991, la Minoterie marche bien, l'ingénieur veille.

C'est à la Minoterie qu'il rencontre pour la première fois René Préval, Premier ministre à l'époque, lors d'une visite d'inspection de celui-ci. L'histoire d'une longue amitié commence, mais les deux hommes ne le savent pas encore.
Entre-temps, Jude Célestin se marie, divorce, est père de famille. La famille, il en fait son roc. Pour son clan, il en est d'ailleurs le leader. Sa soeur Rita, très proche de lui, témoigne qu'il n'est jamais là pour les fêtes, mais est le premier qui accourt quand il y a des pleurs ou un problème quelconque.

Passionné des gadgets, sportif, coureur automobile, fan de motocross, ce séducteur qui ne fréquente pas les fêtes, oublie les invitations mondaine, n'a pas voyagé à l'étranger ces deux dernières années, dort peu et se réveille tous les jours à 4 h 30 pour être au bureau à 6 h.

En fait, il est enchaîné à son travail, quel qu'il soit. Jusqu'à sa démission remise au président Préval, il ne vivait que pour son CNE inventé pour lui au fil des années de bons et loyaux services.

« Parrain de mon mariage, il arrive en retard. De peu, il a failli me conduire à l'hôtel en bottes et salopette», raconte Rita Célestin.

Fin 1997, Jude Célestin rencontre à nouveau René Préval qui cherche un ingénieur pour s'occuper du parc des équipements lourds que la présidence est en train de constituer pour pallier les déficiences du ministère des Travaux Publics.

Jude a des qualités qui impressionnent le président. Il est calme, discret même, appliqué et fait ce qu'il doit faire dans les délais, sans entrer dans les discussions à n'en plus finir des ingénieurs des Travaux publics. Au fil des mois, Préval le renforce dans son rôle d'interlocuteur privilégié de la présidence et donne à Jose Ulysse la responsabilité du SMCRS. Les deux hommes étaient sur les rangs pour piloter le CNE.
Le CNE fait de beaux coups et quelques couacs. N'en déplaise aux autres - les hommes des TP - Préval s'en emmourache et les critiques le renforcent dans son choix. A la fin de sa présidence en 2001, le CNE est déjà une très belle machine.
Le retour au pouvoir de Jean Bertrand Aristide (qui ne fait pas des routes sa priorité) met de l'eau dans le gaz des ambitions du Centre National des Equipements. Les moyens baissent. Se réduisent à presque rien. En février 2002, Jude Célestin quitte son poste.

La traversée du désert, il le passe à l'UNOPS, un organisme des Nations Unies mais surtout à Marmelade, auprès de René Préval qui s'est replié sur la ville natale de ses parents. Préval qui mange son pain noir apprécie la compagnie de celui qui est ce fils qu'il n'a pas et de cet ami qui le comprend plus que les autres, rapporte un habitué des week-ends à Marmelade pendant cette période.

En 2006, Jude, fin tacticien, ne remonte pas sur les tracteurs du CNE dès le retour de son président au pouvoir. Le Centre est l'objet de scandales. Le parc d'équipements est en pièces. Il y a plus de carcasses que de tracteurs sur la cour de l'ancien Sepren, le Service Permanent d'Entretien du Réseau Routier National du ministère des Travaux Publics, à Varreux, où loge le CNE.

Cette bâtisse, quand Jude en parle, il en a surtout la nostalgie des premiers moments lorsqu'un soir le président Préval lui demande d'aller visiter les locaux désaffectés du Sepren pour savoir si cela peut convenir à l'organisme qu'il rêve de mettre sur pied.

Quelques jours plus tard, Jude Célestin y prend poste avec pour siège une marmite recouverte d'un morceau de carton et cinq employés dont certains y sont encore. La route qui le conduira à devenir Jude CNE n'était pas clairement tracée à l'époque.
Pendant toute l'année 2007, le CNE se débat dans des affaires administratives. Une commission d'évaluation fait le ménage, et ce n'est qu'en septembre 2008 que le directeur des années fastes du CNE en reprend le contrôle après les ravages de quatre cyclones.

Il faut tout reprendre à zéro pour regarnir le CNE. Les millions de Petrocaribe abondent. Le maillage routier annoncé par le président Préval ne se concrétise pas avec les fonds de la communauté internationale mais se fait partout à travers le pays, grâce à l'opiniâtreté des techniciens du CNE.
Toujours présents, de jour comme de nuit, les camions et tracteurs percent des voies, nivellent des talus et construisent les routes promises par le chef de l'Etat pendant sa campagne présidentielle ou pour lui permettre de faire d'un élu local un indéfectible allié.

Jude reprend les anciennes formules. Il se remet à recruter des femmes. Avant son départ, en 2002, près de 50% du personnel du centre est de sexe féminin. Chauffeurs de camion, opératrices d'engins lourds, mécaniciennes, monitrices, ingénieurs, les femmes font tout au CNE. Elles s'en iront après le départ de leur Dg, celui qui a eu à dispenser les cours de formation, débauchées par des ONG ou par des entreprises dans le secteur de la construction.

A son retour en 2008, Jude Célestin recommence avec les dames. « Elles donnent des résultats extraordinaires. Elles sont les meilleures élèves lors de l'apprentissage et sont très appliquées après. Leurs équipements sont propres et bien tenus. Elles sont fiables et prennent soin de tout ce qui est sous leur responsabilité. Atout supplémentaire, elles ont un pouvoir d'attraction extraordinaire. Dans un quartier difficile, elles monopolisent l'attention, calment le jeu. Sur les chantiers durs, leur présence galvanise les hommes qui ne veulent pas perdre la face », confesse Jude Célestin pour expliquer son parti pris pour le sexe faible dans la réalisation de tâches qui sont réputées pénibles, interdites aux femmes.

Jude avoue même que l'intégration des femmes au CNE est l'une de ses plus grandes réussites au sein de cette institution. « Quand une femme travaille, on peut être sûr que les enfants sont bien nourris et vont à l'école, que la maison est bien tenue et qu'il y aura de l'épargne », confie celui qui est aussi chargé de recueillir les confidences de ces dames qui devenues autonomes et chefs de famille grâce à leur chèque, doivent calmer la déprime de leur mari, souvent chômeur.

L'autre satisfaction de Jude : les nouvelles routes percées par le CNE sous sa direction. Et il raconte son expérience sur le tronçon Lascahobas-Belladère, il y a quelques années.

« Il fallait une semaine, une semaine, pour franchir les 21 kilomètres qui séparent les deux villes. Nous nous sommes mis au travail et avons réussi à faire la route en inventant des solutions au fur et à mesure sous le regard curieux et moqueur des riverains. Il a fallu à un certain moment « enterrer la boue » en creusant des tranchées immenses où on prélevait des matériaux et qu'on comblait avec la boue retirée de la chaussée. Quand on eut fini, pendant les dernières semaines des travaux, personne de l'équipe du CNE ne payait rien aux habitants de Belladère. Tout leur était offert en signe de remerciement», raconte avec des yeux qui brillent le candidat de INITE qui reçoit Le Nouvelliste chez lui dans les hauteurs de Pétion-Ville ce vendredi au sortir d'une longue réunion politique.

Le candidat Jude ne s'étend pas sur le déroulement de la semaine décisive qui l'a vu devenir le candidat de INITE en emportant la décision finale après la démission de Jacques Edouard Alexis de la Plateforme suite à une réunion orageuse vendredi dernier avec les mammouths du parti-plateforme.

Pour le moment, il partage son temps entre séances de réflexion sur le programme qu'il aura à défendre, réunions de préparation de sa future campagne électorale et rencontres avec les élus, candidats et soutiens de la Plateforme présidentielle.
Quand on demande à ses conseillers s'ils sont confiants à la veille du carnet du 17 août, l'un d'eux répond sans ambages « toutes les pièces requises par la loi électorale ont été soumises au CEP, nous sommes confiants de la suite. La seule personne qui contestait la candidature de Jude s'est désistée ».

Ceux qui entourent le candidat sont des vieux de la vieille qui ont fait et gagné toutes les campagnes électorales depuis 1990 et aidé deux hommes à accéder à la magistrature suprême en quatre occasions. Ils connaissent le terrain et les hommes qui la composent. Jude leur apporte le bain de jouvence qui ne coule plus dans leurs artères. Et c'est cela tout le charme du jeune candidat qui doit apprendre beaucoup et vite de ces expérimentés tuteurs dont le président Préval est le premier.

Quand on demande à Jude Célestin ce qu'il pense de son choix comme candidat à la présidence pour la plateforme INITE, il devient pensif et sort une anecdote qui date de vendredi dernier, le jour où il est entré au palais à la réunion de désignation en tant que directeur général du CNE et en est ressorti avec la responsabilité de défendre les couleurs de la Plateforme.

« Avant d'aller au palais, j'étais à la Croix-des-Bossales pour visiter un chantier. Les égouts obstrués, l'eau arrivait au mollet des marchandes restées là pour débiter leurs marchandises. Quand je suis entré dans l'une des rues avec ma voiture, un dame m'a apostrophée : « Ou fou pou ap antre la a ak bèl machin sa a ». J'ai constaté qu'elle s'inquiétait seulement du sort de la voiture alors qu'elle-même pataugeait dans la boue. Après ma désignation, c'est à elle que j'ai pensé en premier en me disant qu'il allait me revenir, plus encore qu'avant, de la sortir de cette situation, elle et tous les autres Haïtiens », raconte un Jude réputé peu bavard mais qui a mille histoires à raconter, une sur chaque mètre de chantier qu'il a mis en place ces dernières années.

La force du candidat Célestin est d'ailleurs d'avoir des points d'ancrage dans chaque commune du pays. Nombreux sont les élus locaux qui lui sont redevables d'un coup de tracteur qui a assuré leur élection ou améliorer le décor d'une fête patronale. Il jouit du même soutien auprès de ceux qui tiennent les cordons de la bourse, élément déterminant dans une campagne électorale.

Le candidat a aussi la faiblesse de sa force. Il endosse le bilan du pouvoir sortant et doit défendre le bilan de ses actions à la tête du CNE. Dans un pays qui adore les vierges en politique, il y a du pain sur la planche.

Celui qui se présente comme un homme simple, travailleur, qui respecte tout le monde et aime son pays, va se présenter dans le premier combat électoral de sa vie et cela au plus haut niveau. Ceux qui le croient dénué d'expérience politique oublient qu'il fait partie du premier cercle du pouvoir de René Préval depuis plus de douze ans.

« Samedi après le dépôt de ma candidature, je me suis dit que je devais appeler tout le monde, tous ceux qui le veulent, tous ceux qui savent travailler, pour qu'ils viennent participer au relèvement du pays. On va avoir du boulot et, comme pour le CNE, seule une équipe où chacun fait ce qu'il a à faire pourra relever le défi.»

Jude CNE va mettre sa machine en route. Le tracteur de l'INITE a un jeune opérateur. Dans un pays qui compte plus de 60% de sa population parmi les moins de 40 ans, c'est un signal, un slogan, une promesse. Un privilège qu'il partage avec peu d'autres candidats.


Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com

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