dimanche 15 août 2010

Complicité d’ingérence

Complicité d’ingérence
Écrit par Guy Ferolus
Vendredi, 13 Août 2010 17:25

L’utilisation de la presse par les diplomates étrangers accrédités en Haïti illustre parfaitement le degré d’abrutissement auquel se livre le pays tout entier a un moment critique de notre vie de peuple « libre » où des forces étrangères occupent injustement le pays.
L’ingérence étrangère s’insère dans la pratique quotidienne de toutes les structures politiques de l’Etat et est voulue par la classe dirigeante dans son ensemble. Cette ingérence est recherchée et alimentée par les politiques et surtout la presse haïtienne très gourmande en matière de sollicitation des représentations diplomatiques. Dans les grands médias les déclarations des ambassades étrangères se disputent la Une tandis que le discours de nos dirigeants est relégué au second plan. Curieux ! Ce que pensent l’ambassadeur américain est plus important que la prise de position d’un ministre ou d’un élu. Ainsi pour comprendre la destitution d’un premier ministre, le vote du budget de l’état ou toute autre question de politique nationale il faut interviewer un diplomate étranger. Pourquoi les journalistes sont-ils si friands de l’avis des diplomates ? Est-ce parce qu’on ne prend pas au sérieux les dires de nos dirigeants? Ou est-ce le souci de la pertinence dans le traitement de l’actualité qui pousse nos chers journalistes à aller chercher l’information à la source c'est-à-dire auprès de ceux-là qui détiennent les clefs du pouvoir ?

Dans cette Haïti complexe un journaliste qui se respecte doit s’arranger pour avoir les informations de première main, en d’autres termes des informations venues directement des ambassades étrangères, là où s’exerce, vraisemblablement, la réalité du pouvoir politique.
De leurs coté les diplomates ne se privent pas de cette tribune qui leur est offerte par la presse. Ils sont sur toutes les radios, commentant la gestion de nos institutions, les actes de nos politiques etc.
A Port-au-Prince un ambassadeur n’est pas seulement un diplomate étranger mais un acteur tout puissant du jeu politique avec qui on doit avoir de bons rapports si on veut exister. C’est drôle, Haïti cumule tous les paradoxes ! En même temps, ce pays regorge de nationalistes de tous poils prêts à brandir le drapeau national, à ressasser les exploits de Dessalines dans un coup de tonnerre viv lib ou mouri en fustigeant l’ingérence étrangère.
Mais comment un ambassadeur peut-il entrer dans un tel jeu en foulant au pied le devoir de réserve lié à sa fonction ? Comment nos dirigeants, nos chers parlementaires habitués à des déclarations à l’emporte-pièce peuvent-ils laisser faire sans même lever le petit doigt pour protester, et dénoncer l’immixtion des puissances étrangères dans la gestion de notre destinée ? Qu’est-ce qu’un diplomate a à dire sur la nomination ou la destitution d’un premier ministre ? Qui se préoccupe de son avis sur l’organisation des élections?
La question est beaucoup plus complexe qu’elle n’y parait. Eh oui ! Quand il s’agit d’Haïti on engendre du complexe par le simple. L’ingérence étrangère dans la politique du pays ne date pas d’hier. Les Duvalier ont dirigé le pays avec un bras de fer pendant quarante ans sous la bienveillance et la bénédiction de la communauté internationale et il n’a fallu que d’un simple coup de fil des américains en 1986 pour chasser BabyDoc du pouvoir. Plus récemment, le départ précipité de Jean Bertrand Aristide est en partie l’œuvre concertée de la diplomatie franco-américaine, mise à part une forte mobilisation populaire visant la destitution du pouvoir lavalas. Gérard Latortue nous a été imposé par le voisin superpuissant. René Préval, malgré sa popularité apparente, ne serait pas revenu aux affaires si facilement et dans les conditions que l’on sait si ce n’était la volonté de nos « bailleurs de food ». L’opposition anti-Préval qui dénonce l’occupation militaire du pays et le départ des forces étrangères n’a pas hésité à aller se plaindre au domicile de l’ambassade américaine auprès de Cheryls Mills, chef cabinet d’Hilary Clinton.
Cependant, il faut avouer qu’on n’a pas su prendre en main notre destiné. On nous finance tout : nos élections, nos infrastructures, le budget de nos institutions, notre pain quotidien... Et en contre partie on nous demande des comptes selon la formule tristement célèbre qui finance commande. Dans ce cas de figure dirions-nous qu’il est normal que les diplomates étrangers font des déclarations intempestives et que nos talentueux journalistes y prêtent autant attention.
Les journalistes devront prendre conscience de l’incohérence de leur démarche consistant à tendre, à tout bout de champ, leur micro aux diplomates accrédités en Haïti. Ce faisant ils souillent leur métier et en même temps leur patrie. L’avis d’un diplomate étranger, quelque soit son estime et son prestige, devrait compter moins que ce que pense le plus insignifiant de nos élus.

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