lundi 13 janvier 2014

L'ANNEE DE L'AGRICULTURE FAMILIALE


L’année de l’agriculture familiale
Bernard Ethéart
12 janvier 2014

La FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) a décidé de déclarer l’anné 2014 « Année de l’Agriculture familiale ». Je n’ai pas encore entendu beaucoup de réactions à cette décision, il faut dire que je viens de passer près d’un mois en dehors du pays, mais je crois que si on lance un débat sur le sujet, nous aurons droit à de belles empoignades et sur ce point nous renouerons avec une vieille tradition.

En effet, depuis qu’Haïti existe en tant que république indépendante, héritant d’une structure économique fondée sur la plantation coloniale, la question du choix entre une politique agricole fondée sur la grande exploitation de type capitaliste ou, au contraire, sur la parcelle familiale a toujours été une pomme de discorde. Pour prendre un exemple récent, je rappellerai toutes les revendications du « secteur démocratique » au départ de Jean-Claude Duvalier, lesquelles ont abouti à faire inscrire le réforme agraire dans la Constitution de 1987.

C’est dans le cadre de ce grand débat que l’historien Michel Hector a clairement exposé les positions des protagonistes dans les premiers jours du nouvel Etat. Au cours d’une conférence ayant pour thème « Le processus historique de différenciations sociales à la campagne » prononcée lors du Colloque : « Les Paysans dans la Nation Haïtienne », qui s’était tenu du 3 au 5 octobre 1986, il présenta la période 1793-1806 comme une étape de transition, au cours de laquelle s’affrontaient deux grandes tendances, deux voies principales de développement :
-          la « voie démocratique paysanne », supposant la distribution de la terre aux cultivateurs, la petite exploitation, la prise en charge de la gestion des plantations par ceux qui y travaillent ;
-          la « voie aristocratique terrienne » prônée par ceux qui percevaient le développement en termes de grandes propriétés appartenant à des féodaux et sur lesquelles travailleraient les paysans en tant que serfs (voir le Nouvelliste du Vendredi 10 – Dimanche 12 Octobre 1986).

En fait, on peut considérer que la « dispute », pour employer un terme modéré, a débuté avant l’indépendance formelle, le conflit de Moïse Louverture avec son gouverneur général d’oncle avait justement pour origine sur leurs choix opposés sur ce sujet. Par la suite, les positions ont évolué, du moins du côté des tenants de la grande exploitation, leur objectif n’étant plus la grande propriété de type féodal, mais l’exploitation de type capitaliste, si possible avec des capitaux venant de l’extérieur. Je me suis longuement étendu sur le thème dans ma série Evolution de la structure foncière publiée dans Haïti en Marche de février à octobre 2005.

Personnellement, dans un article intitulé Plantation ou Jardin ? publié dans la revue Conjonction (# 145-146, Novembre 1979), j’ai clairement pris position pour la formule « jardin » aussi quand je suis arrivé à l’INARA, je n’avais aucun problème avec l’Article 4 alinéa o du décret du 29 avril 1995 qui stipule que l’INARA a pour attributions de : Favoriser et protéger la formation d’unités familiales d’exploitation paysanne et combattre les grandes exploitations absentéistes.

Je n’ai évidemment pas manqué de me faire critiquer ; je pense particulièrement à Pierre Léger qui m’a fait comprendre qu’il s’opposait à moi parce qu’il était en faveur de grandes exploitations alors que moi je voulais faire une « réforme agraire de petits jardins ». Mais les critiques de l’agriculture paysanne ne viennent pas seulement des gros entrepreneurs capitalistes. On trouve également des techniciens, des agronomes qui la refusent, mais pour d’autres raisons. Récemment un ami affirmait que le secteur agricole ne pourrait pas remplir ses fonctions avec des « peyizan avèk ti bout manchèt » et un ministre de l’agriculture, partant de la même idée réclamait « nouvelle classe d’agriculteurs ».

Cette situation n’est pas spécifique à Haïti. Dans une interview publiée dans la revue de l’Agence Française de Développement (AFD), Zacharie Mechali, expert agronome à l’AFD, après avoir affirmé que « l’entité économique « exploitation familiale», caractérisée par un agriculteur et sa famille qui sont à la fois la force de travail et les propriétaires de l’outil de production, est l’unité d’organisation et de mobilisation du travail/capital optimale pour la production de denrées alimentaires à partir de systèmes vivants (végétaux, animaux, soumis au climat, à l’état des ressources naturelles, etc.) », nous dit : … de manière générale, l’un des phénomènes structurels qui menacent ces agricultures familiales est le manque de connaissance et de confiance des gouvernements, souvent dirigés par des élites urbaines, vis-à-vis des potentialités productives des petites et moyennes exploitations familiales, souvent désignées comme archaïques et relevant plus de politiques sociales qu’économiques.

Ceci dit, il est certain que les paysans haïtiens ne sont pas en mesure, dans les conditions actuelles, de remplir les fonctions que l’on attend d’eux. Il s’agit donc d’identifier les causes de leur manque d’efficience et d’y apporter les correctifs nécessaires. J’ai reçu récemment un document intitulé Répondre aux défis du XXIe siècle avec l’agro-écologie : pourquoi et comment ?, publié par Coordination SUD (Solidarité - Urgence - Développement), une coordination nationale d’ONG françaises de solidarité internationale, créée en 1994 et regroupe plus de 130 ONG qui mènent des actions humanitaires d’urgence et d’aide au développement. Je ne suis pas du genre à accepter sans discussion ce qu’on nous présente souvent comme une solution miracle, mais la lecture du document me fait penser qu’il y a là quelque chose qui mérite l’attention. Je me propose donc de m’étendre un peu, dans les semaines à venir, sur ce concept d’agro-écologie.

Bernard Ethéart

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