L’année
de l’agriculture familiale
Bernard Ethéart
12 janvier 2014
La
FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) a
décidé de déclarer l’anné 2014 « Année de l’Agriculture familiale ».
Je n’ai pas encore entendu beaucoup de réactions à cette décision, il faut dire
que je viens de passer près d’un mois en dehors du pays, mais je crois que si
on lance un débat sur le sujet, nous aurons droit à de belles empoignades et
sur ce point nous renouerons avec une vieille tradition.
En
effet, depuis qu’Haïti existe en tant que république indépendante, héritant
d’une structure économique fondée sur la plantation coloniale, la question du
choix entre une politique agricole fondée sur la grande exploitation de type
capitaliste ou, au contraire, sur la parcelle familiale a toujours été une
pomme de discorde. Pour prendre un exemple récent, je rappellerai toutes les
revendications du « secteur démocratique » au départ de Jean-Claude
Duvalier, lesquelles ont abouti à faire inscrire le réforme agraire dans la
Constitution de 1987.
C’est dans
le cadre de ce grand débat que l’historien Michel
Hector a clairement exposé les positions des protagonistes dans les premiers
jours du nouvel Etat. Au cours
d’une conférence ayant pour thème « Le processus historique
de différenciations sociales à la campagne » prononcée
lors
du
Colloque : « Les Paysans dans la Nation
Haïtienne », qui s’était tenu du
3 au 5 octobre 1986, il présenta la période 1793-1806
comme une étape de transition, au cours de laquelle s’affrontaient deux
grandes tendances, deux voies principales de développement :
-
la « voie démocratique
paysanne », supposant la distribution de la terre aux
cultivateurs, la petite exploitation, la prise en charge de la gestion des
plantations par ceux qui y travaillent ;
-
la « voie aristocratique
terrienne » prônée par ceux qui percevaient le développement en termes de
grandes propriétés appartenant à des féodaux et sur lesquelles travailleraient
les paysans en tant que serfs (voir le
Nouvelliste du Vendredi 10 – Dimanche 12 Octobre 1986).
En
fait, on peut considérer que la « dispute », pour employer un terme
modéré, a débuté avant l’indépendance formelle, le conflit de Moïse Louverture
avec son gouverneur général d’oncle avait justement pour origine sur leurs
choix opposés sur ce sujet. Par la suite, les positions ont évolué, du moins du
côté des tenants de la grande exploitation, leur objectif n’étant plus la
grande propriété de type féodal, mais l’exploitation de type capitaliste, si
possible avec des capitaux venant de l’extérieur. Je me suis longuement étendu
sur le thème dans ma série Evolution de la structure foncière publiée dans Haïti en Marche de février à octobre 2005.
Personnellement, dans un article intitulé Plantation ou Jardin ? publié
dans la revue Conjonction (# 145-146, Novembre 1979), j’ai clairement pris
position pour la formule « jardin » aussi quand je suis arrivé à
l’INARA, je n’avais aucun problème avec l’Article 4 alinéa o du décret du 29
avril 1995 qui stipule que l’INARA
a pour attributions de : Favoriser et protéger la formation d’unités
familiales d’exploitation paysanne et combattre les grandes exploitations
absentéistes.
Je n’ai
évidemment pas manqué de me faire critiquer ; je pense particulièrement à
Pierre Léger qui m’a fait comprendre qu’il s’opposait à moi parce qu’il était
en faveur de grandes exploitations alors que moi je voulais faire une « réforme agraire de
petits jardins ». Mais les critiques de l’agriculture paysanne ne
viennent pas seulement des gros entrepreneurs capitalistes. On trouve également
des techniciens, des agronomes qui la refusent, mais pour d’autres raisons.
Récemment un ami affirmait que le secteur agricole ne pourrait pas remplir ses
fonctions avec des « peyizan avèk ti
bout manchèt » et un ministre de l’agriculture, partant de la même
idée réclamait « nouvelle classe
d’agriculteurs ».
Cette
situation n’est pas spécifique à Haïti. Dans une interview publiée dans la
revue de l’Agence Française de Développement (AFD), Zacharie Mechali, expert agronome à l’AFD, après avoir
affirmé que « l’entité économique « exploitation
familiale», caractérisée par un agriculteur et sa famille qui sont à la fois la
force de travail et les propriétaires de l’outil de production, est l’unité
d’organisation et de mobilisation du travail/capital optimale pour la
production de denrées alimentaires à partir de systèmes vivants (végétaux,
animaux, soumis au climat, à l’état des ressources naturelles, etc.) », nous dit : … de manière générale, l’un des phénomènes
structurels qui menacent ces agricultures familiales est le manque de
connaissance et de confiance des gouvernements, souvent dirigés par des élites
urbaines, vis-à-vis des potentialités productives des petites et moyennes
exploitations familiales, souvent désignées comme archaïques et relevant plus
de politiques sociales qu’économiques.
Ceci dit,
il est certain que les paysans haïtiens ne sont pas en mesure, dans les
conditions actuelles, de remplir les fonctions que l’on attend d’eux. Il s’agit
donc d’identifier les causes de leur manque d’efficience et d’y apporter les
correctifs nécessaires. J’ai reçu récemment un document intitulé Répondre
aux défis du XXIe siècle avec l’agro-écologie : pourquoi et comment ?, publié par Coordination SUD (Solidarité - Urgence -
Développement), une coordination nationale d’ONG
françaises de solidarité internationale, créée en 1994 et regroupe plus de 130
ONG qui mènent des actions humanitaires d’urgence et d’aide au développement. Je
ne suis pas du genre à accepter sans discussion ce qu’on nous présente souvent
comme une solution miracle, mais la lecture du document me fait penser qu’il y
a là quelque chose qui mérite l’attention. Je me propose donc de m’étendre un
peu, dans les semaines à venir, sur ce concept d’agro-écologie.
Bernard Ethéart
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