jeudi 16 janvier 2014

LA CROISSANCE ECONOMIQUE HAITIENNE PROFITE-ELLE DAVANTAGE AUX DOMINICAINS

La croissance économique haïtienne profite-t-elle davantage aux Dominicains?
Thomas LALIM
Des idées pour développement
Le Nouvelliste | Publié le : 13 janvier 2014
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Pour l’administration Martelly/Lamothe, la meilleure nouvelle économique de l’année 2013 a été la réalisation d’un taux de croissance économique de 4,3 %. C’était quasiment inespéré. Au milieu de l’exercice fiscal écoulé, les autorités ne s’attendaient pas à mieux que 3,4 %. Mais, en 2013, la nature a été plus clémente envers Haïti qu’elle ne l’avait été durant les années précédentes. En conséquence, selon les estimations de l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI), l’agriculture a connu une hausse de 4,6% de sa valeur ajoutée dont la somme pour tous les secteurs représente le produit intérieur brut (PIB). Ce dernier représente la valeur marchande de tous les biens et services finaux produits par une économie pendant une période de temps donnée (une année dans le cas d’Haïti).C’est la richesse totale créée à l’intérieur du pays. En calculant le taux de variation de ce PIB, c’est-à-dire en faisant la différence entre le montant obtenu en 2013 et celui de 2012 et en divisant cette différence par le niveau obtenu en 2012, on obtient le taux de croissance de 4,3 % de 2013. Le secteur agricole a eu donc une performance remarquable quand on sait que ce secteur représente 23,5 % du PIB et qu’il avait chuté de 1,3% en 2012. Mais le secteur d’activité qui a été le plus performant en 2013 demeure celui des «bâtiments et travaux publics (BTP) » qui a pu accroître sa valeur ajoutée, en volume, de plus de 9 %. Il a devancé la branche «commerce, restaurant et hôtels »qui a enregistré un taux de croissance de 5% de sa valeur ajoutée. Dans l’ordre croissant de performance, le secteur agricole occupe le troisième rang. Ces chiffres relancent un vieux débat sur la croissance économique : à qui profite-t-elle ?On peut s’intéresser à une réponse à l’intérieur même du pays, à savoir quelle classe sociale se tire mieux de l’agrandissement de la tarte. Mais le texte d’aujourd’hui met plutôt l’accent sur les profits que les entrepreneurs dominicains qui accaparent le secteur de la construction peuvent en tirer. Pour mieux répondre à la question, il convient de préciser que le PIB mesure également le revenu total gagné sur le territoire d’un pays. Le PIB d’Haïti comprend alors le revenu gagné sur le sol haïtien par des non-résidents, en faisant fi de celui que gagnent des résidents haïtiens à l’étranger. Des gens qui résident en Haïti au cours de l’année mais qui gagnent des revenus à l’extérieur. Ainsi, si notre croissance a été tirée par la construction, à hauteur de 9 %, et que ce secteur est fortement contrôlé par les Dominicains, alors, on peut penser que cette croissance profite beaucoup plus aux Dominicains qu’aux Haïtiens. Ces compatriotes qui, pour l'énorme majorité, déplorent une détérioration de leurs conditions de vie, malgré cette bonne performance macroéconomique.En 2013, la consommation finale a crû de 2.8%, mais cette augmentation, selon le bilan de l’Association haïtienne des économistes (AHE), a été un moteur de croissance pour l’économie dominicaine, pas pour celle d’Haïti, puisque « aujourd’hui nous importons chez le voisin dominicain pour plus de 2 milliards de dollars américains de produits et services afin de satisfaire environ 30% de notre demande interne.» Pour avoir une meilleure idée de la part du gâteau qui revient aux Haïtiens, l’IHSI devra, dans le futur, diffuser également les chiffres sur le produit national brut (PNB) qui mesure le revenu total gagné par les résidents au pays. Cet indicateur comprend le PIB auquel l’on ajoute les revenus des facteurs en provenance du reste du monde et l’on retranche du résultat obtenu les revenus des facteurs versés au reste du monde. Il incorpore le revenu gagné à l’étranger par les résidents haïtiens mais pas celui que gagnent en Haïti les non-résidents haïtiens. Pour mieux comprendre la différence entre les deux concepts, prenons l’exemple d’un Dominicain propriétaire d’un immeuble en location à Pétion-Ville. Le loyer qu’il perçoit à Santo Domingo est comptabilisé dans le PIB haïtien puisqu’il est gagné sur le territoire haïtien mais ne peut être compté dans le produit national brut haïtien. Ce montant sera pris en compte dans le PNB dominicain car il est gagné par un résident dominicain et donne lieu à un paiement d’Haïti à la République dominicaine. De même, si les entreprises que possédait le Premier ministre Laurent Lamothe avant la prise du pouvoir du président Martelly continuent à lui rapporter de l’argent en Afrique ou ailleurs, ces montants seront comptabilisés dans le PIB des pays qui hébergent ces entreprises mais devraient gonfler le PNB haïtien tant que le Premier ministre continue de résider officiellement en Haïti. Ces exemples illustrent bien ce qui se passe dans le secteur de la construction en Haïti. Le PIB haïtien peut être gonflé par des revenus et des salaires perçus respectivement par des entrepreneurs et des travailleurs dominicains. Le problème serait cependant atténué si les entreprises dominicaines employaient un nombre plus important de travailleurs haïtiens. Ce qui n’est pas le cas présentement. Le constat que la croissance économique peut ne pas bénéficier au pays qui la réalise a poussé certains économistes à parler de croissance appauvrissante. Une croissance qui, au lieu de contribuer à réduire la pauvreté, ne fait que l’amplifier. Un scénario qu’il faudra éviter à tout prix à Haïti. D’ailleurs, en 2012, le pays avait connu une croissance de 2,8 % pendant que le secteur agricole avait chuté de 1,3 %. On peut donc avoir une croissance qui accroit les inégalités si les autorités ne prêtent pas attention à une répartition équitable du gâteau. Et, en ce sens, elles doivent jeter un regard attentif sur le secteur agricole où la hausse de la production profite mieux aux producteurs haïtiens. On connaît très peu de détails sur les programmes gouvernementaux en faveur du secteur agricole. Sa bonne performance au cours de l’année 2013 résulte en grande partie, selon la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (CNSA), des bonnes conditions climatiques : pas de sécheresse, pas d’excès d’eau, pas de cyclones ou de grandes inondations.Et là encore, faut-il le mentionner, le niveau de production agricole en 2013, selon la CNSA, est inférieur de 5% celui de l’année 2009-2010, une année où la production agricole a été très bonne. Pour le moment, on ne saurait dire que la bonne performance du secteur agricole résulte de politiques publiques cohérentes et structurantes qui garantiraient une progression constante du secteur. Aux moindres inondations, on risque de retomber dans les chutes habituelles si les politiques de protection de l’environnement et de conservation de sol se font encore attendre.
Thomas Lalime thomaslalime@yahoo.fr

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