Parlons
de choses sérieuses
Bernard Etheart
La fièvre du moringa est tombée. On n’entend plus parler de cette plante miracle pour Haïti et de projets
qui veulent profiter de toutes ses qualités pour sauver la population haïtienne
de ses problèmes alimentaires. C’est comme si on voulait nous transformer en
herbivores et nous condamner à une diète faite essentiellement de feuilles de
benzolive.
Je ne sais pas ce qui a provoqué
cette brusque montée de fièvre car il y a longtemps que les propriétés du
benzolive sont connues et qu’une bonne partie de la population sait en tirer
profit ; alors d’où vient cette nouvelle mode, qui risque de tomber bien
vite, comme toutes les modes.
Je sais que le moi est haïssable, comme l’a dit je ne sais plus qui, mais je
vais parler de moi et d’une idée de mise à profit des qualités du benzolive qui
m’était venue il y a pas mal de temps.
C’était il y a une trentaine
d’années ; nous étions en pleine babydocratie ;
Elsie vivait à Miami, envoyée là-bas par le même Baby Doc, et avait trouvé du travail
chez des armateurs haïtiens qui assuraient le transport d’huile de table vers
Haïti. Cette huile était raffinée dans quelques entreprises appartenant à des
grands de l’époque, Brandt, Madsen, etc, et mise dans le commerce sous
différents noms, Huile Suprème et
autres.
À la même époque, je me suis amusé à
consulter les statistiques de notre commerce extérieur et j’ai pu constater
que, dans les importations alimentaires, l’huile de table venait en première
position. Une bonne affaire pour mes armateurs et pour les propriétaires de
raffineries ; mais une mauvaise affaire pour le pays, quand on se rappelle
que, avec le maïs, l’arachide (notre pistache), le ricin et le benzolive, nous
ne sommes pas à court de matière première pour la production d’huile.
Et voilà que le gouvernement entreprend
de construire les installations de la SODEXOL (je ne sais plus comment décoder
le sigle) qui devait, d’une part, raffiner de l’huile importée, mais aussi et
surtout produire de l’huile à partir de matière première locale. Une invitation
avait été lancée aux producteurs d’arachide et autres oléagineux à contacter la
SODEXOL et j’avais encouragé les paysans de Croix Fer, grands producteurs de
pistache à tenter leur chance. Cela n’a rien donné car, selon les experts de la
SODEXOL, la teneur en huile de leur variété d’arachide était trop faible.
Je ne sais pas si la SODEXOL a jamais
vraiment fonctionné ; tout ce que je sais c’est que ses installations ont
été remises, je ne sais pas à quelles conditions, par le gouvernement de Marc
Bazin à la Rice Corporation qui, devait en utiliser les installations
portuaires pour importer du riz ! Mais ceci est une autre histoire sur
laquelle il faudra peut-être revenir.
Mais revenons à notre benzolive. Comme on sait, les installations
de la SODEXOL sont dans cette partie de la baie de Port-au-Prince qu’on
appelle depuis quelque temps la Côte des Arcadins, plus exactement à
Lafiteau, juste à côté de l’usine du Ciment
d’Haïti. Cette zone est dominée par la chaine des Matheux qui offre le
triste spectacle de ses mornes dénudés comme on peut le voir sur la photo
prise justement au niveau de Lafiteau.
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Or à l’époque dont je parle, je
venais d’apprendre de coopérants français qui avaient fait l’expérience, que
l’on pouvait extraire des graines de benzolive une huile tout à fait appropriée
pour la consommation et aussi belle que l’huile d’olive. D’où l’idée :
pourquoi ne pas couvrir les Matheux de benzolive et utiliser les installations
de la SODEXOL pour produire de l’huile de table ? Cela aurait comme
premier intérêt de réduire nos importations d’huile, donc d’améliorer notre
balance commerciale.
Mais ce n’est pas tout. Couvrir la chaine des Matheux de
benzolive, c’est faire du reboisement, or les Matheux sont le bassin
d’alimentation de plusieurs cours d’eau qui arrosent les bananeraies de la
plaine de l’Arcahaie (Rivière Torcelle, Rivière Courjolles, Rivière Bretelle,
Rivière des Matheux – ci-contre la chaine des Matheau au niveau de la Digue Matheux) Reboiser la chaine des
Matheux aurait pour effet d’augmenter et de réguler le débit de ces rivières,
tout profit pour nos producteurs de banane.
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Si maintenant on veut tirer parti des
autres avantages du benzolive, en particulier de la possibilité d’utiliser les
feuilles et les jeunes branches du benzolive comme fourrage, rien n’empêche de penser
à un programme sylvo-pastoral sur les Matheux, pendant que l’on aurait
suffisamment de matière première pour toutes les autres utilisations de la plante miracle.
Encore une fois, je ne suis ni
agronome ni économiste ; j’essaie simplement de me servir de la chose la
mieux partagée, le bon sens ; et mon bon sens me dit qu’il y a là des
opportunités dont il faudrait tirer profit. Qu’en pensez-vous ?
Bernard Ethéart
HEM Vol.27 # 21 du
12-18/06/2013
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