mercredi 19 juin 2013

PARLONS DE CHOSES SERIEUSES

Parlons de choses sérieuses
Bernard Etheart
La fièvre du moringa est tombée. On n’entend plus parler de cette plante miracle pour Haïti et de projets qui veulent profiter de toutes ses qualités pour sauver la population haïtienne de ses problèmes alimentaires. C’est comme si on voulait nous transformer en herbivores et nous condamner à une diète faite essentiellement de feuilles de benzolive.
Je ne sais pas ce qui a provoqué cette brusque montée de fièvre car il y a longtemps que les propriétés du benzolive sont connues et qu’une bonne partie de la population sait en tirer profit ; alors d’où vient cette nouvelle mode, qui risque de tomber bien vite, comme toutes les modes.
Je sais que le moi est haïssable, comme l’a dit je ne sais plus qui, mais je vais parler de moi et d’une idée de mise à profit des qualités du benzolive qui m’était venue il y a pas mal de temps.
C’était il y a une trentaine d’années ; nous étions en pleine babydocratie ; Elsie vivait à Miami, envoyée là-bas par le même Baby Doc, et avait trouvé du travail chez des armateurs haïtiens qui assuraient le transport d’huile de table vers Haïti. Cette huile était raffinée dans quelques entreprises appartenant à des grands de l’époque, Brandt, Madsen, etc, et mise dans le commerce sous différents noms, Huile Suprème et autres.
À la même époque, je me suis amusé à consulter les statistiques de notre commerce extérieur et j’ai pu constater que, dans les importations alimentaires, l’huile de table venait en première position. Une bonne affaire pour mes armateurs et pour les propriétaires de raffineries ; mais une mauvaise affaire pour le pays, quand on se rappelle que, avec le maïs, l’arachide (notre pistache), le ricin et le benzolive, nous ne sommes pas à court de matière première pour la production d’huile.
Et voilà que le gouvernement entreprend de construire les installations de la SODEXOL (je ne sais plus comment décoder le sigle) qui devait, d’une part, raffiner de l’huile importée, mais aussi et surtout produire de l’huile à partir de matière première locale. Une invitation avait été lancée aux producteurs d’arachide et autres oléagineux à contacter la SODEXOL et j’avais encouragé les paysans de Croix Fer, grands producteurs de pistache à tenter leur chance. Cela n’a rien donné car, selon les experts de la SODEXOL, la teneur en huile de leur variété d’arachide était trop faible.
Je ne sais pas si la SODEXOL a jamais vraiment fonctionné ; tout ce que je sais c’est que ses installations ont été remises, je ne sais pas à quelles conditions, par le gouvernement de Marc Bazin à la Rice Corporation qui, devait en utiliser les installations portuaires pour importer du riz ! Mais ceci est une autre histoire sur laquelle il faudra peut-être revenir.
Mais revenons à notre benzolive. Comme on sait, les installations de la SODEXOL sont dans cette partie de la baie de Port-au-Prince qu’on appelle depuis quelque temps la Côte des Arcadins, plus exactement à Lafiteau, juste à côté de l’usine du Ciment d’Haïti. Cette zone est dominée par la chaine des Matheux qui offre le triste spectacle de ses mornes dénudés comme on peut le voir sur la photo prise justement au niveau de Lafiteau.
DSCF2949.JPG
Or à l’époque dont je parle, je venais d’apprendre de coopérants français qui avaient fait l’expérience, que l’on pouvait extraire des graines de benzolive une huile tout à fait appropriée pour la consommation et aussi belle que l’huile d’olive. D’où l’idée : pourquoi ne pas couvrir les Matheux de benzolive et utiliser les installations de la SODEXOL pour produire de l’huile de table ? Cela aurait comme premier intérêt de réduire nos importations d’huile, donc d’améliorer notre balance commerciale.
Mais ce n’est pas tout. Couvrir la chaine des Matheux de benzolive, c’est faire du reboisement, or les Matheux sont le bassin d’alimentation de plusieurs cours d’eau qui arrosent les bananeraies de la plaine de l’Arcahaie (Rivière Torcelle, Rivière Courjolles, Rivière Bretelle, Rivière des Matheux – ci-contre la chaine des Matheau au niveau de la Digue Matheux) Reboiser la chaine des Matheux aurait pour effet d’augmenter et de réguler le débit de ces rivières, tout profit pour nos producteurs de banane.
DSCF1686.JPG
Si maintenant on veut tirer parti des autres avantages du benzolive, en particulier de la possibilité d’utiliser les feuilles et les jeunes branches du benzolive comme fourrage, rien n’empêche de penser à un programme sylvo-pastoral sur les Matheux, pendant que l’on aurait suffisamment de matière première pour toutes les autres utilisations de la plante miracle.
Encore une fois, je ne suis ni agronome ni économiste ; j’essaie simplement de me servir de la chose la mieux partagée, le bon sens ; et mon bon sens me dit qu’il y a là des opportunités dont il faudrait tirer profit. Qu’en pensez-vous ?
Bernard Ethéart

HEM Vol.27 # 21 du 12-18/06/2013

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