« L’économie
verte » (8)
Gare à l’accaparement des terres
Bernard Etheart
Dans notre démarche en vue de donner un
contenu à ce concept d’« économie verte » dont il a tant été question
lors de la conférence de Rio, en juin de l’année dernière, mais qui est
toujours resté flou, permettant ainsi toutes les interprétations, y compris les
plus négatives (voir HEM Vol. 26 # 52 du 16-22/01/2013),
nous sommes partis du croisement des axes humain, socio-culturel,
environnemental et infrastructurel avec le palier économique et financier de
notre cadre de référence (voir Tableau 1 ci-dessous).
Tableau 1
|
Axes
|
A
|
B
|
C
|
D
|
E
|
F
|
|
Paliers
|
Humain
|
Socio-
Culturel
|
Environ-nemental
|
Infra-structurel
|
Economique
et Financier
|
Politique
|
I
|
Humain
|
Droits individuels
|
|
|
|
|
|
II
|
Socio- Culturel
|
|
Système
social
|
|
|
|
|
III
|
Environ-nemental
|
|
|
Environne-ment
naturel
|
|
|
|
IV
|
Infra-structurel
|
|
|
|
Environne-ment
aménagé
|
|
|
V
|
Economi-que
et Financier
|
Droits économiques
|
Structures de
participation à la vie économique
|
Exploitation durable des
ressources naturelles
|
Répartition équitable
des infrastructures
|
Système
économique et financier
|
|
VI
|
Politique
|
|
|
|
|
|
Gouvernance
|
Cela
nous a donné quatre casiers que nous avons entrepris de traiter l’un après
l’autre :
-
Casier
D/V : Répartition
équitable des infrastructures (voir « L’économie verte »
(3) La décentralisation, HEM Vol. 27 # 5 du 20-26/02/2013) ;
-
Casier A/V : Droits économiques
(voir « L’économie
verte » (4) La création d’emplois, HEM Vol. 27 # 08 du 13-19/03/2013) ;
-
Casier B/V : Structures de
participation à la vie économique (voir « L’économie verte » (5) La création d‘entreprises (voir HEM
Vol. 27 # 09 du 20-26/03/2013) ;
-
Casier C/V : Exploitation
durable des ressources naturelles (voir « L’économie
verte » (6), HEM Vol. 27 # 11 du 03-09/04/2013).
Mais vu l’importance de
ce thème, nous avons été obligés identifier les
sous-secteurs exploitant directement les ressources naturelles, et nous avons
retenu :
l’agriculture, la filière du charbon de bois et le sous-secteur des loisirs. La
semaine dernière, nous avons parlé du charbon de bois (voir « L’économie
verte » (7) La filière du charbon de bois, HEM
Vol. 27 # 12 du 10-16/04/2013), aujourd’hui nous voulons aborder le thème de
l’agriculture.
Je ne vais pas rentrer dans toute cette
discussion à savoir si Haïti est un pays essentiellement agricole ou pas ;
je retiens que l’agriculture contribue pour 26 % à notre PIB et occupe environ
60 % de la population active du pays. Mais je retiens aussi que notre
agriculture est caractérisée par une faible productivité, qu’elle arrive
seulement à couvrir la moitié des besoins alimentaires du pays, de sorte qu’une
importante proportion de la population vit dans une situation d’insécurité
alimentaire permanente.
Il y a donc quelque chose à faire et on
pourrait se réjouir en entendant le Secrétaire d’Etat à la production animale
dire que le président Martelly a deux priorités pour cette année :
l’agriculture et l’environnement. Pourtant on n’est pas rassuré car, quand,
dans certains milieux, on parle d’agri-culture, on ne parle pas de la même
chose que nous.
Prenons cette annonce du BUREAU DE
COMMUNICATION DE LA PRIMATURE : PORT-AU
PRINCE, LE DIMANCHE 10 MARS 2013.- Le Bureau de communication de la Primature
informe le public en général et la presse en particulier, que le Premier
ministre, S.E.M. Laurent Salvador LAMOTHE a reçu en sa résidence privée, ce
dimanche 10 mars 2013, une importante délégation de la Fondation Clinton
conduite, notamment, par l'ancien président américain Bill CLINTON.
L'ex-président CLINTON était accompagné de plusieurs hommes et femmes
d'affaires étrangers ainsi que des représentants (tes) de grandes
multinationales désireuses de s'implanter en Haïti, œuvrant dans divers domaines dont celui de
l'agriculture.
La question que l’on doit se
poser : ces hommes et femmes
d'affaires étrangers ainsi que des représentants (tes) de grandes
multinationales désireuses de s'implanter en Haïti, quel est leur
motivation ; quels sont leurs projets ? Je prends un autre cas.
Récemment une « mission » est allée faire un tour dans le Nord-Est.
Information prise, il s’agissait d’une grande multinationale qui aimerait
promouvoir la production de canne à sucre sur les anciennes terres de la
Plantation Dauphin. S’agit-il de produire du sucre pour le marché local, voire
pour l’exportation, ou de produire de l’éthanol pour servir de
bio-carburant ? J’y pense parce que, il y a quelques années, un ministre
de l’agriculture m’a envoyé chercher des terres pour planter du sorgho sucré,
pour produire de l’éthanol.
Cela fait plus d’un an, j’ai entendu
parler d’une visite du président Martelly, accompagné d’un fonctionnaire de
l’USAID, dans la Savane Diane, pour évaluer les possibilités d’un grand projet
de production de maïs. Et je me suis tout de suite posé la question : ce
maïs, c’est pour la consommation locale ou pour produire de l’éthanol ?
Je rappelle cette fameuse de Jean
Ziegler, à l’époque des grandes discussions qui ont fait suite aux émeutes de
la faim de 2008. La quantité de maïs
nécessaire à produire suffisamment d’éthanol pour faire une fois le plein d’une
4x4 peut nourrir un homme pendant un an. C‘est à cela qu’il faut penser
quand on nous répète que Haïti is open
for business ; ce business va-t-il m’aider à combler mon déficit
alimentaire, ou va-t-il simplement permettre aux classes dominantes des pays
riches de satisfaire leurs fantaisies ?
Tout cela rentre dans la
problématique de l’accaparement des terres des pays du tiers monde par les
« grandes puissances », qui fait de plus en plus l’objet de rapports
et de discussions, et pas plus tard que ce midi même sur l’antenne de RFI. Le
plus grave, c’est que nous avons déjà connu cela, il y a longtemps. Cela va
bientôt faire cent ans que nous avons accueilli à bras ouvert une compagnie qui
est venue produire de la pite, chassant les paysans qui cultivaient cette terre
– certains sont partis en République Dominicaine, pour aller se faire massacrer
par Trujillo ; et une fois qu’ils n’avaient plus besoin de cette pite, ils
sont partis, nous laissant une terre épuisée. Plus récem-ment, on a eu les
plantations de « kòn kabrit » qui représentaient notre contribution à
« l’effort de guerre contre les puissances de l’Axe », avec les mêmes
conséquences pour les paysans.
Je suis peut-être naïf, mais je n’arrive pas à
comprendre que nous soyons incapables de tirer les leçons de notre histoire et
prêts à refaire les mêmes bêtises qui nous ont conduits dans l’impasse où nous
nous trouvons aujourd’hui.
Bernard Ethéart
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire