mardi 16 avril 2013

« L’économie verte » (8): Gare à l’accaparement des terres!


« L’économie verte » (8)
Gare à l’accaparement des terres
Bernard Etheart
Dans notre démarche en vue de donner un contenu à ce concept d’« économie verte » dont il a tant été question lors de la conférence de Rio, en juin de l’année dernière, mais qui est toujours resté flou, permettant ainsi toutes les interprétations, y compris les plus négatives (voir HEM Vol. 26 # 52 du 16-22/01/2013), nous sommes partis du croisement des axes humain, socio-culturel, environnemental et infrastructurel avec le palier économique et financier de notre cadre de référence (voir Tableau 1 ci-dessous).
Tableau 1

Axes

A

B

C

D

E

F


Paliers
 Humain
Socio- Culturel
Environ-nemental
Infra-structurel
Economique et Financier
Politique
I
 Humain
Droits individuels





II
 Socio- Culturel

Système social




III
Environ-nemental


Environne-ment naturel



IV
Infra-structurel



Environne-ment aménagé


V
Economi-que et Financier
Droits économiques
Structures de participation à la vie économique
Exploitation durable des ressources naturelles
Répartition équitable des infrastructures
Système économique et financier

VI
Politique





Gouvernance

Cela nous a donné quatre casiers que nous avons entrepris de traiter l’un après l’autre :
-          Casier D/V : Répartition équitable des infrastructures (voir « L’économie verte » (3) La décentralisation, HEM Vol. 27 # 5 du 20-26/02/2013) ;
-          Casier A/V : Droits économiques (voir « L’économie verte » (4) La création d’emplois, HEM Vol. 27 # 08 du 13-19/03/2013) ;
-          Casier B/V : Structures de participation à la vie économique (voir « L’économie verte » (5) La création d‘entreprises (voir HEM Vol. 27 # 09 du 20-26/03/2013) ;
-          Casier C/V : Exploitation durable des ressources naturelles (voir « L’économie verte » (6), HEM Vol. 27 # 11 du 03-09/04/2013).
Mais vu l’importance de ce thème, nous avons été obligés identifier les sous-secteurs exploitant directement les ressources naturelles, et nous avons retenu : l’agriculture, la filière du charbon de bois et le sous-secteur des loisirs. La semaine dernière, nous avons parlé du charbon de bois (voir « L’économie verte » (7) La filière du charbon de bois, HEM Vol. 27 # 12 du 10-16/04/2013), aujourd’hui nous voulons aborder le thème de l’agriculture.
Je ne vais pas rentrer dans toute cette discussion à savoir si Haïti est un pays essentiellement agricole ou pas ; je retiens que l’agriculture contribue pour 26 % à notre PIB et occupe environ 60 % de la population active du pays. Mais je retiens aussi que notre agriculture est caractérisée par une faible productivité, qu’elle arrive seulement à couvrir la moitié des besoins alimentaires du pays, de sorte qu’une importante proportion de la population vit dans une situation d’insécurité alimentaire permanente.
Il y a donc quelque chose à faire et on pourrait se réjouir en entendant le Secrétaire d’Etat à la production animale dire que le président Martelly a deux priorités pour cette année : l’agriculture et l’environnement. Pourtant on n’est pas rassuré car, quand, dans certains milieux, on parle d’agri-culture, on ne parle pas de la même chose que nous.
Prenons cette annonce du BUREAU DE COMMUNICATION DE LA PRIMATURE : PORT-AU PRINCE, LE DIMANCHE 10 MARS 2013.- Le Bureau de communication de la Primature informe le public en général et la presse en particulier, que le Premier ministre, S.E.M. Laurent Salvador LAMOTHE a reçu en sa résidence privée, ce dimanche 10 mars 2013, une importante délégation de la Fondation Clinton conduite, notamment, par l'ancien président américain Bill CLINTON.  L'ex-président CLINTON était accompagné de plusieurs hommes et femmes d'affaires étrangers ainsi que des représentants (tes) de grandes multinationales désireuses de s'implanter en Haïti, œuvrant  dans divers domaines dont celui de l'agriculture.
La question que l’on doit se poser : ces hommes et femmes d'affaires étrangers ainsi que des représentants (tes) de grandes multinationales désireuses de s'implanter en Haïti, quel est leur motivation ; quels sont leurs projets ? Je prends un autre cas. Récemment une « mission » est allée faire un tour dans le Nord-Est. Information prise, il s’agissait d’une grande multinationale qui aimerait promouvoir la production de canne à sucre sur les anciennes terres de la Plantation Dauphin. S’agit-il de produire du sucre pour le marché local, voire pour l’exportation, ou de produire de l’éthanol pour servir de bio-carburant ? J’y pense parce que, il y a quelques années, un ministre de l’agriculture m’a envoyé chercher des terres pour planter du sorgho sucré, pour produire de l’éthanol.
Cela fait plus d’un an, j’ai entendu parler d’une visite du président Martelly, accompagné d’un fonctionnaire de l’USAID, dans la Savane Diane, pour évaluer les possibilités d’un grand projet de production de maïs. Et je me suis tout de suite posé la question : ce maïs, c’est pour la consommation locale ou pour produire de l’éthanol ?
Je rappelle cette fameuse de Jean Ziegler, à l’époque des grandes discussions qui ont fait suite aux émeutes de la faim de 2008. La quantité de maïs nécessaire à produire suffisamment d’éthanol pour faire une fois le plein d’une 4x4 peut nourrir un homme pendant un an. C‘est à cela qu’il faut penser quand on nous répète que Haïti is open for business ; ce business va-t-il m’aider à combler mon déficit alimentaire, ou va-t-il simplement permettre aux classes dominantes des pays riches de satisfaire leurs fantaisies ?
Tout cela rentre dans la problématique de l’accaparement des terres des pays du tiers monde par les « grandes puissances », qui fait de plus en plus l’objet de rapports et de discussions, et pas plus tard que ce midi même sur l’antenne de RFI. Le plus grave, c’est que nous avons déjà connu cela, il y a longtemps. Cela va bientôt faire cent ans que nous avons accueilli à bras ouvert une compagnie qui est venue produire de la pite, chassant les paysans qui cultivaient cette terre – certains sont partis en République Dominicaine, pour aller se faire massacrer par Trujillo ; et une fois qu’ils n’avaient plus besoin de cette pite, ils sont partis, nous laissant une terre épuisée. Plus récem-ment, on a eu les plantations de « kòn kabrit » qui représentaient notre contribution à « l’effort de guerre contre les puissances de l’Axe », avec les mêmes conséquences pour les paysans.
Je suis peut-être naïf, mais je n’arrive pas à comprendre que nous soyons incapables de tirer les leçons de notre histoire et prêts à refaire les mêmes bêtises qui nous ont conduits dans l’impasse où nous nous trouvons aujourd’hui.
Bernard Ethéart

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