« L’économie
verte » (7)
La filière du charbon de bois
Bernard Etheart
La semaine dernière, parlant d’Exploitation durable des
ressources naturelles (HEM Vol. 27 # 11 du 03-09/04/2013), j’avais
conclu qu’il fallait identifier les sous-secteurs exploitant directement les ressources
naturelles, et j’avais cité :
-
pour le secteur primaire : l’agriculture
et les mines,
-
pour le secteur secondaire : la filière
du charbon de bois et la filière du bois d’œuvre et du bois d’ébénisterie,
-
pour le secteur tertiaire : le
sous-secteur des loisirs,
et je m’étais promis de passer en revue ces
différents sous-secteurs pour voir quels efforts pourraient être entrepris pour
encourager la création d’entreprises « durables » ou améliorer celles
qui existent déjà.
Pour réaliser ce travail,
j’ai choisi de commencer avec le sous-secteur qui a la plus mauvaise
réputation, qui est considéré comme le principal, sinon le seul, responsable de
la dégradation de notre environnement, je veux parler de la filière du charbon de bois. Je dois
reconnaitre que moi aussi j’ai longtemps jeté l’anathème sur nos
« charbonniers » ; mais avec le temps, certaines réflexions
m’ont amené à relativiser quelque peu mon jugement.
Une première
serait d’ordre moral, si je puis m’exprimer ainsi. Certes, ce sont des paysans
qui coupent du bois pour produire le charbon ; mais ce ne sont pas eux, ou
tout au moins pas eux seuls, qui utilisent le charbon de bois pour faire la
cuisine. Les grands consommateurs de charbon de bois sont les citadins.
Autrement dit, si on part du principe que si
pa te gen reselè, pa ta gen vòlè, les citadins sont au moins aussi
« coupables » que les paysans de la perte de notre couverture
végétale.
Une seconde réflexion est
d’ordre économique. Autant de foyers qui utilisent le charbon de bois pour la
cuisine plutôt que ce gaz (propane ou butane), dont certains voudraient voir
l’utilisation se généraliser, ce sont autant de devises qui sont économisées et
n’iront pas remplir les caisses des rois du pétrole.
Une troisième réflexion
est en relation avec le changement climatique. En me penchant sur les problèmes
de gaz à effet de serre, j’ai dû m’intéresser au cycle du carbone et j’ai
réalisé que le gaz carbonique résultant de la combustion de produits pétroliers
était composé d’un carbone qui était auparavant enfoui dans les réserves de
pétrole, alors que le gaz carbonique résultant de la combustion du bois était
composé d’un carbone déjà en circulation, fixé par la photosynthèse pour la
croissance des végétaux, puis remis en liberté par la combustion. Autrement
dit, la combustion du bois ne met pas de carbone supplémentaire en circulation,
contrairement à celle des produits pétroliers.
Que conclure ? Tout
d’abord que le paysan-charbonnier n’est pas ce personnage abominable qu’il faut
absolument réprimer. Et à ceux qui s’en vont répétant à qui veut l’entendre que
le paysan est une sorte d’enragé, qui déteste les arbres, de sorte que chaque
fois qu’il en voit un, il se dépêche de le couper, je dirai que quand vous
parcourez la campagne haïtienne, chaque fois que vous voyez au loin un bouquet
d’arbres vous pouvez être certain qu’il y a une kay de paysan au-dessous. Car le paysan aime l’arbre, il sait tous
les avantages qu’il peut en tirer, et, s’il vient à la couper, c’est parce
qu’il n’a plus aucune source de revenu.
Deuxième conclusion, il
faut encourager la production de charbon, mais pas comme elle se fait
actuellement. Et nous arrivons à la création d’entreprises modernes dans cette
filière du charbon de bois. Cela fait plus de quinze ans que je plaide pour le développement
de « forêts énergétiques ». Le concept est relativement simple.
A l’époque, j’avais
proposé au Ministre de l’Agriculture de passer une sorte de contrat avec des
organisations paysannes. Une certaine quantité de terre du domaine privé de
l’Etat serait mise à leur disposition. Le terrain serait divisé en un certain
nombre de parcelles plantées en bois de chauffe et la coupe se ferait de
manière rotative, une parcelle chaque année, et, le temps qu’on ait fait le
tour, la première parcelle offrirait de nouveau du bois à couper. Le bénéfice
de la vente du charbon serait pour l’organisation qui aurait à suivre les
directives des techniciens en ce qui a trait à l’entretien des parcelles et au
renouvellement de la plantation sur les parcelles coupées.
Ce qui vient d’être dit
concerne la production du bois pour le charbon ; mais il faut voir aussi
la production du charbon lui-même. En juillet 2006, sur les ondes de Mélodie FM, j’ai fait une émission avec
George Michel sur le charbon ; il signalait que « nous produisons le charbon de manière artisanale et
que de cette façon toute une série de produits chimiques de haute valeur
ajoutée, dont la commercialisation ferait baisser le prix du charbon, s’en vont
en fumée ». Il en concluait qu’il faudrait
acheter le bois du paysan et produire le charbon par distillation.
Concrètement il s’agit bien là de création
d’entreprises de transformation du bois en charbon, avec tous les
« sous-produits » que cela suppose, dont certains ont probablement
plus de valeur que le produit recherché au départ, le charbon. En revoyant tout
cela, je pense à Kesner Pharel et à tout ce qu’il nous a dit, au cours du séminaire
auquel j’ai participé il y a deux mois, sur les chaines de valeurs.
Dans le même ordre d’idées, je mentionnerai la
conférence de Thomas R. Preston à laquelle j’ai eu la
chance d’assister récemment. Le conférencier a fait le lien entre souveraineté
alimentaire et souveraineté énergétique et a plaidé pour une autre
« révolution verte » avec de l’énergie produite sur la ferme. Dans ce
cas.il ne s’agit plus de production de charbon mais de production de gaz à partir
de la biomasse. Il a mentionné la fabrication de « gazogènes » en Inde
qui peuvent être utilisés au niveau de la ferme.
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec
cette affaire de gazogène, je dirai que la première fois que j’en ai entendu
parler c’était à propos de véhicules qui marchaient au gazogène, en France,
pendant l’occupation allemande. En fait c’était une machine, installée sur les
véhicules, qui distillait du bois, produisant un gaz qui pouvait faire tourner
le moteur. On en a reparlé récemment à propos d’énergies alternatives, mais je
ne savais pas qu’on était passé à la mise en application.
Bien sûr, tout cela nous entraine
bien loin de notre charbon de bois artisanal, mais j’ai tenu à en parler
simplement pour montrer qu’on peut faire pas mal de choses au niveau de la filière du charbon de bois et qu’il existe
des possibilités de la moderniser en créant des entreprises, des emplois et de
la richesse, tout en protégeant, voire en renouvelant notre couverture
forestière.
HEM Vol. 27 # 12 du 10-16/04/2013
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