mercredi 10 avril 2013

« L’économie verte » (7) La filière du charbon de bois


« L’économie verte » (7)
La filière du charbon de bois
Bernard Etheart
La semaine dernière, parlant d’Exploitation durable des ressources naturelles (HEM Vol. 27 # 11 du 03-09/04/2013), j’avais conclu qu’il fallait identifier les sous-secteurs exploitant directement les ressources naturelles, et j’avais cité :
-          pour le secteur primaire : l’agriculture et les mines,
-          pour le secteur secondaire : la filière du charbon de bois et la filière du bois d’œuvre et du bois d’ébénisterie,
-          pour le secteur tertiaire : le sous-secteur des loisirs,
et je m’étais promis de passer en revue ces différents sous-secteurs pour voir quels efforts pourraient être entrepris pour encourager la création d’entreprises « durables » ou améliorer celles qui existent déjà.
Pour réaliser ce travail, j’ai choisi de commencer avec le sous-secteur qui a la plus mauvaise réputation, qui est considéré comme le principal, sinon le seul, responsable de la dégradation de notre environnement, je veux parler de la filière du charbon de bois. Je dois reconnaitre que moi aussi j’ai longtemps jeté l’anathème sur nos « charbonniers » ; mais avec le temps, certaines réflexions m’ont amené à relativiser quelque peu mon jugement.
Une première serait d’ordre moral, si je puis m’exprimer ainsi. Certes, ce sont des paysans qui coupent du bois pour produire le charbon ; mais ce ne sont pas eux, ou tout au moins pas eux seuls, qui utilisent le charbon de bois pour faire la cuisine. Les grands consommateurs de charbon de bois sont les citadins. Autrement dit, si on part du principe que si pa te gen reselè, pa ta gen vòlè, les citadins sont au moins aussi « coupables » que les paysans de la perte de notre couverture végétale.
Une seconde réflexion est d’ordre économique. Autant de foyers qui utilisent le charbon de bois pour la cuisine plutôt que ce gaz (propane ou butane), dont certains voudraient voir l’utilisation se généraliser, ce sont autant de devises qui sont économisées et n’iront pas remplir les caisses des rois du pétrole.
Une troisième réflexion est en relation avec le changement climatique. En me penchant sur les problèmes de gaz à effet de serre, j’ai dû m’intéresser au cycle du carbone et j’ai réalisé que le gaz carbonique résultant de la combustion de produits pétroliers était composé d’un carbone qui était auparavant enfoui dans les réserves de pétrole, alors que le gaz carbonique résultant de la combustion du bois était composé d’un carbone déjà en circulation, fixé par la photosynthèse pour la croissance des végétaux, puis remis en liberté par la combustion. Autrement dit, la combustion du bois ne met pas de carbone supplémentaire en circulation, contrairement à celle des produits pétroliers.
Que conclure ? Tout d’abord que le paysan-charbonnier n’est pas ce personnage abominable qu’il faut absolument réprimer. Et à ceux qui s’en vont répétant à qui veut l’entendre que le paysan est une sorte d’enragé, qui déteste les arbres, de sorte que chaque fois qu’il en voit un, il se dépêche de le couper, je dirai que quand vous parcourez la campagne haïtienne, chaque fois que vous voyez au loin un bouquet d’arbres vous pouvez être certain qu’il y a une kay de paysan au-dessous. Car le paysan aime l’arbre, il sait tous les avantages qu’il peut en tirer, et, s’il vient à la couper, c’est parce qu’il n’a plus aucune source de revenu.
Deuxième conclusion, il faut encourager la production de charbon, mais pas comme elle se fait actuellement. Et nous arrivons à la création d’entreprises modernes dans cette filière du charbon de bois. Cela fait plus de quinze ans que je plaide pour le développement de « forêts énergétiques ». Le concept est relativement simple.
A l’époque, j’avais proposé au Ministre de l’Agriculture de passer une sorte de contrat avec des organisations paysannes. Une certaine quantité de terre du domaine privé de l’Etat serait mise à leur disposition. Le terrain serait divisé en un certain nombre de parcelles plantées en bois de chauffe et la coupe se ferait de manière rotative, une parcelle chaque année, et, le temps qu’on ait fait le tour, la première parcelle offrirait de nouveau du bois à couper. Le bénéfice de la vente du charbon serait pour l’organisation qui aurait à suivre les directives des techniciens en ce qui a trait à l’entretien des parcelles et au renouvellement de la plantation sur les parcelles coupées.
Ce qui vient d’être dit concerne la production du bois pour le charbon ; mais il faut voir aussi la production du charbon lui-même. En juillet 2006, sur les ondes de Mélodie FM, j’ai fait une émission avec George Michel sur le charbon ; il signalait que « nous produisons le charbon de manière artisanale et que de cette façon toute une série de produits chimiques de haute valeur ajoutée, dont la commercialisation ferait baisser le prix du charbon, s’en vont en fumée ». Il en concluait qu’il faudrait acheter le bois du paysan et produire le charbon par distillation.
Concrètement il s’agit bien là de création d’entreprises de transformation du bois en charbon, avec tous les « sous-produits » que cela suppose, dont certains ont probablement plus de valeur que le produit recherché au départ, le charbon. En revoyant tout cela, je pense à Kesner Pharel et à tout ce qu’il nous a dit, au cours du séminaire auquel j’ai participé il y a deux mois, sur les chaines de valeurs.
Dans le même ordre d’idées, je mentionnerai la conférence de Thomas R. Preston à laquelle j’ai eu la chance d’assister récemment. Le conférencier a fait le lien entre souveraineté alimentaire et souveraineté énergétique et a plaidé pour une autre « révolution verte » avec de l’énergie produite sur la ferme. Dans ce cas.il ne s’agit plus de production de charbon mais de production de gaz à partir de la biomasse. Il a mentionné la fabrication de « gazogènes » en Inde qui peuvent être utilisés au niveau de la ferme.
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette affaire de gazogène, je dirai que la première fois que j’en ai entendu parler c’était à propos de véhicules qui marchaient au gazogène, en France, pendant l’occupation allemande. En fait c’était une machine, installée sur les véhicules, qui distillait du bois, produisant un gaz qui pouvait faire tourner le moteur. On en a reparlé récemment à propos d’énergies alternatives, mais je ne savais pas qu’on était passé à la mise en application.
Bien sûr, tout cela nous entraine bien loin de notre charbon de bois artisanal, mais j’ai tenu à en parler simplement pour montrer qu’on peut faire pas mal de choses au niveau de la filière du charbon de bois et qu’il existe des possibilités de la moderniser en créant des entreprises, des emplois et de la richesse, tout en protégeant, voire en renouvelant notre couverture forestière.
Bernard Ethéart
HEM Vol. 27 # 12 du 10-16/04/2013

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