dimanche 4 septembre 2011

Vers la création d’une élite agricole haïtienne



Vers la création d’une élite agricole haïtienne
Michel William
Le jeudi 2 juin 2011

La vie rurale en Haïti devrait être définie depuis un certain temps par le mot débrouillardise vulgairement appelée en créole « Brase ». La débrouillardise serait un processus par lequel la population délaissée innove les moyens de son existence en exploitant les ressources naturelles á sa façon tout en compromettant son futur. Un élément majeur de ces ressources est la biodiversité. Force est de reconnaître que la paysannerie haïtienne n’a pas été le fossoyeur unique de son existence, elle a trouvé en la personne morale des ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, des co-auteurs de choix dans l’agonie de la production nationale. Etrange allusion dirait-on ! La raison de cette allusion est que l’aide internationale faite au gouvernement avec la mondialisation est conditionnelle á un paquet de mesures économiques bien ficelées qui bloquent le développement agricole haïtien. L’étranger nous demande d’ignorer que l’agriculture technologique aujourd’hui des pays avancés a été la résultante de plusieurs années de subvention de la production, de la protection de leur marché agricole, de recherches expérimentales , de réforme agraire , de l’éducation des exploitants agricoles, et de mesures prises par ces états qui ont reconnu l’aspect régalien du travail agricole en faveur de la productivité et de la protection des travailleurs agricoles. Leurs technologies avancées d’aujourd’hui sont le résultat d’accumulation de capital née de la colonisation, des interventions armées unilatérales, des croisades , des guerres coalisées et de la mondialisation comme outil non négociable des prêts multilatéraux et bilatéraux. Les petits pays comme Haïti n’ont pas ces grands moyens d’accumulation de capital.

Pendant les vingt ans du règne lavalassien, la débrouillardise a trouvé le creuset politique idéal de son développement avec le principe du « non état » perfectionné par Mr Préval dans son choix des parlementaires qui ont fait tout sauf le travail de renforcement de la charpente administrative du pays. » L’état lavalassien a cultivé et généralisé la notion de petits projets dans tous les secteurs d’activités. Chaque année des structures para politiques télécommandées par le financement international ont géré dans l’agriculture des projets d’achat de semences graines, de tubercules ,de projets de cabris, de mini élevage de pondeuses, de mini élevage de poulets de chair , de lacs collinaires, d’amélioration de la pêche artisanale, de redistribution d’engrais, de cantine scolaire qui obligent l’état á expérimenter les mêmes difficultés d’approvisionnement en matière première. Les conséquences sur la production agricole nationale et sur l’administration décentralisée sont dévastatrices. La quadrature du cercle infernal devrait être bouclée avec la nomination á la tête des ministères des cadres qui reviennent des ONG ou qui ont été les consultants des grandes boites internationales. Au lieu d’observer des avances en terme d’augmentation de la production, on a assisté á l’enrichissement des propriétaires d’ONG, á la destruction du leadership local, á la dégradation des bassins versants, á la baisse irréversible de la production agricole, á l’exode rural, á l’ouverture du marché haïtien aux produits agricoles étrangers et á la création d’une CNSA qui devient le porte parole de l’assistance technique internationale. La presse nationale de peur d’être indexée n’a pas encouragé le journalisme d’investigation pour critiquer l’inacceptable.

Théoriquement aucune solution technique unilatérale de pacotille n’est susceptible de renverser systématiquement la tendance. Seul un changement radical du personnel politique devrait recentrer progressivement la gouvernance du pays, rapatrier sa souveraineté et garantir une meilleure redistribution des ressources. Or on a vu que le type d’élection sélection priorisée par l’étranger est piégé doublement, d’un coté avec les élections prévaliennes qui ont toujours eu le dernier mot en promouvant des hommes rejetés par le peuple , de l’autre avec l’ingérence de l’international qui, devant protéger ses intérêts , nous crée des embarras pour lesquels on fait appel encore á lui pour nous apporter des solutions qui ne font qu’ajourner les problèmes. Le vote de l’amendement de la constitution de 1987 en dehors de toute discussion libre en est l’exemple le plus frappant. Voilà que cet amendement et des élections rabâchées font dépendre encore le changement de la présence de Mr Préval et de ses partisans synonymes de débris du séisme du 12 janvier.

Si Mr Martelly compte opérer le changement avec la constitution amendée de 1987 et avec cette législature, il se met le droit dans l’œil. Il devrait profiter de la « prevalerie » constitutionnelle publiée dans le moniteur pour dénoncer la farce, la déclarer nulle et non avenue, punir les coupables et amorcer avec une conférence nationale la rédaction d’une nouvelle constitution qui viendrait réduire le pouvoir parlementaire. En dehors de cette décision révolutionnaire sans appel, toute proposition d’apporter une réponse aux conditions de la paysannerie ne sera qu’un pis aller. D’ailleurs on parle déjà d’alignement des trois uniques parlementaires de « repons paysan » dans le GPR qui est une gymnastique parlementaire pour ne pas évoquer en public le non INITE synonyme de scories politiques de l’ère prévalienne. On ne saurait prétendre rester dans la constitution en gouvernant avec des structures politiques montées en dehors de la constitution. A la guerre comme á la guerre dirait le candidat de « repons paysan » Pourquoi pas le président! Le président aurait il oublié que sa force réside momentanément dans sa capacité toute neuve de mobilisation populaire.

Comme la vie est faite de combats permanents, il restera toujours une classe de citoyens qui refusent d’abdiquer et qui cranent du matin au soir pour trouver l’alternative. A la lumière de diverses réflexions il apparaît de plus en plus irréfutable que l’alternative á la débrouillardise agricole, dans le contexte de la mondialisation est de chercher á pénétrer le système incontournable des petits projets des bailleurs en l’inscrivant dans une dynamique de création et de subvention d’une élite agricole stable capable de fournir en amont et en aval les intrants de base indispensables á l’augmentation de la production. Les jeunes cadres au chômage issus des facultés publiques et privées d’agronomie du pays devraient constituer une partie de cette élite á coté d’un nombre considérable de leaders ruraux qui ont montré leurs intérêts dans l’agriculture traditionnelle du pays en dehors de toutes considérations politiques partisanes.

Le gouvernement de Martelly obligé de travailler aujourd’hui encore sous l’emprise de l’amendement Bob Dole de 1995, amplement suivi par les organismes internationaux de financement et par la coopération bilatérale, (utilisation des ONG) aurait intérêt á négocier le financement de ces micro structures de production. Le gouvernement de Martelly, devrait faire un effort pour sortir des sentiers battus de la planification traditionnelle et pour constituer cette élite qui deviendrait le point d’ancrage de toute une flottille pour l’appareillage de la production agricole nationale. La constitution de cette élite agricole ne va pas résoudre le problème fondamental de l’agriculture haïtienne qui demande des décisions impopulaires de la part du gouvernement Martelly. Elle sera seulement exploitée comme nouvelle démarche politique rassurante du Président Martelly, en prévision de tout propagande négative des spécialistes en eau trouble qui incapables de penser politique et services á la population y verraient des éléments de subversion populaire pour bloquer le processus de changement.

L’expérience a démontré, et j’écris en connaissance de cause, que si l’élevage et l’agriculture sont rentables á partir d’un seuil minimal d’exploitation individuelle jamais atteint encore en Haïti, il en est pire pour l’exploitant d’élite qui aurait choisi la production des semences, l’élevage naisseur et la production conversationniste de montagne avec des crédits FDI, SOPHIDES qui exploitent la déroute de l’intelligence de nos économistes. Il faudrait seulement tenir compte que l’agriculture de montagne coûte beaucoup plus chère que l’agriculture de plaine, qu’elle est responsable de 60 á 70% de la production nationale, qu’elle est momentanément incontournable et que ironiquement c’est la classe paysanne qui subventionne avec sa sueur la consommation de plus de six millions d’urbains. On retiendra aussi que l’agriculture de montagne qui est excessivement coûteuse en terme d’aménagement physique est laissée aux paysans analphabètes qui sont les moins armés économiquement pour faire face aux problèmes de son exploitation. Les dépenses d’établissement de ces infrastructures de production en montagne sont lourdes pour ces exploitants d’élite qui ne peuvent au grand jamais les rentabiliser sans un programme étoffé de subvention de la part du gouvernement. On devrait profiter de l’agriculture humanitaire encouragée par l’étranger pour dépenser durablement l’argent de l’aide en subventionnant ces aménagements. L’émergence d’une nouvelle élite agricole présenterait l’avantage de décharger l’état du problème permanent de rareté de production d’intrants majeurs après les désastres annuels á répétition et de s’intégrer dans une logique de redistribution des ressources budgétaires au bénéfice de la paysannerie.

Voici une proposition qui devrait être épurée par les cadres de Damien, par les ONG et par les associations des casecs et des maires du pays pour son éventuelle application.

Au niveau national, on admet qu’il y a 565 sections communales regroupant 1.200.000 exploitations agricoles, 800.000 éleveurs et couvrant á peu près 600.000 hectares de terres agricoles. Si pour chaque section communale on prévoit 1.100 hectare pour chaque 2.100 exploitations, il est suggéré de retenir un schéma de financement qui mettrait en place des structures de production de semences pour chaque 25 hectares et des structures de production de reproducteurs et d’aliments par groupe de 1.00 éleveurs On aura constitué une élite agricole stable distribuée dans toutes les sections communales totalisant :
24.000 centres de production vivrière de semences, soit 22 par section communale,
400 centres de production de pondeuses et de poussins de chair soit quarante par département,
400 centres de production de reproducteurs de porcs soit vingt centres par département,
200 centres de production de reproducteurs de cabris et de moutons, soit vingt par département,
50 centres départementaux de production de ruchers améliorés et de formation des apiculteurs, soit cinq par département,
50 centres de production de bateaux de pêche, soit cinq par département,
3 centres de production d’alevins á répartir dans les départements riches en eau de surface.

On aura créé dans tout le pays 25.100 centres de production des intrants durables susceptibles de refaire la structure de base de la production agricole nationale.
Prenons deux exemples la banane et l’igname

Production de plantules de banane sur 25 hectares
La banane est plantée sur 61.000 has .Avec la Méthode PIF il faudra prévoir 406 serres ou centres de production de drageons de banane. Chaque serre de dimension 20 mètres de long. 10 mètres de largeur et 2,40 mètres de hauteur peut produire 50.000 boutures á l’année, il faut 1600 boutures pour planter un ha, une serre peut produire des boutures pour planter 31 has a l’année. Un technicien de cette élite pourrait produire des drageons pour 150 hectares à l’année dans trois serres.
Les ONG qui deviennent les bras financiers de l’agriculture, à raison d’une par département devraient financer ce programme sur une période de cinq années.

Production de plantules d’igname pour 25 hectares
En montagne l’igname occupe une superficie de 30.000 has.
Pour planter un has d’igname il faut 10.000 boutures
1ha d’igname donne 10.000 tubercules qui fournissent 320.000 boutures avec la technique de mini-set.
Pour planter 25 has il faudra produire 2.500.000 boutures.
Pour produire 2.500.000 de boutures il faut un champ de multiplication de
2.500.000 /320.000 de 8 hectares d’igname en montagne Un technicien élite peut facilement gérer la production de bulbilles pour 25 hectares. En divisant la superficie á planter par 25 hectares, On aurait un programme de financement de 1240 centres réparties dans toutes les zones de production d’igname.
On pourra étendre le même schéma au malanga, á la mazoubel, au riz, au mais, au petit mil, au haricot, á la pomme de terre, etc.

Quelle serait l’acceptabilité politique de cette élite agricole ?
L’idée générale est de redistribuer les ressources budgétaires internes et externes au profit de la paysannerie et de mettre fin á l’action spoliatrice des prédateurs agricoles nationaux et internationaux, de redonner confiance aux services de l’état en se servant des structures d’ONG financées par l’international. Les couts de chacun de ces centres de production d’intrants de base seraient facilement établis á partir d’enquêtes de terrain, de recherches bibliographiques et de couts des nouvelles technologies nécessaires á leur création.
Une telle planification acceptée serait une condition sine qua none du maintien du parlement actuel qui y trouverait un moyen de se blanchir de la mauvaise renommée d’appartenance á un régime conspué de tous. Ce plan serait proposé aux parlementaires qui le redistribueraient en fonction des zones de production de leur circonscription. Un tel schéma repousserait de lui-même toute idée de partage du pouvoir au niveau du cabinet ministériel et renforcerait le pouvoir de contrôle du parlement. Ce schéma n’exclut pas non plus la possibilité que des compagnies privées s’établissent á la campagne et exploitent des superficies de 50 á 100 has, qui en association avec la masse des exploitants agricoles chercheraient á organiser la commercialisation de la production. Un tel schéma recentrerait le MARNDR dans la production de services pour encadrer en priorité les producteurs d’élite et dans leur sillage la masse des exploitants agricoles appelées á produire pour la consommation nationale.

Pour le moment, les conditions de sécurité pour la mise en œuvre d’un tel plan ne sont pas réunies encore. Elles existeront avec le fonctionnement simultané de l’armée et de la PNH. On pourrait commencer sa mise en application avec l’augmentation et la redistribution de la PNH dans toutes les sections communales. En attendant il est indiqué de monter une commission formée de trois anciens cadres issus des forces armées d’Haïti dont Himmler Rebu, Jean Claude Jeudi, de l’auteur « l’armée pour une démocratie », ajoutés des agronomes Carly Jean Jeune, Joseph Ronald Toussaint, Jean André Victor, pour jeter les bases de la nouvelle armée de protection de l’environnement. Certains penseurs avanceraient même l’idée de renforcer le ministère de l’environnement avec l’intégration des membres de la nouvelle force armée d’Haïti.

Quel travail devra être fait au niveau de la MINUSTHA et du conseil de sécurité des Nations Unies pour faire accepter le principe d’un MDE militarisé, non pas comme forces politiques mais comme forces d’intervention technique dans la protection de l’environnement. Ceci est faisable si au niveau de la chancellerie haïtienne, le Président Martelly y met un ministre qui pense comme lui et qui nomme des ambassadeurs á vision qui peuvent lui garantir ce travail aux Nations Unies et auprès des pays étrangers.

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