vendredi 16 septembre 2011

La logique des politiques publiques de vaccination des animaux


William Michel
Le 14 sept 2011

La rédaction de cet article fait suite á une réunion entre agronomes et techniciens vétérinaires de terrain  au sujet du mépris grandissant de la population pour les campagnes de  vaccination  et aux réponses négatives  des éleveurs du département de l’Ouest aux activités de l’ONG vétérinaire ARCH .

Part du secteur agricole dans le PIB   de 1995  á  2008  en millions de dollars     
1995 : 45.6%      (PIB 1995 : 3 000 millions $)\
2002 : 29.25%    (PIB 2002 : 3 500 millions $)
2006 : 27%         (PIB 2006 : 4 244 millions $)
2008 : 25,9%      ( PIB   2008  6.966 millions$)

Contribution du sous secteur élevage dans le PIB agricole
 1990 31% du PIB agricole 
 2008 26 % du PIB agricole en 2008
Ref  Sources  Statistiques mondiales

  Le tableau ci-dessus permet de constater une chute   progressive  importante  de la   contribution  de  la production agricole en pourcentage du PIB national au cours  de la dernière décade. La  contribution  du sous secteur élevage  au PIB agricole était de  31% ( Serge  Arnoux politique élevage  1990). Si on  applique  ce pourcentage  du sous secteur élevage  au PIB agricole  en 2008,  la contribution de  ce sous secteur   au PIB agricole s’élèverait a 559.3 millions  de  dollars américains du PIB agricole, alors que  les pertes dues aux problèmes  de santé avoisinent les  30 á  40%. (MARNDR Direction Production Animale) .Dans tout pays où l’irrigation n’est  pas dominante, comme dans le cas d’Haïti montagneuse    á  75%, l’élevage est prioritaire sur l’agriculture parce que l’investissement est moins risqué  pour le décollage économique d’une zone rurale. Tel n’en est pas le cas.

« Le rôle de l’élevage comme système d’épargne est aussi primordial. 80% des exploitations agricoles familiales élèvent un total de 4 millions de volailles, 65% des exploitations élèvent des chèvres (2.5 millions de caprins (plus de deux fois les populations caprines réunies de Cuba, République dominicaine et Jamaïque).55% élèvent du gros bétail (1.5 millions de bovins dont environ un tiers de vaches adultes) et 35% détiennent au total près de 1 million de porcs. Pour les années 1997-1998, les pertes annuelles provoquées en Haïti par la Peste Porcine Classique avaient été estimées à environ huit millions de dollars américains. Les pertes annuelles imputables aux parasitoses internes et externes ont été chiffrées à plusieurs dizaines de millions de dollars américains. Selon une étude réalisée en 2000 par une équipe conjointe FAO/MARNDR, les pertes annuelles causées par la Lucilie Bouchère du Nouveau Monde, s’élevaient alors à plus de 19 millions de dollars américains. La déficience organisationnelle et le manque de ressources humaines, de moyens matériels et financiers des services vétérinaires du MARNDR n’ont pas permis d’enrayer des maladies animales de grande importance économique comme la peste porcine classique ou la maladie de Newcastle ou à caractère zoonotique comme la rage et le charbon bactéridien qui provoquent, depuis des décennies, des dégâts considérables dans l’élevage haïtien et qui représentent, dans le cas des zoonoses un risque pour la santé humaine. » Ref  Plan d’Investissement agricole MARNDR

Ce bref rappel de  statistiques et de vérités  animales du pays  est pour démontrer le poids du sous secteur élevage  dans l’économie agricole  d’Haïti et rappeler  l’élégance de tout choix de politique en matière d’élevage. Il est important  que la communauté  internationale, l’Exécutif et le Législatif qui financent et contrôlent les dépenses publiques  de l’état accordent leurs violons sur les mesures de politiques publiques  de vaccination des animaux en Haïti. Il faut le faire car les choix á l’origine des investissements consentis pour apporter un service pourtant crucial aux besoins des éleveurs haïtiens ne sont pas  toujours  faits  dans  l’intérêt de ces  derniers. Peut on éviter ces pertes ? Combien représentent toutes ces pertes ? Quel est le cout de la structure  de vaccination ?Quel est le prix de la totalité des vaccins obligatoires ? Quel danger constituent ces maladies  non traitées  sur la santé humaine ?Que représente la différence entre le montant des pertes  totales subies par les éleveurs  et le cout de l’infrastructure  de sante animale. ?Le gouvernement  a-t-il choisi effectivement de développer l’économie animale ? Est-il plus profitable de la faire avec des contracteurs ou avec les structures de l’état ? Quelles  sont les chances d’exportation de nos produits animaux. ? Si non, le gouvernement a-t-il choisi de produire pour satisfaire la consommation locale ? Quel pourcentage d’emplois ce choix va créer  sur le terrain ?Qu’est-ce  qui doit être négocié,  par rapport au commerce entrant des produits animaux avec la communauté internationale ?  A la lumière  des ressources naturelles disponibles, quel élevage prioriser , l’élevage bovin ou l’élevage de substitution  ( Porcs et poulets) ?  Quel est le choix politique cohérent á faire ? S’il s’avère que les pertes au niveau de l’éleveur sont de loin supérieures  au cout de l’infrastructure de  santé animale, il faut formuler  des politiques publiques nouvelles  qui permettent  de choisir entre la vaccination et l’éradication . Il est créé  une sorte de  dichotomie  entre  l’état , l’International et la communauté des éleveurs, l’un ne  comprenant pas les décisions ou les réactions de l’autre. 

A ce moment précis  des actions et des réactions des uns et des autres  á propos de la vaccination qui reste  un choix de politique, il est opportun que tout le commun des mortels soit informé des raisons de ce choix  et des nuances fondamentales entre deux méthodes de contrôle de certaines maladies animales : l’éradication et la vaccination . Dans l’éradication  il y a  élimination complète de la  maladie parce que l’animal, élément porteur et vecteur du microbe, est  tué et le microbe aussi -Dans une  politique de vaccination, le germe de la maladie est toujours présent sur le terrain, parce que le but de la vaccination  n’est pas d’éliminer  la maladie  mais de contrôler  annuellement la propagation du microbe en réalisant des objectifs  de  97-98% de couverture vaccinale pour réduire considérablement les dégâts économiques.

Il est tout aussi opportun  que ces informations trouvent leur écho dans la  presse  communautaire et  nationale  afin qu’elles aident les bailleurs de Fonds  comme   l’OMS, le PNUD, l’UE, L’OIE, aujourd’hui la  BID  á travers le Programme  DEFI et certaines coopérations bilatérales comme la  USAID, l’Espagne, le  Brésil  á affiner leur politiques de financement des campagnes de vaccination de certaines maladies du bétail en Haïti . La FAO et l’IICA qui devraient apporter leur assistance  technique au ministère  de l’Agriculture dans ce cas  précis  ne l’ont pas faite .Elles ont plutôt adopté une politique de survie qui les oblige á renoncer á leur vocation légale de coopération technique  pour devenir de simples agences d’exécution ou de gestionnaires des fonds de petits projets bloquant ainsi  les services appropriés du MARNDR dans leurs  objectifs de planification  et leurs devoirs de résultats.

Depuis un certain temps,  á différentes époques de l’année et suivant la disponibilité de l’aide humanitaire, le Ministère de l’Agriculture des Ressources Naturelles et du Développement Rural annonce la réalisation de campagnes de vaccination  contre certaines maladies du bétail, dont la rage , le charbon bactéridien, la  Peste porcine  classique et la  maladie  du New Castle  pour ne citer que  ces dernières. Le MARNDR aurait sacrifié la méthode de l’éradication par orgueil, par refoulement mêlé d’un sentiment de culpabilité et aurait décidé de ne pas dire la vérité  aux  éleveurs sur la vaccination.   

 Le MARNDR est á l’origine  de la création des groupements de défense  sanitaire connus sous le  sigle de « GSB » qui sont des groupements communaux d’éleveurs formés non seulement pour encourager  le développement de l’élevage mais surtout pour pallier au déficit de  cadres intermédiaires dans la direction de la santé animale. Le MARNDR a toujours souhaité  que les autorités  locales des collectivités territoriales  viennent  en aide  á ces  GSB pour les faciliter la  tache.

En terme de financement traditionnel , après l’USAID, l’OMS,L’UE qui financent les campagnes de vaccination sur la base de projets , entre aujourd’hui en scène la  BID á travers le Programme  DEFI . Apres le séisme du 12 Janvier , a émergé  une Nouvelle ONG , ARCH,  qui travaille sous la tutelle  du ministère de l’Environnement et qui  gaspille annuellement un million de dollars dans la santé animale. Il y a  aussi l’ONG  Veterimed dont le propriétaire est le Secrétaire d’Etat á la production et  á la santé animale.

L’Eradication  une méthode de mauvais gout politique

           Il est écrit  plus haut qu’il existe  une certaine dichotomie entre  le MARNDR et la communauté des éleveurs á propos du choix politique  de la vaccination  comme   techniques  de contrôle  de  certaines maladies  du bétail á grande importance économique  . Dans ce choix , l’état a sacrifié la méthode de  l’éradication  au profit de la vaccination sans pouvoir exprimer clairement sa décision . Les bénéficiaires potentiels en viennent á s’y désintéresser parce que ,disent ils,  la vaccination discontinuée de leurs animaux et organisée sans calendrier annuel fixe ne correspond pas  aux leçons apprises des campagnes antérieures. De plus pendant que se fait une campagne de vaccination, les animaux meurent  d’autres maladies  pour lesquelles  l’état n’offre pas de vaccins. Ces campagnes improvisées  de vaccination les laissent  un arrière gout d’amalgame  technico-politique.

De fait ,le ministère de l’Agriculture  après l’échec cuisant du projet de Développement de l’élevage porcin, PDEP, devenu plus  tard (PRP) projet de Repeuplement Porcin,  avait  préféré  la  vaccination  á  l’éradication  en raison du souvenir amer que charrie ce choix après le massacre des cochons créoles atteints de la peste porcine africaine. Le PDEP a échoué pour la raison bien simple qu’il  n’y avait pas prévu de nourriture pour donner á  manger aux porcs et parce que l’éleveur haïtien  n’avait pas droit au crédit agricole pour acheter á  l’étranger les ingrédients de base de la nourriture comme l’ont fait la Jamaïque  ou la  République Dominicaine. Rappelons aussi que  l’enveloppe budgétaire  du Bureau de Crédit Agricole, BCA,  n’a jamais  dépassé les  2%  des  besoins en crédit des agriculteurs et que le  BCA a été phagocyté   dans ses beaux jours par l’USAID qui lui demandait de laisser tomber au profit de plus  gros prêts  agricoles  le crédit aux petits éleveurs ,  remboursé avant la PEPADEP  á  96%   dans l’embouche  bovine et dans l’engraissement des porcs.

 Les gouvernements haïtiens ultérieurs  reconnaissant qu’ils avaient embarqué la population des éleveurs dans une plaisanterie  de mauvais gout dans l’éradication des cochons créoles vivent depuis 1982 un sentiment d’orgueil, de refoulement  et de culpabilité qui les fait  cultiver une peur  bleue de l’éradication , en adoptant la pratique de la vaccination sans en posséder  les moyens . La communauté des éleveurs une fois embarquée  dans le choix  politique  de la vaccination  mal implémenté , esquisse après  plus de vingt ans d’application, une lassitude compréhensible pour cette méthode de protection des animaux correcte  . Elle n’y va  pas  par quatre chemins pour signaler  aux agronomes apres le seisme du 12 janvier que la vaccination des animaux en ce temps de chômage et de misère n’était  pas leur priorité  # 1, que des kits  d’alimentation répondraient mieux á leurs problèmes de tous les jours.
Face á ces commentaires étrangement curieux. un état normal dont la mission est d’apporter les services á la population, se doit de les questionner, de l’analyser  afin d’apporter les redressements que de droit. En guise de réponse l’Etat a récidivé  en autorisant ARCH á opérer dans les mêmes conditions et en parallèle avec le MARNDR.

Quelle est la logique dans la   réaction de l’éleveur ?

Du point de vue de la communication, l’analyse de la réaction de l’éleveur est plus que logique et elle découle des politiques suivies par le gouvernement et la communauté internationale dans la  Santé  Animale. Le gouvernement tout en réfutant, politiquement parlant, l’éradication,  n’a pas  non plus objectivement opté pour la vaccination  parce qu’á date, le  gouvernement n’a jamais alloué au  budget national un montant annuel pour la vaccination permanente des animaux . N’ayant  pas les ressources  internes pour faire marcher le service de la vaccination , elle a opté pour ne pas  diffuser l’information critique  sur la vaccination. « Une des formes les plus pernicieuses d'agonie de notre culture,  écrit Pierre  Raymond Dumas, c'est l'amnésie collective dont le principal terreau est l'ignorance des masses. Si l'on veut casser cette régression et propulser cette renaissance, il faut instruire la grande majorité et créer une véritable élite dirigeante dans notre pays. « Le MARNDR devrait œuvrer á créer cette élite  dans le secteur agricole.

Voici un exemple d’informations critiques  á destination des bénéficiaires qui devait être prêché par les animateurs de terrain :
-L’éradication est la méthode de choix pour détruire une maladie á virus. L’état haïtien ne  peut pas l’envisager  parce qu’il ne dispose pas des moyens financiers pour repeupler le pays après le vide sanitaire  créé.
-La communauté internationale soucieuse de protéger  le  commerce du  cheptel des  pays  donateurs  pratique  une politique de confinement de la maladie dans les limites  du territoire  et ne serait pas favorable au développement de ces élevages dans la partie Ouest de l’ile d’Haïti  .
-La vaccination consiste á injecter annuellement  dans le corps de l’animal le germe  inoffensif de la maladie   pour  l’en immuniser
-Lorsqu’on choisit  la vaccination  ,on choisit de cohabiter pour toujours avec le microbe et  par voie de conséquence on choisit de soustraire la production filière du cheptel national au commerce  extérieur  qui n’accepterait pas l’importation   du microbe en territoire étranger ( interdiction  d’exportation  des tapis faits de peau de bœufs et de cabris, du commerce des œufs, de la viande de porcs,  en raison des spores de la maladie du charbon, du virus de la grippe aviaire et de celui de la  Peste Porcine Classique )
- Le but de la vaccination  n’est pas d’éliminer  la maladie  mais de contrôler  la propagation du microbe en réalisant des objectifs de vaccination  de  97-98%  pour réduire considérablement les dégâts économiques..
-Le pourcentage  de  1-á 2 % d’animaux  non vaccinés chaque année suffit pour re-contaminer le troupeau national á cause de l’élevage libre , de la circulation non contrôlée  des animaux  dans  les  marchés  publics du pays,  de l’état de dégradation de nos bassins versants , si la vaccination n’est pas répétée chaque année sur une base régulière..
La vaccination  á cause  de ces contraintes  lourdes á lever est une activité essentielle de l’état, et comme telle, elle devrait  être permanente, régulière et  programmée chaque année au budget du MARNDR
-La vaccination rendue permanente et obligatoire, puis reconnue comme  une activité de santé vétérinaire hautement payante  pour les éleveurs , devrait après un certain temps être fournie dans le privé  par des associations d’éleveurs ou de corps vétérinaires .
_L’absence de crédit  á la production animale et la peur de dire la  vérité aux  éleveurs   font que le privé a peur d’investir  dans les infrastructures  de production  et  que  l’Etat  vient á endosser une activité rentable pour laquelle  il n’a pas  les moyens de sa politique
-L’Education des éleveurs sur la vaccination est devenue une activité surveillée et temporaire abandonnée aux caprices des ONG  qui envoie des messages non décodables par les éleveurs. (ARCH, Veterimed).
Après le désastre du 12 janvier 2010, la communauté  internationale  tout en mettant en garde le MARNDR contre une résurgence en bloc  des  maladies traditionnelles de l’élevage  et l’apparition de nouvelles maladies dues aux conditions non contrôlées de circulation des hommes ,du commerce international et de détérioration  de la vie , continue  d’appliquer la même  politique de financement des ONG. Elle complique le problème au lieu d’aider á sa solution. Comme le gouvernement ne veut pas fixer les règles du jeu, la communauté des éleveurs prend la décision de forcer le MARNDR á trancher. Au lieu d’exploiter positivement l’émergence de ces maladies post séismes pour reformuler sa politique de production et de santé animale , le gouvernement a pris la décision partisane de renforcer la secrétairerie d’état á la production et á la santé animale pour coordonner l’aide de la communauté internationale. Il a plutôt  ravivé les rivalités internes entre les cadres techniques qui travaillent  mieux avec la direction générale qui coordonne  toutes les activités techniques au sein du MARNDR.
michelwilliam1000@hotmail.com

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