dimanche 10 avril 2011

Rupture ?

par Daly Valet
Le Matin, 8 au 15 avril 2011

Le peuple souverain l’a décidé ! Joseph Michel Martelly a recueilli près de 67 % des suffrages exprimés lors du second tour de la présidentielle. Sa rivale malheureuse, Mirlande Manigat, n’a engrangé qu’un maigre 31 %. Un vrai séisme électoral. La victoire est écrasante et sans appel. À partir du 14 mai prochain, M. Martelly sera bel et bien le 56e président de la République d’Haïti. Les minorités retardataires, récalcitrantes et mélancoliques n’ont qu’à se conformer au verdict des urnes et se courber devant le choix souverain de la majorité. Cette majorité peut être, certes, turbulente, vindicative, anarchisante et aventuriste, voire très mal inspirée. L’éthique démocratique exige, malgré tout, que la cité s’ordonne politiquement autour des options du segment majoritaire de l’électorat.

Que des jeunes de la génération hip-hop, pourfendeurs enragés du « système », et d’autres révoltés, déçus du règne lavalas et des interrègnes putschistes, aient pu catapulter l’anticonformiste et l’impétueux Sweet Micky au sommet de l’État, c’est dire que l’ordre social actuel symbolisait, pour ces nouveaux Danton de la contestation sociale radicale, une autre Bastille à abattre. Les manigances du pouvoir leur avaient privé de leur égérie, Wyclef Jean. Pour se venger, et toujours dans l’optique d’imposer leur propre ordre, ils ont assené d’un coup de Micky, en pleine figure, la bonne veille société haïtienne en déconfiture. Sous des dehors innocents et bon enfant, il s’agit d’un choix conscient. Cynique. Violent même. Le vote contestataire du 20 mars a en fait servi d’exutoire au mécontentement exacerbé des masses et à cette violence sourde qui travaille Haïti jusque dans ses entrailles. Il n’y a pas que par les armes qu’on règle ses comptes avec des sociétés injustes comme Haïti. Depuis les élections fondatrices de 1990 qui avaient porté au pouvoir l’ex-prêtre populiste Jean-Bertrand Aristide, le bulletin de vote est devenu une arme redoutable entre les mains des exclus historiques du système. Si le vote majoritaire fait désormais loi en Afrique du Sud et que les tenants de l’apartheid s’y plient par pragmatisme depuis les réformes constitutionnelles des années quatre-vingt-dix, les élites conservatrices, rétrogrades et putschistes de la droite et de la soi-disant gauche haïtiennes, doivent également faire leur conversion, même tardive, en vrais démocrates.

Nous avions vu venir, dans ces colonnes, la victoire de Michel Martelly. Nous en étions même convaincus au lendemain du vote décisif du second tour. Il osait et tenait ferme là où Mirlande Manigat tergiversait et perdait de la contenance. Il a choisi de chevaucher le mécontentement populaire, de nourrir l’utopie chez les déshérités, d’attaquer René Préval frontalement, quand la candidate du RDNP laissait, elle-même, le pays avec l’impression déstabilisante qu’elle composait avec le président de la république. Un président Préval qui fait justement l’objet de toutes les récriminations, ce, dans toutes les couches de la société. Professeure d’université, Mme Manigat n’avait pas l’air de maîtriser ses dossiers. Elle n’a pas su consolider sa base électorale du premier tour ni rassurer les indépendants et les indécis dans l’entre-deux tours. Le manque d’audace de Mirlande Manigat, son discours professoral plus donneur de leçons qu’inspirateur, sa campagne terne et peu engageante, l’absence d’une stratégie électorale définie, sont autant de facteurs ayant contribué à faire du candidat de Repons Peyizan, son tombeur. De plus, elle n’a pas su mobiliser derrière elle les classes moyennes, lesquelles devraient être objectivement son électorat naturel. Elle a perdu parce qu’elle a été seule. Trop seule à l’ère des masses révoltées et des foules en puissance.

À travers la défaite de Mme Manigat, la débandade de M. Préval et de son bric-à-brac Inite, c’est toute une génération d’hommes et de femmes politiques qui vient d’être mise au placard. Avec Michel Martelly au pouvoir, c’est vingt-cinq années de gestion calamiteuse du pouvoir, par des cohortes d’incapables et de jouisseurs, qui viennent d’être sanctionnées et répudiées. Le nouveau président aura la tâche ingrate de nettoyer les écuries après les gabegies des deux dernières décennies. Il devra sortir Haïti de l’ornière, restituer son prestige, et l’engager sur la voie de la modernité. Apres les dégâts des autres, il va devoir construire, transformer, réformer et révolutionner. Le pays n’a pas besoin d’un Sweet Micky irrévérencieux au pouvoir. Il nous faut un Michel Martelly bon père de famille, respectueux de notre histoire et des principes moraux de la république. Les couches saines et éclairées du pays feront la veille. Sceptiques et angoissées, elles n’attendent pas beaucoup de M. Martelly. Elles s’investissent en lui négativement. Comme, d’ailleurs, le peuple des rues qui a voté pour lui. Ce peuple avoue vouloir prendre sa chance avec un « vagabond », après la faillite des élites traditionnelles. Il a fait de son « vagabond » un président. Ce dernier devra donc nous éblouir. Nous surprendre. Nous émouvoir par ses grandes réalisations. Il doit marquer la rupture, notamment par rapport au président sortant. L’ivresse de la victoire et la griserie du pouvoir ne devront lui faire oublier qu’il a eu la faveur d’à peine 16% de l’électorat. Se faire élire par seulement 700 mille électeurs sur un électorat de plus de 4 millions, avec un taux d’abstention de 70 % dans un pays de près de 10 millions d’habitants, c’est inaugurer son mandat avec un déficit certain de légitimité et d’assise populaires. La mission de Martelly sera avant tout de rassembler le pays, de le réconcilier avec lui-même, et de nous montrer qu’un Chef d’État sommeillait en Sweet Micky.
D.V.

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