lundi 20 mars 2017

LES CENTRES DE CROISSANCE-DEVELOPPEMENT

Les centres de croissance-développement
Bernard Ethéart
Lundi 20 mars 2017

Dans la série que j’ai entamée il y a maintenant six semaines, j’ai par deux fois abordé le thème des fonctions de l’agriculture et chaque fois j’en ai retenu deux :
-          la production alimentaire pour satisfaire aux besoins de la population,
-          la création d’emplois pour la population des zones rurales (voir Quelques exemples, HEM Vol 31 # 08 du 08-14/03/2017 et Le virage, HEM Vol. 31 # 09 du 15 au 21/03/2017).
Il en est cependant une autre, que l’on ne saurait oublier, car elle est de la plus haute importance pour le développement économique, c’est la fonction de production de matière première pour l’industrie. On ne saurait l’oublier, en effet, puisque durant la période coloniale, ce n’est pas le fait de faire pousser de la canne, mais bien la transformation du jus de la canne en sucre qui a fait la fortune sinon de la colonie dans son ensemble, au moins des propriétaires de moulins et surtout des négociants français.
Sans vouloir trop nous étendre sur le sujet, rappelons que la transformation industrielle du jus de la canne a disparu dans la tourmente révolutionnaire et a laissé la place à des pratiques artisanales de production de sirop, de rapadou et de clairin. Durant le dernier quart du 19ème on verra réapparaitre les petites usines sucrières qui seront éliminées par la grande centrale sucrière à partir de l’occupation.
Je me fais violence pour arrêter à ce point car, quand il s’agit de la transformation de la canne-à-sucre je peux devenir intarissable. Dans notre histoire, nous avons connu deux autres produits de notre agriculture qui ont été matière première industrielle, mais cette fois pas pour l’agro-industrie. Je pense à la pite et au caoutchouc.
L’histoire de la pite commence avec l’occupation, quand l’État Haïtien encouragea l’installation d’une entreprise de production de pite dans la partie Est de la vaste Plaine du Nord en mettant à sa disposition une vaste étendue de terre. Ce fut un énorme succès ; la Plantation Dauphin était la plus grande exploitation de pite au monde. Une trentaine d’années plus tard, la pite ne présentait plus le même intérêt et Dauphin fut tout simplement fermé.
Pour le caoutchouc je suis moins bien informé. Je sais que la plantation de « kòn kabrit » fut présentée, sous la Présidence d’Élie Lescot comme la participation d’Haïti à « l’effort de guerre », que, comme pour la pite, elle a été la cause de grandes injustices vis-à-vis des paysans dont les terres furent confisquées, mais en 1946 la guerre était finie et les plantations indonésiennes de caoutchouc, que les Japonais avaient pratiquement confisquées, étaient de nouveau accessibles, donc plus besoin de caoutchouc haïtien.
On aura remarqué que dans les trois cas que nous venons de voir, il y a deux caractéristiques qui rappellent beaucoup ce qu’on nous fait miroiter comme « la formule » : les capitaux viennent de l’extérieur et le marché ciblé est aussi situé à l’extérieur. Cela fait penser à la fameuse phrase « Haiti is open for business » qui s’adresse aux tenants des capitaux ; cela rappelle aussi le principe des avantages comparatifs dont la proximité du grand marché nord-américain. Mais cela doit aussi nous rappeler les dangers que nous fait courir une telle dépendance.
Ce sont toutes ces considérations qui nous invitent à faire certains choix quand nous parlons de développer un secteur industriel à partir de matières premières venant de l’agriculture.
Un premier choix consiste à donner la priorité à l’agro-industrie, car, encore une fois, n’oublions pas que nous avons une population à nourrir. Un second choix est celui de mettre sur pied des entreprises de transformation, certes modernes, mais d’une taille et d’un niveau de complexité gérable à notre niveau. Un troisième choix est évidemment de viser, en premier lieu, le marché local.
On me permettra de faire un retour en arrière et de rappeler le Plaidoyer pour la refondation de l’État d’Haïti selon une vision haïtienne publié par la FONHDILAC (Fondation Haïtienne pour le Développement Intégral Latino-Américain et Caraïbéen) quelque trois semaines après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Nous y avions proposé au niveau de chaque arrondissement  ce que nous avons appelé un centre de croissance-développement qui serait doté d’équipements dans les domaines :
·         de l’éducation : écoles, lycées voire universités ;
·         de la santé : centres de soins d’urgence, dispensaires, hôpitaux ;
·         de l’approvisionnement en services de base : eau, énergie, communication ;
·         de l’administration publique : complexes administratifs dignes de ce nom, de manière à ce qu’on ne soit pas obligé de se rendre à Port-au-Prince pour la moindre démarche ...
Mais, il ne s’agissait pas de s’arrêter aux équipements car « pour nous, l’important est le développement des filières agricoles ». Nous ne nous sommes, à l’époque, pas étendus sur ce point, mais l’idée était que, à partir de l’identification des ressources au niveau de chacun de chaque arrondissement, des efforts seraient entrepris pour lancer des activités autour de leur exploitation (production et transformation).
C’est ce qui explique que, quand le PNUD entreprit d’organiser, avec le Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI), une série d’ateliers (un dans chaque département, sauf l’Ouest qui en a eu deux) pour l’identification et la systématisation des produits locaux dans une perspective d’amélioration de la qualité et de la commercialisation de ceux-ci, la FONHDILAC ne pouvait rester indifférente. L’identification des ressources locales est en effet le point de départ d’un centre de croissance-développement ; nous avons donc participé au programme en assurant la logistique, soit en tant que FONHDILAC, pour l’atelier du Nord-Est, à Fort Liberté, soit à travers une institution membre de la FONHDILAC : Hydrotech pour l’atelier du Centre, à Hinche, CEHPAPE et FONDTAH pour les ateliers de l’Ouest, à Petit Goâve et à Port-au-Prince (voir Identification et Systématisation des Produits Locaux, HEM Vol. 26 # 50 du 02-08/01/2013).



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour Gérald Mathurin : Pourquoi tombent les feuilles?

  Pour Gérald Mathurin : Pourquoi tombent les feuilles? Hugues Joseph J'ai repris ce texte Publié le 2018-03-12  par  Le Nouvelliste. Je...