vendredi 26 août 2011

Subvention des livres scolaires en Haïti : quelle stratégie et quelle méthode?



Daniel Altiné

25 août 2011


Depuis une douzaine d’années, l’État haïtien, à travers le Ministère de l’Éducation Nationale, subventionne, au début de chaque année académique, des livres scolaires en vue de réduire le fardeau des parents et d’améliorer les chances pour des milliers d’enfants de pouvoir aller à l’école ou continuer leur scolarisation.



La pertinence d’un tel programme, par rapport à l’objectif poursuivi et aux besoins, est évidente et n’est pas à démontrer. Nous croyons, cependant, dans un contexte où entre 500,000 et 750,000 enfants d’âge scolaire n’ont pas accès à l’école, où les besoins sont immenses en termes de services sociaux de base (éducation, santé, logement, eau potable, assainissement, etc.), où les ressources publiques sont de plus en plus rares, et où le Président de la République veut instaurer l’éducation universelle gratuite, qu’il y a lieu de questionner la méthode sous-jacente à la pratique actuelle de subvention d’ouvrages scolaires, et de se pencher sur l’efficacité de ce programme.



Du programme actuel de subvention des livres scolaires



La subvention d’ouvrages scolaires, telle qu’elle est pratiquée actuellement, est faite selon une approche DÉPENSE et non d’INVESTISSEMENT. Selon l’approche DÉPENSE, le livre est considéré comme une charge annuelle. Chaque année, l’État haïtien budgétise et dépense des centaines de millions de gourdes pour permettre aux parents d’acheter des livres éligibles moins chers pour leurs enfants. La subvention peut atteindre jusqu’à 75% du prix du manuel. Depuis les débuts, à la fin des années 1990, ce programme n’a pas couvert annuellement 50% des millions d’enfants du niveau primaire. A la fin de chaque année, on fait les comptes, on efface le tableau et on recommence à zéro, sans capitaliser, c’est-à-dire sans permettre à ce que les livres ainsi subventionnés au cours d’une année donnée servent à d’autres enfants les années suivantes.



Avec cette approche, si l’État veut augmenter le taux de couverture, il faudrait augmenter l’effort nécessaire, chaque année, sans la garantie que le résultat sera atteint. C’est un trou sans fond. Cette approche fait l’affaire des éditeurs qui font leur beurre, et voient l’occasion d’augmenter leurs chiffres d’affaires et leurs bénéfices annuels, ainsi que des fonctionnaires corrompus qui y voient l’occasion d’augmenter leurs commissions. Dans un contexte de ressources publiques rares, l’on comprend très bien qu’il n’y aura jamais assez d’argent, avec une telle approche, pour envoyer tous nos enfants à l’école.



De l’approche Investissement de subvention des livres scolaires



Selon l’approche INVESTISSEMENT, le livre est considéré comme un bien, un « capital stock », avec une durée de vie, qui sera amorti dans le temps. Le livre est acquis par l’État haïtien et distribué aux Écoles Accréditées, sur tout le territoire national, faisant partie du Programme. Le livre sera prêté à l’élève par son école, sur une base annuelle, moyennant une somme modique (par exemple, 15 – 25 gourdes pour l’année), nécessaire pour l’amortissement du livre et son remplacement. Le livre est remis à l’école à la fin de l’année académique et peut servir à un autre élève pour l’année suivante, avec un minimum d’entretien (notamment la reliure). En cas de perte seulement, l’élève devra payer une pénalité, soit le coût de rachat du livre. La durée de vie peut varier, dépendamment des spécifications relatives à la reliure et de l’entretien. Avec une durée de vie de cinq ans, un livre donné aurait servi à former cinq enfants, au cours de cette période.



Aux Gonaïves, mes condisciples du Collège Immaculée Conception (CIC), dirigé par les Clercs de St-Viateur, et moi-même avions bénéficié, au début des années 70, d’un système de prêt de livres de la 6ème secondaire à la classe de Rétho, ce qui a permis de maintenir les coûts scolaires à un niveau supportable pour les parents.



Selon l’approche INVESTISSEMENT, l’État haïtien veillerait, de façon stratégique et méthodique, à :



établir, de concert avec les partenaires en éducation, des listes de livres standards à acquérir, pour chacune des années d’enseignement fondamental, dans le cadre du programme académique appliqué à l’échelle national. Ces livres seraient utilisés dans toutes les écoles et les maîtres seraient formés en conséquence ;
acquérir des éditeurs nationaux les livres figurant sur les listes standards ;
distribuer les livres aux écoles accréditées ;
établir les règles pour un système de prêt aux élèves ;
diriger les élèves vers les écoles accréditées, s’ils veulent bénéficier du système de prêt ;
faire exigence aux écoles de maintenir un système d’entretien et une capacité de reliure des livres. Ce qui permettrait de développer un nouveau métier (celui de relieur) et de créer des emplois ;
instaurer un système de reddition de compte par les écoles, moyennant le « reporting », l’inspection et le contrôle des livres distribués.


Après l’investissement initial, l’État haïtien programmerait des achats annuels de livres en vue de : 1) remplacer les livres amortis ; et 2) augmenter ou développer le stock de livres ; afin de permettre d’assurer la couverture et de maintenir la capacité du système à continuer à desservir les besoins des élèves entrants.



De l’efficience et de l’efficacité de l’approche Investissement de subvention des livres scolaires



En contexte de rareté des ressources, une gestion est dite optimale si l’on acquiert les ressources de façon économique et qu’on les gère avec efficacité et efficience. L’acquisition des livres de façon économique commande que l’État rationalise, moyennant l’établissement de listes de livres standards appliquées par toutes les écoles dans le cadre d’un programme académique standard national, de spécifications relatives à l’édition des livres, et d’un processus de passation de marchés publics transparents devant permettre de créer de la valeur pour le système éducatif.



L’instauration d’un système de prêt de livres aux élèves augmentera la rentabilité économique et sociale des livres. Ainsi, le système permettra de couvrir et d’instruire plus d’élèves avec les ressources disponibles, et sera donc plus efficace.



Même considération pour les uniformes



Il n’y a aucune raison pour qu’en Haïti, pays au faible pouvoir d’achat, chaque école ait son uniforme. Cette approche différenciée coûte cher aux parents et à la société. Dans certains pays, les écoles ont le même uniforme, et la différenciation est faite au moyen d’un écusson détachable, représentant une école donnée.



Le premier avantage d’un tel système est de permettre la fabrication en série des uniformes scolaires, avec un impact considérable sur leur coût de fabrication, mais surtout de développer la capacité et l’expérience de petites et moyennes entreprises dans la fabrication en série. Un élève, en grandissant, peut laisser son uniforme à son école, pour servir à un plus jeune. De cette façon, et encore plus si les uniformes sont subventionnés, la rentabilité sociale des uniformes se retrouverait augmentée.



En guise de conclusion



En Haïti, nous avons tendance, quand il s’agit d’aborder la problématique de l’éducation, encore plus depuis que l’on considère l’éducation universelle gratuite, à en faire d’abord une question de moyens financiers, au lieu de gestion et de bon sens. Nous croyons que le pays peut disposer de plusieurs milliards par année et ne pas être en mesure de scolariser plus d’enfants, avec le déficit que l’on connaît de 500,000 à 750,000. Nous croyons que, plus qu’une question de moyens, il s’agit plutôt de stratégie, de créativité, de méthode et de rationalité, par rapport au problème posé : « Comment envoyer plus d’enfants à l’école avec des ressources désespérément rares et limitées ? ».



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