lundi 1 août 2011

La crise idéologique du capitalisme occidental

La crise idéologique du capitalisme occidental
www.lecercle.lesechos.fr
Par Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d'Economie
Wednesday, July 27, 2011 2:03 PM

Les problèmes de l'économie américaine auraient dû apprendre aux Américains (et à d'autres) qu'il faut plus d'égalité, plus de régulation et un meilleur équilibre entre le marché et l'Etat. Au lieu de cela, les économistes néolibéraux menacent à nouveau l'économie mondiale, et au minimum l'Europe et les Etats-Unis.

NEW-YORK – Il y a seulement quelques années, une idéologie à la mode - la croyance dans l'efficacité de l'économie de marché libre de toute entrave - a mené la planète au bord de la ruine. Même à son apogée, entre le début des années 1980 et 2007, le capitalisme américain orienté vers la dérégulation n'a permis qu'à une poignée de gens, les plus fortunés du pays le plus riche de la planète, de s'enrichir encore davantage. En réalité, durant les 30 ans de montée en puissance de cette idéologie, année après année, le revenu de la grande majorité des Américains a stagné ou baissé.
La croissance de l'économie américaine n'avait pas de caractère durable. Elle ne pouvait se prolonger qu'au moyen d'une consommation financée par une montagne de dettes toujours croissante, une grande partie du revenu national bénéficiant uniquement à une petite minorité.

Je faisais partie de ceux qui espéraient que la crise financière apprendrait aux Américains et à d'autres une leçon sur la nécessité de plus d'égalité, plus de régulation et un meilleur équilibre entre le marché et l'Etat. Malheureusement cela n'a pas été le cas. Bien au contraire, une résurgence des idées économiques de droite, suscitée comme toujours par des considérations idéologiques et la défense d'intérêts particuliers, menace à nouveau l'économie mondiale - ou à tout le moins l'économie de l'Europe et de l'Amérique où ces idées continuent à prospérer.

Aux USA, cette résurgence droitière qui nie les lois fondamentales des mathématiques et de l'économie menace d'entraîner le pays à la faillite. Si le Congrès décide de dépenses qui dépassent les revenus, le budget connaîtra un déficit, un déficit qu'il faudra financer. Plutôt que de comparer les programmes de dépenses publiques avec le coût d'une hausse d'impôt pour les financer, la droite veut agir sans discernement. Refuser toute hausse de la dette publique contraint à financer les dépenses exclusivement par la fiscalité.

Cela ne répond pas à la question de savoir quelles dépenses doivent être prioritaires. Si le payement des intérêts de la dette publique ne l'est pas, un défaut est inévitable. Par ailleurs une baisse des dépenses en ce moment, en pleine crise due à une idéologie qui soutient aveuglement l'économie de marché, va prolonger le ralentissement.

Il y a 10 ans, au milieu d'un boom économique, les USA avaient un tel excédent qu'il pouvait pratiquement combler la dette publique. Des réductions d'impôt et des guerres inappropriées, une récession majeure et la hausse des dépenses de santé publique (alimentées en partie par l'administration Bush qui voulait donner toute liberté à l'industrie pharmaceutique pour fixer les prix, alors que l'argent public était en jeu) a rapidement transformé un large excédent en un déficit record en temps de paix.
Cette situation indique comment remédier au déficit américain : il faut remettre le pays au travail en stimulant l'économie, mettre fin à des guerres stupides, limiter les dépenses militaires, brider le prix des médicaments et enfin augmenter les impôts, au moins pour les plus riches. Mais la droite ne veut rien de tout çà et réclame au contraire davantage de baisses d'impôt pour les entreprises et les contribuables les plus riches, ainsi qu'une baisse des dépenses d'investissement et de protection sociale, ce qui mettrait en danger l'avenir de l'économie américaine et réduirait à rien ce qui reste du contrat social. En même temps le secteur financier américain exerce un maximum de pression pour échapper à toute réglementation, de manière à revenir à la situation antérieure alors même qu'elle conduit au désastre.
La situation est à peine meilleure en Europe. Alors que la Grèce et d'autres pays de l'UE sont confrontés à une crise de la dette, la solution en vogue consiste simplement à les pousser à adopter des mesures d'austérité et de privatisation auxquelles on a tant eu recours dans le passé, avec pour seul effet de rendre les pays concernés plus pauvres et plus vulnérables. Cette politique a échoué en Asie de l'Est, en Amérique latine et ailleurs et elle échouera aussi en Europe - d'ailleurs elle a déjà échoué en Irlande, en Lettonie et en Grèce.

Il existe une alternative : une stratégie de croissance soutenue par l'UE et le FMI. La croissance donnerait l'espoir que la Grèce remboursera sa dette, de ce fait les taux d'intérêt baisseront et l’Etat aura plus de latitude pour faire des investissements stimulant la croissance. La croissance en elle-même accroît les revenus fiscaux et réduit les dépenses sociales telles que les indemnités de chômage. Et la confiance retrouvée dope encore davantage la croissance.
Malheureusement les marchés financiers et les économistes de droite prennent le problème à l'envers : ils croient que l'austérité va générer la confiance et que la confiance va générer la croissance. En réalité l'austérité mine la croissance, ce qui affaiblit la position budgétaire de l’Etat ou à tout le moins se traduit par une amélioration bien moindre que celle promise par les partisans de l'austérité. Quoi qu'il en soit, la confiance est ébranlée, ce qui met en mouvement une spirale descendante.

Avons-nous besoin d'une autre expérience qui sera chère payée si nous appliquons des idées qui ont déjà échoué à de multiples reprises ? Si l'Europe ou les USA ne parviennent pas à restaurer une croissance saine, cela aura des conséquences négatives pour toute l'économie mondiale. Si les deux échouent ce sera désastreux - même si les principaux pays émergents atteignent une croissance durable. Malheureusement si la sagesse ne l'emporte pas, c'est la direction vers laquelle se dirige le monde.-

Copyright: Project Syndicate, 2011.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz


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The Ideological Crisis of Western Capitalism
The US economy's troubles should have taught Americans (and others) that they need greater equality,stronger regulation, and a better balance between the market and government. Instead, resurgent right-wing economics once again threatens the global economy – or at least Europe and America.

NEW YORK – Just a few years ago, a powerful ideology – the belief in free and unfettered markets – brought the world to the brink of ruin. Even in its hey-day, from the early 1980’s until 2007, American-style deregulated capitalism brought greater material well-being only to the very richest in the richest country of the world. Indeed, over the course of this ideology’s 30-year ascendance, most Americans saw their incomes decline or stagnate year after year.

Moreover, output growth in the United States was not economically sustainable. With so much of US national income going to so few, growth could continue only through consumption financed by a mounting pile of debt.

I was among those who hoped that, somehow, the financial crisis would teach Americans (and others) a lesson about the need for greater equality, stronger regulation, and a better balance between the market and government. Alas, that has not been the case. On the contrary, a resurgence of right-wing economics, driven, as always, by ideology and special interests, once again threatens the global economy – or at least the economies of Europe and America, where these ideas continue to flourish.

In the US, this right-wing resurgence, whose adherents evidently seek to repeal the basic laws of math and economics, is threatening to force a default on the national debt. If Congress mandates expenditures that exceed revenues, there will be a deficit, and that deficit has to be financed. Rather than carefully balancing the benefits of each government expenditure program with the costs of raising taxes to finance those benefits, the right seeks to use a sledgehammer – not allowing the national debt to increase forces expenditures to be limited to taxes.

This leaves open the question of which expenditures get priority – and if expenditures to pay interest on the national debt do not, a default is inevitable. Moreover, to cut back expenditures now, in the midst of an ongoing crisis brought on by free-market ideology, would inevitably simply prolong the downturn.

A decade ago, in the midst of an economic boom, the US faced a surplus so large that it threatened to eliminate the national debt. Unaffordable tax cuts and wars, a major recession, and soaring health-care costs – fueled in part by the commitment of George W. Bush’s administration to giving drug companies free rein in setting prices, even with government money at stake – quickly transformed a huge surplus into record peacetime deficits.

The remedies to the US deficit follow immediately from this diagnosis: put America back to work by stimulating the economy; end the mindless wars; rein in military and drug costs; and raise taxes, at least on the very rich. But the right will have none of this, and instead is pushing for even more tax cuts for corporations and the wealthy, together with expenditure cuts in investments and social protection that put the future of the US economy in peril and that shred what remains of the social contract. Meanwhile, the US financial sector has been lobbying hard to free itself of regulations, so that it can return to its previous, disastrously carefree, ways.

But matters are little better in Europe. As Greece and others face crises, the medicine du jour is simply timeworn austerity packages and privatization, which will merely leave the countries that embrace them poorer and more vulnerable. This medicine failed in East Asia, Latin America, and elsewhere, and it will fail in Europe this time around, too. Indeed, it has already failed in Ireland, Latvia, and Greece.

There is an alternative: an economic-growth strategy supported by the European Union and the International Monetary Fund. Growth would restore confidence that Greece could repay its debts, causing interest rates to fall and leaving more fiscal room for further growth-enhancing investments. Growth itself increases tax revenues and reduces the need for social expenditures, such as unemployment benefits. And the confidence that this engenders leads to still further growth.

Regrettably, the financial markets and right-wing economists have gotten the problem exactly backwards: they believe that austerity produces confidence, and that confidence will produce growth. But austerity undermines growth, worsening the government’s fiscal position, or at least yielding less improvement than austerity’s advocates promise. On both counts, confidence is undermined, and a downward spiral is set in motion.

Do we really need another costly experiment with ideas that have failed repeatedly? We shouldn’t, but increasingly it appears that we will have to endure another one nonetheless. A failure of either Europe or the US to return to robust growth would be bad for the global economy. A failure in both would be disastrous – even if the major emerging-market countries have attained self-sustaining growth. Unfortunately, unless wiser heads prevail, that is the way the world is heading.

Joseph_E_Stiglitz

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