mercredi 9 octobre 2013

A la Fed, Janet Yellen va donner le tempo de l'économie


A la Fed, Janet Yellen va donner le tempo de l'économie

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Janet Yellen à l'Université de Berkeley, en novembre 2012.
(New York, correspondant). C'était en juin 2007, lors de la réunion des gouverneurs de la banque centrale américaine (Fed). Son président, Ben Bernanke, après un exposé sur la situation globale, conclut : "L'économie semble en bonne santé", selon les minutes de la réunion.

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Une petite femme à la chevelure argentée prend alors la parole d'une voix calme mais déterminée : "Je sens tout de même la présence d'un gorille de 600 livresdans la pièce et il s'agit du secteur immobilier, ose-t-elle. Le risque d'une détérioration significative du marché immobilier, avec des prix des logements en chute et des défaillances sur les prêts, est en train de s'amplifier et cela me cause une angoisse considérable."

Quelques semaines plus tard, les angoisses de Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale de San Francisco, allaient se concrétiser. Au cours de l'été 2007, la crise des subprimes, ces prêts hypothécaires à risques, déclenchait des effets en cascade qui allaient déboucher sur la plus grande dépression mondiale depuis les années 1930.

Forte augmentation du bilan de la réserve fédérale américaine sous Bernanke
LA MÉMOIRE DU CHÔMAGE DE MASSE

Désormais, Janet Yellen ne va plus se contenter de jouer les vigies. C'est elle qui, à 67 ans, sera aux commandes en devenant la première femme présidente de la Fed, l'un des postes les plus influents au monde. C'est elle qui désormais vaorienter la politique monétaire des Etats-Unis et donner ainsi le tempo au reste de l'économie mondiale.
Tout s'est joué il y a quelques semaines, lorsque Lawrence Summers, grand favori pour succéder à Ben Bernanke, a jeté l'éponge devant la bronca des parlementaires démocrates et la mobilisation de centaines d'économistes.
Tous reprochaient à l'ex-conseiller de Bill Clinton ses liens avec Wall Street, et surtout d'avoir été l'un des artisans de l'abrogation de la loi Glass-Steagall de 1933 qui obligeait les banques à séparer leurs activités d'investissement de leurs activités de banque commerciale. Une décision considérée comme ayant été l'un des facteurs qui ont précipité la crise financière de 2008. Pendant les dernières semaines de cette campagne, Janet Yellen était soudain parée de toutes les vertus : compétence, clairvoyance, indépendance.

PARCOURS ACADÉMIQUE IDÉAL
Mais certains, qui poussaient il y a quelques jours encore des cris d'orfraie devant la perspective de voir Larry Summers accéder à la présidence de la Fed, devraientrelire une interview accordée par Janet Yellen en juin 1995 à The Regionle magazine de la Réserve fédérale de Minneapolis, dans laquelle elle affirmait que les effets de cette réforme de la loi Glass-Steagall n'étaient pas "particulièrement risqués" et qu'elle "aurait des avantages à la fois pour l'industrie et pour les consommateurs"...

Dix mois plus tard, lors de son audition devant le Sénat américain, alors qu'elle s'apprêtait à succéder à Joseph Stiglitz à la présidence du Conseil économique sous Bill Clinton, elle rééditait son plaidoyer pour l'abrogation. Les plus indulgents diront, qu'à l'inverse de Summers, ce n'était pas une conviction de sa part, mais qu'elle a juste cédé à l'effet de mode de la dérégulation. Toujours est-il que les choses sont sûrement un peu plus compliquées que le parcours linéaire de Janet Yellen ne le laisse penser.
Ce parcours commence à New York dans le quartier de Brooklyn. Son père est médecin et sa mère, institutrice. Tous deux ont vécu la Grande dépression des années 1930. La mémoire du chômage de masse et de ses ravages fera toujours partie de l'inconscient familial et de l'éducation qu'elle a pu recevoir. Après un parcours scolaire sans faute, elle sort major en économie de l'université de Brown (Rhode Island), en 1967, avant de se lancer dans un doctorat à Yale (1971). LePrix Nobel d'économie Joseph Stiglitz affirme qu'en 47 ans d'enseignement, Janet Yellen a été l'une de ses meilleures élèves.

Sans surprise, elle se spécialise sur le chômage : ses causes, ses mécanismes et ses implications. A la sortie de Yale, elle entre à la Fed comme économiste. C'est là qu'elle rencontre son mari, George Akerlof, un représentant du nouveau keynésianisme et prix Nobel d'économie en 2001, partagé avec Michael Spence et Joseph Stiglitz, surtout connu pour sa critique de la rationalité des marchés. "Je travaillais dans la branche finance internationale, il travaillait au département recherche et statistiques. Nous nous sommes parlés lors d'un déjeuner après un séminaire", raconte-t-elle.

Ce romantisme d'économiste donne naissance à une histoire fusionnelle, notamment sur le plan intellectuel. Tandis qu'elle enseigne à Harvard et à la London School of Economics, afin de devenir, à partir de 1980, faculty member à Berkeley, ils mènent leurs travaux de recherche ensemble. Ceux sur la rigidité des salaires et des prix connaissent le plus d'audience. Au début des années 1990, Janet Yellen travaille sur les conséquences économiques de la réunification allemande.

Ce parcours idéal sur le plan académique s'étoffe encore quand, en 1994, elle entre au Conseil des gouverneurs de la Fed. Loin de se laisser intimider par le prestige de l'institution, la présidente de la Réserve de San Francisco n'hésite pas d'emblée à casser certains codes. Ainsi, il n'est pas rare de la voir déjeuner à la cafétéria avec le personnel de la Banque centrale américaine.

"C'est un bon moyen d'apprendre à quoi les gens pensent, de savoir ce qu'ils ont à l'esprit. J'adore ces échanges", explique-t-elle quelques mois après sa nomination. Tous ceux qui l'ont approché ont été frappés par sa simplicité, son accessibilité et son sens du contact. On dit qu'elle a le rire facile. Mais, en même temps, il se dégage d'elle un mélange de fermeté et de douceur, qui pose le personnage.

ADEPTE DE LA TRANSPARENCE
Loin de l'image arrogante de son rival pour la présidence de la Fed, Larry Summers, Janet Yellen aspire à une vie simple. Passionnée de randonnée et detennis, elle adore cuisiner des plats exotiques. Elle s'accorde de temps en temps quelques vacances avec son mari et son fils Robert à la mer. On dit qu'elle ne met pas les pieds dans l'eau et préfère lire des ouvrages d'économie sur la plage.
A la Fed, elle a la réputation d'être méticuleuse et analytique. "Je ne veux pas seulement me contenter de la conclusion (...) Est-ce que l'inflation est sur la bonne voie ? Est-ce que les modèles fonctionnent ? Pourquoi le dollar baisse ? Quels sont les risques ? Et j'échange beaucoup avec les équipes qui m'entourent. C'est l'aspect de mon travail que je préfère", explique-t-elle. Cette capacité àdécortiquer les chiffres et leurs implications n'avait pas laissé insensible Alan Greenspan, le prédécesseur de Bernanke.

"Je l'écoutais avec d'autant plus d'attention qu'elle articulait ses positions d'une façon analytique. Les intuitions ne servent pas à grand-chose. Les conversations avec Janet et ses présentations étaient basées sur du factuel et avaient toujours toute mon attention ", avait déclaré Alan Greenspan, dans une interview à la fin des années 2000.

Malgré cet hommage, Janet Yellen n'a jamais manqué de courage pour aller à contre-courant de l'ex-président de la Fed, qui pourtant n'avait pas l'habitude de sefaire contrarier. En septembre 1996, Larry Meyer, qui était à l'époque au conseil des gouverneurs en même que Janet Yellen, se souvient d'être un jour entré avec elle dans le bureau d'Alan Greenspan pour convaincre ce dernier de relever les taux, estimant qu'il pouvait y avoir des risques inflationnistes. "Il a juste souri et n'a pas dit un mot. Après un silence gênant, nous nous sommes dit au revoir. Inutile de dire que nous n'avons pas obtenu gain de cause", raconte-t-il sur le blog Macroadvisers.

Plus important que les conversations avec le personnel à la cafétéria de la Fed, elle a secoué l'institution de façon déterminante récemment, lorsqu'elle a recommandé plus de transparence dans la politique monétaire. Pour la première fois en janvier 2012, la Fed annonçait des objectifs chiffrés d'inflation et de chômage.

"J'espère et j'ai confiance dans le fait que l'époque du "n'expliquer jamais et ne s'excuser jamais" est finie pour de bon", commentait-elle devant la Society of American Business Editors and Writers, en avril. Une transparence qu'aujourd'hui certains critiquent, estimant que la Fed s'est liée les mains en se fixant des objectifs trop précis.

Comment va-t-elle réussir à arrêter la planche à billet que Ben Bernanke a mis en marche sans pour autant casser le semblant de croissance actuelle ? C'est toute la question de son mandat. Une chose est sûre : au sein du Conseil des gouverneurs, elle est considérée comme une "colombe ", avant tout préoccupée par l'emploi plutôt que par l'inflation. Les chômeurs "ne sont pas pour moi seulement des statistiques", déclarait-elle le 11 février, lors d'une conférence de la confédération syndicale américaine AFL-CIO.

"Le coût est simplement terrible pour les salariés, sur le plan mental et la santéphysique, sur leur mariage et leurs enfants." Une préoccupation qui n'est pas du goût de tous les gouverneurs de la Fed. D'autres critiquent son parcours. "Janet Yellen est un pur produit du système académique, juge un banquier d'affaires new-yorkais. Or, rien ne remplace l'expérience de l'économie réelle. Cela permet de développer l'intuition, qui parfois permet de sentir des choses que la théorie et les statistiques ne montrent pas."

Pourtant, récemment, le Wall Street Journal a décortiqué plus de 700 prévisions sur l'économie et l'inflation, de 2009 à 2012, faites par quatorze présidents de Réserve fédérale. Janet Yellen est celle qui a été la plus pertinente.

L'anticipation est importante, mais, à la présidence de la Fed, elle sera jugée sur sa capacité àdécider. Joseph Stiglitz loue sa "capacité à forger du consensus" grâce à son écoute. Elle ne sera en tout cas pas de trop pour explorer la terra incognita que Ben Bernanke lui laisse en héritage.

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