vendredi 18 mai 2012

HAITI:MON BREF PASSAGE AU MCC


"Dans cet ordre d'idées, devenir le ministre de la Culture et de la Communication (MCC) de cette superstar qui a fasciné et choqué à la fois le pays tout entier était sinon une gageure du moins un défi angoissant, au sein d'un gouvernement sans majorité parlementaire."Pierre-Raymond Dumas (Le Nouvelliste http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=105126)


Haïti: Mon bref passage au MCC
PIERRE RAYMOND DUMAS

Dans les années 1990 - 2000, Michel Joseph Martelly alias «Sweet Micky» était un musicien culte, hypermédiatisé, provocateur, en somme un musicien à succès. Ses méga hits («Pa manyen fam nan», «Ou la la», «Dènye Okazyon», «Kompa forêt des pins», «Se ou mwen vle», «Grenadier», « I don't care», «Kè m sere», «Bandi legal», etc.), dus à une puissance de séduction indéniable, avaient fait de lui le président «autoproclamé» du Konpa Direk, jamais contesté ni par ses pairs ni par le public. En détruisant des carcans et des stéréotypes, le simple nom de la vedette résonnait comme un mot de passe ou un signe d'allégresse de toute une génération : post fanatiques de Zèklè et de Carribean Sextet, férus de bals revivifiants ou de festivals internationaux et de soirées époustouflantes (Garage, Hôtel El Rancho, Le Florville), amateurs de polémiques carnavalesques sulfureuses.

Dans cet ordre d'idées, devenir le ministre de la Culture et de la Communication (MCC) de cette superstar qui a fasciné et choqué à la fois le pays tout entier était sinon une gageure du moins un défi angoissant, au sein d'un gouvernement sans majorité parlementaire. Evaluer et plus encore juger d'un point de vue strictement politique ou personnel mon bref passage à la tête du MCC sous la présidence de Michel Joseph Martelly est un exercice des plus instructifs, à la limite même enrichissant. Non, je ne regrette rien. Non, aucun remords. Le grand historien français Fernand Braudel s'exclamait : «Vive l'expérience !» Oui, c'est ça. Et par souci d'élégance et d'honnêteté, il faut donc commencer par un point fondamental. 



Un honneur
Ce fut pour moi un honneur et un privilège de travailler avec un président aussi fougueux et direct qui s'est toujours montré très courtois et respectueux à mon endroit ainsi que le Premier ministre Garry Conille dont le calme et la voix mesurée inspiraient confiance et respect. 



Composé de conseillers et de collaborateurs laborieux, l'entourage immédiat du Chef de l'Etat m'a toujours témoigné de la plus entière attention. Pour leurs qualifications et leurs vertus citoyennes, je veux citer en toute franchise la Première Dame Sophia Martelly, Thierry Mayard-Paul, Grégory Mayard-Paul, Anne Valérie Milfort, Jean-Renel Sanon, Salim Soukar, Patrick Rouzier, Pierre Pompée, Yves Germain Joseph ... Ce fut pour moi une chance exceptionnelle, cette expérience fulgurante mais riche en leçons et en connaissance de tous genres.  



Pour ce qui est de l'expression basique de mon installation comme ministre le 12 décembre 2011, je crois que les influents sénateurs Joseph Lambert et Kély C. Bastien, le député Levaillant Louis Jeune, les anciens ministres Gérald Germain et Jean Molière de la plate forme INITE, bref le G-16 et le GPR savent mieux ce que je tente d'exprimer en toute franchise. A eux tous et à d'autres citoyens, comme Patrick Moussignac, Hervé Lerouge, Roro Nelson, Rony Gilot, Luc Mertyl, Baby Saint-Rémy, Grégory Mayard-Paul, Valéry Numa, pour ne citer que ceux-là. 
Je leur dois toute ma gratitude pour m'avoir appuyé tout au long du processus de désignation. Comment ne pas les remercier vivement pour la confiance qu'ils avaient placée en moi en reconnaissant et, à bien des égards, en récompensant la valeur positive de ma longue et tenace carrière professionnelle vouée à la promotion de notre culture et à l'enrichissement du débat démocratique ? 



Cet hommage public est avant tout un signe de profonde gratitude à l'endroit du président Michel Joseph Martelly qui encourageait sans cesse ses ministres à prendre des initiatives bondissantes, audacieuses, à agir de façon constructive. Car le rythme de la politique n'est pas d'une seule coulée, il est comme saccadé. Ceci est peut-être moins connu, et c'est pourquoi j'insiste.

Une source de connaissances
Pour moi, journaliste de carrière, professeur, critique d'art, analyste politique, auteur de plus d'une vingtaine d'ouvrages, mon bref passage au MCC a été une source jaillissante de réflexions et d'approfondissement de mes connaissances des hommes et de notre milieu. Une période à la fois éprouvante et stimulante en termes politiques, institutionnels, culturels, sociologiques, diplomatiques, parlementaires, etc. Tout un programme, un choix de vie. 

Qu'il s'agisse des rapports déroutants entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, entre la presse et la présidence, je me suis retrouvé en face d'un nombre effarant de problématiques et d'acteurs coriaces, évoluant dans un environnement instable et confus, sans certitudes ni balises. Certains parlementaires incarnent à mes yeux des modèles de responsabilité et de modération. Je pense aux présidents des deux Chambres: Simon D. Desras et Levaillant Louis-Jeune. 
Il en est de même avec Carlos Lebon, Lucas Saint-vil, Ogline Pierre, Joseph Lambert, Edmonde S.Beauzile, Youri Latortue, Jean-Baptiste Bien-Aimé, Jocelerme Privert, Abel Descollines, Jean Tolbert Alexis, Gracia Delva, Eloune Doréus, Acklush Louis-Jeune, Edo Zenny, Bien-Aimé A. Rodon, Benoit Laguerre, Ocinjac Benjamin, Paul Olivar Richard, Kély C. Bastien, Steven Benoît, Louis Amyot François, Lubrène Pierre, Nènèl Cassy, Pierre Francky Exius, Jean René Lochard, Sadrac Dieudonné, Willy Jean-Baptiste, Lamarre Baptiste... 

Qu'il s'agisse de la réussite incontestable du Carnaval national des Cayes, une expérience inoubliable, étincelante comme un tube, conçu et orchestré dans un contexte politique harassant avec une ténacité parfois angoissante par le président de la République, d'où ne sont point évacués les grands enjeux de la décentralisation, la pétulance de nos richesses touristiques et naturelles, mais dont, au contraire, sont mis en parfaite clarté les indissociables rapports qui les relient à de plus profondes et de plus incisives actions collectives et à la presque inévitable évolution des mentalités.
 
Qu'il s'agisse du maigre budget alloué au MCC et à l'absence persistante de la Loi organique y afférente, les voies du renouveau et de la rupture ne sont pas aussi inaccessibles qu'on le pense d'habitude. En m'appropriant l'Avant-projet de Loi organique élaboré sous l'administration de la ministre Marie Laurence Jocelyn Lassègue, j'ai pu renforcer la structuration des services internes du ministère. Le pilotage de cette réforme m'a permis d'agir avec sérénité dans un cadre organisationnel cohérent et substantiel. On appréciera à l'avenir la radicalité de cette réforme et sa dénégation de l'immobilisme et de la cacophonie antérieure. 

Oui, moi, c'est le défi qui m'a passionné. Ça a toujours été mon obsession, le renforcement institutionnel, à la fois par le respect des normes légales et l'approfondissement des mesures de bonne gouvernance axées sur le sens de la mesure, l'esprit d'ouverture, la rigueur administrative et financière, la volonté de donner des résultats. 

Qu'il s'agisse de la coopération et de l'assistance internationales sur le plan culturel, les contributions appropriées ou nécessaires sont moins évidentes qu'il n'y paraît : en témoigne l'inexistence d'aide ou d'appui à la construction des équipements et des bâtiments pour reloger l'ISPAN, le Théâtre National, la Direction Nationale du Livre, la Radio Nationale, etc., ou pour réhabiliter le Rex Théâtre et le Ciné Théâtre Triomphe. Ces quelques défis et problèmes structurels ne peuvent, bien sûr, prétendre à aucune recension complète d'un secteur qu'il faudrait décrire et analyser plus rigoureusement.

L'aide internationale ne suit pas une ligne droite. Nous sommes en présence d'une aide diversifiée, à vitesse différente. 
Les perspectives d'aide européenne développées par l'ambassadeur français Didier Le Bret sont encourageantes et dictées par un grand souci de solidarité et d'efficacité technique. L'aide espagnole, à travers Carmen Rodriguez Arce, s'inscrit dans ce registre. Peu de diplomates étrangers peuvent se vanter d'avoir eu un effet éclatant sur moi et fait oeuvre d'éclaireurs. Didier Le Bret, un grand défenseur d'Haïti, l'ambassadeur cubain Ricardo S. Garcia Napoles avec sa disponibilité contagieuse, l'ambassadeur Canadien Henri-Paul Normandin au franc-parler instructif, l'ambassadeur suisse Edita Voktal au calme souverain, le brillant ambassadeur dominicain Ruben Silie Valdes l'ont fait. Il en a résulté d'excellentes choses dans des domaines très divers mais pas d'autres. Cette aide a des limites, elle n'est pas inépuisable. C'est l'une des raisons pour lesquelles je crois qu'il faut transformer nos activités culturelles en industries rentables. 

Une ambiance chaleureuse
Qu'il s'agisse de la gestion habile et impeccable des fêtes raras sur une multitude de lieux et avec plusieurs acteurs (mairies, associations, organisations de base, ministères, etc.), il a fallu un souci assidu du bien commun, une certaine habileté et beaucoup de rigueur pour travailler jusqu'à l'épuisement dans des conditions extrêmement difficiles, parfois désespérantes.

Aussi mon action ministérielle, si chanceuse, est-elle fermement accrochée à des convictions, des idées et des visions modernes, des collaborateurs compétents et des consultants avisés (Sandra Rabrun, Jean-Claude Chéry, Kens Lacoste, Anthony Barbier, Labady Jorel, Pierre Rousson, Claude Gilles, Bertrand Labarre), des politiques publiques : que l'on pense à ma volonté bien arrêtée de ne procéder à aucune révocation et de valoriser au contraire les personnels existants en faisant fonctionner le Forum des Directeurs et le Conseil d'Orientation Stratégique, deux instances participatives et de leadership collectif, prévues par la loi. 

Car je ne peux pas agir sans un cadre légal de références, sans des points de repères solides. Homme d'ouverture et esprit non partisan, je ne saurai oublier de sitôt l'ambiance chaleureuse dans laquelle j'ai dirigé le ministère et les admirables qualités des employés et cadres qui m'ont accompagné dans ma fonction. Comme Stephane Mallebranche, Martin Télémaque, Michel Lapin, Joëlle Heyliger, Johanne Jean-Jacques, Frantz Moïse, Alex Bien-Aimé, Roland Bélizaire, Eddy Joseph, Karlot Fontin, Eddy Jean-Claude, sans oublier, bien sûr, mon Directeur de Cabinet Joseph Félix Badio qui est resté constamment, infatigablement à mes côtés. 

Avec les douze (12) organismes déconcentrés, avec ces douze collaborateurs immédiats j'ai toujours cherché les meilleures formules pour travailler avec eux, malgré les contraintes budgétaires et les différences de tempérament. D'une franchise inébranlable, j'allais, tout de suite au nerf et au vif, là où gît l'âme des choses. Les souvenirs exaltants que je garde d'eux disent tout cela, cette volonté de réussite, celle d'Emmanuel Ménard (BNH), de Philippe Dodard (ENARTS), de Michèle Frish (MUPANAH), de Bernier Sylvain (RNH), de Emmanuel Dérivois (BHDA), de Henry Robert Jolibois (ISPAN), de Frantz Carly (DNL), de Wilfrid Bertrand (Archives Nationales), etc. Je n'ai pour eux qu'admiration et affection. 

Chacun d'eux,pour leur extrême compétence, leur dynamisme, leur dévouement patriotique et leur sens du travail bien fait, occupe une place entière sur le chemin saccadé des sept vies de ma vie publique. Que de magnifiques souvenirs ! Que de magnifiques souvenirs que je garde de Chantal Moreno (directrice du bureau régional pour les pays de la Caraïbe de l'OIF) et de Barbara Brezeau (chef du projet ARCADES) pour leur dynamisme, leur détermination et leurs profondes qualités techniques et humaines !

Un bonheur
Que l'on pense aussi aux relations fructueuses et «relax» que j'ai entretenues avec tous mes collègues ministres et, en particulier, avec ma collaboratrice immédiate, la secrétaire d'Etat au Patrimoine Elsa Baussan Noël que j'ai toujours traitée en « diva». Une grande dame ! Infatigable et toujours prête à bouger ! Ce fut un bonheur de travailler, de collaborer avec cette pléiade de techniciens et de cadres remarquables que représentent Daniel Supplice, Ronald Toussaint, Pipo Cinéas, Réginald Delva, Michel Brunache, Yanick Mézile, Laurent Lamothe, Stéphanie Balmir Villedrouin, Jude Hervay Day, Georges Lemercier, Wilson Laleau, Thierry Mayard-Paul, Hébert Docteur, Jacques Rousseau, Florence Duperval Guillaume, Fritz Jean-Louis et j'en passe. La politique, chacun y est préparé par sa culture, sa formation intellectuelle, son parcours professionnel ; on se comporte comme dans les vies antérieures. 

Aussi les conseils des ministres et de gouvernement, coordonnés avec sobriété par Uder Antoine (Primature) et Me Ennex Jean-Charles (Présidence), étaient les plus hautes formes de la convivialité et de la passion du détail, sporadiquement secoués par le sens de l'humour (décapant) du président Martelly ou la fièvre des discussions entre deux ministres ou plusieurs. 

S'il y a un «style Martelly», celui-ci réside donc avant tout dans des qualités autoréflexives et enjouées telles qu'on peut les voir même en dehors de la scène musicale. Et s'il aime faire rire, il veut pourtant qu'il ait un impact psycho-politique ou une signification dialogique. Comme dans la parole d'une séance d'analyse, j'ai cherché un mot pour résumer tout ça, pour dire ce que sont ces bouts d'expérience. 

Une addition de tracasseries, d'incertitudes, de succès ? En effet. Ministère événementiel par excellence, le MCC est happé tout au long de l'année par trois grandes séries d'activités festives : le Carnaval, la saison rara et les fêtes champêtres. A bien y regarder, j'ai réussi, sans casses ni contestation à gérer le Carnaval (c'est jusqu'à date le grand succès politique et gouvernemental de Martelly, le succès le plus spectaculaire, le plus éclatant) et la saison rara, gérée pour la première fois à partir d'un budget consolidé, en dépit d'une cascade d'obstacles, de folles pressions, de menaces à peine voilées, de calomnies, de luttes de personnes, d'appétits déchaînés, de mauvaises habitudes administratives. Que Dieu soit loué!

Avant-scène du regard scrutateur (le bilan de), mon expérience ministérielle, pour le moment, n'est plus dans la salle ou sur l'écran. Plus encore et par ailleurs, ce bilan ou, si l'on veut, cette expérience ouvre sur quelque chose d'exceptionnel, de rare, pour laquelle il n'y a pas, à proprement parler, pour la période contemporaine, de l'auto-satisfaction, mais au vrai un bonheur continu : la joie d'avoir servi, avec intelligence et efficacité, le gouvernement Martelly-Conille dans l'intérêt du pays. Ce qui montre en clair que, dans mon secteur, le bilan de la première année de la présidence de Michel Joseph Martelly s'est révélé, en plusieurs points, largement positif, après seulement cinq mois passés à la tête du MCC !

Pierre-Raymond Dumas


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