vendredi 27 mai 2011

Rouzier ?

Le Matin, du 27 mai au 2 juin 2011
par Daly Valet

En 1991, le conteur Jean- Bertrand Aristide, devenu président, a imposé au pays le fabuleux René Préval comme Premier ministre. On connait la suite sinistre des choses. Enfin, jusqu'à cette pagaille institutionnelle et constitutionnelle dans laquelle M. Préval a choisi, de manière compulsive, de laisser la république au terme de son second mandat désastreux de président. En 2011, le chanteur Michel Martelly nous sert le comptable et entrepreneur Daniel Rouzier comme son Premier ministre désigné. Un choix risqué ? Evidemment oui. Dans les circonstances actuelles, il manque à ces deux hommes la profondeur politique qu’il faut pour aller au-delà de l’intangible, surmonter les obstacles humains, « systémiques », institutionnels et pour traduire les professions de foi, les bonnes intentions, en programmes de gouvernement rationnels et en réalisions concrètes.
En termes de gouvernance étatique, 2011 marque, cependant, une évolution par rapport à 1991. Le couple Martelly-Rouzier, au moins dans le discours, semble vouloir privilégier la logique de la reddition des comptes à celle des règlements de comptes, laquelle sous-tendait, essentiellement, l’action de la génération lavalas nouvellement arrivée au pouvoir. Si ce passage de l’affectif à l’effectif dans la gestion des affaires du pays dépasse les mises en scène médiatiques et va au-delà de la rhétorique verbeuse des apprentis politiciens, Haïti aura grandi. Martelly aura été, ainsi, mieux inspiré avec son Daniel Rouzier que ne le fut Aristide avec son René Préval.
Il faut dire que, déjà, et sans préjuger de l’issue du processus de ratification de l’actuel Premier ministre désigné, le pays peut se sentir soulagé de ce que le président Martelly ait jeté son dévolu sur l’homme d’affaires Daniel Rouzier, son contraire en tout. Quand Titid désignait comme Premier ministre un alter-ego, son marassa Ti Rene, M. Martelly choisit un homme qui le surpasse en qualifications, en potentiel intellectuel, et en bilan professionnel et social plus flatteur. Nous ne saurions soutenir ici, par anticipation, que ces contraires finiront éventuellement par bien s’harmoniser ou que ces deux hommes, aux parcours parallèles, s’entendront convenablement dans l’exercice conjoint du Pouvoir exécutif. D’ailleurs, nul ne sait si les violons d’un musicien, novice en politique, s’accorderont vraiment avec les mètres d’un entrepreneur détenteur d’un MBA, encore plus novice que celui-là dans les choses politiques. Il n’en demeure pas moins que, quand un pays choisit, en toute conscience, de se doter d’un Michel Martelly comme chef d’État, et que, de surcroît, ce dernier est en tout temps guetté par son avatar, le boutefeu Sweet Micky, il y a lieu d’applaudir au choix de Daniel Rouzier, un modèle de pondération, de tempérance et d’humilité. Une valeur sûre, un homme de valeurs dans l’Haïti de toutes les carences et des défaillances morales, normatives et éthiques. Par-delà les clivages de groupes, et au-delà même de toute considération coloriste renvoyant aux dogmes traditionnels et retardataires du noirisme et du mulatrisme, il serait dans l’intérêt du pays que le Parlement accorde un vote de confiance à M. Rouzier. Il ne s’agirait pas, sans doute, d’un vote majoritaire d’adhésion, vu la fragmentation de la représentation parlementaire et les hostilités qui s’organisent déjà contre M. Martelly. C’eût été, plutôt, un vote de sagesse que commanderaient les intérêts supérieurs de la nation. Car, en vérité, s’il n’existait pas un Daniel Rouzier à la portée du président Martelly, la république devrait lui en trouver un, ou, à défaut, lui en inventer un de semblable en profil intellectuel et en tempérament.
Le vote favorable à M. Rouzier suppose également que le gouvernement qu’il est appelé à former reflète la composition sociologique du pays. Car, ce serait politiquement imprudent, et du point de vue de l’histoire profonde, de lire dans la victoire de M. Martelly celle d’une classe sociale ou l’occasion d’asseoir la suprématie d’une classe au détriment d’autres. L’équipe de M. Rouzier devra forcément s’ouvrir, par pragmatisme, à la réalité politique haïtienne actuelle, telle qu’elle est exprimée en représentations partisanes au Parlement. Les chantages par la rue, du type populiste, et les mobilisations technologiques inconsidérées sur le mode de la campagne électorale permanente, doivent, à ce stade, disparaitre au profit du libre exercice du jeu institutionnel intraparlementaire de ratification sereine et responsable d’un chef de gouvernement, fût-il le choix d’un président bénéficiant jusque-là de la ferveur saisonnière de l’électorat populaire.
Le débat sur la désignation de Daniel Rouzier comme Premier ministre aura permis, de voir, enfin, à coté des distorsions et des déséquilibres, les bienfaits de notre régime politique mixte à prépondérance parlementaire. Ce régime, n’en déplaise à ses contempteurs, permet de remédier aux dérapages du suffrage universel direct. Le Parlement peut toujours tempérer la déraison et la fureur des urnes avec de la rationalité d’État. C’est à cela que devrait servir chez nous un Premier ministre aux côtés d’un président, lequel, autrement, serait laissé à lui-même avec tous ses travers, la bride sur le cou, si le régime politique haïtien était de type présidentiel classique. Au poste de Premier ministre, M. Rouzier a les atouts requis pour aider le président Martelly à bien gouverner, à compenser ses faiblesses personnelles et à mettre en chantier ses grands projets. Daniel Rouzier mérite, à ce titre, la confiance du Parlement.
D.V

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