samedi 19 février 2011

Les Colons Noirs

Les Colons Noirs
Jean Erich René
18 FEV 2011

Dieu nous a fait un don merveilleux en nous accordant la chance de naître sur une île aussi fantastique qu’Haïti. Malheureusement nos compatriotes ne le comprennent pas et ne saisissent pas non plus cette heureuse opportunité. Ils se livrent, depuis 204 ans, à une lutte politique sans grandeur. Des querelles byzantines empoisonnent quotidiennement leur vie.

Dépités par une telle calamité, les observateurs découragés étymologiquement
décomposent le mot Haïtiens en : Haïr les tiens. Cette filiation succinctement exprime le degré de rancœur que nous éprouvons les uns pour les autres pour des raisons diverses et qui nous empêchent de vivre paisiblement sur cette moitié d’île. Par nos réflexes de casseur nous avons détruit le patrimoine national, éclaté la famille haïtienne, porté les valeureux fils du pays à abandonner ses rives. Nous avons englouti une institution aussi stratégique que l’Armée d’Haïti et livrer le pays à la merci des truands.

Il y a toujours un torchon qui brûle mais le foyer de l’incendie demeure le partage du pouvoir politique et ses retombées économiques. On se laisse aveugler par sa passion sans se rendre compte du mal que l’on fait à la nation. Arrive que pourra, se lancent les frères ennemis qui rivalisent en absurdité. Ils sont tous embarqués sur le même bateau dont ils veulent tous avoir la commande. Le détruire au milieu de l’océan est un acte suicidaire. Même si on sait comment nager pour sortir, on doit tenir compte des dents de la mer. Il n’y aura pas de gagnants.

Le comportement des hommes au pouvoir actuellement rappelle l’attitude des membres de ces familles haitiennes à l’occasion d’un conflit terrien. Il y a toujours un individu ou un petit groupe dont l’ambition déborde ses droits et qui veut tout accaparer au détriment des autres qui ne veulent pas non plus se laisser faire. En portant le litige devant le tribunal, ils sont tous perdants parce que les notaires et les avocats retiennent la part du lion. La morale de l’histoire c’est qu’un mauvais compromis vaut mieux qu’un bon procès.

Tous les habitants de la planète ne jouissent pas d’un climat aussi merveilleux qu’Haïti, surnommé à juste titre le pays du printemps éternel. Pour s’en convaincre il suffit de vivre sous un climat tempéré et froid comme le Canada. Le découpage des saisons est précis et influence tous les aspects de la vie sociale. Le logement doit être chauffé pour contrecarrer la rigueur du froid. On vit comme des poussins dans une couveuse. En été la chaleur est tellement suffocante qu’à l’inverse le climatiseur s’impose. Ses tracasseries de l’existence sont tout aussi bien perceptibles sur le mode d’habillement et même la diète alimentaire. Sans un manteau et des bottes on ne peut pas franchir le seuil de la porte tandis qu’en été la tenue légère est de rigueur. Au printemps et en automne certaines adaptations au climat sont tout aussi indispensables à cause du vent et de la pluie. S’il faut 2500 calories quotidiennement à un individu pour assurer le fonctionnement de son métabolisme, au Canada il en faut 2700 au cours de l’hiver. Bon nombre de nos compatriotes sont morts poitrinaires sur la terre de Jacques Cartier en méprisant ce principe vital.

Quel est donc l’Haïtien ou l’Haïtienne qui n’aimerait pas se retrouver sous son chaud climat pour s’asseoir sur sa dodine à l’ombre d'un cocotier, d'un oranger ou d'un manguier ? Que faisons nous ici ? Nous sommes traités comme les épaves d’un navire détruit en haute mer. Nous sommes les rescapés du naufrage de la Barque nationale. Nous n’avons pas été victimes d’un accident de parcours. Nos propres timoniers par des manœuvres égoïstes, de 1804 à 2011, préfèrent tout détruire s’ils ne peuvent pas garder le pouvoir.

Au lendemain de l’Indépendance Jean Jacques Dessalines notre libérateur a été sacrifié à l’autel des intérêts personnels d’un petit groupe sans foi ni loi qui voudrait tout avoir en réclamant l’héritage de leurs pères. 207 ans après se répètent les mêmes scénarios. Il suffit de relire les signatures des Généraux apposés au bas de l’Acte de l’Indépendance et qui ont assassiné Dessalines pour constater avec étonnement que ce sont leurs fils qui poursuivent sans vergogne l’oeuvre de destruction nationale.

En 1804 nous avons été libérés de la chaîne des Colons Blancs. Dès lors nous tombons sous l’impitoyable domination des Colons Noirs. Le terme n’est pas trop fort et traduit exactement le comportement de nos élites. En effet, elles prennent leur distance avec le reste de la population qu’elles exploitent. La dichotomie est visible et même révoltante dans leur mode de vie, leur habitat, le partage des revenus et le clivage social. Cette démarcation est à l’origine de certains soulèvements populaires qui ont ponctué notre histoire politique ensanglantée, tout en favorisant l’émergence de certains leaders populistes. Ils veulent tout gober c’est pourquoi ils s’acharnent à élire nos présidents, nos députés, nos sénateurs, à nommer le Premier ministre et à participer à la distribution des portefeuilles ministériels. En attendant il y a 9,5 millions d’individus qui croupissent dans la crasse et la misère et dont les nerfs sont à fleur de peau. Il suffit d’une étincelle pour embraser la nation.

L’élite économique haïtienne a failli à sa mission en faisant preuve d’un appétit glouton digne des chenilles dévoreuses de feuilles. Loin d’adopter l’éclectisme de l’abeille en invitant tout le monde à participer à la construction de la ruche pour distiller le miel, elle ne fait que parasiter le système et jouir du fruit du travail des autres. La nouvelle bourgeoisie haïtienne veut maîtriser les rênes du pouvoir afin de s’accaparer de toutes les entreprises étatiques lucratives au grand dam des 4/5 de la population. L’élite politique haïtienne même lorsqu’elle brandit l’étendard de la révolte tout en fulminant contre la classe possédante se retrouve finalement sur leur banc en percevant 3 centimes sur chaque minute d’un appel téléphonique.

L’équation est mal balancée. La plupart de nos candidats se fichent pas mal des critères moraux et de leurs compétences pour s'acquitter des lourdes de tâches qui les attendent. Leurs programmes de Gouverment ne valent pas plus que des feuilles de chou exposés sur les étales de nos marchés. Un pays a le leader qu'il mérite, s'empresse-t-on de conclure. Voilà comment Haïti devient le seul PMA de l'Amérique. Aujourd'hui même la Jamaïque nous traite arbitrairement en pestiféré. La mise en quarantaine de l'équipe nationale de football n'est pas un hasard. Nous devons prendre conscience de l'image que projette nos chefs d'Etat à l'extérieur à cause de leur impéritie. Si Christophe Colomb fut le premier des Colons à s’établir en Haïti, les Colons Blancs ne furent pas les derniers. Les Colons Noirs sont à l’origine de la misère du peuple. Ils tisonnent leur instinct de révolte par leurs réflexes de nageurs et de grands mangeurs.

Jean Erich René
erichrene@bell.net

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour Gérald Mathurin : Pourquoi tombent les feuilles?

  Pour Gérald Mathurin : Pourquoi tombent les feuilles? Hugues Joseph J'ai repris ce texte Publié le 2018-03-12  par  Le Nouvelliste. Je...