samedi 8 mai 2010

Prolongeons le mandat, changeons la Constitution, donnons du temps au temps

Prolongeons le mandat, changeons la Constitution, donnons du temps au temps
EDITO du Nouvelliste
Frantz Duval
6 Mai 2010


Haïti: Comme un professeur le premier jour de classe à l'école maternelle, le président René Préval a reçu la presse au Palais national pour sa presque rituelle conférence de presse de la quinzaine.
Assis seul à son bureau, très maître d'école, sûr de lui, prolixe, sortant une série d'arguments rodés, plaisantant pour alléger l'atmosphère, le président a vendu sa marchandise : crise au sein du C.E.P, prolongation de son mandat, liberté de la presse.
La leçon sur la liberté de la presse a été la cerise sur le gâteau, en fin de conférence. D'ailleurs, il fut plutôt question des responsabilités de la presse.
Comme un chat qui déguste du petit lait, le premier citoyen de la nation a sorti un ensemble d'exemples qui en moins d'une semaine décrédibilise la presse. Des médias importants et des personnalités incontournables du monde médiatique en ont reçu pour leur grade. Sans acrimonie, mais avec un plaisir non feint, le président a fait la leçon, félicitant les uns, indexant les autres sans sortir du cercle de l'ANMH.
Point par point, le président a retracé les gaffes, la précipitation et la légèreté qui ont présidé la conduite de certains dossiers, la semaine écoulée.
« Il y en a qui ne vont pas en dormir cette nuit », a lâché un journaliste qui assistait à la prestation présidentielle. « Tout vaut mieux que l'énervement... », a soutenu un autre.
Sur le dossier de l'amendement de la loi électorale qui permettra au président de rester 96 jours de plus que prévu au cas où les élections n'auraient pas lieu à temps, le chef de l'Etat a dit et redit sa bonne foi. L'acrobatie a dû être pénible pour ce président connu pour son grand respect de sa parole prononcée. Plus question de partir impérativement et de plein gré le 7 février 2011.
La Constitution en est sortie écartelée entre la date fétiche du 7 février inscrit en toutes lettres dans la loi mère pour l'entrée en fonction du président élu et la durée du mandat présidentiel qui est de cinq ans, elle aussi consignée dans la Charte fondamentale de 1987. La proclamation des résultats, qui fit de lui président en 2006 et fixait les termes de son mandat, a été passée aux oubliettes.
Le souci de la concordance et de l'harmonisation du temps électoral et du temps constitutionnel a été la conjugaison du jour.

Dans cette affaire, c'est le principe de la mécanique des organes phalliques qui s'applique : quand un bout passe, tout passe. On a prolongé le mandat des maires, des députés et des sénateurs, pourquoi refuser un si petit extra au président. Cette mécanique est une affaire de pouvoir et celui qui a avec lui la force, législative dans ce cas précis, a tous les droits.
A propos du CEP, le président fut tout aussi à son aise. Encore une fois, l'organe électoral offrit au chef de l'Etat la facilité de l'argumentation. Les conseillers se fourvoient si souvent que cela devient pitoyable. Préval a toutes les cartes en main, grâce à un prétexte offert sur un plateau par les conseillers eux-mêmes, pour changer de C.E.P sans donner l'impression de le vouloir et de satisfaire ainsi le souhait ardent des partis politiques réticents à entrer dans le jeu électoral.
La conférence de ce jeudi a prouvé, encore une fois, que le président est passé maître dans la maîtrise du timing et du terrain. En inventant la prolongation du mandat que personne n'attendait, en instillant dans les pensées de l'opinion que les élections ne vont pas avoir lieu de sitôt et en préparant le pays à l'entrée en scène de la constituante (le ministres Jasmin à vendu la mèche ce matin en estimant souhaitable la convocation d'une l'Assemblée constituante), Préval envahit l'espace médiatique et donne le la.
Oublions les vrais problèmes, surfons sur la crête d'une série de vagues les unes plus politiques que les autres.
Oublions le fait que le président doit veiller à la bonne marche des institutions. Oublions que les élections avec ou sans tremblement de terre n'allaient pas avoir lieu en février 2010. Oublions que la Cour de Cassation est inopérante et que personne n'est apte à assurer la transition présidentielle si le 14 mai nous surprend sans président élu.
Bête politique au sang froid et aux coups de grand maître des échecs, le président s'offre même le face à face avec la presse, la grande, celle qui est réputée hostile à son pouvoir sur un terrain que personne n'avait encore choisi : l'éthique et la déontologie.
Waouh !!! Que de services gagnants pour un président que l'on croyait sur la défensive et plus souvent muet et renfermé sur son pré carré.
La succession de dossiers politiques permet aussi à l'exécutif d'évacuer les vrais problèmes. Qui parle encore de la vie dans les camps. De la reconstruction de la capitale. De la débauche de moyens qui accouche de si peu de résultats depuis bientôt cinq mois. Des fantômes qui nous dirigent le pays. Personne.
Il faut du temps. Prolongeons le mandat. Il faudra encore plus de temps. Changeons la Constitution. Dans un pays où même la présidence à vie ne suffit à personne, c'est à désespérer.


Frantz Duval
duvalf@hotmail.com

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