LE CAPITALISME
AUTORITAIRE (4)
BERNARD ETHEART
LUNDI 8 AVRIL 2019
J’espère ne pas vous avoir trop ennuyés
avec mon papier sur le libéralisme (Le
capitalisme autoritaire (3) HEM Vol.33 # 12 du
03-09/04/2019), moi cela m’a renvoyé un demi-siècle en arrière. Nous sommes
dans les années 60, je viens de laisser tomber des études de biochimie pour la
sociologie.
Sur le plan international, nombreux sont
les évènements qui alimentent les débats. Fidel Castro vient de chasser Batista
du pouvoir (le 1er janvier 1959) et d’infliger un camouflet à
l’administration Kennedy à la Baie des Cochons (17-19
avril 1961). En
Afrique, c’est la décennie des indépendances.
Pour nous, étudiants venus du
« tiers monde », le grand sujet de discussion c’est la voie à choisir
pour le « développement de nos sociétés et le grand débat est entre la
voie « capitaliste » et la voie « socialiste ». D’une
manière générale c’est la seconde qui a la préférence mais elle n’a pas la
faveur de notre pays d’accueil.
J’entends encore l’argumentation de nos
collègues allemands insistant sur le lien entre « liberté
économique » et « liberté politique ». Il ne faut pas l’oublier,
nous étions dans une République Fédérale d’Allemagne en
train de vivre son « miracle économique » alors que
de l’autre du « rideau de fer » la République Démocratique
d’Allemagne avait toute les peines à « décoller », pour utiliser le
concept popularisé par W W Rostow dans « Les étapes de la croissance économique » (The Stages of Economic Growth: A non-communist manifesto, 1960).
Pour nos interlocuteurs, étudiants ou
professeurs, la comparaison entre « les deux Allemagnes » donnait
« la preuve » qu’il ne peut y avoir de croissance sans liberté.
Je regrette de ne pouvoir les rencontrer aujourd’hui pour pouvoir leur demander
ce qu’ils pensent de ce qui se passe actuellement en Chine ou au Vietnam.
Mais attention, il ne s’agit pas seulement de
liberté pour les citoyens, les entrepreneurs doivent également, pour ne pas
dire en tout premier lieu, jouir de cette liberté ; liberté de créer et de
gérer leurs entreprises comme ils l’entendent en ne tenant compte que du
sacro-saint principe de la rentabilité. Cela a deux conséquences en termes de
politique économique
1.
Refus de la planification centralisée telle
qu’elle a été développée dans les pays du bloc communiste ;
2.
Privatisation de toutes les entreprises d’État
toujours au nom du sacro-saint principe de la rentabilité, car l’État est un
mauvais gestionnaire.
Je dois signaler que nous tous, qui avons
travaillé dans le secteur de l’irrigation, sommes aussi partis de l’idée que
l’État est un mauvais gestionnaire pour faire campagne en faveur d’une gestion des systèmes d’irrigation par utilisateurs du système
et non plus par un syndic appointé par le Ministère de l’Agriculture. Mais dans
ce cas il s’agit d’une « socialisation » plutôt que d’une
privatisa-tion.
Cette rage de la privatisation touche même des
institutions dont la vocation est de fournir des services à la population dans
les domaines de la santé et de l’éducation, mais aussi des transports ou .des
communications. A l’occasion du « grand débat » lancé par Emmanuel
Macron sous la pression des « gilets jaunes », on a entendu les
réclamations de populations entières privées de centres de santé, d’écoles, de
transport public etc. On a développé le concept d’«inégalité territoriale »
pour décrire la situation de certaines zones rurales en France. Hélas ! Les
malheureux n’ont toujours pas compris que la création de revenus pour les
entrepreneurs passe avant la satisfaction des besoins primaires de la
population.
Une liberté de la plus haute importance pour
les tenants du libéralisme économique est la liberté du commerce. En Allemagne,
à l’époque on rappelait qu’une des grandes étapes dans la création de l’Empire
Allemand (celui de Bismarck) fut la disparition de tous les postes douaniers
qu’avaient installés les petits princes locaux et la création d’un vaste marché
où les marchandises pouvaient circuler librement.
Aujourd’hui c’est au niveau mondial que l’on
veut étendre le libre-échangisme à travers cet organisme que Jean Ziegler
considère comme le troisième « cavalier de l’Apocalypse », avec la
Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International, le veux parler de
l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC}. Mais il y a aussi les fameux
« accords de libre-échange », comme ceux que l’Union Européenne a
imposés aux pays ACP (Afrique-Caraïbe-Pacifique) au risque de tuer leur
production agricole pendant que la France se bat, au niveau de l’OMC pour que
les biens culturels soient protégés contre le libre-échangisme.
On pourrait continuer longtemps à analyser
tous les domaines où le « capitalisme » est arrivé à imposer ses
intérêts au détriment des « laissés pour compte », parmi lesquels il
ne faut pas oublier de citer l’environnement. Mais le sujet est si important
que nous aurons certainement l’occasion d’y revenir. Je vais donc m’en tenir
là, pour le moment et tenter d’aborder la question que j’avais posée dans le
premier papier de cette série (Le
capitalisme autoritaire (1) HEM Vol. 33 # 09 du 13-19/03/2019) à savoir
comment le « capitalisme » est arrivé à ce pouvoir qu’il exerce
aujourd’hui.