Le capitalisme autoritaire (1)
Bernard Ethéart
Miami, lundi 4 mars 2019
Le grand sujet de la plupart des
bulletins d’information, en cette fin de semaine, c’est l’Algérie. L’Algérie,
où les citoyens vont prochainement être appelés à élire un président,
l’Algérie, où le président sortant, Abdel Aziz Bouteflika se prépare à
solliciter un cinquième mandat consécutif alors qu’on a vraiment l’impression,
quand on le regarde à la télé, qu’il n’a pas les capacités nécessaires à
assumer la fonction de chef d’État.
La vision de ce zombi en chaise
roulante me renvoie 57 ans en arrière. Lors j’étais étudiant en Allemagne et,
avec mon ami algérien Abdallah Yousfi, je suivais l’actualité de son pays, qui
venait tout juste d’accéder à l’indépendance, et nous suivions le parcours de
ce jeune Abdel Aziz Bouteflika (il était à peu près de notre âge – il vient de
fêter son 82ème anniversaire, moi ce sera dans trois mois) qui,
après avoir été proche de Ahmed Ben Bella, est devenu ministre dans le
gouvernement du colonel Ouari Boumedienne, qui venait de renverser Ben Bella.
C’est ce Bouteflika qui veut se
présenter pour un cinquième mandat présidentielle provoquant une vague de
protestations tant dans le pays que dans l’importante colonie d’Algériens
vivant en France. Ce qui est intéressant c’est que personne n’avait vu venir
cette réaction, pas même l’armée qui pourtant contrôle étroitement le pays
pratiquement depuis l’indépendance.
Les analystes offrent plusieurs
explications à cet « aveuglement » ; pour ma part je retiens
surtout que cela fait quelque temps que nous voyons apparaitre des mouvements
qui sont caractérisés par une forme de « spontanéité » mais qui
peuvent provoquer de grands bouleversements. Je citerai, évidemment, les
« gilets jaunes » en France, et dans un même souffle, à cause de
certaines similarités, nos « Petrochallengers » ; mais il ne
faut pas oublier ce qu’on appelle le « printemps arabe », et on peut
remonter au mouvement des « indignés » ; et tout récemment nous
voyons des jeunes manifester pour l’environnement.
Bon ! C’est bien joli de
faire de telles synthèses, encore faut-il trouver ce qui lie les différents
évènements que j’ai rassemblés et, puisqu’ils se sont déroulés dans différents
pays, il faut que ce lien soit d’ordre mondial. Un ami m’a récemment envoyé un
article qui pourrait nous mettre sur la voie. Il s’agit de : « L’essor inquiétant du capitalisme
autoritaire », par Olivier Passet, Directeur des synthèses, Xerfi.
Je vous cite tout de suite un
passage : « … la démocratie est en recul sur tous
les continents, notamment depuis 2010. Alors qu’en l'espace de quarante ans, le
nombre des démocraties s'était multiplié dans le monde — passant de 35 à plus
de 100— les ingrédients démocratiques reculent. Un tiers de la population
mondiale vit dans un pays où la démocratie est en recul, selon une étude qu’ont
publiée récemment des chercheurs de l’Université de Göteborg. Y compris et
notamment en Europe ».
Je
suis d’accord avec vous, dire « qu’en
l'espace de quarante ans, le nombre des démocraties s'était multiplié dans le
monde — passant de 35 à plus de 100 » est quelque peu exagéré. Certes
un certain nombre d’entités politiques ont vu le jour, qui ont
« adopté », au moins formellement, les principes démocratiques, mais
de là à parler de « démocraties » …
Il
faut cependant reconnaitre que « la démocratie » va très mal, aussi
bien dans les « nouvelles démocraties » que dans les
« démocraties traditionnelles ». Pour Olivier
Passet, c’est le « capitalisme autoritaire » qui est responsable de
la situation ; d’accord mais la question est de savoir comment il est
arrivé à avoir ce pouvoir. Pour y répondre je dois utiliser l’approche
hexagonale de la FONHDILAC ; cela fait un bout de temps que je n’en ai pas
parlé, c’est le moment d’y revenir.
Dans un document
daté d’Avril 2006, Jean-Robert Jean-Noël, lors président de la FONHDILAC, présente ce qu’il appelle « l’approche
hexagonale » qui « vise, tout
en s’appuyant sur la démarche participative, à développer un cadre harmonieux
pour l’évolution de l’humain dans un cadre social équitable, dans un cadre
naturel régénéré et bien équipé par des infrastructures adaptées, dans un cadre
économique et financier incitatif et dans un cadre politique responsable et
démocratique » (Jean-Robert Jean-Noël : L’Approche hexagonale [version actualisée], Avril 2006). Et il
amène tout de suite ce qu’il appelle « les six capitaux : le capital
humain, le capital social, le capital environnemental, le capital
infrastructurel, le capital financier et économique et le capital
politique ».
Dans les discussions
qui ont suivi, nous avons établi que ces six capitaux devaient être classés
dans un ordre bien précis, se fondant sur le raisonnement suivant :
1.
au centre de
la réflexion il y a l’homme, qui est à la fois l’acteur et le bénéficiaire de tous
les processus qui se déroulent au sein de la société ; le capital humain
doit donc se trouver en première position ;
2.
mais cet homme
n’est pas seul, il fait partie d’un groupe social ; le capital social
vient donc en seconde position ;
3.
ce groupe
social vit dans un environnement naturel, d’où le capital environnemental ;
4.
cet
environnement peut être modifié par des aménagements, d’où le capital infrastructurel ;
5.
ce groupe
humain exploite son environnement naturel et modifié par les aménagements dans
des activités économiques qui doivent lui permettre de satisfaire ses besoins,
d’où le capital économique ;
6.
enfin, pour
éviter les dérapages, il est nécessaire que l’ensemble de ces activités
connaisse une certaine forme de réglementation, d’où le capital politique (axe de gouvernance).
Je
m’arrête là pour aujourd’hui ; nous verrons prochainement comment le fait
de ne pas tenir compte de cette approche hexagonale a conduit à la situation
que nous déplorons aujourd’hui.
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