lundi 1 octobre 2012

SECOUSSES



Secousses !
Par Daly Valet

Le pays a faim. Du creux aux ventres. Les rues s'enflamment. Lavalas et alliés à l'heure de l'action militante ouverte anti-Martelly du Nord à l'Ouest. La grande manifestation de plusieurs milliers de capois, jeudi 27 septembre, contre le pouvoir Tèt Kale nous dit que le président Martelly a toutes les raisons de s’inquiéter. Il y a provocation et raidissement des positions de part et d’autre. Les secousses politiques et répliques sociales de ces derniers jours ont fissuré jusqu’aux fondations de la maison Martelly. Rien ne sera plus comme avant. Au point de se demander si cet édifice résistera à des mouvements déstabilisants répétitifs et durables  de très forte magnitude. La maison est à revoir, restructurer et consolider dans l’immédiat. Bien entendu, si ses ayants droit tiennent à la sauvegarder.

M. Martelly s’est mis sur le dos, dans l’imprudence immature et l’insolence désinvolte, tous les secteurs vitaux de la vie nationale. D’importants hommes d’affaires et autres modestes entrepreneurs, réputés bons citoyens,  par le chantage fiscal. Les catégories socio-processionnelles évoluées, par un populisme brouillon et hautain qui dévalue la connaissance et fait de la condition modeste des hommes et des femmes éduqués des classes moyennes un motif d’humiliation publique. La classe politique, par le rappel incessant de ses faiblesses et de ses tares et par la politique d’exclusion et sectariste poursuivie par le pouvoir au détriment de tout ce qui n’est pas un converti rose. La presse et les démocrates, par l’insulte permanente et par la peur qu’engendrent ces procédés autoritaires anachroniques qui tendent à faire des institutions autonomes et indépendantes de l’État des appendices dévoyés du Palais national. Un vrai record pour un pouvoir sans assise sociale, politique et institutionnelle. Washington et la Minustah ne sauraient être les seuls garants d’un régime responsable et soucieux de résultats dans la stabilité interne. D’ailleurs nul n’entrevoit  un avenir où  des casques bleus de l’Onu se mettraient à tirer à hauteur d’hommes sur des émeutiers de la faim pour défendre un pouvoir qui s’est délégitimé dans l’amateurisme managérial et son inefficacité patente à répondre adéquatement et sans bluff aux demandes populaires.

Les révocations et transferts abusifs opérés par le pouvoir dans l'appareil judiciaire, ces mutations dans les commandements policiers départementaux et ces remplacements dans les délégations aux fins de mater cette rébellion des rues et d'endiguer la contestation sociale signale l'embarras de l’équipe Tèt Kale à bien cerner les cordonnées profondes de la crise. L’impréparation des uns et des autres à assumer de hautes fonctions d'État semble sur le point de coûter très cher à la République au même titre que leur incapacité à donner des résultats dans des délais raisonnables alimente l’insécurité des rues et celle des ventres et des esprits.

Quand le pays réclame du pain, revendique un changement de politique et de direction, le gouvernement répond par des changements inopinés  d'hommes et la distribution de petites enveloppes aux " têtes de pont " des zones réputées chaudes. L'action collective et la logique de la mobilisation politique semblent relever du mercenariat monnayable pour les officiels aux bracelets roses. L’échec au Cap-Haïtien de la " tactique des enveloppes " n'est autre qu'un camouflet à tous ceux qui croient, en tout et partout, aux vertus anesthésiantes et aphrodisiaques de l'argent.

Dimanche 30 septembre, les militants Lavalas et des milliers d’autres mécontents ont  investi le macadam pour rappeler aux putschistes leur coup d'État d'il y a 21 ans. Une façon aussi pour ce secteur de rappeler au président Martelly que n’ont pas été oubliées les accointances de Sweet Micky, l’artiste populaire, avec Sweet Micky, le militaire putschiste. Les Titidiens indécrottables s'en souviennent même quand le pays a tourné la page et penche vers la nouvelle Haïti à édifier sur les décombres de ce pays qu’ont démantelé, pillé et abandonné dans l’indigence crasse les récentes élites gouvernantes. D'ailleurs, toutes proportions gardées, le bilan des années Titid est aussi sombre que celui des années putschistes. L’un semble être l’ombre portée, médiocre et caricaturale de l’autre. Evidemment, comme la calamiteuse performance de Préval a enfanté Martelly, l’insoutenable crétinisme de l’actuel pouvoir semble sur le point de nous réinventer Lavalas. Pour le meilleur. Ou pour le pire.

La grogne gagne quasiment toutes les régions du pays. Les gens tirent prétexte de tout pour occuper les rues et cracher dans la colère leur ras-le-bol : cherté de la vie, sentiment d’abandon dans l’arrière-pays, corruption supposée de la famille présidentielle, gaspillage dans le gouvernement, détournements et réallocations illégales de fonds publics, non respect des promesses électorales, soupçons de velléités présidentielles autoritaristes par la vassalisation d’institutions indépendantes comme le CEP et le CSPJ, transferts illégaux de juges, etc. La liste est longue de ces griefs retenus par la rue mécontente contre M. Martelly et son « équipe ».

Le Palais national n’a pas assez de cordes à son arc qui l’habiliteraient à calmer et renverser cette vapeur sociale montante et brûlante. Car, face à une population de plus en plus impatiente, affamée et furieuse en raison de promesses électorales roses non tenues, le pouvoir n’a pas de solutions miracles qui soulageraient la lancinante misère des tripes dans l’immédiat. La réponse au drame haïtien réside dans des politiques publiques patiemment élaborées et intelligemment exécutées. Les vraies solutions ne peuvent se déployer que sur le long terme. C’est là que le président Martelly est justement piégé. La population lui a enlevé, brutalement et brusquement, en seulement 16 mois de règne, à la fois le bénéfice du doute et du long terme. Elle ne lui a laissé, dramatiquement, que l’inconfortable obligation de gérer l’urgence dans l’efficacité et de tout résoudre vite et maintenant. Son mandat à la fois en jeu et en question.

Dans la droite ligne de nos traditions politiques, la tentation pourrait être forte chez le Président  de se montrer suffisant, têtu  et plus homme fort aux griffes déployées que Chef d’État visionnaire et humaniste à l’écoute de son peuple aux desiderata humains longtemps négligés. Autrement dit, le pouvoir comme son propre fossoyeur et hibou de malheurs. Ce serait doublement regrettable. Regrettable pour son mandat présidentiel mortellement atteint de nos maladies infantiles et enterré prématurément. Le processus d’institutionnalisation démocratique pâtira grandement de toute rupture brutale et chaotique du quinquennat présidentiel. Un tel spectre est à conjurer. Si, dans le judicaire, l’ahurissant scandale Sanon-Sénatus  cristallise l’implosion de ce bric-à-brac qu’on nomme abusivement  « l’équipe Martelly », les risques sont  bien réels d’une déstabilisation provoquée du pouvoir par la rue et orchestrée par ses adversaires politiques impatients et frustrés.  Enfin, ce serait surtout regrettable pour un pays aux misères perpétuelles. Une Haïti qui subit secousses après secousses.  Et dans l’infini recommencement.
D.V.

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