Haïti 2030: Un pays sans
pauvreté extrême
Le
Nouvelliste | Publié le : 15 juillet 2014| Mary Barton-Dock
Nous savons tous que, depuis
l’an 2000, Haïti a souffert de grandes crises politiques et catastrophes
naturelles répétées qui, à chaque fois, ont affecté négativement les
perspectives de croissance économique. Cependant, ce que nous savons
maintenant, c'est que, pendant cette même période - en dépit de ces
catastrophes -, Haïti a réussi à
réduire l'extrême pauvreté. Cela
représente une avancée significative et devrait être reconnu comme un
indicateur de progrès et une preuve qu’avec un effort soutenu, Haïti pourrait
éliminer l'extrême pauvreté.
De nouvelles données publiées récemment par l'Observatoire
national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) sur la base del’enquête des conditions de vie des ménages
conduite par l'Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI) en 2012 montrent que l'accès aux
services de base s'est amélioré et que l'extrême pauvreté a diminué de 31 à 24
pour cent depuis 2000. Pour cette analyse, le terme extrême pauvreté s’applique
aux Haïtiens gagnant moins de 42 gourdes par jour (environ 1 $ US dollar) et le
terme pauvreté s'applique aux Haïtiens gagnant moins de 82 gourdes par jour
(environ 2 $ US).
Par rapport à 2000, les données montrent que le
revenu et l'accès aux services se sont améliorés. Les progrès les plus
importants concernent l'accès à l'éducation, où le nombre d'enfants inscrits
dans les écoles a augmenté de 78 à 90 pour cent. Néanmoins, trop d'enfants
abandonnent l'école ou doivent redoubler : il y a donc un besoin urgent de
résoudre le problème de qualité de l'éducation. Il y a eu également une
certaine amélioration de l'accès aux services d'assainissement,
bien qu'elle soit très faible en zone rurale, et que les progrès dans l'accès à
l’énergie fiable et à l'eau potable restent très limités.
Malgré certaines avancées dans la lutte contre la
pauvreté, certaines observations restent néanmoins préoccupantes. Le coefficient Gini, qui
mesure l'inégalité des revenus, est resté constant depuis 2001, soit 0,61. Cela signifie qu’Haïti reste le pays avec
la plus grande inégalité des revenus en Amérique latine et dans les Caraïbes,
et l'un des pays les plus inégalitaires
du monde.
Les progrès en zones urbaines ont été beaucoup
plus importants qu’en zones rurales. Dans les
zones rurales, où plus
de la moitié de la population réside encore, les niveaux
de pauvreté extrême n'ont pas changé et l'inégalité des revenus a augmenté. L’accès aux soins de santé, à l'éducation,
l'eau, l'assainissement et l'électricité est également beaucoup plus faible
dans les zones rurales. Les données montrent également que la population pauvre
est concentrée géographiquement au Nord, où les départements du Nord-Est et du
Nord-Ouest ont un taux de pauvreté extrême qui dépasse 40 pour cent.
Les progrès dans les grandes villes - la région
de Port-au-Prince en particulier –s'explique notamment par une augmentation
des emplois mieux rémunérés dans la construction, la
fabrication et les services, et par des niveaux plus élevés de consommation alimentée en partie par
l'aide au développement et les transferts de fonds de la diaspora. Alors que la lenteur des progrès dans les zones rurales est due
à uneforte
dépendance au secteur agricole dont des meilleurs
rendements, et donc une meilleure qualité
de vie, dépendent principalement
d’une météo capricieuse.
J'ai eu l'occasion de voyager dans certains des
départements les plus pauvres du pays. Le contraste avec la capitale de Port-au-Prince
est saisissant. Les familles haïtiennes dans le Nord-Ouest et du Sud
du pays ont encore à parcourir de longues distances sur des routes à moitié effondrées pour
se rendre dans les centres de santé et les écoles. Seulement 16% des habitants
des zones rurales ont accès à un assainissement amélioré, contre 48% dans les
villes. Ils travaillent dur pour
produire de la nourriture, mais voient
leur récolte se gâter avant d’atteindre un marché ou de pouvoir être consommée.
Ces nouvelles données et cette analyse sont très
précieuses pour guider les politiques publiques. Elles devraient aider le gouvernement à
continuer à réduire davantage la pauvreté. Ceci est essentiel, étant donné que,
malgré les progrès, il y a encore 6,3 millions d'Haïtiens qui vivent dans la pauvreté, et 2,5 millions de personnes sont dans l'extrême
pauvreté. Haïti reste très vulnérable, non seulement aux catastrophes et à la
fragilité, mais aussi au fait qu’une partie de cette amélioration est liée à des
niveaux élevés de l'aide internationale et de la diaspora.
Néanmoins, la réduction de la pauvreté extrême à
la suite d'un tremblement de terre dévastateur, d’ouragans destructeurs et de
fragilité politique est une victoire de la résilience
du peuple haïtien. Et cette
victoire devrait nous donner à tous l'espoir que des progrès
plus considérables, et plus rapides sont possibles en Haïti. Si nous pouvons maintenir le cap et utiliser
cette analyse pour orienter les politiques de développement, une Haïti sans pauvreté extrême serait
possible.
Mary Barton-Dock
Envoyée Spéciale pour Haïti de la Banque
mondiale