Sécurité nutritionnelle
Bernard Etheart
Si
j’étais friand de ces grandes formules qui se veulent pleines de sagesse, je
m’en irais répétant tout venant que « les voies du Seigneur sont
impénétrables », ou plus cléricalement que « le hasard fait bien les
choses » ; tout cela pour parler d’un petit tour que m’a joué le
Seigneur ?, le hasard ?, je ne sais pas, en tout cas c’était amusant.
Le
tout commence avec mon retour à la Faculté des Sciences Humaines après 18 ans
de « mise en disponibilité pour cause d’INARA ; et j’avais à peine
repris ma « chaire » que me voilà chargé de donner un encadrement
technique à un étudiant finissant pour son mémoire de sortie ayant pour sujet « Sociologie
des habitudes alimentaires à Petite Rivière de l’Artibonite », rien que
cela !
Et puis voilà que, durant la fin de semaine, feuilletant le dernier
numéro de. SPORE (Le
magazine du développement agricole et rural des pays ACP – No 169, Avril-Mai 2014), je tombe sur un
article intitulé « Sécurité
nutritionnelle – La “faim cachée” n’est pas une fatalité ». Diantre !
Je connaissais la sécurité alimentaire, mais que diable peut bien être la
sécurité nutritionnelle ? et puis, qu’est-ce que la « faim
cachée » ?
Commençons par la distinction sécurité alimentaire – sécurité nutritionnelle.
L’article nous fait bien comprendre qu’il s’agit de deux choses
différentes : « Si la sécurité alimentaire est une priorité et figure en bonne place sur
l’agenda international, la sécurité nutritionnelle n’attire pas une attention
suffisante au vu des chiffres qui révèlent l’urgence de la situation ».
Le même article débute avec une
citation d’Olivier de Schutter, qui est, je crois, Rapporteur des Nations Unies pour
l’alimentation, une citation qui nous
donnerait des pistes de réflexion, comme on dit en français moderne :
« Le droit à l’alimentation ne
saurait être réduit au droit de ne pas mourir de faim ».
Vous connaissez le proverbe haïtien : « Gro dèyè pa vle di lasante » ;
c’est dans ce sens, je crois, qu’il faut comprendre la phrase de de Schutter.
Quand on voit nos compatriotes engloutir des tonnes de pois et riz, ils n’ont
peut-être plus faim, après l’opération, mais est-ce qu’ils sont bien
nourris ? ou plutôt, bien « nutris », pour parler moderne et
« pointu » ? Probablement pas.
Mais nous ne pouvons pas nous payer le luxe de rester au
niveau du folklore, je suis donc allé chercher un peu plus loin la différence
entre aliments et nutriments (encore un néologisme !). Si j’ai bien
compris les aliments c’est ce que nous ingérons ; les nutriments par contre
sont des substances contenues dans les aliments et qui ont une fonction
spécifique. On distingue les macronutriments et les micronutriments.
Les macronutriments, on connait ; on a appris cela
en philo dans le cours de biologie. Ce sont les trois groupes : protides
(protéines), lipides (corps gras), glucides (sucres). Les micronutriments, on
en a aussi entendu parler ; ce sont les sels minéraux, les vitamines, les
antioxydants, ceux-là, on en parle beaucoup, mais je n’ai pas encore très bien
compris à quoi ils servent, et, pour finir, les
composés phytochimiques, des composés chimiques organiques qu'on peut trouver
dans des aliments d'origine végétale, ceux-là, je ne les connais pas du tout.
Il n’est cependant pas nécessaire de
connaitre dans le détail les rôles et fonctions de tous ces nutriments. Ce qui
importe, c’est que la composition d’une alimentation bien balancée suppose un
équilibre entre tous, car la malnutrition se réfère à une consommation
insuffisante ou excessive des nutriments par un organisme. On peut prendre des
exemples connus comme les maladies provoquées par une carence en vitamine, le
scorbut, carence en vitamine C, certaines maladies des yeux, carence en
vitamine A, l’anémie, carence en fer, etc.
La grande question maintenant est de savoir comment
combattre la malnutrition. La réponse est dans cet article de SPORE que j’ai déjà
mentionné. « Tout un
chacun s’accorde à dire que le seul accroissement de la production alimentaire
et de la productivité agricole ne suffira pas à vaincre la malnutrition.
Soutenir les petites exploitations agricoles permet de générer des revenus et
les revenus permettent l’accès à la nourriture. Le secteur agricole peut aussi
mieux accompagner la nutrition en valorisant les productions locales
traditionnelles et en promouvant des filières à forte valeur nutritive comme
les fruits, les légumes, la viande, le poisson. Ceci permet de diversifier les
régimes alimentaires, d’améliorer leur qualité et de rendre plus accessibles
les aliments nutritionnellement riches. En outre, le développement de chaînes
de valeur rend possible la conservation, le stockage et la transformation des
produits. Sensibiliser le monde agricole, en particulier les femmes, à la qualité
nutritionnelle des aliments semble aussi indispensable. »
Vous
comprenez maintenant pourquoi j’ai parlé au début du tour que m’a joué … je ne
sais trop qui. Au début de l’année, profitant du fait que la FAO avait déclaré
l’année 2014 « année de l’agriculture familiale », je me suis lancé
dans une campagne en faveur de cette agriculture familiale que j’associais aux
techniques agro-écologiques ; cela a donné, entre autre, à une série de
six articles (voir HEM Vol. 27 # 52 et Vol. 28 # 01 –
05). Ma motivation était d’ordre environnemental mais aussi socio-économique,
l’agriculture familiale étant le plus grand créateur d’emplois, si on lui donne
sa chance. Et voilà que maintenant, partant d’un tout autre point de vue, celui
de la sécurité nutritionnelle, on arrive à la même conclusion. Ce n’est pas
tout.
Dans le courant de l’année dernière
la PAPDA a organisé des rencontres avec des organisations paysannes de quatre
départements (Nord-Ouest, Nord, Nord-Est Artibonite) ; de ces rencontres
sont sortis des cahiers de revendication avec chaque fois un imposant catalogue
de revendications touchant à tous les domaines (environnement, agriculture,
éducation, santé, etc). Je me suis amusé à faire une compilation comparée des
revendications touchant à l’agriculture. Je veux signaler deux choses :
1.
En ce qui concerne le type d’agriculture, il y a une option en faveur
d’une agriculture « paysanne », et dans un cas on parle d’agriculture
« familiale » ;
2.
En ce qui concerne le type de cultures priorisé, bien sûr tout le
monde parle de relancer les cultures de denrées d’exportation, mais tout le
monde parle aussi de valoriser, et si nécessaire de revaloriser les cultures
traditionnelles de vivres, de céréales, de légumes et de fruits
Je
ne crois pas que ces messieurs et dames étaient au courant de l’article que j‘ai
cité plus haut, il n’était du reste pas encore écrit, on peut donc dire que ce
sont des revendications genuine, pour
utiliser un mot anglais dont je ne trouve pas la bonne traduction.
Attention ! ces personnes représentent encore 60 % de la population du
pays ! Allons-nous continuer à ne pas entendre leur voix ?
Bernard Ethéart